Notes
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Échelles Doloplus®, ECPA® (échelle comportementale douleur personne âgée), Algoplus® et ECS (échelle comportementale simplifiée), échelle San Salvadour, échelle EDAAP (évaluation de l’expression de la douleur chez l’adolescent ou adulte polyhandicapé.
1 Le rapport Jacob sur l’accès aux soins des personnes handicapées (2013) préconise qu’une personne polyhandicapée puisse accéder aux soins nécessaires sans « rupture d’accompagnement », ce qui suppose qu’elle puisse recevoir les soins palliatifs dans son établissement médico-social. Intégrer la démarche palliative dans les institutions correspond donc bien à une obligation légale mais surtout répond à un besoin fondamental des résidents, de leurs proches et des équipes au complet.
Des spécificités liées au polyhandicap
2 Les spécificités des soins palliatifs sont d’abord liées au résident et aux pathologies devenues fréquentes avec l’avancée en âge. Les insuffisances terminales d’organes deviennent monnaie courante : insuffisance cardiaque, insuffisance respiratoire et insuffisance rénale sont les plus fréquentes. Les polypathologies, associant diverses pathologies chroniques et des affections aiguës intercurrentes, posent des problèmes spécifiques, à la fois évolutifs, avec des défaillances en cascade, et des difficultés thérapeutiques (polymédication, absence d’études cliniques, effets secondaires, interactions médicamenteuses).
3 Les sur-atteintes cognitives, dont le premier facteur de risque est l’âge, posent des problèmes particuliers du fait de possibles troubles du comportement et de difficultés de communication. Les altérations cognitives rendent plus difficiles, tout d’abord, le repérage et l’évaluation des symptômes, du fait d’une communication verbale très altérée, voire absente. Il s’agit alors, pour les professionnels, de développer des stratégies basées sur l’observation des comportements, comme cela a été développé pour l’évaluation de la douleur [1]. Cette approche, basée sur l’observation d’un tiers, oblige à une pratique d’équipe, avec confrontation des observations et des ressentis.
4 L’évolution est souvent marquée par une alternance d’épisodes aigus et d’améliorations survenant contre toute attente. Le cumul des pathologies et l’usure physiologique rendent l’estimation d’un pronostic vital très aléatoire. Cet état de fait peut être difficilement vécu par la personne, les professionnels et les proches. Les soins palliatifs s’étalent parfois sur une longue durée, d’autant plus que toute la vie a été marquée par des soins de nature palliative.
5 Dans le champ du polyhandicap se posent les problèmes de l’hydratation et de l’alimentation des personnes, soit qu’elles ne parviennent plus à boire ou à manger correctement, soit qu’elles n’en ressentent plus le besoin, le professionnel prenant le relais. Peuvent se poser les difficiles questions des moyens à envisager pour pallier les insuffisances nutritionnelles : sonde gastrique, gastrostomie, hydratation sous-cutanée, etc.
6 Quand le sujet n’est pas capable d’exprimer son désir propre (ce qui représente la majorité des cas), que le professionnel ne peut pas lui demander son « consentement éclairé », des décisions doivent pourtant être prises. Les divergences observées dans les pratiques cliniques témoignent de cette difficulté de décider « au mieux » pour la personne devenue incapable de donner son avis. Le travail pluridisciplinaire d’équipe et les liens tissés avec les proches, le mandataire, le tuteur, etc., prennent alors toute leur importance dans la démarche d’une décision éthique.
7 L’avancée en âge et donc le vieillissement physiologique entraînent, eux, des spécificités thérapeutiques. En effet, il sera nécessaire d’adapter les traitements habituellement utilisés, du fait de la fréquence des interactions médicamenteuses chez ces patients poly-médicamentés.
8 Se posent aussi les questions des altérations corporelles majorées, caractérisées par les déformations orthopédiques, les rétractions, voire les escarres par exemple. Que faire quand le soin d’escarre devient plus douloureux que l’escarre elle-même ? Là encore, le professionnel se trouve exposé à des difficultés qui engendrent détresse et culpabilité, pouvant être atténuées voire résolues par un travail d’équipe pluridisciplinaire.
9 Les spécificités viennent également de l’entourage de la personne touchée par un handicap. Ce sont souvent les parents et/ou la fratrie qui le constituent. Fréquemment, la fratrie est investie par les parents de la responsabilité de la personne. Quand l’entourage est absent, les résidents sont parfois totalement isolés. La famille peut être absente parce que géographiquement éloignée ou parce que, non impliquée, elle a fait un deuil anticipé et/ou s’est désinvestie. Il se peut cependant, qu’elle se manifeste dans les derniers moments ce qui complique encore pour les professionnels la relation avec le résident. Quand la personne est âgée, les parents le sont en général également, voire eux-mêmes atteints d’altérations cognitives ou physiquement dépendants.
Pour les professionnels : un besoin de formation et d’appui
10 L’accompagnement palliatif est un accompagnement de longue durée auprès de personnes que les professionnels connaissent depuis longtemps car les résidents restent en général de nombreuses années dans l’institution : il s’agit de leur lieu de vie. La charge affective est donc très importante. Elle expose au risque de projection de ses propres peurs et de ses propres défenses. De plus, en tant que « non soignants », les professionnels ne reconnaissent pas leur « cœur de métier » : ils ne sont pas formés à l’accompagnement médical et ne se sont pas engagés pour cela. La compétence des professionnels doit être double, à la fois spécialisée et palliative.
11 Spécialisée car ils doivent être formés à l’accompagnement de résidents polyhandicapés et/ou en situation de handicap sévère. Cela suppose de pouvoir faire face, d’accompagner toutes les dimensions du polyhandicap (somatiques, mentales, relationnelles, psychologiques) dans la durée, dans un état chronique indéfini.
12 La compétence palliative est, elle aussi, indispensable puisqu’aucun professionnel ne peut exercer auprès de résidents en institution médico-sociale, sans être un jour confronté à des situations de fin de vie. La mise en place d’un projet de vie personnalisé sous-tend un projet de soins régulièrement réévalué et adapté aux besoins évolutifs du résident en institution ou dans tout autre lieu de soin avec des objectifs de maintien de la qualité de vie, de l’autonomie du patient et de respect de la dignité.
13 L’insuffisance de formation, initiale ou continue, l’insuffisance de soutien pour les équipes exposent les professionnels, affectivement très impliqués et qui doivent vivre des deuils, à un possible épuisement physique et psychologique pour eux-mêmes et pour les résidents. Ces manques entraînent ainsi un risque d’épuisement, un risque de burn-out.
14 Les soins palliatifs ont également des spécificités liées à l’institution elle-même. La mort est un événement qui fait partie de la vie de l’institution. Le projet d’accompagnement de fin de vie fait partie de ses missions. Il s’inscrit dans le continuum de l’approche globale et pluridisciplinaire en MAS et en FAM. Le projet d’établissement doit comporter un volet soins palliatifs qui doit aussi se retrouver dans le projet de vie et le projet de soin du résident. La première étape indispensable reste de sensibiliser l’ensemble des personnels (et en particulier la direction des établissements et les équipes de soin) à une démarche palliative structurée inscrite dans un projet d’établissement construit collectivement. La plupart des symptômes peuvent être traités au sein des MAS et des FAM. Dans certains cas (symptômes gênants et rebelles, famille en grande difficulté et/ou en déni total de la situation de la personne…), cet accompagnement peut s’avérer difficile. Il est alors important de se rapprocher des structures de soins palliatifs de proximité, des équipes mobiles de soins palliatifs ou de l’équipe de coordination d’appui d’un réseau de santé.
15 Dans le cadre d’une prise en soins lourde, l’intervention de l’HAD peut être sollicitée.
Un appel aux ressources de soins palliatifs
16 En novembre 2010, l’équipe d’appui à la coordination de notre réseau de santé est interpellée par la directrice d’une maison d’accueil spécialisée. Confrontés à la fin de vie d’une résidente, les professionnels se sentent démunis et sont dans le désarroi le plus total quant à son accompagnement. Soutenus par la direction de l’établissement, ils ont fait le projet de permettre aux résidents de finir leurs jours dans l’institution. Notre équipe effectue alors en concertation avec ces professionnels une évaluation globale de la situation. Un suivi de la résidente et un soutien aux professionnels de l’institution sont proposés. La résidente ne sera pas hospitalisée et décédera dans l’institution accompagnée de ses intervenants habituels.
17 Cette coopération amène la direction à s’interroger sur les besoins de formation aux soins palliatifs des professionnels de son établissement. Notre équipe d’appui est sollicitée pour mettre en place une formation spécifique. Si notre expérience est grande en formation « soins palliatifs », nos compétences sur l’accompagnement des personnes polyhandicapées ou en situations de handicap sévère sont faibles. Par ailleurs, l’outil Mobiqual développé pour la formation s’adresse aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Plusieurs rubriques de ce programme demanderaient à être adaptées. Monsieur Doutreligne, responsable national du programme Mobiqual, m’apprend que les sollicitations sont nombreuses mais qu’à sa connaissance personne ne s’est attaché à développer un outil pour ce type de formation.
18 Dès lors, nous faisons le projet de construire un contenu spécifique sur la base de la mallette existante des outils pédagogiques « soins palliatifs ». Nous mettons en place un groupe de travail réunissant des professionnels du handicap et des professionnels des soins palliatifs venant de la région. Le groupe se réunit de 2011 à 2013 pour un travail d’adaptation et d’écriture.
19 Trois grands chapitres constituent la mallette Mobiqual « soins palliatifs » : les concepts, autour du patient, l’organisation. Sept rubriques vont faire l’objet d’un travail de réécriture : spécificités des soins palliatifs pour les personnes polyhandicapées ou en situations de handicap sévère, fin de vie et processus psychiques, symptômes en fin de vie, prise en charge de la douleur, prise de décision et anticipation, aidants : rôles et enjeux, l’organisation des soins palliatifs dans l’institution.
Formations en institution
20 Dès la fin de 2012, les premières formations expérimentales sont proposées aux établissements de notre zone d’intervention. Chaque demande fait l’objet d’une analyse des besoins des professionnels, de l’existant en matière de permanence et de continuité des soins, de la fréquence des situations de fin de vie, des acquis des professionnels sur le terrain, leur ancienneté, le fonctionnement des équipes de jour et de nuit, les problèmes posés par les résidents et leurs proches, les enjeux éventuels. Cette démarche correspond avant l’heure aux recommandations de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) parues en juin 2013.
21 Les attentes des professionnels sont nombreuses. Elles concernent le refus de soins, la gestion des émotions, le rôle éducatif, l’adaptation du comportement, l’information au résident et aux proches, la gestion de la douleur, l’accompagnement, les ressources en soins palliatifs, l’annonce et l’accompagnement d’un décès, etc.
22 Les formations proposées sont de 35 heures réparties sur cinq jours et comprennent une évaluation des changements de pratiques professionnelles à six mois. Elles s’adressent à 12 personnes au maximum.
23 Aujourd’hui six formations ont été réalisées dans des MAS, FAM et en foyer d’accueil.
24 Les premières évaluations à 6 mois effectuées auprès des équipes formées montrent un changement de représentation et de regard sur ce que sont les soins palliatifs, une réassurance dans le savoir être et le savoir-faire. Pratiquement, une réflexion est née sur l’insertion d’un volet santé dans le projet de vie personnalisé, des réunions de synthèse régulières avec les professionnels de l’institution, les familles, et notre équipe d’appui ont été mises en place pour chaque résident concerné, des ressources externes ont été sollicitées dans certains cas. Une MAS a mis en place un groupe de travail sur la douleur avec notamment une réflexion sur les échelles d’évaluation. Les contenus de formation adaptés aux besoins des professionnels de MAS et de FAM ont fait l’objet d’une validation par le groupe « soins palliatifs » du programme Mobiqual. Ils seront à disposition de chacun sur le site du programme dès début 2015.
Une démarche d’établissement
25 La formation continue permet de développer une culture commune. Chaque maillon de l’établissement est concerné. Les directions, les médecins, les cadres constituent l’équipe qui pourra impulser la démarche-projet « soins palliatifs » dans l’établissement. Il ne suffit donc pas de former les professionnels en proximité avec les résidents mais aussi et surtout la hiérarchie. Car intégrer la démarche palliative dans l’établissement c’est aussi mener une réflexion sur des changements de fonctionnement où les pratiques de concertations font défaut. Si cela n’est pas le cas, le risque est grand de provoquer dans les équipes des frustrations et un désinvestissement faute de se sentir suivies et soutenues. Formation aux soins palliatifs mais aussi soutien des professionnels par les équipes d’appui des réseaux de santé et/ou les équipes mobiles de soins palliatifs sont des garanties d’accès aux soins palliatifs et de qualité d’accompagnement pour les résidents.
Bibliographie
Références
- ANESM, « L’accompagnement à la santé de la personne handicapée », Personnes Handicapées recommandations de bonnes pratiques professionnelles, juin 2013.
- DRESS, « L’accueil des adultes handicapés dans les établissements et services médico-sociaux en 2010 », Études et résultats, N° 833, février 2013.
- Flavie Dufour, « Fin de vie des usagers - Accompagner jusqu’au bout », Direction(s) N° 117, février 2014.
- Groupe de travail Amavi, Soins palliatifs en établissements sociaux et médico-sociaux pour personnes polyhandicapées ou en situations de handicap sévère, octobre 2014.
- Groupe de travail CNEFUS SFAP, Préconisations de bonnes pratiques pour la formation non-universitaire, Version pour les institutions, juin 2013.
- Observatoire national de la fin de vie, « Une fin de vie invisible », rapport d’étude, septembre 2013,
- Observatoire national de la fin de vie, « La fin de vie dans les établissements pour personnes adultes handicapées », Résultats d’une étude nationale, 2013.
- Pascal Jacob, « Un droit citoyen pour la personne handicapée : un parcours de soins et de santé en structure d’accompagnement », Rapport, avril 2013.
Mots-clés éditeurs : fin de vie, formation, handicap, institutions, éthique
Mise en ligne 06/01/2016
https://doi.org/10.3917/jalmalv.120.0063Notes
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Échelles Doloplus®, ECPA® (échelle comportementale douleur personne âgée), Algoplus® et ECS (échelle comportementale simplifiée), échelle San Salvadour, échelle EDAAP (évaluation de l’expression de la douleur chez l’adolescent ou adulte polyhandicapé.