1 Du plus loin de notre enfance, chacun se souvient de cette voix qui nous a appris à fermer nos yeux, qui nous a murmuré les mots d’une berceuse, celle en qui nous avions confiance et qui, comme un doudou sonore, nous protégeait.
2 La chanteuse Barbara disait « la voix est la musique de l’âme », un souffle, l’expression personnelle de notre intime mais également le lien premier que l’autre perçoit quand nous rentrons en communication avec lui. C’est ainsi que, dans la relation entre le patient et le soignant, la voix devient le premier moyen pour rentrer en contact et un élément fondateur de la relation de confiance bien avant les paroles.
3 C’est au cours de mon expérience professionnelle comme infirmière, en service de réanimation que j’ai pu comprendre la puissance rassérénante de la voix auprès des patients en phase de réveil de coma. Le ton, le débit, l’utilisation d’une voix délicate et calme créaient un climat de soin propice au soutien du patient dans ces instants d’inconnu, vecteurs d’angoisse.
4 Je me rappelle un patient hospitalisé dans ce service suite à une intervention chirurgicale, pour une surveillance accrue de sa fonction respiratoire. En effet, ce monsieur, âgé de plus de 70 ans, avait eu dans sa jeunesse une tuberculose mal soignée et depuis souffrait d’une insuffisance respiratoire qui avait nécessité le maintien de la ventilation mécanique en postopératoire durant plus de trois jours. Afin d’optimiser l’efficacité de la suppléance respiratoire, il était administré une sédation au patient de manière continue. Lors de la décision médicale de sevrage de la ventilation mécanique, la sédation était interrompue. Dans la phase de réveil, le patient s’est mis à lutter contre le respirateur, faisant régulièrement déclencher les alarmes de surveillance. Le bruit strident de ces alarmes augmentait l’angoisse du patient qui s’agitait d’autant plus. À ce moment-là, j’ai baissé le volume des alarmes, je me suis approché de l’oreille du patient et j’ai commencé à parler avec douceur, en articulant lentement chacun des mots que je prononçais. Les mots que je murmurais étaient souvent les mêmes, revenant comme un leitmotiv, une musique apaisante. Au bout de quelques minutes, le patient est devenu plus serein, il s’est adapté au cycle respiratoire du respirateur, et dès lors, je n’ai plus répété que deux mots : inspirez, expirez suivant la fréquence respiratoire du respirateur. Le lendemain, lorsque je suis revenue sur le poste du matin, j’ai trouvé ce patient extubé, respirant sans suppléance mécanique et capable de communiquer avec moi. Je l’ai alors salué et je me suis présentée et avant que je termine, il m’a pris la main et m’a dit : « Je reconnais votre voix, je ne comprenais pas toujours ce que vous me disiez, mais votre voix m’a calmé et après j’ai calé ma respiration sur votre voix. Merci, car j’ai eu très peur ». Cette expérience m’a énormément émue.
5 Pour que les mots conservent tout le sens qu'on veut y mettre, il faut qu'ils soient émis avec la voix juste et authentique.
6 Plus tard, lors de l’accompagnement de patients qui avaient appris un diagnostic grave, j’ai pu constater que ce n’étaient pas toujours la puissance de mots pertinents qui permettaient à ces patients de se confier, de partager, mais plutôt la manière de les exprimer. « Les voix ont un pouvoir étrange sur les mots. Une seule intonation sur une syllabe et tout change » disait Claire France dans son livre Autour de toi Tristan. L’intonation générale d’une phrase entraîne la compréhension bien avant le sens des mots. Elle marque également l’implication du locuteur dans son discours.
7 La musique de la voix devient alors la partition qui soutenait les mots et qui libère la parole.
8 Forte de ce constat, j’ai décidé de mieux comprendre les mécanismes de la voix et c’est à travers des cours de chant que j’ai découvert comment je pouvais mettre ma voix au service d’échanges si précieux avec des patients en fin de vie ou avec des familles bouleversées. Pour que les mots conservent tout le sens que les soignants veulent y mettre, faut-il encore qu’ils soient émis avec la voix juste et authentique. Et c’est dans ces instants d’intense émotion que notre voix peut nous faire défaut.
9 Cette expérience, je devais la partager, au sein d’ateliers de développement de soi, avec les étudiants en soins infirmiers auprès de qui je travaillais dorénavant. J’ai animé pendant cinq ans un atelier chant où les étudiants ont progressivement découvert que pour chanter, il faut savoir respirer, soutenir le souffle pour soutenir les mots, ce qui nécessite la volonté de s’engager dans une dynamique et non pas une tension statique de tout le corps. En effet 300 muscles interviennent dans l’émission des sons depuis le périnée jusqu’en haut du crâne. Grâce à cette belle mécanique, chacun d’entre nous peut mieux contrôler le rythme de ses mots. Lorsque la respiration est en place, il faut reconnaître les différentes voix : de poitrine (voix qui apaise, voix intime), de tête (voix plus aiguë), mixte (entre voix de poitrine et voix de tête). Visiter ces différents registres permet de moduler le contenu de son discours, facilitant ainsi la compréhension du receveur de notre message.
10 Cette première étape est une lente rencontre du chemin intérieur de sa voix. Ensuite, il s’agit d’apprendre à émettre sa voix de façon à être clairement entendu. Les guides de la voix (la langue, les lèvres, les muscles du visage) concourent à une émission claire et distincte. Quand ceci est intégré et expérimenté plusieurs fois, il s’agit d’apprendre à chanter avec les autres soit en duo, soit en groupe. En effet, chanter harmonieusement avec une autre personne présuppose d’abord qu’on écoute sa propre voix et comment elle se transforme au contact de la voix de l’autre. Le duo ne fonctionnera que si les deux voix se mélangent et se soutiennent. Il ne doit pas y avoir de prédominance d’une voix sur l’autre, mais une confiance mutuelle doit s’instaurer. L’écoute devient là essentielle pour que les notes sonnent à l’unisson.
11 Le bilan de ces ateliers a fait ressortir à chaque fois que les étudiants avaient progressé dans la connaissance de leurs ressentis. Ils se sentaient également plus armés pour rentrer en relation avec les patients, les familles, dans des situations où des émotions intenses étaient vécues.
12 Voilà en toute simplicité, le témoignage du chemin qui m’a permis parfois d’être plus présente à l’autre dans sa souffrance, de savoir aussi exprimer mes propres peines et de transmettre avec conviction que la voix est un merveilleux outil de communication.
Bibliographie
Référence
- France Claire, Autour de toi Tristan, Flammarion, 1993.