1La juridiction des mineurs de Créteil a mis en place depuis mai 2001, à titre expérimental, une consultation directe des dossiers d’assistance éducative par les familles, aboutissement d’un travail de réflexion auquel l’ensemble des partenaires sociaux du département a été associé ainsi que le barreau.
Un débat d’actualité...
2En l’état actuel de la législation (art. 1187, al. 2 du N.C.P.C) cet accès direct n’est pas prévu (seuls les avocats peuvent venir prendre connaissance du dossier, sans pouvoir se faire délivrer de copie), mais cette restriction au « principe du contradictoire » est de plus en plus questionnée. Elle est remise à question par une jurisprudence constance de la Cour européenne des droits de l’homme, et certaines décisions de cour d’appel sont d’ores et déjà dans le même sens.
3En janvier 2001 le rapport Deschamps a conclu également à la nécessité d’une meilleure information des parties, une modification des textes a été annoncée en avril 2001 par la ministre de la Justice. Le décret est actuellement en préparation.
… qui vient réinterroger les principes de l’assistance éducative…
4La philosophie des textes sur l’assistance éducative est fondée sur la capacité des familles au changement grâce à un soutien éducatif approprié leur permettant d’exercer progressivement leur autorité parentale sans danger pour leurs enfants.
5Rendre les parents acteurs de leur dossier familial et les associer pleinement au processus éducatif engagé implique qu’ils aient une réelle et complète connaissance des éléments de leur dossier, sans laquelle il ne saurait y avoir de véritable adhésion à l’aide proposée.
… et implique les services éducatifs…
6La question de l’accès au dossier d’assistance éducative ne peut être appréhendée par les seuls juge des enfants, même si la stricte application du principe du contradictoire revient aux magistrats. Le contenu des dossiers d’assistance éducative est très largement alimenté par les écrits des professionnels et traditionnellement ces écrits sont destinés aux seuls juges qui au cours de l’audience, en retransmettant aux familles le contenu, le plus souvent de manière partielle.
7L’ensemble des services travaillant avec le tribunal pour enfants de Créteil a été consulté lors d’une réunion tenue en septembre 2000. A la suite de cette réunion, qui a entraîné une réelle mobilisation autour de cette question, une démarche dynamique s’est concrétisée par la constitution de groupes de travail internes, ce dans plusieurs services, dont l’Aide sociale à l’enfance, l’association Jean Coxtet, l’Oeuvre de secours aux enfants, le Service social de l’enfance. Diverses contribution écrites ont été adressées à la juridiction et des temps de débat communs avec les magistrats ont été régulièrement organisés à l’initiative de divers services (S.S.E., Association Jean Coxtet, A.S.E.).
Une réflexion constructive
1 – Les écrits professionnels à l’épreuve du contradictoire
8La plupart des équipes s’interrogent sur les objectifs et le contenu de leur rapports, sachant que les familles pourront désormais les lire. Les écrits tout en restant un outil de travail judiciaire, vont devenir un outil de travail éducatif à part entière. De nouvelles exigences de rigueur pourraient alors s’imposer, tant sur le plan du fond, que de la forme pour rendre les rapports accessibles en se recentrant sur l’essentiel, l’utile, sans pour autant édulcorer la réalité :
- la préparation à l’audience avec les familles est désormais envisagée comme un temps fort ;
- des demandes de formations et de mise en commun des pratiques commencent à changer au niveau de l’ensemble des équipes du département, une proposition a été faite dans ce sens dans le cadre du schéma départemental.
2 – L’élargissement du questionnement aux pratiques éducatives
9Toutes les discussions autour du contradictoire dépassent très vite ce strict champ pour s’étendre aux pratiques éducatives dans leur ensemble au regard du travail avec les familles.
10Les difficultés à trouver un équilibre entre deux intérêts qui peuvent parfois apparaître opposés sont la nécessaire protection de l’enfant en danger et le respect de l’autorité parentale est fréquemment évoqué, les positions des services de milieu ouvert et des établissements accueillant des mineurs peuvent d’ailleurs présenter sur ce point un certain nombre de différences. Le placement et les modalités d’exercice du droit de visite et d’hébergement font l’objet également d’une constante interrogation.
3 – Certaines réserves ou interrogations ont été posées
11Elles ont été pour la plupart communes aux équipes et aux juges des enfants. Les plus fréquemment soulevées sont les suivantes (mais il ne s’agit pas d’une liste exhaustive) :
- cette communication, doit elle être « systématique » ou réservée aux usagers qui en font la demande, et en prévoyant certaines limites ?
- faut il, et sous quelle forme, y associer les mineurs ?
- est-il souhaitable de permettre aux enfants d’avoir accès à des informations d’ordre intime concernant leurs parents ? Réciproquement, chaque parent doit-il avoir connaissance de ce qui concerne son conjoint, ou ses enfants, notamment adolescents ?
- comment respecter le droit à la vie privée ?
- comment respecter les exigences de confidentialité, voire de secret, notamment quand des éléments médicaux, psychologiques ou psychiatriques figurent dans les dossiers, y compris dans le cadre de l’expertise ?
- en cas de suspicion, d’abus sexuels ou de maltraitance, ces informations sont elles accessibles ?
4 – La phase d’expérimentation engagée par le tribunal pour enfants
12La première phase s’est déroulée sur un cabinet de mai à octobre. Depuis novembre, elle est étendue aux huit cabinets de juge des enfants.
1 – Principe général et modalités de consultations
13Une consultation directe du dossier est organisée, et réservée aux usagers qui en font la demande expresse, sans délivrance de copies et de pièces.
14Toutefois, dans l’hypothèse où une enquête préliminaire ou de flagrance est en cours au niveau du parquet, l’accès au dossier n’est pas autorisé. De même, en cas de difficulté particulière relevée par le magistrat, ou soulevé par les services, certaines pièces pourront ne pas être communiquées.
Moment de la consultation
15La consultation s’organise au stade de l’audience lorsque l’instruction du dossier est terminée, et que le magistrat envisage le prononcé d’un jugement.
Personnes concernées
16Il s’agit des parties, c’est à dire des personnes ayant la possibilité de faire appel de la décision. Elles pourront se présenter seules ou accompagnées de leur conseil, si un avocat a été choisi ou désigné dans la procédure d’assistance éducative.
17- Père, mère, tuteur ou personne a qui l’enfant est confié
18Il sera demandé la preuve d’une filiation établie pour les parents ou d’une décision judiciaire dans les autres cas (exemple : délégation d’autorité parentale, tiers dignes de confiance).
19Il est à noter que les représentants des services gardiens ont déjà, par un usage constant et ancien dans la juridiction, la faculté de prendre directement connaissance du dossier. Cette pratique n’est pas remise en cause.
20- Le mineur
21Une distinction est opérée entre le mineur de moins de seize ans et de seize ans révolus conformément à l’article 1190 du C.P.C, prévoyant la notification de la décision au mineur de plus de seize ans (sauf si son état ne le lui permet pas).
22En respectant cette limite, appréciée par le magistrat, le mineur de plus de seize ans pourra accéder directement au dossier le concernant. Pour le mineur de moins de seize ans, il sera demandé la désignation d’un avocat d’office.
Lieu de la consultation et modalités pratiques
23La lecture du dossier s’effectue au tribunal pour enfants, dans une des salles aménagées pour la consultation des dossiers et déjà utilisées par les avocats et les travailleurs sociaux. Elle a lieu en présence de l’assistante de justice chargée de répondre, en cas de besoin à des demandes de forme (explications de termes, compréhension de procédure) sans entrer dans le fond du dossier.
Information des parties
24L’information figure sur la convocation à l’audience - jointe en annexe -.
2 – La réalisation concrète
… Un chiffre encore faible…
25Sur le cabinet, qui a lancé l’expérimentation, 10 personnes sur 60 convoquées sont venues consulter leur dossier à ce jour. Depuis le 1er novembre 2001 (extension à tous les cabinets), 8 demandes ont été enregistrées.
26Ce constat, peut s’expliquer de plusieurs manières :
- la consultation se fait au niveau de l’audience de jugement et non dès le premier rendez vous, ce qui limite la demande ;
- lorsqu’on interroge les personnes sur les raisons pour lesquelles elles n’ont pas sollicité l’accès à leur dossier, certaines d’entre elles répondent qu’elles n’ont pas complètement lu la convocation se bornant à noter la date et l’heure de l’audience. Mais, plusieurs familles ont aussi indiqué qu’elles ne souhaitaient pas cette communication, exprimant clairement leur appréhension ;
- de plus en plus nombreux enfin, sont les usagers qui s’estiment désormais suffisamment informés par les travailleurs sociaux, en raison du travail d’explicitation actuellement engagé dès avant l’audience, et destiné à préparer celle-ci ;
- on peut noter aussi que 5 personnes ont demandé à bénéficier de l’assistance d’un avocat pour venir consulter leur dossier, sans souhaiter se présenter elles mêmes.
3 – Un premier bilan
27D’ores et déjà positif…
28Même très limité et encore prématuré, le constat est positif.
… Au moment de la consultation…
29Aucune censure n’a été constatée dans les rapports éducatifs et à ce jour aucune difficulté particulière n’a été soulevée.
30Les familles, même les plus fragiles et les plus en difficulté, abordent la lecture de leur dossier de manière constructive et sereine. Elles viennent chercher des éléments de compréhension et de clarification de leur histoire familiale et d’un parcours socio-judiciaire qu’elles perçoivent souvent très morcelé. La possibilité qui leur est offerte de reprendre chronologiquement les diverses étapes et de les relier, de leur donner un sens, afin d’aborder le futur est en plus indéniable.
31Toutes expriment leur satisfaction - satisfaction d’être reconnues et considérées comme une véritable « partie », satisfactions teintées de soulagement aussi, tant les représentations sont fortes d’un dossier mystérieux et inquiétant susceptible de contenir des données perçues parfois comme beaucoup plus graves que celles qui y figurent réellement.
…Lors de l’audience…
32On constate que les usagers participent davantage à l’audience, venant même donner des informations complémentaires qu’ils estiment utiles et qui ne figurent pas au dossier.
33Le délai entre la consultation du dossier et l’audience (environ 8 jours en moyenne) est un temps de réflexion et de maturation qui permet aux familles d’être en mesure de proposer elles mêmes des solutions, témoignant ainsi de leurs capacités, souvent sous-estimées, ou de s’associer de manière plus constructive et active à l’élaboration de la décision.
34D’une façon générale enfin le rôle des professionnels, travailleurs sociaux, magistrats, avocats, s’en trouve largement facilité et clarifié.
Conclusion
35Le travail entamé conduit d’ores et déjà à de nouvelles perspectives. Ainsi, en concertation avec le barreau du Val de Marne, il est envisagé, à titre expérimental sur un cabinet, une assistance systématique des mineurs placés en assistance éducative.