Couverture de JDJ_216

Article de revue

Responsabilité pénale des fonctionnaires. Deux arrêts importants

Pages 34 à 36

Notes

  • [1]
    Le Parisien, 25 janvier 2002.
  • [2]
    JDJ n° 186 pour un professeur reconnu civilement fautif d’avoir laissé des pré adolescents prendre seuls un escalier pour partir en récréation.
  • [3]
    Arrêt n° 628, 5 juin 1985.
  • [4]
    Décret n° 89-122 du 24 février 1989.
  • [5]
    Cour d’appel de Poitiers, Drappeau Bernard, 2 février 2001, n° 88/01.

1Accidents dans le cadre scolaire. Deux cours d’appel ont statué en appliquant la loi du 10 juillet 2000. Celle-ci a été votée pour protéger les agents publics et les élus. Une loi en 1996 n’avait pas suffit à le faire. Les deux arrêts tendent à montrer l’efficacité de cette dernière loi. Par ailleurs la loi de 1937, prise pour les instituteurs et autres professeurs, a maintenant, combinée à celle de juillet 2000, un effet inattendu. La victime peut devant le juge pénal obtenir une indemnisation même après relaxe de l’auteur présumé d’une faute de négligence ou d’imprudence. Si la faute pénale n’est pas retenue, la faute civile peut l’être et permet la réparation sans devoir se présenter devant le juge civil.

Cour d’appel de Paris. Le droit inaliénable de faire pipi

2Les faits ont été rapportés diversement par la presse. En 1995 un élève de neuf ans et demi est retrouvé inanimé dans les toilettes de son école, la tête enroulée dans la serviette murale de l’essuie main. Vers 16 h 20 l’enfant s’est rendu aux toilettes situées en face de sa classe. Vers 16 h 25 les enfants qui se préparaient à sortir l’ont découvert suspendu au porte serviette, la tête enroulée dans la serviette. L’enfant décède à l’hôpital. Il bénéficiait d’une permission de principe pour sortir de la classe en raison d’ennuis urinaires.

3Pour la deuxième fois, ici en appel, la justice relaxe l’institutrice. Les parents auront été mal inspirés de s’adresser au juge pénal. La loi du 10 juillet 2000 a trouvé application bien que les faits lui soient antérieurs. Cette loi devait en effet s’appliquer dans toutes les procédures en cours en vertu du principe qui veut qu’une loi pénale « plus douce » doit recevoir ainsi immédiatement application. De fait pour être condamné il faut dorénavant avoir « soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’on ne pouvaient ignorer ». La loi ou le règlement (décrets et arrêtés) : non plus de simples circulaires et autres notes de service.

4Il n’est pas sûr cependant que la loi dans sa rédaction de 1996, et même antérieurement, aurait permis une condamnation. Toujours est-il que la décision est claire. L’institutrice n’a pas commis de faute caractérisée. Elle n’a pas non plus violé une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Le juge relève que ne peuvent être invoquées « les circulaires et le règlement intérieur (…) dépourvus de valeur réglementaire ». Un règlement intérieur dépourvu de valeur réglementaire cela peut surprendre. Rappelons que la constitution a défini le domaine de la loi et celui des règlements et que ceux-ci sont uniquement les décrets et les arrêtés. On ne pouvait donc pénalement invoquer le règlement intérieur ou les circulaires ministérielles qui précisent que la surveillance doit être continue, pendant la totalité de l’activité scolaire.

5Une journaliste a cru bon de commencer son article [1] en affirmant : « ils n’ont pas eu le droit de commencer leur deuil ». Nous essaierons de l’excuser en disant qu’une journaliste peut n’avoir pas pensé que la punition d’un coupable ne devrait pas être la solution obligatoire à toute tragédie. Les études de journaliste n’incluent sans doute pas le droit ni la philosophie. C’est tout de même flatter l’opinion dans sa recherche inlassable de boucs émissaires. Nous sommes moins enclins à l’indulgence en ce qui concerne le conseil de la famille : son avocat. Celui-ci déclare : « cette décision revient à donner l’absolution à tous les accidents scolaires, dès l’instant où on ne peut trouver de faute caractérisée, en lien direct avec de tels drames ». Il faut sans doute entendre « absolution à tous les responsables d’accidents scolaires ». Que veut cette avocat ? Des condamnations pénales sans preuves ? !

6Il est vrai cependant qu’il n’en faut pas tant pour obtenir une condamnation civile que pour condamner pénalement. Il y avait donc un meilleur choix à faire que celui du tribunal pénal. Le doyen Vedel le soulignait déjà en 1969 : « En fin de compte, un problème de responsabilité, dans l’état actuel de la conscience juridique, se résout sous l’empire d’une idée dominante : à savoir que ne pas trouver de responsable à un dommage revient à déclarer la victime responsable, puisque le responsable est celui qui porte la charge définitive du dommage. Or, sauf à ce que la victime soit elle même fautive, ce résultat doit être évité à tout prix d’autant plus que le développement de l’assurance dans le secteur privé, la répartition des charges par l’impôt dans le secteur administratif, permettent de socialiser le préjudice ». Ce raisonnement explique d’ailleurs sans doute en grande partie l’arrêt Perruche qui a fait s’enflammer sur la Vie alors qu’il s’agissait juste d’indemniser… En droit scolaire, une illustration particulièrement flagrante de ce principe, selon lequel il est préférable de trouver parfois coûte que coûte un fautif, a été donnée dans un précédent numéro du JDJ [2].

7La juridiction civile, qui n’a pas pour objet de punir mais d’indemniser, aurait pu permettre une condamnation de l’État pour la faute, civile, de l’enseignante. En effet, la Cour de cassation a pu par exemple juger qu’avait été fautive la conduite d’un professeur qui avait organisé une épreuve sportive ne lui permettant pas d’assurer la surveillance d’une partie de ses élèves pré adolescents [3]. Celui-ci s’était placé à l’arrivée d’une course pour chronométrer les coureurs. Pendant ce temps, des élèves sur la ligne de départ se sont amusés à lancer des mottes de terre. Un élève a été blessé alors que le professeur était à 150 mètres. Il ne faut pas pour autant prendre au premier degré cette décision. Elle est destinée à permettre une indemnisation pour l’œil blessé. En assurant au mieux la sécurité, les professeurs doivent continuer à proposer de vraies activités physiques aux élèves. Celles-ci comporteront toujours un risque mais n’entraîneront pas pour autant la condamnation pénale du professeur. Rappelons en outre qu’en vertu de la loi de 1937, qui régit la responsabilité civile des membres de l’enseignement, l’enseignant n’est pas du tout inquiété, même pas entendu comme témoin par le juge. Et puis les enseignants, sourcilleux de leur liberté pédagogique, ne vont pas tout de même se laisser diriger par un juge qui n’y connaît rien…

8Il reste que l’arrêt est clair. On peut envoyer un enfant faire pipi sans risque d’être condamné pénalement. Le droit de faire pipi est un droit inaliénable. Et pas seulement dans sa culotte. Pour les enfants en particulier, le moment arrive vite où la volonté ne peut suffire à contrôler la vessie. Il n’est pas besoin non plus de contribuer aux cystites des petites filles qui finissent par apprendre à se retenir toute la journée d’école. Sans compter qu’en apprenant à se retenir on n’est pas toujours très disponible à apprendre autre chose.

Cour d’appel de Caen. Relaxe. Condamnation civile par le juge pénal

9En récréation, un élève veut récupérer une balle. Il monte sur la toiture en terrasse du bâtiment sanitaire de l’école. Il passe par un hublot et se tue en tombant d’une hauteur de quatre mètres.

10Les élèves avaient l’habitude de monter sur cette terrasse avec au moins un accord tacite des enseignants. La directrice n’avait pas signalé le danger que l’accessibilité de la terrasse faisait courir aux enfants. Celle-ci était rendue accessible parce que deux échelles appartenant à la ville avaient été laissées en place après des travaux interrompus. Le directeur des services techniques de la ville avait été déclaré coupable d’homicide involontaire et condamné pénalement avant l’intervention de la loi de juillet 2000 et ne s’était pas pourvu en cassation. Par un même arrêt de la cour d’appel de Rouen, les deux institutrices surveillant la récréation avaient été relaxées. La directrice condamnée s’est retrouvée devant la cour d’appel de Caen du fait de son pourvoi en cassation.

11L’arrêt de la cour d’appel de Rouen montre bien au passage les responsabilités particulières de la directrice. Une directrice d’école n’est pas le supérieur hiérarchique de ses collègues. Elle a même grade qu’eux, ne les note ni ne propose même une note. Elle n’est que « chargée de direction ». Cette direction implique cependant un certain pouvoir d’organisation. Aussi la cour peut-elle relever qu’elle n’aurait pas dû omettre d’avertir la mairie du danger. Par ailleurs, « le nombre d’élèves présents dans la cour et le nombre de points sensibles à surveiller démontrent incontestablement que la présence de deux enseignantes dans la cour de récréation ne permettaient pas d’assurer une surveillance suffisamment effective des élèves en particulier aux alentours des points sensibles nécessitant une vigilance accrue et en tout cas suffisamment efficace pour empêcher qu’un élève puisse s’y soustraire ». La culpabilité de la directrice aura été retenue pour n’avoir décidé « de n’affecter que deux enseignants à la surveillance de 263 élèves dans un lieu nécessitant une surveillance renforcée en divers endroits ».

12La cassation fut ordonnée parce que l’affaire devait être réexaminée à l’aune de la loi pénale plus douce de juillet 2000. Les institutrices, définitivement relaxées, ont « chargé » la directrice. Elles ont indiqué « qu’elles n’avaient jamais autorisé des élèves à accéder sur la terrasse, qu’elles n’avaient jamais vu d’élèves en cet endroit, ignoraient qu’ils y montaient et qu’il leur était simplement arrivé d’autoriser l’un ou l’autre à se rendre sur le talus, sous leur surveillance, pour récupérer une balle. Elles ont précisé qu’elles n’avaient pas vu d’échelle apposée contre le mur pendant la récréation. Elles ont estimé n’avoir commis aucune faute dans la surveillance de la récréation et affirmé qu’affecter deux instituteurs à cette tâche était insuffisant au regard du nombre d’issues à surveiller : toilettes, préau avec deux escaliers conduisant aux étages, muret, portail d’entrée, accès entre les cours des grands et des petits » (ndlr : caractères gras mis par nous). On ne relève cependant aucune démarche de ces institutrices pour être plus nombreuses à surveiller la cour… Ces dénégations sont similaires à celles de la directrice. Personne ne savait. Alors que « les auditions de plusieurs voisins, parents d’élèves et anciens élèves, notamment de M. Hantier, confirmaient de manière précise et circonstanciée les déclarations des trois enfants sur le caractère habituel de l’accès au toit du bâtiment sanitaire, l’un d’eux précisant que cette pratique dont le caractère interdit était connu de tous, était déjà en vigueur lorsqu’il fréquentait l’école entre 1961 et 1967 ».

13La cour rappelle que le conseil des maîtres « n’émet qu’un avis sur l’organisation du service qui est ensuite arrêtée par le directeur de l’école ». Ce qui est conforme aux textes qui prévoient que, après avis du conseil des maîtres, le directeur arrête le service des instituteurs [4].

14Au vu de la loi de juillet 2000 et de ce que « malgré la multiplicité et la diversité des organes de surveillance et de contrôle, de la fréquence de leurs interventions, personne ne s’est jamais interrogé, ni sur la dangerosité des lieux, ni sur l’organisation de la surveillance de la cour, et les témoins des faits ne les ont pas signalés, les langues ne s’étant déliées qu’après l’accident », la directrice sera relaxée.

15Pourtant une faute de négligence est retenue qui engage la responsabilité civile de la directrice. Mais « en application de la loi du 5 avril 1937, la responsabilité de l’Etat se substitue à celle de Mme Saint Martin » et ce devant le juge judiciaire. Cela permet que le préjudice soit indemnisé directement alors qu’il ne peut en être de même pour des litiges ne concernant pas des enseignants. On se souvient de ce maire ayant été relaxé suite à un accident mortel avec un but mobile. La cour d’appel [5] avait rappelé que l’indemnisation devait être demandée à la juridiction administrative. Le juge pénal, de la juridiction judiciaire, ne pouvait statuer. La solution présente est commode pour les victimes. Elle permet de saisir le juge pénal et d’obtenir une indemnisation même en cas de relaxe. Quand il s’agit d’un non enseignant auteur présumé de négligence ou d’imprudence, le requérant doit avec son avocat choisir la voie pénale ou la voie du contentieux administratif. Quand il s’agit d’un enseignant, il n’y a pas à hésiter : la voie pénale est la plus commode. La preuve est faite par le ministère public au lieu de devoir être faite par le requérant. L’avocat bénéficie d’une publicité qu’il n’aurait pas au civil. L’indemnisation est au bout, presque à coup sûr, puisqu’il ne faut pas laisser la victime sans réparation civile. Voilà qui risque fort d’inciter les avocats à proposer cette voie. Les enseignants risquent d’être mis en examen plus souvent. S’il faut relativiser la judiciarisation au regard des quelques deux ou trois affaires pénales par an concernant les enseignants, il faut admettre aussi que cette décision ne va pas dans le bon sens.

16Les deux décisions sont en pages jurisprudences à la fin de ce numéro.

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Date de mise en ligne : 29/09/2014

https://doi.org/10.3917/jdj.216.0034

Notes

  • [1]
    Le Parisien, 25 janvier 2002.
  • [2]
    JDJ n° 186 pour un professeur reconnu civilement fautif d’avoir laissé des pré adolescents prendre seuls un escalier pour partir en récréation.
  • [3]
    Arrêt n° 628, 5 juin 1985.
  • [4]
    Décret n° 89-122 du 24 février 1989.
  • [5]
    Cour d’appel de Poitiers, Drappeau Bernard, 2 février 2001, n° 88/01.

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