Notes
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[1]
Docteur en droit public (Université de Saragosse-Espagne).
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[2]
Jusqu’au 13 janvier 2001, les juges des enfants espagnols n’avaient à connaître que les actes de délinquance des mineurs de 12 à 16 ans. Depuis l’entrée en vigueur de la loi organique 5/2000, la tranche d’âge est de 14 à 18 ans.
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[3]
Selon ce paragraphe 19, la conciliation se réalise avec une « satisfaction psychologique » quand le mineur reconnaît le dommage causé, s’excuse auprès de la victime et que celle-ci accepte les excuses. La réparation est un engagement pris par le mineur, avec l’accord de la victime, de mener certaines actions soit au bénéfice de cette victime (réparation directe) soit au bénéfice de la communauté (réparation indirecte).
-
[4]
En fait, Jean-Pierre Bonafé-Schmitt (1996, 53) souligne que la nouveauté et le succès de la conciliation et de la réparation sont dus à leur insertion dans une conjoncture de « crise sans précédent du système judiciaire de régulation des conflits ».
-
[5]
Les acteurs sociaux, très optimistes sur les potentialités éducatives de cette mesure, avouent une « certaine » pression sur les victimes pour l’acceptation d’une réparation du dommage ou au moins une conciliation avec le mineur (Bernuz, 1999, 239-ss). Pour cette raison, afin de sauvegarder les intérêts des victimes, les auteurs exigent que ces processus soient faits dans un entourage judiciaire qui puisse garantir aux parties des espaces de sécurité pour négocier avec autonomie (Humphris ; 1991, 232).
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[6]
Pour sa part, Jean Carbonnier (1992, 13, 14-15) défend une position contraire. Ainsi, il considère qu’il faut exclure la possibilité pour les juges professionnels, comme en France, de faire des conciliations ou des réparations, car dans ces cas-là, il serait très difficile de réussir un vrai processus déjudiciarisateur. Il affirme qu’ils « conservent les habitudes du palais de justice et les sédiments de la mentalité juridique ». Il assure que cette « infrajustice » sera fascinée par la justice supérieure, finira par être formaliste, aura des retards, et acquerra cette perception si originale du temps qu’ont toutes les justices.
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[7]
Voir le principe 11 des Règles de Beijing sur le recours à des moyens extrajudiciaires. La Recommandation R(87) 20 du Conseil de l’Europe affirme la nécessité de développer des procédures de déjudiciarisation et de médiation. La Convention internationale sur les droits de l’enfant conseille l’adoption de mesures sans avoir recours à des procédures judiciaires, et en respectant, à tout moment les droits de l’homme et les garanties légales (paragraphe 40.3.b).
-
[8]
Wyvekens (1997) signale que la réalisation effective de la médiation exige un certain temps pour que le mineur puisse réfléchir et mûrir les actions reprochées et la réparation qu’on lui demande.
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[9]
Bruel (1994) signale que, même si les médiations qui mènent à une réparation doivent être mises en œuvre par des experts, il faudra l’intervention d’un juge pour décider en dernière instance de la nature et de la forme de cette réparation, et assurer le respect des garanties procédurales (par exemple, la présomption d’innocence).
1Dans la justice des mineurs, on assiste à une transformation des théories de la responsabilité. Théories qui visent à faire du mineur un être responsable de ses actes. Pour ce faire, elles demandent des réponses « responsabilisatrices », mais différentes de celles applicables aux adultes. Si le principe est clair, dans l’application de ces mesures la société proclame des exigences apparemment contradictoires.
2D’une part elle demande de « déjudiciariser » les réponses pour minimiser la stigmatisation de l’enfant et la bureaucratisation de la justice, d’autre part elle réclame une réponse réelle et efficace à une délinquance primaire et d’une importance mineure, généralement classée par les juges des enfants [2].
3Pour répondre à cette double demande légale et sociale, la législation espagnole prévoit deux instruments : la réparation et la conciliation. En pratique, la nouvelle législation (Loi organique 5/2000) reconnaît le besoin de déjudiciariser les délits de peu d’importance en accordant au procureur la possibilité de renoncer à des poursuites ou de les faire cesser quand le mineur s’est concilié avec la victime ou s’est engagé à réparer le dommage (paragraphe 19) [3]. La conciliation répond au principe de limitation-réduction de l’intervention judiciaire en ce que pouvant se produire à n’importe quel moment, elle clôt l’exécution de la mesure (paragraphe 51). Mais si le processus de médiation semble aller dans un sens de responsabilisation et de déjudiciarisation de la justice des mineurs, les contresens pénaux et « superjudiciarisateurs » apparaissent dès qu’on gratte la surface.
1 – La médiation-réparation comme principe d’actualisation de la justice des mineurs
4La prédominance de la conciliation et de la réparation dans la justice des mineurs trouve son sens dans une ambiance de changements juridiques et sociaux qui touchent la fonctionnalité et la temporalité de la peine, et aussi dans une conception de l’enfance et de ses propres capacités d’intégration sociale.
5Par rapport à la nature de la réponse à donner à une infraction, la justice des mineurs a oscillé, dans ses décisions, entre répondre à la demande de sanctionner ou bien promouvoir l’éducation du mineur délinquant. Elle oscillait entre une attention fixée exclusivement vers le passé : le dommage causé et une sanction rétributive, et une confiance dans le futur : à travers les mesures éducatives et une conception préventive des mêmes (Ost et Van de Kerchove, 1999, 481-482). Aujourd’hui la doctrine se fixe sur le présent, par le travail de responsabilisation du jeune et la réparation et la conciliation comme moyens d’y arriver. Mais elle regarde aussi vers le passé quand ces mesures remplissent des fonctions de rétablissement de l’ordre et de restauration du dommage commis. Enfin, par la promotion de la responsabilisation des mineurs, elle regarde vers le futur.
6En deuxième lieu, tant la réparation que la conciliation s’intègrent dans un contexte juridique et social qui encourage la protection et la promotion des droits de l’enfance et de la jeunesse et qui considère les enfants comme des sujets de droits. En ce sens-là, la législation concernant la justice des mineurs ne centre pas son attention sur l’imposition d’une action éducative, mais tout au contraire, elle défend le besoin de prendre en compte le mineur pour promouvoir effectivement sa responsabilisation sociale. Comme l’affirme Garapon (1996, 119-22), la promotion des processus de réparation et de conciliation nous situe devant une nouvelle conception du mineur comme « capable dans le sens juridique du terme, habilité pour définir ses intérêts et auteur d’une parole propre ».
7En même temps, il faut donner un rôle substantiel à la justice et à la société comme des institutions qui, en elles-mêmes, sont intégratrices de l’enfant dans une société (Salas, 1995, 41-62). En pratique, la réparation assume l’infraction comme un acte qui met en jeu trois intérêts : la communauté atteinte par le sentiment d’insécurité, la victime agressée et le mineur infracteur. Premièrement, il est vrai que l’inscription de la victime dans un processus conciliateur ou réparateur la transforme en protagoniste ; et ce d’autant que, lorsque ces mesures n’existaient pas, son préjudice moral pouvait être négligé et son intérêt méprisé par le but principal de la justice des mineurs d’éduquer le mineur délinquant. En deuxième lieu, il faut reconnaître que quand ces processus définissent la justice des mineurs, ils contribuent à relégitimer le système judiciaire critiqué pour son incapacité à apaiser l’alarme et l’insécurité sociales engendrées par les petits actes de délinquance, préalablement classés (Peters et Neys, 1994, 167-179) [4]. Néanmoins il est clair que la justice des mineurs déséquilibre la balance de la médiation dans un sens de responsabilisation du mineur. Quand cette médiation est engagée par des structures dont la tâche est de réinsérer les jeunes, il peut exister une tentation [5] d’utiliser les processus médiateurs et la propre victime comme des points d’appui d’une politique de réhabilitation des mineurs infracteurs (Bonafé-Schmitt, 1989, 14).
8Cette tendance s’affirme même si tous, acteurs judiciaires et sociaux, sont d’accord pour reconnaître que, dans le cours de la procédure judiciaire, la personne qui a souffert d’une infraction, « souffre » aussi d’une situation de déprotection totale par rapport au mineur auteur, surprotégé tant par la loi que par la pratique judiciaire. On est devant une actuation qui cache le fait que, dans la plupart des cas, la victime qui est aussi un enfant est doublement victimisée, d’abord par l’infraction et, a posteriori, par le développement de la procédure judiciaire. Cette attitude répond aux exigences responsabilisatrices et éducatives de la justice des mineurs envers l’enfant coupable, mais méconnaît la demande globale de protection de tous les enfants, y compris ces enfants victimes. Actuellement l’enfant victime ne trouve pas de réponse à partir des institutions de Protection de l’enfance, institutions qui privilégient des solutions au sein même de la famille. Il ne trouve pas non plus de réponse dans la justice des mineurs qui centre son attention sur l’intérêt du mineur auteur. Dès lors, la protection globale de l’enfance reste en Espagne étrangère à la pratique des institutions pour mineurs.
9Ces contresens qui entourent la philosophie restauratrice de la justice des mineurs font que, face à ceux qui affirment la réparation comme modèle idéal de justice, surgissent d’autres qui considèrent qu’on ne peut pas y trouver une nouvelle alternative aux modèles traditionnels réhabilitateurs-rétributifs. Ces derniers défendent, en premier lieu, que la justice et la réparation s’adressent à des cas différents et fonctionnent avec des logiques d’action distinctes, de sorte que toute prétention à créer un modèle de « justice-réparatrice » serait stérile [6]. En deuxième lieu, ils considèrent que, quand le droit entre en contact avec les processus médiateurs, il les imprègne d’une idéologie répressive propre à ce droit (le droit pénal dans ce cas-là), ainsi que de temps et de formes judiciaires (Matthews, 1988, 10). Ceux qui se montrent sceptiques à propos du modèle réparateur défendent le fait qu’accepter la médiation comme technique communautaire supposerait enfermer des objectifs communautaires propres à la réparation et extérioriser d’autres objectifs judiciaires et répressifs.
2 – La finalité de la déformalisation ou l’importance sociale des formes juridiques
10Le pari pour la déformalisation, pour une recherche d’alternatives à l’audience devant le juge des enfants a été fait tant par les instances internationales que par les législations et les pratiques nationales [7]. En pratique, la législation espagnole (LO 5/2000) donne la possibilité au procureur de ne pas engager de poursuites ou de renoncer à la continuation de la procédure quand le mineur s’est concilié effectivement avec la victime ou s’est engagé, avec l’accord de cette victime, à réparer le dommage causé. Evidemment, dans les deux cas, le SEAT, à travers le rapport psycho-social, sera chargé d’évaluer la possibilité d’arriver à l’une ou à l’autre. Les possibilités restrictives de la mesure et ses effets contradictoires proviennent de limitations normatives ; entre autres la gravité des faits (elles sont réservées pour des délits ou des fautes peu graves), l’absence de violences ou d’intimidations graves lors de la commission des faits, et les circonstances dans lesquelles ces faits ont été commis (paragraphe 19).
11La conciliation et la réparation offrent des avantages substantiels par rapport à la nécessaire déformalisation. Ainsi, la réduction des espaces entre le mineur et la victime et le rapprochement dans le temps de l’infraction et de la réponse renforcent le processus responsabilisateur [8]. De plus, dès qu’on essaie de réparer moralement la victime et empêcher que le jeune auteur garde un certain ressentiment de vengeance, les intérêts de la victime sont sauvegardés sans que ceux du mineur soient méprisés. Par ailleurs la réduction du formalisme judiciaire empêche une stigmatisation produite par l’engagement d’une procédure ou l’imposition d’une mesure. En outre, dans une perspective positive, la possibilité offerte d’arriver à un accord avec la victime pour mettre en œuvre une réparation par le mineur, lui permet, en premier lieu de réfléchir sur le dommage causé et après, selon ses capacités, de proposer une activité pour compenser ce dommage. En résumé la promotion d’une justice « interactive » présuppose un pari sur les capacités des individus, auteurs et victimes, à résoudre les conflits en-dehors des institutions et des acteurs judiciaires [9].
12En face du mouvement déformalisateur, les partisans d’un autre courant, devant la tentation de faire du médiateur ou du juge des organes bureaucratiques limitant leur rôle à ratifier un accord réussi entre les parties, exigent la dévolution du protagonisme perdu à la procédure judiciaire. Ils affirment que cette justice plus proche « trivialise » l’infraction et le dommage commis ; et soutiennent que la justice doit assumer un rôle d’instance socialisatrice et éducative. De sorte que la comparution devant le juge des enfants transforme le jeune en constructeur de sa propre histoire (De Léo, 1990,131-2). Ils mettent en avant que le but de l’appareil judiciaire et pénal doit être plutôt celui d’essayer de chercher dans la « théâtralité » l’adhésion qu’une justice déritualisée ne peut pas atteindre, d’établir des limites, de séparer ou de confronter. Ce courant accorde à la procédure des fonctions d’avertissement et de dissuasion que la dogmatique pénale identifie à la peine.
13Donc on ne peut pas soutenir des positions extrêmes dans la justice des mineurs ; soit formaliser, soit déformaliser. En fait, le « prestige » d’un modèle traditionnel favorise l’idée que le rejet des « formes » procédurales mène l’usager à se voir méprisé ; de sorte qu’il apparaît que la présence d’une procédure judiciaire s’impose comme nécessaire décor de fond d’une justice négociée et humaine qui ne sert pas par elle-même.
3 – Entre le principe de la limitation de l’intervention et la superjudiciarisation
14La nécessité de chercher des propositions alternatives à la procédure devant le juge des enfants vient compléter le principe qui encourage la limitation de l’intervention. Cela suppose - si on fait attention à la nature « sanctionatrice-éducative » de la législation espagnole - neutraliser la tendance à imposer une mesure ou en prolonger sa durée en raison des « possibles » effets bénéfiques qu’elle pourrait avoir pour le mineur.
15D’un côté, on trouve des raisons légales. Si le principe est posé dans la loi et considéré comme incontournable dans la pratique (Bernuz, 1999, 268), les restrictions légales qui pèsent sur la réparation et la conciliation (elles ne peuvent être mises en œuvre que pour des petits délits), produisent une « superjudiciarisation » de ces infractions de peu de gravité. À travers ces possibilités de réparation ou de conciliation, on fait entrer dans la justice des mineurs des cas qui, sans ces mesures alternatives auraient été classés. Il faut remarquer que, même si elles sont des mesures alternatives à la procédure judiciaire et produisent des effets « responsabilisateurs », elles sont mises en application en conséquence d’un fait inscrit dans la loi pénale pour lequel elles représentent une réponse punitive. De plus, elles sont proposées, décidées et menées par des organes juridictionnels : le SEAT et le procureur. Ainsi, au travers des limitations légales on arrive à la matérialisation d’un principe tout-à-fait différent : l’intervention à tout prix.
16D’un autre côté, on trouve des raisons pratiques. En Espagne, la promotion d’une intervention à tout prix peut trouver sa raison d’être dans le besoin d’intervenir d’un point de vue éducatif avec ces jeunes qui, sans ces mesures, ne trouveraient aucune réponse et en conséquence subiraient un mauvais traitement institutionnel. L’absence d’une intervention sérieuse, globale et totale depuis les institutions de Protection de l’enfance réclame une mesure, même si celle-ci vient de la justice et pour une durée précise.
17Il est aussi possible de justifier cette attitude comme une réponse à la théorie de la « tolérance zéro » si présente dans les politiques de sécurité nord-américaines et qui commence à s’intégrer dans la mentalité du législateur européen. Il s’agit d’une théorie qui, avec l’objectif de prévenir la récidive, d’empêcher le sentiment d’impunité du mineur délinquant et de tempérer l’alarme sociale, encourage la réaction à toutes les infractions, au travers des instances attachées à l’enfant et dans une période de temps la plus brève possible. Sous ce principe il y a un pari pour la protection d’une société qui tolère de moins en moins un système de justice qui ne puisse - pour des raisons d’économie, de temps et surtout d’opportunité - que répondre aux atteintes les plus graves contre l’ordre social et qui laissent donc de côté toutes les petites infractions qui augmentent le sentiment d’insécurité et l’alarme. La croissance du nombre de ces infractions de peu de gravité, qui gênent plutôt qu’endommagent, et la croyance que les tribunaux sont incapables et inefficaces pour les résoudre et y répondre, fait que la conciliation et la réparation sont regardées comme des méthodes idéales pour donner une réponse à ces infractions du « quotidien ».
18Par toutes ces raisons, quelques auteurs défendent que quand on agit dès le premier moment sur les mineurs délinquants, on contribue à favoriser le sentiment de sécurité dans la société et à prévenir la récidive. Dans le sens contraire, un autre courant dénonce que cette mesure implique la superjudiciarisation de cas qui auraient été résolus par des instruments informels ou classés (Marshall, 1988, 31 ; Born, 1991, 468-9). Si les premiers incluent la justice des mineurs dans les instances éducatives et exigent une intervention à tout prix, les seconds font remarquer que cette justice est une instance pénale et plaident en faveur de l’intérêt d’un classement sélectif des cas. En ne tenant pas compte de ces conséquences, on promeut une « pseudo justice sélective » : la procédure judiciaire serait réservée pour les infractions les plus graves et l’intervention pseudo-judiciaire de la réparation et de la conciliation pour les infractions les moins graves commises par des mineurs primo-délinquants ou par des mineurs socio-éducativement bien intégrés.
4 – Une esquisse sur la justice des mineurs en Aragon
19Tant dans la législation de 1992 que dans la nouvelle loi, entrée en vigueur le 13 janvier 2001, la médiation est conçue comme un mécanisme pour agir sur les petites infractions, empêcher leur banalisation, réduire le sentiment d’impunité chez les auteurs et le sentiment d’insécurité dans la société. En même temps elle est présentée comme un instrument « déboucheur » du système judiciaire quand une action systématique de la justice entraînerait une paralysie importante de la juridiction dans un moment où la réponse en temps réel doit prévaloir. D’un côté, il faut dire que l’on n’arrive pas à déjudiciariser puisque que ce sont les institutions judiciaires qui initient ces mesures. D’un autre côté les réparations et les conciliations restent très limitées, dans la Communauté autonome d’Aragon ; et ce sont les professionnels des SEAT qui sont chargés à la fois de proposer ces mesures et de les mettre en application. Cette double fonction de proposition et d’exécution, sans bénéficier d’un personnel suffisant, va favoriser une réticence à proposer ces mesures, si coûteuses en termes de temps. Aussi le nombre de propositions reste très limité du fait des surcharges de travail.
20Ces données indiquent déjà la distance qui sépare les discours enthousiastes des experts sociaux sur les effets bénéfiques de la réparation et le nombre de mesures effectuées. Il est évident qu’en Espagne - et surtout dans quelques Communautés autonomes ayant peu de moyens - la nouveauté de cette mesure demande des précautions dans son exécution, la connaissance de la philosophie qui les sous-tend et des moyens en personnel pour les mettre en œuvre. C’est pour ces raisons qu’actuellement ces mesures ne représentent que 3 à 4 % des mesures appliquées. De plus, il faut remarquer que le développement économique inégal des différentes provinces espagnoles n’est pas sans conséquence et affecte la mise en œuvre de ces mesures. En ce sens, les mesures de médiation effectuées l’ont été dans la province la plus peuplée, celle de Saragosse ; dans les deux autres régions de la Communauté autonome une seule médiation par province a été proposée l’année dernière. Cette limitation des possibilités de cette mesure est déterminée par un manque de conscience de déjudiciariser, un excès de précaution par rapport aux effets de cette mesure, une plus grande confiance dans les mesures traditionnelles de la justice des mineurs, un manque de moyens économiques et en personnel ou par l’absence d’infrastructures pour sa mise en application.
21On peut dire que la réparation et la conciliation n’ont pas encore trouvé le chemin pour s’imposer dans la pratique des tribunaux pour enfants dans la Communauté aragonaise. Elles continuent à être des mesures expérimentales, marginales et qui restent « cachées » entre les mesures de liberté surveillée et les activités proposées à l’intérieur du TIG. La formation des travailleurs sociaux du SEAT est fondamentale. Les possibilités de développement de ces mesures, comme alternatives à une procédure devant le juge des enfants, sont conditionnées par un parquet peu porté à proposer des médiations judiciaires, une prétention insuffisante de rénovation de la palette des mesures et un SEAT surchargé de travail ou avec une formation limitée sur les possibilités réelles de ces mesures.
5 – En guise de conclusion
22L’évolution qui va de la judiciarisation des infractions commises par les mineurs jusqu’à la déjudiciarisation de celles-ci, depuis le formalisme jusqu’à l’élimination des formalités, en fait, une « décriminalisation » des faits commis par les enfants, produit des effets pervers et parfois différents de ceux espérés.
23En premier lieu, on n’arrive pas à déjudiciariser la justice mais à la pseudo-judiciariser au moment où ce sont les institutions dépendantes du juge des enfants qui sont chargées de proposer et de mettre en œuvre les médiations pour réparer ou concilier. On favorise aussi une justice sélective, quand la réparation ou la conciliation dépendent objectivement de la gravité de l’infraction. Nous allons vers une justice dépendante du procureur pour connaître des délits peu graves, et une justice proprement judiciaire pour agir sur le noyau dur de la délinquance. Par contre, si on propose une médiation en fonction de la disponibilité et de l’intérêt des parties en cause, on pourra promouvoir un véritable processus de déjudiciarisation des conflits.
24En ce sens là, je défends l’importance de promouvoir la conciliation et la réparation comme des mécanismes de résolution des conflits, et ceci en marge de leur valeur économique. Cette importance revêt plusieurs facettes : soit répondre à la volonté de la nouvelle législation espagnole de justice des mineurs qui veut montrer à la société - à l’aide des mesures imposées - que le mineur délinquant a payé pour le fait commis, s’est réformé et s’est repenti ; soit pouvoir confronter le mineur et sa victime en respectant ainsi le droit des enfants à être entendus ; soit enfin, respecter la demande sociale d’entendre et de résoudre les petits conflits qui ne peuvent l’être à un niveau communautaire et qui ne valent pas d’être portés devant les tribunaux pour enfants.
25La réparation et la conciliation sont des options attractives face à une justice traditionnelle peu flexible, plus bureaucratisée, lente et excessivement complexe. Cependant dans la Communauté autonome aragonaise elles restent des formes sous-développées de résolution des conflits, parallèles à la justice traditionnelle et qui poursuivent des objectifs de défense et de protection de la société. Mais la promotion, la publicité et la popularisation de ces objectifs de défense et de protection de la société font que ces nouvelles mesures s’exposent aux mêmes dangers que ceux que connaît la justice ordinaire : la bureaucratisation excessive (Le Roy, 1995, 47-8), la lenteur, la professionalisation massive et l’anonymat. En plus, il faut ajouter que cette nouvelle justice n’est pas si bon marché qu’on le pense. Sa promotion comme une sorte de justice rapide entre en contradiction avec le temps de maturation que nécessitent une véritable conciliation, la réparation du dommage et la résolution du conflit (Wyvekens, 1997, 461).
Articles, communications et ouvrages cités
Bonafé-Schmitt Jean-Pierre (1989) : Une esquisse d’état des lieux de la médiation, Le Groupe familial 10.
Bonafé-Schmitt Jean-Pierre (1993) : La où les médiations des conflits, Violences, Conflits et médiations 92.
Bonafé-Schmitt Jean-Pierre (1996) : Médiation : un nouveau mode pour régler les litiges, Plaidoyer 2.
Bruel Alain (1994) : La réparation : un rendez-vous à ne pas manquer, Vaillant Maryse, De la dette au don, Paris, ESF.
Carbonnier Jean (1991) : Réflexion sur la médiation, VV.AA., La médiation : un mode alternatif de résolution des conflits ?,Zürich, Schulthess Polygraphisher Verlag.
De Leo Gaetano (1990) : La devianza minorile. Metodi tradizionali e nuovi modelli di trattamento, Roma, La nuova Italia Scientifica.
Faget Jacques (1992) : Justice et travail social. Le rhizome pénal, Toulouse, Érès.
Faget Jacques (1993) : La médiation pénale. Une dialectique de l’ordre et du désordre, Déviance et société 17/3.
Faget Jacques (1995) : La double vie de la médiation, Droit et Société 29.
Garapon Antoine (1996) : La responsabilité, Droit et cultures 31/1.
Humphris Nicolas (1991) : Educational Aspects of French Cabinet Justice, Official Responses to Problem Juveniles : Some International Reflections : Oñati Proceedings 8.
King Michael et Catherine Kratz (1992) : La notion de l’intérêt de l’enfant en droit : vecteur de coopération ou d’interférence ?, Droit et Société 22.
Lacombe Philip (dir.) (1999) : Mineurs délinquants : la priorité éducative et la reconnaissance de leurs responsabilités individuelles, Les Cahiers du Centre Henri Aigueperse 27.
Le Roy Étienne (1995) : La médiation mode d’emploi, Droit et Société 29.
Marshall Tony (1988) : Out of Court » More or Less Justice ?, Matthews Roger (éd.), Informal Justice ?, Bristol, Arrosmiths-Sage.
Matthews Roger (1988) : Reassessing Informal Justice, Mathews Roger (éd.), Informal Justice ?, Bristol, Arrosmiths-Sage.
Ost François et Van Der Kerchove Michel (1999) : Le présent, horizon paradoxal des sanctions réparatrices ?, Farjat Gérard (comp.), Philosophie du Droit et Droit Économique. Quel dialogue ?, Paris, Éditions Frison-Roche.
Salas Denis (1995) :L’enfant paradoxal, Garapon Antoine et Salas Denis (édits.), La justice des mineurs. Évolution d’un modèle, Paris, LGPJ.
Thery Irène (1993) : Le démariage, Justice et vie privée, Paris, Odile Jacobs.
Vaillant Maryse (1999) : La réparation. De la délinquance à la découverte de la responsabilité, Paris, Gallimard.
Walgrave Lode (1993) : Au-delà de la rétribution : la réparation comme paradigme dominant dans l’intervention judiciaire contre la délinquance (des jeunes) ?, Gazeau Jean-François et Peyre Vincent (coords.), La justice réparatrice et les jeunes, Vaucresson, CRIV.
Wyvekens Anne (1997) : L’insertion locale de la justice pénale : aux origines de la justice de proximité, Paris, L’Harmattan.
Notes
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[1]
Docteur en droit public (Université de Saragosse-Espagne).
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[2]
Jusqu’au 13 janvier 2001, les juges des enfants espagnols n’avaient à connaître que les actes de délinquance des mineurs de 12 à 16 ans. Depuis l’entrée en vigueur de la loi organique 5/2000, la tranche d’âge est de 14 à 18 ans.
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[3]
Selon ce paragraphe 19, la conciliation se réalise avec une « satisfaction psychologique » quand le mineur reconnaît le dommage causé, s’excuse auprès de la victime et que celle-ci accepte les excuses. La réparation est un engagement pris par le mineur, avec l’accord de la victime, de mener certaines actions soit au bénéfice de cette victime (réparation directe) soit au bénéfice de la communauté (réparation indirecte).
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[4]
En fait, Jean-Pierre Bonafé-Schmitt (1996, 53) souligne que la nouveauté et le succès de la conciliation et de la réparation sont dus à leur insertion dans une conjoncture de « crise sans précédent du système judiciaire de régulation des conflits ».
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[5]
Les acteurs sociaux, très optimistes sur les potentialités éducatives de cette mesure, avouent une « certaine » pression sur les victimes pour l’acceptation d’une réparation du dommage ou au moins une conciliation avec le mineur (Bernuz, 1999, 239-ss). Pour cette raison, afin de sauvegarder les intérêts des victimes, les auteurs exigent que ces processus soient faits dans un entourage judiciaire qui puisse garantir aux parties des espaces de sécurité pour négocier avec autonomie (Humphris ; 1991, 232).
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[6]
Pour sa part, Jean Carbonnier (1992, 13, 14-15) défend une position contraire. Ainsi, il considère qu’il faut exclure la possibilité pour les juges professionnels, comme en France, de faire des conciliations ou des réparations, car dans ces cas-là, il serait très difficile de réussir un vrai processus déjudiciarisateur. Il affirme qu’ils « conservent les habitudes du palais de justice et les sédiments de la mentalité juridique ». Il assure que cette « infrajustice » sera fascinée par la justice supérieure, finira par être formaliste, aura des retards, et acquerra cette perception si originale du temps qu’ont toutes les justices.
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[7]
Voir le principe 11 des Règles de Beijing sur le recours à des moyens extrajudiciaires. La Recommandation R(87) 20 du Conseil de l’Europe affirme la nécessité de développer des procédures de déjudiciarisation et de médiation. La Convention internationale sur les droits de l’enfant conseille l’adoption de mesures sans avoir recours à des procédures judiciaires, et en respectant, à tout moment les droits de l’homme et les garanties légales (paragraphe 40.3.b).
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[8]
Wyvekens (1997) signale que la réalisation effective de la médiation exige un certain temps pour que le mineur puisse réfléchir et mûrir les actions reprochées et la réparation qu’on lui demande.
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[9]
Bruel (1994) signale que, même si les médiations qui mènent à une réparation doivent être mises en œuvre par des experts, il faudra l’intervention d’un juge pour décider en dernière instance de la nature et de la forme de cette réparation, et assurer le respect des garanties procédurales (par exemple, la présomption d’innocence).