Notes
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[1]
Unité cognitivo-comportementale : petite unité d’hospitalisation de type soins de suite et de réadaptation dont le projet est la prise en charge, pendant quelques semaines, de patients présentant des troubles psychologiques et comportementaux productifs au cours de la maladie d’Alzheimer ou d’affections apparentées.
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[2]
Appauvrissement des relations affectives, fait de devenir un « désert » relationnel.
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[3]
Référence à la « mère suffisamment bonne » de D.W. Winnicott, Le bébé et sa mère, Paris, Payot, 1992.
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[4]
Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
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[5]
Le projet de vie s’inscrit dans un cadre réglementaire : cf. loi n° 2002-2 du 02/01/2002 et recommandations de l’HAS et de l’Anesm.
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[6]
Se dit de moyens de communication qui n’utilisent pas le langage verbal (par exemple : communication par le toucher, le regard, l’émotion…).
« Lorsque l’identité individuelle est attaquée […] il existe une nécessité à trouver une forme d’identité groupale […]. Ce « Nous générationnel » va permettre de recontacter un “Je” grâce aux récits et aux émotions partagés ».
1 La maladie d’Alzheimer est un problème de santé publique. Avec le 3e plan Alzheimer 2008-2012, nous avons vu fleurir tout un panel d’offres de prise en soin de malades et de leurs aidants. Cependant, ce plan ne prévoit aucune mesure spécifique aux dernières années de la vie du malade.
2 Ce constat sous-entend peut-être que la maladie d’Alzheimer contribue à l’élargissement du concept de fin de vie. Cela nous amène à une véritable réflexion sur le concept d’accompagnement et sur le sens de nos actions en tant que psychologues aux différents niveaux de nos interventions dans la trajectoire du malade. Par trajectoire, nous entendons parcours de vie du malade et de son aidant. Ce terme a été utilisé par A. Strauss et ses collaborateurs (1985) pour distinguer le parcours de la maladie. Il a « la vertu de faire référence non seulement au développement physiologique de la maladie de tel patient, mais également à toute l’organisation du travail déployé à suivre ce cours, ainsi qu’au retentissement que ce travail et son organisation ne manquent pas d’avoir sur ceux qui s’y trouvent impliqués ». Le terme de trajectoire peut nous permettre de penser la maladie d’Alzheimer comme un déroulement mais aussi de penser l’organisation d’un travail pluridisciplinaire.
3 Si nous nous plaçons en observateur de ce parcours, nous voyons apparaître des spécificités de cette affection, propres à chaque étape et liées à la dimension psychique et à la dépendance qu’elle entraîne. Chacune des étapes de la maladie renvoie à différentes postures de l’accompagnement et nous aimerions montrer comment chacune de ces postures pourra préserver le sujet malade de la menace identitaire, qui nous paraît être un axe essentiel de notre accompagnement en tant que psychologues.
4 Au début de la maladie, les pertes de mémoire sont légères et le malade reste encore acteur de son parcours de soins, de son organisation de vie avec la maladie et sa prise en charge, interlocuteur des professionnels. Cependant, la question du maintien du sentiment d’identité personnelle va se poser. En effet, avec la maladie, l’identité de la personne va subir des changements, dans l’histoire personnelle, familiale et sociale. Les spécificités de cette première étape sont d’envisager l’impact psychique de l’annonce et d’adapter au mieux la prise en charge.
5 La maladie atteint et altère l’identité du sujet. Avec les défaillances cognitives de plus en plus importantes, les troubles associés du comportement et les troubles moteurs vont faire du malade un être passif. Ils convient en revanche son entourage à s’impliquer de plus en plus dans la gestion des décisions et des réaménagements psychiques que la maladie nécessite. Comment l’individu qui n’est plus en capacité de raconter avec raison et cohérence, de se raconter à travers le fil historique de sa vie et de communiquer son histoire, est-il toujours une personne ?
Processus de perte d’existence de soi et trouble du comportement
6 Le trouble du comportement se définit par une conduite inadaptée compte tenu du contexte dans lequel celle-ci se produit. Le comportement d’un sujet devient alors symptôme lorsqu’il est en rupture avec son comportement antérieur. Mais de quelle antériorité parle-t-on ? Celle du sujet adulte et pleinement conscient de sa réalité et du monde extérieur, ou celle d’états plus archaïques gardés en mémoire mais inconscients ? Quoi qu’il en soit, ce qui est actuellement considéré comme trouble du comportement, nommé troubles psycho-comportementaux, car non cognitifs, c’est l’ensemble des désordres psychiques (hallucination, délire, trouble de l’humeur) et comportementaux (agitation, agressivité, déambulation, apathie, trouble du sommeil, de l’alimentation…). Ces manifestations sont le signe d’un processus de désintégration identitaire déjà avancé.
7 À travers le processus démentiel, l’atteinte de l’identité est précoce et évolue progressivement jusqu’à sa perte. Le début du processus de perte d’identité est souvent marqué par un sentiment de dépersonnalisation où le sujet ressent un changement dans sa manière d’être : « je ne me reconnais plus, je ne suis pas comme avant ». Il s’agit d’expériences sensori-motrices où le sujet perçoit une transformation de soi ou du monde. Ce phénomène s’accomplit habituellement avant que les symptômes cognitifs ne soient marqués et peut s’accompagner d’un état anxieux ou dépressif. Les trous de mémoire représentent des « trous de pensée » (Le Gouès, 1991) qui instaurent progressivement un sentiment d’insécurité interne : le sujet vit la perte de l’objet parallèlement à l’attaque de son sentiment d’unité. Il tente alors d’adopter des stratégies d’adaptation à cette transformation interne en développant certains comportements qui visent à maintenir un contrôle sur ce qui reste d’une représentation de soi déjà étiolée. Ainsi, les discours stéréotypés, certains comportements d’opposition ou de repli visent à éviter (à travers le regard de l’autre) une blessure narcissique trop douloureuse et à maintenir l’illusion d’une identité conservée. Lorsque les troubles cognitifs sont observables, il est courant pour le sujet d’en refuser la réalité. Cette non-reconnaissance des troubles est un phénomène complexe qui combine aspects neuropathologique (l’anosognosie) et psychologique (le déni). Ces deux formes n’ont pas la même lecture clinique : l’anosognosie représente une méconnaissance du déficit, le sujet n’ignore pas l’existence du trouble mais la néglige. Le déni, quant à lui, est un phénomène psychique qui se définit comme le refus de la réalité (Freud). Ce mécanisme de défense instaure un clivage entre une partie du moi qui perçoit la réalité et s’y adapte, et une autre qui la refuse. Il s’agit pour le moi de se protéger de l’angoisse et donc pour le sujet de survivre au traumatisme : « Je voudrais mourir vivant ».
8 Au fil de l’évolution de la maladie, les manifestations comportementales sont constantes, diverses et sont liées à la personnalité antérieure et à l’attitude de l’environnement. La perte d’identité progresse et peut être illustrée par la non-reconnaissance de soi dans le miroir, par exemple, ou l’incapacité à donner son prénom. La dépendance à l’autre se fait petit à petit, ce qui amène la personne à avoir conscience d’être malade sans toutefois pouvoir identifier sa maladie. L’incapacité à faire la différence entre le moi et le non-moi s’amorce. C’est la période la plus difficile pour l’entourage car la maladie est pleinement installée et pèse au quotidien. Les troubles du comportement épuisent et amènent souvent la famille à être en crise. Avec la dépendance, le risque pour le sujet réside dans le fait qu’il perde sa subjectivité face à autrui.
Un homme sociable devenu mutique
9 M. A., 68 ans, est hospitalisé suite à l’épuisement de sa conjointe face à ses troubles cognitifs (désorientation temporo-spatiale, troubles mnésiques, mutisme) et comportementaux (trouble de l’alimentation, du sommeil et déambulation). M. A. est alors pris en charge au sein de l’UCC [1], une vingtaine de jours fin mai 2013 puis dix jours en juillet 2013. À son arrivée, il est mutique et ce qui frappe à son contact, mis à part son âge peu avancé, c’est son regard sidéré. Il est grand, mince, ses cheveux sont bruns et son visage ne porte pas les signes d’une vieillesse bien installée. Lorsque nous rencontrons sa famille, nous découvrons qu’il est père de trois jeunes enfants (deux adolescentes et un garçon de 9 ans). Grand marcheur, il est décrit comme un homme très sociable, aimant être à l’extérieur et dont le loisir principal était de discuter, attablé aux terrasses des cafés. Sa compagne, qui paraît débordée, a une vingtaine d’années de moins que lui, et sa vie est partagée entre son commerce (elle tient un café-restaurant) et l’éducation de leurs enfants. Nous observons d’emblée la difficulté pour les membres de cette famille à être en lien avec leur parent malade. Ce qui va être remarqué avant tout, est la manière dont M. A. est chosifié : son épouse ainsi que ses filles ne s’adressent pas à lui directement mais utilise le « il » et non plus le « tu » alors qu’il se trouve à côté d’elles. La maladie a fait rupture dans le mode de communication de la famille.
10 Dès son entrée, il se met à déambuler dans les couloirs du service ; il s’agit sans doute pour lui de s’approprier les lieux, s’y adapter en explorant les moindres coins et recoins. Puis, son rythme de marche se transforme et il donne l’impression de simplement se promener, prenant le large dans les avenues de l’unité pour y rencontrer d’autres personnes. Au fil du séjour, sa « prise en soin » et « sa prise en compte » à travers le nursing, les activités thérapeutiques groupales et individuelles quotidiennes lui permettent de sortir de la torpeur dans laquelle il semblait se trouver. Son mutisme laisse place à « ses maux » en mots et nous découvrons alors un homme affectueux, sensible et « re-co-nnaissant » : d’une part M. A. est reconnaissant – donc l’autre existe pour lui – d’autre part c’est en vivant à l’intérieur du thérapeute qui le reconnaît comme sujet, qu’il renaît à sa vie – il s’agit d’une « re-co-naissance », c’est-à-dire une renaissance à deux. Malgré les limites quant aux échanges conversationnels, il parvient à « se raconter », partageant ainsi avec les soignants son intime et son histoire.
11 À partir de cette vignette clinique, nous pouvons aborder la question de l’impact de la maladie sur l’ensemble de la structure familiale. Dans cet exemple, l’hypothèse émise est que la pauvreté relationnelle (désertisation [2] pour M. A. de ses relations intra et extra-familiales) et le renoncement ou le désinvestissement narcissique (celui de ses proches mais aussi celui de M. A.) a précipité la gravité symptomatique. La maladie a pour conséquence un traumatisme familial : la réponse à celui-ci est la sidération puis la défense maniaque du côté de son épouse (il s’agit d’une défense visant à lutter contre les angoisses de mort qui la débordent). M. A., par son mutisme, reflète avec son corps ce qui se passe pour lui à l’intérieur mais également ce qui paralyse la famille en miroir. La désintégration de sa subjectivité interne est comme projetée sur l’ensemble de la famille qui vit alors la même chose. La perte de son identité est mise en scène au sein du groupe : M. A. vit ainsi la perte du sentiment d’existence (désubjectivation) de l’intérieur mais également de l’extérieur, il ne lui reste qu’à être médusé par la terreur qui lui est renvoyée.
Un dispositif de soin spécifique
12 L’objectif principal des unités cognitivo-comportementales est de prendre en charge le sujet en crise, celle-ci pouvant se définir par l’apparition ou l’aggravation de certains troubles du comportement. Par ailleurs, l’UCC peut également faire office d’espace de transit, de lieu de transformation, de répit souvent, de soins parfois mais également de fin de vie…
13 La personne qui y est accueillie est avant tout une personne avant d’être un malade. Prendre soin, c’est accorder à l’autre d’exister, c’est être en relation, là où la maladie crée a contrario de la déliaison (c’est-à-dire une perte de lien avec le monde). Nous avons pu aborder, à travers la vignette clinique ci-dessus, l’importance, pour le sujet atteint de maladie d’Alzheimer, d’accéder à un espace de soins prenant en compte sa temporalité, là où le soignant « suffisamment bon » [3] s’adapte au rythme du patient afin de lui procurer un environnement sécurisant.
14 En outre, les troubles psycho-comportementaux sont considérés comme la manifestation d’une détresse, le seul moyen d’expression que le sujet, pris dans la nébuleuse de ses pertes, puisse utiliser afin de rester en lien. Cette détresse-là n’a pas forcément de sens ou de nom pour les soignants. L’expérience de la vie laisse des traces mnésiques (mémoire des événements) ou affectives (mémoire des émotions). Or, la souffrance la plus désorganisatrice est celle de l’infantile, celle de l’enfant en soi. En effet, la dépendance liée à la maladie va faire écho, d’une certaine manière, avec la dépendance inaugurale du sujet, celle de ses premières années de vie. Le soin consiste dès lors à chercher un contact avec cet enfant en détresse qui a grandi et qui est devenu vieux. Le prendre soin devient de ce fait un acte de consolation. Consoler, c’est réparer le chaos qui assaille l’autre, c’est l’envelopper de ses bras, l’aider à inscrire l’insupportable dans son histoire. Pour la personne malade, le soignant représente un agent maternant, c’est-à-dire quelque chose de vague qui est capable de la secourir quand elle est en état de détresse. Ainsi, une certaine sécurité peut se rétablir par la présence de l’objet (le soignant) et de ses soins.
Le projet de vie individualisé comme tentative de réintroduction d’une subjectivité
15 Cet acte de prendre soin sollicitant sans cesse les ressources attentionnelles ainsi que l’énergie physique et psychique des soignants prend une tout autre dimension quand l’hospitalisation du sujet devient permanente. En effet, l’évolution de la maladie entraîne le sujet et ses proches dans un parcours médical et institutionnel aboutissant généralement au placement du sujet au sein d’un EHPAD [4]. Il s’agit de l’ultime étape d’un parcours de soins, d’un processus démentiel et d’un cheminement personnel. Pour les professionnels, cette institutionnalisation peut être synonyme d’aboutissement : une solution pour un maintien à domicile devenu impossible, comme solution pour les aidants épuisés, l’opportunité d’obtenir une place en EHPAD. Ce type de représentation amène à ignorer l’impact réel de l’entrée en EHPAD sur le sujet et sa famille, à savoir nouvelle crise, nouveaux deuils, nouvelles nécessités de réaménagements psychiques, nombreux et complexes pour des psychés déstructurées par la démence, qui convoquent alors des défenses de plus en plus archaïques. Il en est de même du sujet malade et de sa famille pour qui la présentation de l’EHPAD comme lieu de vie peut renforcer le déni (« Ce lieu va me protéger de la mort ») ou à l’inverse provoquer la chute d’une illusion (« Je ne peux pas échapper au vieillissement, à la mort, je ne mourrai pas chez moi »).
16 Dans cet inéluctable processus démentiel, les équipes pluridisciplinaires d’EHPAD peuvent proposer au patient, devenu résident, et à ses proches une prise en charge qui tend :
- à (re)donner du sens aux derniers mois écoulés afin de tenter de restaurer un sentiment de continuité dans le parcours de soins,
- à respecter les droits et la dignité du sujet malgré la dépendance,
- à être individualisée tout en proposant des objectifs de prise en charge réalistes,
- à identifier leurs besoins et leurs capacités résiduelles,
- à les soutenir dans l’expression de leurs souhaits.
18 Le résident est ainsi invité à participer à l’élaboration de son projet de vie individualisé (PVI [5]) de manière à percevoir l’intérêt porté à son égard par les professionnels : « Nous souhaitons faire votre connaissance ». La rencontre ainsi présentée laisse également entendre qu’elle sera l’occasion, pour le résident dont l’identité est troublée, de refaire connaissance avec lui-même au travers des récits de son histoire personnelle (sa propre mise en mots ou celle de ses proches) jalonnée de repères temporels.
19 La mise en œuvre du PVI apparaît donc comme une tentative de réintroduction d’une subjectivité dans le processus institutionnel et démentiel, tentant de parer aux mouvements de destruction générés par la démence et de consolider les dernières assises identitaires et narcissiques. À l’image des pulsions de vie et de mort en lutte permanente chez le sujet dément, le PVI revêt à la fois l’apparence d’un solide outil de co-construction et d’un rempart bien fragile face à ce que Marion Péruchon (2009) qualifie de déstructuration catastrophique de la psyché. Cependant, il incarne une tentative, même temporaire, de contenir la déconstruction identitaire et de soutenir un réinvestissement libidinal. A minima, il s’agit de redonner toute sa place au sujet en tant qu’acteur de ce projet et non comme seul objet de soins.
20 Pour les professionnels, cela induit donc une remise en question de leurs pratiques habituelles puisqu’il s’agit de se confronter à la réalité (parfois violente) du résident et de se recentrer autour de lui. Introduire de la subjectivité, c’est pouvoir considérer le résident en tant que personne intimement liée à son passé, parfois loin de l’image du malade qu’il renvoie aujourd’hui. Les soignants, pour se défendre de l’inconcevabilité d’un tel changement de personnalité, peuvent interpréter les symptômes actuels comme traits de personnalité antérieurs. Prendre le risque de concevoir l’autre comme un être à part entière et ne plus être seulement dans l’agir du soin donne du sens à un travail quotidien qui tend à se ritualiser, voire à se chroniciser, en miroir de la pathologie des sujets accueillis. Face à ces fonctionnements institutionnels inconscients, l’intérêt du travail pluridisciplinaire est indubitable : chacun des corps de métiers est réciproquement indispensable pour porter et enrichir ces tentatives de mise en pensée. Pour les groupes de professionnels, l’outil PVI pourrait donc incarner une fonction liante (de symbolisation) : là où le pré-conscient du sujet dément fait défaut, les professionnels reçoivent alors les contenus psychiques bruts (inconscients), soutiennent leur transformation avant de tenter de les lui restituer de manière plus acceptable.
21 Dans ce contexte, le résident participe à l’élaboration de son projet dans la mesure de ses capacités résiduelles, de son désir exprimé ou perçu par l’autre, de ses résistances personnelles mais aussi des conflits intra-familiaux anciens, réactualisés ou émergents. Ces rencontres convient par ailleurs les proches à être, eux aussi, acteurs de la prise en charge tout en leur laissant l’opportunité d’investir ce temps comme un lieu d’écoute, d’expression et de dépôt de leurs souffrances (colère, culpabilité, etc.). C’est également un moment où ils peuvent renvoyer aux professionnels toute l’ambiguïté et le paradoxe de ce projet de vie proposé dans ce qu’ils qualifient de lieu de mort, alors qu’il n’est question pour eux que de l’impossibilité de se projeter dans un avenir même proche et que la temporalité ne fait plus sens pour leur parent.
La présence même de M. A. était déniée, effacée
22 Le travail amorcé à l’UCC courant septembre 2013 avec M. A., arrivé à l’EHPAD à la mi-décembre 2013, s’est poursuivi par une rencontre proposée par la cadre de santé et la psychologue, qui a permis de rassembler autour de lui sa compagne et sa fille aînée. Durant cet entretien, M. A. est apparu peu existant face à la présentation maniaque de sa compagne, alors envahie par les émotions et un fort sentiment de résignation. Il était à ce moment-là plutôt question des difficultés actuelles de la famille découlant de la maladie et de la dépendance de monsieur, auquel ce dernier n’était plus en capacité de s’identifier. Les membres de la famille, au travers de leur attitude, apparaissaient en totale perte de lien : la présence même de M. A. était déniée, effacée, ne laissant plus aucune place à son identité d’homme, de père, d’époux. La difficulté pour les professionnels présents a été d’être à l’écoute de la souffrance de chacun tout en tentant de recentrer à maintes reprises l’échange autour de l’intéressé. Les solides défenses psychiques de l’épouse, signes de sa non-acceptation, nous amenaient malgré nous au déni de l’existence de M. A. Le processus de déliaison et de désubjectivation à l’œuvre happe aussi les professionnels, qui doivent en prendre conscience, afin de parvenir à réinscrire le sujet dans sa famille et plus largement le traumatisme dans l’histoire familiale. Nos tentatives et nos propositions pour être en lien ont semblé trouver peu d’écho pour M. A. et ses proches lors de la rencontre. Pourtant quelques semaines plus tard, après l’élaboration du projet de vie individualisé en équipe et quelques échanges avec la famille, M. A. a pu profiter d’un samedi ensoleillé avec ses proches, à l’extérieur du service, au cours duquel il a pu être en interaction avec son fils lors d’un jeu de ballon. Au moment de rentrer, alors que le garçon refusait d’obéir à sa mère, M. A. s’est positionné en tant que figure paternelle autoritaire en soutien de sa compagne.
23 Au travers de cette situation clinique, on observe comment M. A. et ses proches ont pu, dans les suites du PVI, dépasser le moment de crise que constitue l’entrée en EHPAD puis se réinscrire chacun dans leur rôle et identité propre.
24 Quoi qu’il advienne du PVI, la rencontre initiale est une étape cruciale dans l’instauration d’un lien de confiance avec le résident et ses proches (amorce d’un dialogue, d’un lien de confiance pouvant perdurer, perception par la famille de l’intérêt porté à eux et leur parent), jusqu’à l’accompagnement en fin de vie puis la mort. Au stade terminal de la maladie, la désintégration de l’identité est quasi totale à l’instar du soma (le corps) qui s’écroule : le sujet entre alors en fin de vie. Le lien avec autrui n’est plus verbal mais nécessite des modes de communication plus archaïques, tels que le toucher ou ce qui relève de l’infra-verbal [6]. Cependant, malgré la dégradation de l’état général du sujet, la vie psychique ne s’éteint pas avec la perte de l’identité.
Bibliographie
Références
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- Péruchon M., La Maladie d’Alzheimer. Entre psychosomatique et neuropsychanalyse. Nouvelles perspectives, Paris, Hermann, 2011.
- Pitaud P., Exclusion, Maladie d’Alzheimer et troubles apparentés : le vécu des aidants, Ramonville Saint Agne, Érès, 2006.
- Ploton L., Ce que nous enseignent les malades d’Alzheimer, Chroniques Sociales, 2009.
- Strauss A., Maladie et trajectoire, la trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 143-144. [publication originale : Strauss A. (dir.), Social organization of medical work, Chicago, University of Chicago Press, 1985].
- Ribes G. et al., « Mémoire générationnelle et identité », in Mémoires, Gérontologie et Société n° 130, FNG, 2009.
- Vercauteren R. (dir.), Le projet de vie personnalisé des personnes âgées, enjeux et méthodes, Pratiques gérontologiques, Toulouse, Érès, 2012.
Notes
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[1]
Unité cognitivo-comportementale : petite unité d’hospitalisation de type soins de suite et de réadaptation dont le projet est la prise en charge, pendant quelques semaines, de patients présentant des troubles psychologiques et comportementaux productifs au cours de la maladie d’Alzheimer ou d’affections apparentées.
-
[2]
Appauvrissement des relations affectives, fait de devenir un « désert » relationnel.
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[3]
Référence à la « mère suffisamment bonne » de D.W. Winnicott, Le bébé et sa mère, Paris, Payot, 1992.
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[4]
Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
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[5]
Le projet de vie s’inscrit dans un cadre réglementaire : cf. loi n° 2002-2 du 02/01/2002 et recommandations de l’HAS et de l’Anesm.
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[6]
Se dit de moyens de communication qui n’utilisent pas le langage verbal (par exemple : communication par le toucher, le regard, l’émotion…).