1 À l’heure actuelle, la méditation surgit en Europe occidentale avec les techniques dites de pleine conscience (ou mindfulness) venues des États-Unis. Elle suscite un engouement médiatique dans nos sociétés libérales où le coaching et la spiritualité à bon marché envahissent l’espace public, non dénués de l’idée d’une meilleure adaptabilité aux contextes économiques.
2 Paradoxalement, loin de consister, comme on le pense trop souvent, en une rumination intellectuelle nombriliste, la méditation est bel et bien un moyen de se relier à son corps, ce grand oublié des Occidentaux depuis le « cogito ergo sum » de Descartes, mais même depuis Platon qui, jouant sur les mots soma (corps), sema (tombeau), déconsidérait celui-ci, au seul profit de l’Idée. La méditation existe depuis plusieurs milliers d’années dans les traditions bouddhistes qui l’ont gardée vivante depuis le vie siècle av. J.-C. jusqu’à nos jours mais aussi dans l’hindouisme. On la trouve en Occident sous différents aspects dans l’Antiquité et aussi dans les trois religions monothéistes. Des philosophes occidentaux ont eux aussi approché à leur manière la pleine conscience, le plus ancien d’entre eux est certainement Montaigne avec son idée du « vivre à propos ». Spinoza préconise la reconnaissance des émotions destructrices et leur acceptation. Enfin, Husserl puis Heidegger avec la phénoménologie mettent en lumière l’expérience de l’instant susceptible de mener à une forme de libération. De ce fait, la méditation appartient au patrimoine commun de l’humanité.
3 Depuis 1982 grâce à Jon Kabat-Zinn, la méditation a été adaptée aux besoins des Occidentaux soumis au stress des maladies chroniques, ceci sous le terme de « mindfulness » traduit par « pleine conscience ». L’usage de protocoles inspirés de la mindfulness s’est répandu dans les pays anglo-saxons et désormais en France, faisant l’objet d’études dans les différents champs des activités soignantes. Parallèlement, le fonctionnement cérébral induit par les pratiques codifiées de la mindfulness a été étudié d’un point de vue neuro-physiologique à la lumière des acquis sur la plasticité cérébrale pour aboutir à ce qu’il est désormais convenu d’appeler les neuro-sciences contemplatives.
4 Par ailleurs, dans la tradition bouddhiste, l’accompagnement des personnes en fin de vie contraste avec la relégation en milieu hospitalier subie par la majorité des Occidentaux durant les derniers jours de leur vie. La mort n’est que la fin du cycle terrestre et la pratique méditative accompagnée permet à la personne à la fois de se situer dans le présent, de se distancier de la douleur physique tout en se réconciliant si nécessaire avec sa vie et ses proches grâce à la vertu du pardon.
5 Initiée à la pratique méditative en thérapie d’adolescents durant un de mes stages, j’ai choisi de proposer cette approche à des personnes en soins palliatifs. Il s’agissait d’exercices de méditation de pleine conscience, consistant à se rendre présent à soi-même et au monde ici et maintenant, instant après instant, sans attendre quoi que ce soit de spécial. Il m’est apparu que cette approche pourrait favoriser la qualité de vie en aidant ces personnes à mobiliser leurs ressources personnelles afin d’activer leurs capacités de résilience. Et ainsi, être complémentaire des prises en charges déjà existantes en soins palliatifs qui dans leur ensemble tentent d’éviter les dérives déshumanisantes de la médecine technicienne. C’est d’ailleurs l’enjeu actuel de l’évolution du mouvement palliatif que de s’ouvrir aux ressources personnelles du patient afin d’en promouvoir les capacités de mieux-être.
Les représentations associées à la méditation
6 Le terme méditation dérive de la même racine que médecine, racine indo-européenne qui signifie mesurer au sens platonicien selon lequel toute chose contient sa propre et juste mesure. Il désigne l’apprentissage, à travers la culture de l’attention, de la mise en œuvre de la conscience éveillée, c’est-à-dire cette fonction psychique susceptible d’englober sans jugement et avec bienveillance toutes les sensations et perceptions, mais aussi les pensées, émotions, motivations et actions.
7 Lorsqu’on évoque avec les soignants en soins palliatifs, mais aussi avec les patients, ce type de travail, un certain nombre de représentations sont susceptibles de venir faire obstacle d’abord à l’acceptation du dispositif et ensuite à l’adhésion et à l’appropriation des techniques mises en œuvre. Examinons quelques-uns de ces présupposés et répondons-y :
8 Méditer, c’est se contraindre et penser à être dans le présent. Il n’en est rien, c’est habiter le présent tout en étant relié au monde, non pas d’une manière conceptuelle, mais comme si le monde extérieur et soi n’étaient plus séparés de manière étanche. Expérience que nous avons tous eu à connaître de façon fugace face à une œuvre d’art ou devant la beauté d’un spectacle de la nature par exemple.
9 Méditer va demander des efforts de concentration et nécessite d’être tourné vers l’introspection. Méditer ne nécessite aucun effort ni aucune qualité particulière.
10 Méditer va provoquer des expériences étranges, voire hallucinatoires qui font peur et vont faire perdre le contact avec la réalité. Méditer ne consiste nullement à rechercher des états modifiés de conscience tels ceux engendrés par les substances psychodysleptiques.
11 Méditer convoque une dimension religieuse à tendance bouddhiste qui ne va pas être acceptée dans notre terroir rural. Méditer ne consiste pas à adhérer à une religion quelle qu’elle soit, c’est avant tout une pratique laïque.
12 Les personnes en soins palliatifs sont aux prises avec la maladie et la souffrance et on va leur dire que la méditation dans la tradition bouddhiste consiste à réaliser que la source de la souffrance est en soi-même et ne résulte pas vraiment de causes extérieures, aussi dommageables soient-elles. On va leur dire d’accueillir ce qui est douloureux en eux à commencer par la douleur physique, c’est inacceptable ! La méditation permet d’atteindre ce niveau de conscience où les pensées et les émotions qui y sont plus ou moins associées, loin d’être niées, sont accueillies pour ce qu’elles sont, comme autant de scories qu’il suffit de laisser passer. Au lieu de chercher à fuir nos douleurs psychiques ou physiques, ce qui rend malade notre corps et notre esprit en proie à l’angoisse et à la peur, ou au lieu de les ruminer en pensées négatives qui constituent le noyau de la souffrance qui va enclencher le cercle infernal de l’anticipation, nous revenons tout simplement à nous-mêmes pour les accepter, ce qui dénoue la spirale de la souffrance.
13 Méditer, c’est du coaching, c’est prendre les patients pour des cobayes dans une dimension de développement personnel, c’est contre l’éthique des soins palliatifs. Méditer consiste à être conscient de notre présence au monde ici et maintenant, instant après instant, sans attendre quoi que ce soit, qu’il s’agisse du bonheur, de la tranquillité, de l’extase, de la sagesse ou du développement personnel. Et c’est seulement alors que les effets bénéfiques adviendront, par surcroît en quelque sorte.
14 Pour méditer, il faut apprendre des techniques complexes telles celles mises en œuvre par les yogis, les ermites ou autres saints de toutes religions. La méditation de pleine conscience c’est l’énergie qui consiste ici et maintenant à être dans le présent, en prêtant attention à soi-même et en particulier à certains aspects fondamentaux du fonctionnement corporel comme la respiration. Il s’agit de se déprendre de la rumination du passé, de l’anticipation du futur au profit de l’instant présent en mettant en veilleuse le mode faire par lequel nous avons tendance à réagir de façon automatique pour le remplacer par le mode être. Pour cela point besoin d’apprentissage ardu de yogis isolés du monde ou assis sur des planches à clous, mais quelques moyens d’une grande simplicité que chacun peut s’approprier quels que soient son âge ou son état physique et mettre en œuvre régulièrement sur des temps déterminés (pratique formelle) puis spontanément lorsque le besoin s’en fait sentir, sans même devoir y réfléchir à travers les activités du quotidien.
Mise en lumière de l’effet de quelques représentations
15 J’ai proposé aux patients pris en charge dans un réseau de soins palliatifs en milieu rural huit séances individualisées et adaptées au degré de fatigabilité de chacun. Dans les trois vignettes cliniques suivantes, leur rapport au temps et la représentation de la méditation présentent des caractéristiques variées : Madame B., vue à son domicile, est dans l’incapacité de vivre le présent et de profiter des bons moments qui s’offrent à elle ; elle présente une personnalité pathologique sans maladie psychiatrique décompensée, elle est en recherche du n-ième médicament supplémentaire qui viendra la soulager. Monsieur L., vu dans son EHPAD, ne se projette plus dans l’avenir et refuse aussi le présent en faisant des demandes explicites d’être aidé à mourir ; il présente une maladie psychiatrique actuelle et évolutive, une nouvelle technique pourra-t-elle enfin le relier au néant auquel il aspire ? Monsieur A., vu à l’hôpital en service de pneumologie puis en SSR (soins de suite et de réadaptation), continue à vivre dans le déni de la gravité de sa maladie ; il se présente comme un normopathe pour reprendre le terme couramment utilisé par le psychiatre Pierre Delion ; le développement spirituel va-t-il l’aider un peu plus à tromper la mort ?
Des symptômes compagnons d’infortune pour évincer le présent
16 J’ai été amenée à rencontrer Madame B., 50 ans, suite à une demande du médecin traitant et de la patiente. Cette dernière avait déjà pu bénéficier d’un suivi psychologique. À cette période, elle était suivie pour une grande souffrance morale engendrée par une multiplicité de cancers (cancer de la thyroïde et du sein). Lors de notre première rencontre, Madame B. m’apparaît comme une petite femme bien en chair. Son visage est quelque peu figé et inexpressif. Elle parle beaucoup de ses maux divers dans un langage technique médical et sans affect. En particulier, elle évoque les 34 médicaments qu’elle prend quotidiennement. Son débit verbal est monocorde et elle semble s’exprimer davantage pour elle-même que pour ses interlocuteurs. Cette patiente dont l’état semble aujourd’hui en rémission présente néanmoins de nombreuses préoccupations concernant sa santé qui sont largement envahissantes et contribuent à un trouble anxieux à expression somatisée : crises dites de tétanie, de spasmophilie. Elle fait parfois preuve d’attitudes théâtralisées et les crises de spasmophilie évoquent une construction histrionique de la personnalité.
17 L’objectif escompté était d’aider la patiente à s’approprier des techniques de base qu’elle pourrait utiliser seule par la suite afin de réduire son anxiété, ses préoccupations autour de la santé. Il pourrait également y avoir un impact positif sur la dépendance médicamenteuse. On pouvait également espérer qu’elle réinvestisse autrement son corps afin qu’il ne soit plus exclusivement un corps parlant dissocié du reste de sa vie psychique. Ce faisant, peut-être la patiente pourrait-elle également réinvestir le temps présent.
18 Durant les séances, Madame B. se montre d’abord très investie, tenant à prendre plusieurs rendez-vous à l’avance et les notant en rouge dans son agenda. Elle se laisse aller à la confidence évoquant ses rêves et cauchemars, son risque de noyade lorsqu’elle était petite révélant un mode d’attachement insécure à sa mère qu’elle reproduit avec son fils. Puis, peu à peu, elle s’est montrée moins investie, comme si elle gardait une certaine ambivalence vis-à-vis de ses symptômes avec à la fois une tendance à l’agrippement et la recherche d’un effet antalgique immédiat des interventions qui ne pouvait que décevoir ses attentes. Toutefois, à l’issue des séances, Madame B. apparaît moins anxieuse, moins déprimée et peut prendre plaisir à certaines situations de la vie.
La méditation comme moyen de se relier au rien
19 Monsieur L. âgé de 80 ans est suivi depuis 2009 par le réseau. Il est atteint d’un cancer particulier de la moelle osseuse, un myélome multiple. Je le rencontre pour la première fois en EHPAD, allongé sur son lit, vêtu d’un pyjama, immobile, son visage inexpressif, il m’apparaît prostré. Il parle peu et répond aux questions de façon assez laconique. Ce patient présente des troubles anxieux s’accompagnant d’éléments dépressifs sévères et mélancoliformes, des troubles du sommeil et une souffrance sociale du fait de sa vie en établissement et du peu de contacts avec ses enfants. Ses douleurs sont actuellement bien contrôlées par l’usage d’une pompe à morphine. Monsieur L. avait accepté un traitement antidépresseur tout en précisant : « bien que cela ne me rendra pas heureux ». Des moments critiques ont fait croire à un décès imminent et c’est comme si son entourage et lui-même avaient fait un deuil anticipé de sa présence sur terre. De fait, il en résulte pour lui une difficulté à trouver du sens à son quotidien. Monsieur L. a récupéré progressivement mais ne semble pas se réinscrire dans une vie qu’il était prêt à perdre. D’ailleurs Monsieur L., qui avait demandé l’interruption de la chimiothérapie, exprimait parfois le désir d’en finir et voyait la méditation comme la possibilité de se relier au rien. Le rien est à la fois ce qui nous soutient dans la méditation selon une perspective bouddhiste, mais c’est aussi le rien du néant auquel aspire Monsieur L.
20 Pour Monsieur L., la méditation permettrait peut-être une forme de résilience afin de reprendre pied dans le temps. De plus, se rendre conscient et reprendre un rôle actif dans le moment présent pourrait contrebalancer la passivité dont il se plaint par ailleurs.
21 Le patient a fait preuve d’un investissement très partiel de l’approche de la pleine conscience (qui va dans le sens de la vie) néanmoins la méditation a légèrement réduit son niveau d’anxiété et de dépression.
Du temps infini : quand une finitude peut en cacher une autre
22 Monsieur A. est âgé de 75 ans. C’est un homme de grande taille, mince, qui se montre chaleureux et enjoué, manifestement cultivé. Il lit beaucoup et fait état de son intérêt pour l’histoire et la spiritualité. Il nous accueille la première fois dans son lit d’hôpital dans le service de pneumologie du centre hospitalier de Nevers car il souffre d’une broncho-pneumopathie chronique obstructive emphysémateuse avec hypertension artérielle pulmonaire. Il est sous oxygène en continu. Il raconte ses crises d’angoisse fréquentes lorsqu’il se retrouve seul chez lui. Il est en demande d’aide, de conseils, se montre compliant aux soins. Cet homme sympathique, sans organisation pathologique de la personnalité, présente des difficultés qui apparaissent comme autant de troubles adaptatifs liés à sa maladie chronique.
23 L’objectif escompté, en lui proposant l’approche de pleine conscience, était de l’aider à se distancier de l’angoisse engendrée par sa difficulté respiratoire, angoisse qui renvoie à la mort par étouffement, mort que le patient n’évoquera pourtant à aucun moment. Le patient a accepté sans réticence une approche rentrant dans son cadre culturel.
24 Bien investie par ce patient, la pleine conscience semble lui avoir permis de lâcher prise et notamment de se laisser aller à la confidence et c’est ainsi qu’il pourra évoquer la mort accidentelle de son fils, que l’on peut relier au déni de sa propre mort. Ainsi la pleine conscience peut être considérée comme un médiateur qui favorise la confiance du patient et l’alliance thérapeutique. On note à l’issue des séances une diminution du niveau d’anxiété, des affects dépressifs, parallèlement à un accroissement de l’aptitude à la pleine conscience sous tous ses aspects. Son bien-être fonctionnel s’est accru puisqu’il a pu faire une promenade en scooter avec sa compagne. On note également une amélioration du bien-être social et du bien-être global.
25 Ces trois situations illustrent l’approche de la pleine conscience de personnes en soins palliatifs avec toutefois les limites liées à leur représentation de la méditation en lien direct avec leurs problématiques respectives. Si l’effet sur l’humeur et l’anxiété ainsi que la capacité à se situer dans le présent est avérée, le niveau de la douleur perçue est resté identique. Néanmoins, la souffrance est apparue nettement améliorée. De plus, j’ai observé que la méditation de pleine conscience permettait une ouverture de la relation à la confidence et au vécu affectif et agissait comme un véritable médiateur favorisant la confiance du patient et l’alliance thérapeutique. Quelques minutes de pleine conscience pourraient ainsi être conseillées lors de chaque séance avant toute autre approche thérapeutique quelles qu’en soient les références théoriques. Du reste, cette ouverture n’est pas unilatérale, elle facilite également l’attention, la bienveillance et la compassion chez le thérapeute, qualités qui pour être primordiales en soins palliatifs n’en sont pas moins, selon les recherches récentes, les facteurs déterminants du succès d’une psychothérapie au-delà de tout référentiel technique (Hick & Bien, 2010).
Bibliographie
Références
- Henin, C., « La méditation inspirée de la pleine conscience en soins palliatifs : une approche en faveur du bien-être et de la qualité de vie », Mémoire de master 1 en sciences humaines et sociales non publié, Université François Rabelais, 2015.
- Hick, S. & Bien, T., Mindfulness and the Therapeutic Relationship, New York: The Guilford Press, 2010.
- Kabat-Zinn, J., “An outpatient program in behavioral medicine for chronic pain patients based on the practice of mindfulness meditation: Theoretical Considerations and preliminary results”, General Hospital Psychiatry, 1982, 33-47.