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Article de revue

Domicile, foyer : lieux de vie pour faire « refuge » en soins palliatifs

Pages 73 à 84

Notes

  • [1]
    Nous entendons ici la notion de refuge telle que Winnicott a pu l’utiliser lors de sa conférence « Cure » (1970).

1 Pourrions-nous supposer qu’un désinvestissement progressif de tout ce qui engageait la personne dans sa vie (son entourage, ses biens, son statut, son identité) est nécessaire pour qu’elle puisse « partir en paix », à l’image d’un « travail de deuil de soi-même », qu’elle devrait accomplir à l’approche de sa mort ? S’agirait-il de l’accepter ? Serait-ce un idéal à atteindre selon les conceptions d’E. Kübler-Ross (1969) ? Du repli à l’isolement, vers l’exclusion, ce désinvestissement pourrait plutôt constituer une réponse aux besoins conscients et inconscients de celui qui lui survivra. Au contraire, nous faisons l’hypothèse, comme le suggère M. M’Uzan (1976), qu’un tel « travail de trépas » engagerait la personne en fin de vie, mais aussi ceux qui l’accompagnent dans ce que la relation a de plus essentiel et profond. Au contraire du repli, un réaménagement psychique conduisant en un retour des investissements pulsionnels sur la personne propre, stagnation, puis d’une potentielle insufflation narcissique, dont le domicile pourrait constituer les remparts, il nous semble plutôt qu’à l’aube de la mort, les liens sociaux sont d’autant plus importants. En effet, il s’agirait d’un maillage, d’un « refuge dans lequel se glisser » pour reprendre l’expression de D. W. Winnicott (1970), révélé par la propension de la personne à nous faire part de son histoire, à lier librement les éléments entre eux.

Sur quelle scène de l’intime accueillir la mort ?

2 La mort, expérience intime, existentielle, par excellence est démaîtrisée. En ce sens, selon J. Ricot (2009), toute « tentative de la maîtriser ne saurait occulter cette donnée “anthropologique” ». C’est là une contradiction profonde dans laquelle nous nous trouvons plongés à l’heure où il nous faudrait pouvoir prendre pleine possession de notre destin, nous épanouir en tout point, nous réaliser sur le plan personnel. Pourrions-nous pour autant tenter de nous « réconcilier » avec la mort, comme le suggère S. Hervier (2005), ou encore de « l’apprivoiser », pour M.-F. Bacqué (2003) ? Pourrait-il s’agir d’une injonction à vivre une belle mort ? La mort n’en demeure pas moins intolérable, reléguée au plus intime de chacun, tant que celui-ci est un « autre ».

3 Alors pour survivre, parlons de la mort, mais non plus du mourant, pour évacuer la charge d’angoisse qu’elle représente en chacun de nous. Concentrons-nous essentiellement sur les modalités pratiques de sa prise en charge, le lit médicalisé, l’agencement de la maison. Le domicile pourrait en ce sens être la juste mesure du mécanisme projectif : évacuons le malade, et la mort qu’il incarne, hors les murs de l’hôpital, peut-être alors pourrons-nous maintenir cette dernière hors de la conscience. Mais autorisons-nous à ne plus dénier la personne elle-même, objet mourant, comme le nomme R. W. Higgins (2003). Entendons l’expression de son désir, l’histoire qu’elle porte, mettons la peur en scène pour permettre, dans la mesure du possible, de rendre acceptable l’angoisse. Peut-être enfin, au travers de son domicile, cette personne accompagnée nous ouvrira les portes de son foyer, comme autant de récits à recueillir, d’histoires à écrire, de liens à préserver, pour la personne elle-même, son entourage, ainsi que les professionnels qui la portent.

Le projet de vie dans les soins palliatifs

Un espace potentiel de rencontre

4 C’est une question qui a animé toute notre pratique au sein d’un foyer occupationnel d’accueil : comment ne pas faire de ce « foyer de vie » un « foyer à vie », pour reprendre les propos de la chef de service de ce foyer d’accueil. Les personnes accueillies dans chaque établissement médico-social bénéficient de projets individualisés d’accompagnement qui doivent à nos yeux (Menanteau, 2016) constituer autant « d’espaces potentiels de rencontre ». C’est l’occasion de déterminer des objectifs éducatifs rationnels, de se donner les moyens d’évaluer la réalisation de ceux-ci, et d’entendre l’élaboration subjective de la personne et des professionnels qui la prennent en soin. Il s’agit en ce sens d’un espace transitionnel, potentiel de rencontre, ni « objectivement perçu », ni « subjectivement créé », comme le définit D. W. Winnicott.

5 Mais qu’en est-il lorsque la mort s’insinue dans ce genre d’établissement ?

La nécessité de baliser l’angoisse

6 Nous avions constaté la dégradation progressive d’une personne accompagnée, inhérente à son vieillissement corrélé à son handicap ; d’aucuns évoqueraient un « glissement ». Cette femme trisomique, âgée d’environ soixante ans, vivait au foyer depuis de nombreuses années, en établissement depuis toujours. Si elle ne disposait pas des moyens de communiquer, c’est par opposition aux propositions de soins, d’activités, qu’elle s’exprimait et s’inscrivait dans la relation.

7 Au départ, le sentiment d’abandon qu’elle exprimait avait suscité l’inquiétude des professionnels : elle acceptait les soins, ou tout au moins les supportait avec passivité, tandis qu’elle s’enfermait de plus en plus dans la musique, pour laquelle elle ne manifestait pas d’intérêt, mais qui l’apaisait vraisemblablement : un bruit flou peut-être pour se remplir, mais dans tous les cas des chansons choisies avec soin par les professionnels eux-mêmes, de ce qu’ils avaient perçu des goûts de cette résidente, dans la relation « d’avant la maladie » pour reprendre leurs propos, et dans son histoire – une histoire, son histoire à raconter de nouveau, ponctuant alors leur discours d’anecdotes.

8 Il nous était apparu évident de devoir faire intervenir un réseau de soins palliatifs dès lors que le médecin avait prononcé le caractère létal de son pronostic.

Un projet de vie pour coordonner les projections suscitées par la fin de vie

9 Paradoxalement, c’est finalement au travers de la construction d’un projet de vie, à la fin de celle-ci, que l’ensemble des équipes a pu se réunir, se coordonner. Il s’agissait de donner forme à l’ensemble des projections que cette personne pouvait susciter, tantôt agressives, empreintes d’une forte culpabilité, tantôt d’une identification trop puissante, la personne en face risquait toujours de s’y perdre, de raviver l’angoisse de sa propre finitude.

10 Alors, nous avons donné libre cours à la ritualisation, à la symbolisation, à l’imagination pour que chacun (professionnels comme résidents) puisse se figurer le cadre d’une « bonne mort » qui serait la sienne, comme stricte continuité de son projet de vie. Il s’agissait d’élaborer des protocoles clairs de ce que l’on pouvait imaginer à partir de ses propres désirs, penser pour elle, d’une certaine manière, des directives anticipées. Mais nous relevons avant tout qu’au paroxysme de cette expérience existentielle, qui confrontait chacun dans les retranchements de la plus intime des angoisses, il n’était plus question de domicile, mais de foyer : l’enjeu était bien plus celui de la réinstauration de liens, de la revalorisation d’une relation parfois difficile, qu’une dimension pratique. Lorsque nous nous autorisons à interroger la notion même de « foyer » dans sa signification profonde, le vécu intime de chacun dans la relation, l’expérience nous révèle la complexité des accompagnements jusqu’au bout de la vie dans ces « foyers de vie ».

Poursuivre la route de l’élaboration face au caractère sidérant de la mort

11 Nous percevons ici que, quelles que soient les conditions pratiques de l’hospitalisation et des soins prodigués, la question du foyer et de l’intimité qui lui est relative est toujours nécessairement à approfondir. Elle nous paraît même indispensable, bien au-delà de la question du domicile. Parler du foyer, c’est parler de ses origines. C’est ici un enjeu inconscient vital, une lutte pour la survie psychique, pour faire face à l’insupportable de la question de sa propre mort, que de parvenir à tisser les liens de sa propre histoire, de donner sens à ce qui pourrait nous sidérer. Si l’angoisse est déliaison, rupture de lien, parce qu’elle ne peut se nommer, la possibilité de s’appuyer sur le foyer, ce qu’il contient des investissements personnels, de sa propre existence, permet de médiatiser et maintenir la relation, donner sens à ce qui survient, trouver réassurance à partir de ce qui avait encore du sens : son histoire.

L’espace imaginaire, comme espace d’intimité

12 Alors que nous avions eu l’occasion de rencontrer à différentes reprises cette autre femme, âgée de 90 ans environ, nous évoquerons ici notre dernier entretien, dans sa chambre d’hôpital, quelques heures avant son décès.

13 Alors que cette femme semblait confuse ce jour-là, quelque peu agitée, elle m’invita à venir auprès d’elle, se saisissant de mes mains pour me demander : « Qu’est-ce que tu fais, vas-tu venir ? », pour m’inviter à une promenade, vraisemblablement hallucinée. Alors qu’elle était alitée, plus à même de se mouvoir, elle sembla se détendre rapidement, s’appuyant sur mon bras pour se redresser, me demandant de l’accompagner pour aller chercher la viande au congélateur. Alors que j’acceptai son invitation, nous parcourions virtuellement son domicile. Confuse, sans sortir de son lit, elle me décrivait une à une les pièces que nous traversions pour parvenir jusqu’à son garde-manger.

14 Nous parlerions volontiers d’un affaiblissement des frontières, par laquelle j’avais accepté la proximité physique certes, mais aussi de me plonger dans ce qui relevait d’hallucinations. C’est ce qui nous permettait encore de prendre acte de sa subjectivité, de sa propre intimité, du vécu qui pouvait être le sien, au sein de son domicile, tout en lui étant objectivement extérieur, par notre positionnement clinique. Alors que madame « reprenait » ses esprits progressivement, elle pouvait me faire part de toute sa difficulté à supporter les transferts, de son lit au fauteuil, expliquant comme elle « voyage beaucoup ici ».

Que faire advenir du domicile, s’il est possible ?

15 Nous avons été confrontés à nombre de difficultés lorsque cette femme d’une cinquantaine d’années nous avait contactés pour évoquer la santé de sa mère, nous sollicitant pour les rencontrer au sein du domicile qu’elles partageaient. La fille, se qualifiant « d’aidante naturelle », coordonnait d’elle-même l’ensemble des soins.

Quelle langue parlons-nous ?

16 Sa première demande était celle d’une médiation pour elle au sein de sa fratrie. Éprouvant comme une profonde injustice le souhait d’institutionnalisation de leur mère par ses frères aînés, elle désirait être reconnue dans sa place, obtenir de leur part un soutien financier, tout en exprimant son impossibilité à leur donner l’autorisation de pénétrer dans cette maison qui était pourtant celle de leur enfance. Pour autant, les communications entre elle et sa mère semblaient rompues, cette dernière n’usant plus que de quelques locutions en breton, langue de sa propre enfance, qu’elle n’avait jamais transmise à sa fille. La fille pouvait exprimer le refus d’intrusions au domicile, au travers d’une peur vive, la crainte que les « microbes ne contaminent sa mère », « amenés par des étrangers » même « ses propres frères ». Le domicile apparaissait désormais comme un véritable rempart face à cette menace extérieure, qui elle seule, selon ses dires, aurait pu causer la mort de sa mère.

17 De cette situation, il nous apparaissait que finalement tout n’était question que des origines respectives de ces deux protagonistes. Pour la fille, nous pouvons faire l’hypothèse que se rejouaient ici des conflits infantiles, par un profond travail d’identification à une position maternante, ravivée par la dépendance de sa mère. Tandis que pour cette femme accompagnée dans le cadre de soins palliatifs, il était question d’une langue opaque pour chacun de ses enfants, celle de ses origines, mais aussi langue transgressive puisqu’interdite dans son enfance dans les lieux publics, ne pouvant être utilisée que dans l’intimité la plus totale du foyer.

Partager le domicile mais non pas le foyer

18 Dans l’impossibilité de se projeter dans un avenir désormais compromis semble transparaître le besoin le plus essentiel de se référer à ses origines, un refuge, dont le domicile pourrait être une prime représentation évidente. Pour autant, quand bien même le domicile pourrait se partager, comme l’on partage le même toit, les mêmes remparts, nous pourrions ne pas bénéficier du même foyer. Nous faisons l’hypothèse que dans cette situation, la position de dépendance était confondante pour l’une et l’autre : pour la mère, des soins qui lui étaient nécessaires ; pour la fille, de la possibilité de retrouver une relation fusionnelle archaïque jouissive, tout autant source de désir que d’angoisse, exprimant un pouvoir de vie et de mort à l’égard de sa mère. Confusion des générations et de différents replis consécutifs à de virulents mécanismes projectifs. La demande était, parce qu’il lui était impossible d’y répondre, celle de redonner place à chacun par l’intervention d’un tiers avant l’ultime séparation.

Le reflet et le miroir

19 Au travers de nos différentes expériences, il nous apparaît que le refus de répondre positivement à la requête de la personne souhaitant finir ses jours à domicile pourrait se révéler empreint de violence. Dans l’un des cas, il s’agirait d’étouffer l’expression du désir, nier le sujet même. Dans l’autre, il s’agirait d’une fuite en avant par laquelle nous n’entendrions que le contenu manifeste et non latent de la personne. Que nous est-il adressé au travers de cette demande ? C’est cette question que nous avions pu introduire auparavant (Menanteau, 2013). C’est en effet ce questionnement qu’il nous faut d’abord appréhender avec soin.

20 En effet, nous pouvons nous attacher à répondre pratiquement aux considérations matérielles et évaluer la faisabilité d’un tel retour au domicile. Il nous faudrait nous autoriser à entendre l’expression de la personne quant à son désir de retrouver son foyer, pour lequel nous rattachons ce concept à l’idée de l’origine, de l’histoire même de la personne. La chambre d’hôpital pourrait faire exclusion, conférant à la personne un unique statut de patient, de malade, indistinctement, comme vient l’illustrer le caractère impersonnel de la blouse portée. Mais le domicile pourrait tout autant isoler la personne, du côté de la mort, mécanisme projectif vital parfois pour les proches qui l’accompagnent, afin de conserver l’illusion de leur survie. Considérons dès lors que l’enjeu est avant tout celui du lien social, de la préservation du maillage tissé par et pour la personne, d’une réponse à son appétence naturelle à la relation au sein d’un foyer « suffisamment bon » pour dresser une analogie avec ce que D. W. Winnicott (1975) décrivait des soins maternels les plus adaptés à l’enfant. Appuyons-nous encore sur les préceptes de ce même auteur dans Jeu et Réalité (1975), tels qu’il définissait sa pratique : « La psychothérapie ne consiste pas à donner des interprétations astucieuses et en finesse ; à tout prendre, ce dont il s’agit, c’est de donner à long terme en retour au patient ce que le patient apporte. C’est un dérivé complexe du visage qui réfléchit ce qui est là pour être vu. » Ces termes doivent guider nos modalités d’intervention dans le cadre des soins palliatifs : s’écouter soi, pour écouter pleinement en retour l’autre en face.

Ouvrir des portes

21 L’idée même de l’isolement est largement à distinguer de la notion de solitude, au même titre qu’il nous faut considérer distinctement l’autonomie et l’indépendance. Une personne peut se sentir isolée alors même que la famille semble faire un entourage étayant. De par son statut de mourant, la personne en fin de vie détient par essence un statut nécessairement différent, une place qui la distingue totalement du reste du monde peut-être, la mort étant de son côté, source de multiples projections, en situant le danger à l’extérieur, comme le propose R. Girard (1982) dans sa définition du Bouc émissaire. Pour autant, si la personne peut se trouver dans une grande perte d’autonomie, et si la question de son retour au domicile semble compliquée, voire parfois impossible à mettre en œuvre tant les soins sont lourds, tant sa dépendance physique est grande, elle peut aussi manifester sa propension à l’indépendance psychique. Le domicile, prolongement de l’espace de vie intrapsychique, comme le suggère E. Djaoui (2014), constitue ainsi la possibilité de faire rempart en ses murs, de fermer la porte à double tour, et ne plus avoir à supporter cette agression ultime proférée par le médecin lors de l’annonce de la maladie grave, et tenter alors de ne plus laisser s’insinuer cette idée que la mort survient.

22 Nous suggérons que s’il nous faut appréhender l’autonomie de la personne dans cette question du domicile, il nous faut apprécier son indépendance. Il s’agit peut-être de lui offrir la possibilité de ne pas s’investir dans la relation, de pouvoir manifester son refus, et de préserver son intimité, l’espace de vie qui est le sien, quel qu’il soit dans cette expérience de soins palliatifs qu’elle traverse, à l’hôpital ou à la maison. Il s’agit d’entendre l’expression de ses choix, prendre le temps, dans cette temporalité paradoxale dans laquelle l’approche de la mort nous plonge, entre urgence et attente, d’écouter l’expression manifeste mais aussi latente du sujet. Cette écoute n’est possible que si l’on donne pleine valeur à la relation, en prise aux dimensions transférentielles et contre-transférentielles. Écoutons la personne, ses proches, observons le maillage tissé, mais aussi les professionnels, l’étayage culturel, social, sociétal, citoyen pourquoi pas… et entendons.

L’importance du lien social en fin de vie

23 Le domicile, son évocation, est un médiateur dans l’échange. C’est même ce qui semblerait souhaitable dans la représentation d’une « bonne mort ». Il permettrait des économies rendues possibles par la technicisation de soins en dehors des murs de l’hôpital. Nous pourrions alors nous demander pourquoi de telles résistances face à ces modalités nouvelles de soins, au domicile donc, semblent s’opérer ? Peut-être parce qu’il serait plutôt question du foyer, vécu d’histoire, d’investissement, d’économie psychique, ô combien intime, dans cette expérience universelle de la mort. Peut-être s’agit-il alors de nous (re)centrer sur le bien-être à l’aube de la mort ? Comment pouvons-nous répondre à l’injonction sociétale et l’exigence personnelle d’une « bonne mort » ?

24 Individuelle et universelle, elle nous plonge dans un profond paradoxe. Potentiellement déliaison, elle suscite le morcellement dès lors qu’elle prend forme en nous ou pour la personne dont nous sommes le miroir. L’enjeu d’un accompagnement palliatif est alors de construire, restaurer, maintenir le lien social de la personne. C’est là un acte de citoyenneté, un devoir de société que de veiller au respect de la dignité de la personne humaine, à l’aube ou au crépuscule de la vie. Le lien social, lorsqu’il s’exprime sur le plan familial ou encore amical, ne s’arrête pas là, car il n’y a, selon nous, rien de naturel dans la proposition de faire des proches les soignants, les « aidants » de la personne qu’ils aiment, promus au rang de techniciens, mère de leur mère, « bourreau » pour des soins intrusifs qu’ils pourraient accepter de faire. Il se définit aussi au travers du lien de citoyenneté que créent l’institution et ses acteurs professionnels du champ du médical et du social (tel que le foyer de vie). Selon K. C. Kauffman (2015), « le tissu de l’entraide ne se réduit pas à l’espace que l’on habite ». Appréhendons dès lors la mort au travers de ce nouveau prisme du lien social, tel que S. Paugam (2009) le dépeint, qui « désigne alors un désir de vivre ensemble, de relier les individus dispersés, d’une cohésion plus profonde de la société. », concept désormais majeur à nos yeux dans l’accompagnement des personnes en soins palliatifs « tant l’homme est, dès sa naissance, lié aux autres et à la société non seulement pour assurer sa protection face aux aléas de la vie, mais aussi pour satisfaire son besoin de reconnaissance, source de son identité et de son existence en tant qu’homme. »

Tissons du lien

25 Dans le cadre des soins palliatifs, le domicile est possible ou il ne l’est pas. Le « foyer » quant à lui, quel que soit le lieu d’accompagnement de la personne, doit advenir, « là où le Ça était, le Moi doit advenir » comme dirait S. Freud (1936). C’est-à-dire que dans tout ce qu’il représente de l’intimité, du subjectif, des investissements inconscients, nous pouvons encore y entrevoir la personne elle-même, pour peu qu’elle accepte de nous en ouvrir la porte. Ce foyer est ce qui fonde la personne en tant que sujet, dans son identité, dans ces liens qui sont les siens, dans son histoire qui lui reste à écrire et qui se poursuivra bien au-delà de sa mort. Chaque individu, qu’il possède un domicile ou non, ne mériterait-il pas « une bonne mort » ? Tâchons plutôt de permettre à chacun, sujet, proches, professionnels, de trouver les clés sociales, citoyennes et relationnelles qui permettraient d’ouvrir les portes du vivre ensemble, dont le droit à mourir digne, respecté, doit être la composante la plus naturelle et universelle. Vivre ensemble et mourir lié de relations.

Bibliographie

Références

  • Bacqué M.-F., Apprivoiser la mort, Paris, Odile Jacob, 2003.
  • Djaoui E., Intervenir au domicile, Rennes, Presses de l’École des hautes études en santé publique, 2008.
  • Freud S., Nouvelles conférences sur la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1936.
  • Hervier S., La mort réconciliée, Paris, Dessolée de Brouwer, 2005.
  • Higgins R. W., « L’invention du mourant. Violence de la mort pacifiée », Esprit, janvier 2003, 139-169.
  • Kaufmann J.-C., Faire ou faire-faire ? Famille et services, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
  • Kübler-Ross E., Les derniers instants de la vie, Genève, Labor et Fidès, 1969.
  • Menanteau M., « Le projet individuel d’accompagnement, espace potentiel de rencontre », Psychologues et Psychologies, février 2016, n° 242.
  • Menanteau M., « Mourir chez soi, sens et enjeu du domicile dans la pratique des soins palliatifs », Revue internationale de soins palliatifs, mars 2013, Vol. 28, 185-192.
  • M’Uzan M., De l’art à la mort, Paris, Gallimard, 1977.
  • Paugam S, 2008, Le lien social, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je », 2008.
  • Ricot J., « Coup de sonde – Finir sa vie, une question qui n’en finit pas », Esprit, octobre 2009, n° 10, 189-198.
  • Winnicott, D. W., (1956), « La préoccupation maternelle primaire », De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1975.
  • Winnicott D. W., Jeu et réalité, Londres, Gallimard, 1975.

Notes

  • [1]
    Nous entendons ici la notion de refuge telle que Winnicott a pu l’utiliser lors de sa conférence « Cure » (1970).
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