Couverture de JALMALV_114

Article de revue

De la révolte mais aussi de la tendresse

Pages 75 à 78

1 Revue Jalmalv, Marie-Thérèse Bitsch : Vous me recevez dans une grande pièce très lumineuse et très gaie. Il y a des poufs de toutes les couleurs, des tables basses, des tableaux aux murs, des jouets et des jeux plus ou moins insolites. C’est ici que vous accueillez les enfants en deuil ?

2 Richard Rauscher : Oui, c’est une pièce spécialement aménagée pour les réunions des groupes d’enfants en deuil. Nous avons voulu créer un cadre très vivant. C’est là aussi que se passent les entretiens individuels avec les enfants que j’accompagne avant et après la mort d’un parent, en attendant qu’ils puissent rejoindre un groupe d’entraide.

3 J : Est-ce que cet accompagnement des enfants en deuil constitue une activité importante pour votre association ?

4 RR : En effet, elle s’est beaucoup développée depuis quelques années. Nous avions déjà une expérience de l’accompagnement des adultes en deuil, que j’ai initié en 2001. C’est en 2010 que j’ai mis en place le premier groupe d’entraide pour enfants en deuil, après une phase préparatoire de plus d’un an. Nous avons constitué un groupe de bénévoles, spécifiquement formés à l’accompagnement des enfants, dont deux – une collègue et moi-même – animent les groupes, tandis que deux autres accueillent les adultes qui viennent avec les enfants et attendent dans une pièce voisine que la réunion soit terminée. Pendant cette phase préparatoire nous avons beaucoup réfléchi au déroulement des rencontres et préparé des outils adaptés aux enfants. Nous nous sommes fait aider par une pédopsychologue et une éducatrice spécialisée, et même par un graphiste qui a notamment réalisé pour nous le panneau avec le « train de la vie ».

5 J : Il y a donc un gros investissement d’énergie dans ce projet. Pourquoi ces groupes d’entraide pour enfants en deuil vous semblent-ils si importants ?

6 RR : À l’âge de dix ans, j’ai moi-même perdu mes deux parents en l’espace de trois jours, l’un par maladie, l’autre à la suite d’un suicide. Pour le petit garçon que j’étais, ce malheur était inacceptable. Je me suis senti complètement abandonné. J’ai pu faire un travail de deuil seulement près de quarante ans plus tard. Je souhaite éviter à d’autres enfants de traverser une telle souffrance en étant seuls et sans soutien extérieur.

7 J : Concrètement, qu’est-ce qui peut les aider à aller mieux après la perte d’un proche, parent ou grand-parent, frère ou sœur ?

8 RR : Notre fil conducteur pour travailler avec les enfants est ce « train de la vie » en dix étapes, correspondant chacune à un thème que nous développons avec eux. À la première station, « nous embarquons pour le voyage ». Il s’agit de faire connaissance, d’instaurer la confiance et d’expliquer le fonctionnement du groupe avec ses règles à respecter. Dix séances plus tard, « notre train arrive à destination ». Mais les enfants ont compris que leur cheminement à travers le deuil n’est pas terminé, qu’ils ne vont pas oublier la personne qu’ils ont aimée, qu’ils vont souvent penser à elle avec une certaine tristesse qui cependant ne les empêche ni de vivre, ni de jouer, ni même d’être joyeux.

9 J : Je vois qu’à la quatrième étape les enfants sont invités à « raconter l’histoire du décès »…

10 RR : Oui. À la séance qui précède, ils ont déjà pu évoquer la personne qui est morte. Et maintenant, ils parlent du décès : comment c’est arrivé, comment ils l’ont appris et comment ils se sont sentis à ce moment-là. À la séance suivante, ils vont pouvoir parler des funérailles. Nous avons installé dans la pièce cet hôpital Playmobil assez réaliste, avec les malades dans leurs lits, les soignants qui s’affairent, l’ambulance qui arrive. Il ne manquait presque rien, sauf, comme l’a fait remarquer un jour un enfant, le cercueil que nous avons du coup fait fabriquer.

11 J : Comment les enfants vivent-ils tous ces souvenirs ?

12 RR : Souvent avec des larmes, de la tristesse, de la révolte, mais aussi de la tendresse ou de la fierté. À la troisième rencontre, chacun vient avec un ou plusieurs objets, qui ont appartenu à la personne décédée, pour les présenter au groupe. À une autre séance, nous organisons un rituel, particulièrement important pour les enfants qui n’ont pas assisté aux funérailles, le plus souvent parce que l’entourage les en a empêchés. Il est en effet essentiel pour les enfants de comprendre que la séparation est définitive, que la personne morte ne reviendra pas. Tout au long de ce parcours, ils prennent conscience aussi de leurs ressources intérieures et ils identifient les personnes de leur entourage qu’ils peuvent solliciter pour avoir du soutien quand ils en ont besoin.

13 J : Je suis curieuse de savoir quelle est la fonction des sept poupées russes posées sur le tapis.

14 RR : Au début de chaque séance, les enfants peuvent choisir des poupées plus ou moins grandes pour symboliser l’intensité des sentiments qui les habitent : peur, colère, manque, tristesse ou joie… À la fin de la séance, ils placent l’image d’un visage calme, renfrogné ou souriant sur un pantin, pour dire comment ils se sentent. Après la rencontre, ils ont besoin d’un moment de décompression dans la pièce voisine où ils trouvent des jeux de société, un baby-foot, un grand tableau mural et de quoi dessiner. Pour clore la réunion, nous organisons un goûter qui rassemble les animateurs, les enfants et les adultes qui les accompagnent.

15 J : Et que font ces accompagnateurs pendant la séance de travail des enfants ?

16 RR : Ils pourraient partir et revenir à l’heure prévue. Mais en général, ils préfèrent rester sur place et ils sont accueillis dans une autre pièce par deux animateurs bénévoles. Ils ont ainsi l’occasion d’échanger leurs impressions sur le vécu de leurs enfants, de faire part de leurs préoccupations et parfois de leur étonnement face à leur évolution.

17 J : Finalement, quel bilan faites-vous après ce long parcours avec les enfants ?

18 RR : Deux mois après la dixième séance, nous organisons une sortie-bilan de deux jours avec les enfants, sans les parents. La vie en commun pendant 36 heures, dans un cadre différent, fait émerger encore d’autres questions liées au deuil que les enfants abordent avec simplicité et naturel. Elle nous permet aussi de mesurer le chemin qu’ils ont parcouru vers plus de légèreté et de joie de vivre, plus de confiance dans les autres, en eux-mêmes et en l’avenir.


Date de mise en ligne : 06/11/2015

https://doi.org/10.3917/jalmalv.114.0075

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