Notes
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Dans le contexte de lutte contre l’épidémie de la Covid-19.
Un contexte particulier
1Le comité de rédaction a lancé la préparation de ce numéro au printemps dernier. Le thème de la solitude a de suite résonné avec l’actualité marquée par la période de « confinement » [1] que vivait le pays, avec ses conséquences toutes particulières pour les personnes en situation de vulnérabilité ou en fin de vie. Sans faire un numéro « spécial », celui-ci, par son thème et sa période de rédaction, est imprégné de cette expérience collective.
2Témoigner, prendre la plume pour écrire, sortir de la sidération avec le secours des mots, sentir de façon pressante le besoin de penser : tout cela a pris une acuité plus vive face aux multiples questions soulevées par l’épreuve de l’isolement et de la distanciation physique. Les répercussions ont été lourdes pour les personnes résidant en Ehpad ou les personnes hospitalisées en fin de vie ; les bénévoles d’accompagnement ont été tenus à l’écart pour raisons sanitaires et les professionnels de santé ont, bien souvent, eu le sentiment d’un soin amputé, de moindre qualité.
Au-delà du confinement, panser la solitude
3Ceci étant, le thème de la solitude rejoint une expérience qui n’est pas conditionnée à la contingence d’un moment, fût-il à ce point collectif. Parler de solitude, c’est plonger, au-delà des représentations courantes, dans ce qui fait le fond de l’existence humaine. Entre la capacité à être seul et la souffrance de l’être trop, c’est toute notre expérience humaine qui se raconte. Entre la « bonne » et la « mauvaise » solitude, entre ce qui lui est nécessaire pour se construire et ce qui lui faut pour ne pas dépérir, notre vie cherche sa bonne mesure et notre pensée interroge une condition d’existence partagée.
4Il sera souvent utile de distinguer la solitude de l’isolement pour ne pas être tenté de réduire la première à une expérience qui ne porterait en elle que du négatif. Au contraire, la solitude, par certains aspects, peut être voie d’épanouissement de la personne singulière que nous sommes chacun, et ce jusqu’à la mort.
5Nous savons bien d’ailleurs que vouloir combler à tout prix la solitude de la personne en fin de vie est une fâcheuse idée et une vaine entreprise. L’accompagnant bénévole, le professionnel, l’entourage : tous sont conviés, à travers cette méditation, à interroger à rebours le lien qu’ils entretiennent à leur propre solitude.
Solitude, isolement, relation
6Nous ne sommes jamais en toute rigueur « seul au monde ». Ce monde en lequel nous naissons est toujours déjà habité par d’autres-que-soi. Tantôt ceux-ci nous régalent de leurs talents, nous émerveillent à être si ajustés à notre pas, nous soutiennent de mille et une manières. Tantôt ils nous manquent cruellement, ils nous chagrinent à ne pas savoir nous rejoindre, à ne pas suffisamment nous comprendre, ils nous blessent à ne pas nous voir et passer leur chemin.
7Il est intéressant d’appréhender la solitude et l’isolement à partir du prisme de la relation. Bien vivre la solitude n’est pas indépendant d’une qualité de relation que l’on se porte à soi-même et que d’autres nous portent et ceci est vrai dans la vie personnelle comme dans la vie professionnelle. Tandis que l’isolement est une privation douloureuse des relations qui font se sentir vivant parce que relié socialement. L’être humain ne vit pas seulement de vie biologique, et cela, l’épreuve du confinement nous l’a durement rappelé. Les nouvelles technologies en matière de communications ont permis un maintien du lien par-delà la distanciation des corps. Mais la dématérialisation de la relation a ses limites, tant celle-ci naît du corps vivant et parlant et s’adresse à l’autre corps dans une proximité avec lui. Il y a dans l’isolement une désolation particulière qui est proprement celle d’être rejeté « hors sol » : hors du contact corporel, hors de la parole échangée, hors du monde commun.
8À l’heure de la toute grande vulnérabilité, où le corps se défait et ne porte plus, où la vie se raccroche à quelques paroles essentielles (à la possibilité de les dire et à celle de les entendre), le premier soin est de venir en présence. D’« être-là » avec ses compétences et aussi une forme d’indigence, avec ses pleins et ses creux, avec ses déliés et ses ratures ; en bref, avec tout ce qui fait notre texture d’être humain agissant et souffrant. Le soin au sens large, l’accompagnement, ouvrent des portes intéressantes, voire insoupçonnées, quand ils se donnent pour mission de lutter contre l’isolement tout en soutenant la solitude dans ce qu’elle a de bon à donner. Bien qu’il y ait parfois, en certains contextes de soin, des « isolements protecteurs », la solitude se nourrit de relations. À travers elles, elle peut se révéler, se découvrir, comme un espace possible pour la montée d’une sève nouvelle – et ce, quelle que soit l’heure.
Notes
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[1]
Dans le contexte de lutte contre l’épidémie de la Covid-19.