Couverture de JALMALV_110

Article de revue

Café-deuil : un lieu pour restaurer l’intégrité de la personne

Pages 69 à 72

Notes

  • [1]
    Communication au congrès Jalmalv 2012.

1 Sur les bords du Léman, depuis mars 2011, nous invitons les Chablaisiens à un Café-deuil itinérant…

2 Les groupes d’endeuillés n’ont parfois pas su compenser la disparition des rites visant à prendre en charge et à accompagner la personne endeuillée. Celle-ci ne dispose plus de lieux d’expression ni de repères pour baliser son cheminement de deuil.

3 Nous nous sommes inspirées du « café mortel » du sociologue et thanatologue suisse Bernard Crettaz pour créer le café-deuil du Chablais. Dans un cadre rassurant et bienveillant, il devient possible d’oser rechercher en soi cette part souffrante de nous que nous avons enfouie, de la nommer et de la reconnaître. Nous avons fait le pari que chacun, avec son expérience de vie, pouvait être un soutien pour autrui.

Pourquoi pas dans un bistrot ?

4 L’essentiel est de trouver un lieu ouvert, convivial, où chacun peut boire, grignoter, aller et venir… L’endeuillé peut choisir d’y venir seul, ou accompagné, d’un parent, ami, ou collègue qui aident à franchir la porte du café. Une fois installé, il peut

5 juste « tendre une oreille », participer activement ou non, ou s’éclipser… Même si personne ne l’a encore fait !

6 Nous sommes deux animatrices qui veillons à la qualité de l’accueil, à instaurer un cadre sécurisant, à faciliter et soutenir l’expression de chacun, de sorte que l’être fragile et souffrant qui ose enfin se révéler soit respecté et reconnu. Chaque participant devient, tour à tour, la victime, le témoin ou le soutien, recréant ainsi un espace social et du lien autour de l’endeuillé et de la mort. Il n’y a pas de thématique prédéfinie à chaque café-deuil. Cependant, nous choisissons une amorce différente, issue de nos expériences personnelles. Choisie en fonction de l’intensité des émotions qu’elle peut susciter, c’est elle qui, la première, va toucher la part blessée de la personne, provoquer une émotion et faire émerger une parole.

7 Le temps d’échange régulé dure environ une heure et demie. Nous le clôturons et proposons de poursuivre dans un temps encore plus convivial en prenant un autre verre, en grignotant un encas ou en partageant un repas. Des rapprochements se font, de nouveaux liens se tissent, une très belle fraternité se noue autour de l’expérience commune. L’avantage de cette formule ? Il s’agit d’une rencontre ponctuelle, renouvelable mais sans engagement. Si la personne ne parvient pas à s’exprimer devant le groupe dans la première partie, elle pourra toujours le faire pendant le repas avec la personne de son choix sur un mode plus confidentiel.

Tisser un lien invisible entre les participants

8 Vous pouvez imaginer l’état des personnes arrivant pour le café-deuil, leurs hésitations, leurs questions, l’espoir qu’elles portent. Souvent déchirées ou coupées de leur partie blessée, elles sont dans une très grande tension intérieure. Notre premier rôle est de soigner l’accueil et de tisser un lien invisible entre les participants de sorte que tous puissent se sentir acteur du moment présent, de créer l’espace suffisamment rassurant pour qu’ils s’apaisent. Ils peuvent dès lors, oser aller au contact de cette part blessée de leur être et la laisser s’exprimer, par des mots ou en silence, juste par résonance avec les mots des autres. Chacun d’eux doit pouvoir se sentir encouragé, écouté, respecté et soutenu quel que soit son niveau d’implication dans les échanges. Nous sommes là pour relancer l’échange, refléter une émotion ou un aspect important du deuil, recadrer voire refréner des donneurs de leçons ! Nous veillons à l’expression d’expériences vécues personnellement, à la régulation émotionnelle du groupe, à intégrer les plus silencieux par la communication non verbale. Si les langues se délient, c’est que cela répond au besoin des personnes. Cela tient aussi à la qualité de la coanimation, des compétences d’écoute et d’accompagnements de deuils. La qualité du lien noué invite l’endeuillé à se mettre à l’écoute de lui-même et à appréhender la réalité de sa blessure. C’est ainsi qu’il pourra prendre soin de lui en satisfaisant son besoin dans l’instant, au-delà de la crainte. Comme nous sommes au contact de l’être en face de nous, celui-ci se révèle, s’exprime dans son intégrité et son humanité. Cela se perçoit dans l’atmosphère ambiante : une densité, une profondeur s’installe, indépendamment des émotions manifestées. Le groupe fait « corps » et en même temps, l’individualité est respectée. L’authenticité, la confiance, la solidarité et la souplesse dont nous témoignons sont implicitement transmises chez les participants, comme une onde qui se propage, un bain dans lequel chacun s’immerge.

9 En ce qui concerne notre organisation, le café ou le restaurant doit réunir les critères souhaités : une atmosphère chaleureuse, un espace suffisant pour vingt personnes, la coopération du propriétaire sur la forme de l’accueil et un menu abordable ; la communication repose sur les ressources de l’association pour le bouche-à-oreille, la diffusion des affiches réalisées, le contact avec les journalistes.

L’alchimie au cœur de l’être… Pour une communauté de destins

10 De l’expérience des six cafés-deuil, ont été tirés de nombreux bénéfices. Les participants découvrent la possibilité de se reconnaître dans l’expérience d’autrui, de se situer sur un même chemin, d’atténuer leur sentiment de solitude dans la souffrance, et de se laisser porter par le groupe. Ils retardent sans fin leur départ pour profiter jusqu’au bout de ce temps qui leur fait du bien, les allège, leur ouvre de nouveaux liens, de nouvelles perspectives. Notre association est rendue plus visible ainsi que ses autres domaines d’activités. Les participants satisfaits la découvrent reviennent, et certains même suivent nos formations. L’évolution est flagrante entre la gêne, la retenue à l’arrivée et la chaleur des échanges directs, les embrassades avant de se quitter ! L’atmosphère a perdu toute sa tension et a gagné en fraternité. Le deuil a repris sa place au cœur de nos vies, insufflant à la vie le sens pour la rendre plus précieuse et plus savoureuse !


Date de mise en ligne : 06/11/2015

https://doi.org/10.3917/jalmalv.110.0069

Notes

  • [1]
    Communication au congrès Jalmalv 2012.

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