Dans ce que l’on a appelé, au vingtième siècle, les philosophies de l’existence, une distinction problématique et retravaillée aujourd’hui a vu le jour : l’existence se distinguerait de la vie par son questionnement propre à chacun(e) sur le sens qu’il y a pour moi d’être ici, de savoir pourquoi j’y suis, sans pour autant dissiper le pressentiment que je pourrais en être chassé. Ce sentiment est particulièrement vif pour les personnes dont la famille a été exilée et persécutée jusqu’à l’extermination. Ceux qui ont survécu aux camps de la mort ont nourri une question formulée par Jean Améry, revenu d’Auschwitz à Anvers : « Dans quelle mesure a-t-on besoin de sa terre natale ? ». Le sentiment d’exil peut, à travers de telles épreuves, devenir un arrachement au sol natal, à l’enracinement qui m’y rive. Ainsi se pose la question du « Là ». L’exil a, depuis longtemps, cessé d’être une question de coordonnées spatiales ou d’attachement à un lieu : en hébreu le terme « galuth » désigne une condition universelle d’exilé, applicable même aux personnes qui n’ont jamais dû quitter leur ville ou leur région natale.
Mais le « Là » est lié inextricablement au lieu, au sens qu’a pour moi le fait « d’y être ». La langue allemande désigne, entre autres, l’existence de l’existant sous le vocable verbal devenu nominal : « Dasein ». C’est le philosophe Heidegger qui, à partir de 1927, en fera une élucidation qui a longtemps dominé la pensée européenne : exister, c’est être là. Cherchant à traduire, à travers ce verbe …