Couverture de INSO_202

Article de revue

Le social en recherche

Pages 107 à 112

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Travail social et le monde d’après

Travail social. Que retenir du confinement pour penser le temps qui vient ?, Note de la fédération des Acteurs de la Solidarité, 76 rue du Faubourg-Saint-Denis, 75010 Paris, automne 2020, 13 p. (contact@federationsolidarite.org)

1Il ne s’agit pas ici d’un rapport classique de recherche ou d’étude mais plutôt d’une note de synthèse reprenant les principales conclusions et idées des nombreux ateliers organisés dans le réseau de la fédération des Acteurs de la Solidarité (plus connue sous le sigle Fnars jusqu’en 2016). Une large partie de la note rappelle et analyse les dysfonctionnements et les difficultés subies par tous, professionnels et personnes en situation de précarité. La note montre aussi que le confinement a été une opportunité pour repenser l’accompagnement des familles, le travail à la rue, le travail à distance dans un monde professionnel qui n’en avait jusqu’alors quasiment pas l’usage. Amorce d’un potentiel renouvellement, pour les participants à ces ateliers, la mobilisation des équipes dans des modes plus partenariaux, plus mobiles, plus connectés et plus polyvalents laisse entrevoir ce que pourrait devenir l’intervention sociale à condition qu’on lui en donne les moyens. Les treize pages de cette note sont un point de départ prometteur. Les nombreuses rubriques « pour aller plus loin » renvoient par des liens hypertextes à des sites spécifiques dont, sur YouTube, à un atelier passionnant sur le travail de rue (https://www.youtube.com/watch?v=wivYLTe5AXU&t=5s).

Enseigner confiné

Confinement et continuité pédagogique, Sylvain Genevois, Gaëlle Lefer, Nathalie Wallian, Questionnaire et rapport préliminaire d’enquête, Laboratoire Icare EA 7389, Université de la Réunion, septembre 2020, 32 p. (https://hal.univ-reunion.fr/ICARE/hal-02934483v1)

2De nombreux groupes professionnels, dans le cadre d’études et de recherche et des étudiants en travail social pour la préparation de mémoires professionnels, s’intéressent à ce moment si exceptionnel qu’a été le premier confinement. Les angles d’approches peuvent être très différents portant sur le vécu individuel ou collectif de cette période, sur les modalités d’organisation de la vie familiale ou professionnelle et sur les impacts sociaux, psychologiques et économiques de ce repli forcé. Le laboratoire Icare de l’université de la Réunion diffuse les premières informations sur une enquête auprès de 4285 enseignants du premier et du second degré de France métropolitaine et d’outre-mer. L’objectif était d’appréhender le vécu d’enseignants en période de confinement et la manière dont avait été adapté l’enseignement à distance pour assurer la « continuité pédagogique ». Le questionnaire a été diffusé sur Internet du 7 avril au 11 mai 2020. Ce premier rapport présente les tris à plat des réponses aux 26 questions réparties en 4 parties : vécu du confinement ; usages professionnels du numérique ; continuité pédagogique ; informations et contexte. En attendant le rapport final, le questionnaire à lui seul pourrait servir de base à d’autres investigations dans le secteur social.

Jardins partagés, jardins en commun

Jardiner ensemble dans la ville, une question de préservation : Étude anthropologique de jardins collectifs urbains. Albert Frédérique, Thèse pour l’obtention du doctorat, Université Côte-d’Azur – Nice, anthropologie, Laboratoire interdisciplinaire « Récits Cultures et Sociétés ». EA 3159, octobre 2019, 419 p. (accessible sur Theses.fr ou HAL archives-ouvertes.fr)

3Près de Saint-Malo et de Dinan, quatre jardins où des hommes et des femmes cultivent des légumes et des fleurs. Le premier est un jardin familial d’une cinquantaine de parcelles, le second a été créé par cinq amis, jardiniers, copropriétaires du terrain. Dans le troisième, véritable jardin partagé, tous les jardiniers cultivent ensemble et se répartissent les récoltes. Enfin, le dernier jardin, proche de la voie ferrée, à proximité de la gare, fut autrefois un jardin de cheminots. Il fonctionne désormais sans association ni convention. Un vieux wagon de chemin de fer sert de salon et de cuisine. Ici, pour jardiner heureux, il est préférable de jardiner caché. Ces jardins et ces jardiniers étudiés par Frédérique Albert, elle-même jardinière, sont les successeurs des jardins ouvriers inventés à la fin du 19e siècle par l’abbé Lemire, soucieux d’apporter aux familles ouvrières un surplus alimentaire, tout en fournissant aux hommes un loisir dans une activité valorisant le lien avec la terre. Les temps ont changé et les jardins ouvriers ont prospéré en devenant des jardins familiaux, des jardins partagés et même des jardins d’insertion sur le modèle des jardins de Cocagne. Leur activité s’inscrit toujours dans le rythme des saisons. Le partage du travail associe hommes et femmes, à la différence des premiers jardins ouvriers qui furent essentiellement l’affaire des hommes. Ces jardiniers bretons pratiquent une culture bio pour éviter les dépenses phytosanitaires et pour assurer une alimentation diversifiée avec le souci de préserver une bonne santé. Si la dimension économique est devenue moins prégnante, l’auteure de cette thèse montre l’importance pour ces hommes et ces femmes de faire vivre des lieux de partage de savoirs, de transmission intergénérationnelle, d’échanges de produits et de préservation de la diversité biologique. Le jardinage collectif devient ici une agriculture productive et douce qui préserve et réensemence de la nature et du lien dans l’univers urbain. Sur ce thème on peut aussi lire le passionnant numéro de In situ. Revue des patrimoines (2018, n° 37) intitulé « Jardins collectifs : de l’abbé Lemire aux jardins d’insertion. Typologies - Expériences – Enjeux de conservation ».

Travailleurs handicapés, changer de modèle

Handicaps et emploi, Claire Aubin, Christine Daniel, en collaboration avec Alexis Patissier, Lucille Petit, Samy Rasli. Rapport thématique 2019-2020 de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), 2020, 395 p. (www.igas.gouv.fr/)

4Pour celles et ceux qui se souviennent des rapports de l’Igas, lourds documents imprimés et diffusés par la Documentation française, le changement est patent. Ce dernier rapport est non seulement accessible en totalité sur le site de l’Igas, mais il est surtout conçu pour le Net avec un graphisme et des liens hypertextes qui facilitent l’accès à des parties et à des références. L’Igas n’est pas un organisme de recherche et il ne faut pas s’attendre à trouver des problématiques et des hypothèses auxquelles les auteurs appliqueraient des procédures et des méthodes aboutissant à une démonstration. En revanche, dans ses meilleurs travaux de synthèse, l’Igas excelle dans la mise à plat des politiques publiques à caractère social. C’est le cas avec ce rapport sur l’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap qui montre les décalages entre l’existant réel et des politiques dont les conceptions et les fondements remontent à plus d’un siècle. Répondant au cas par cas, dans une logique purement catégorielle aux situations de handicap au travail, les politiques actuelles n’incitent pas à investir dans la prévention, l’aménagement des locaux et, plus globalement, dans l’organisation du travail. L’existence même d’un statut de travailleur handicapé pensé comme une source bénéfique de discrimination positive se révèle de plus en plus contreproductif et stigmatisant. Au-delà des recommandations usuelles et déjà bien connues, l’Igas propose trois scénarios d’évolution : aménager à la marge le statu quo présent, changer de paradigme en basculant vers un modèle inclusif, ou se recentrer sur le noyau dur constitué des personnes les plus handicapées, ce qui permettrait d’éviter les perversités du système actuel dont les effets d’aubaine sont fréquents.

Covid-19, une crise inégalitaire

Les inégalités sociales face à l’épidémie de Covid-19. État des lieux et perspectives, Claire-Lise Dubost, Catherine Pollak et Sylvie Rey (coordonnatrices), Les Dossiers de la Drees, direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques, n° 62, juillet 2020 (www.drees.solidarites-sante.gouv.fr)

5Dès la mi-mars 2020, au tout début du premier confinement, la direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (Drees) du ministère des Solidarités et de la Santé organisait une veille documentaire sur les conséquences, constatées ou prévisibles, de la crise sanitaire. Une première synthèse des travaux, publiée en juillet 2020, montre, face à la Covid-19, l’importance des déterminants sociaux. Les hospitaliers avaient indiqué le rôle néfaste de l’avancée en âge sur les taux de létalité, les chercheurs mobilisés par la Drees insistent sur les inégalités de genre, lorsque les femmes, souvent en première ligne du fait de leur implication forte dans les métiers de soins, se retrouvent surexposées. Apparaissent aussi des inégalités liées aux territoires, ruraux lorsque l’accès aux soins devient plus difficile, ou dans les quartiers défavorisés pour les populations concernées par la mauvaise qualité des logements, le surpeuplement, et l’obligation de continuer à travailler et à utiliser des transports en communs. Le lien fort entre la gravité de l’affection et l’existence de comorbidités (obésité, diabète,) très affectées par les positions sociales renforce ces inégalités.

6Dans le cas de la Covid-19, les inégalités de santé se doublent d’un renforcement des inégalités par l’existence même du confinement. Qu’il s’agisse des retards apportés dans la prise en charge des soins hors Covid-19, de la forte précarité qui frappe des populations laissées sans ressources, de l’augmentation des phénomènes de dépression et de violences familiales, la réponse à l’épidémie est elle-même génératrice d’un accroissement des inégalités. Ce rapport de la Drees n’est qu’une étape dans les analyses de l’impact social de la Covid-19. L’Inserm a lancé des enquêtes multidisciplinaires (en particulier EpicoV) sur des échantillons très larges dont les premiers résultats montrent l’accentuation des inégalités en matière de vulnérabilité professionnelle et financière.

Enfant en danger, téléphone d’alerte

Collectif, Étude annuelle relative aux appels du service national d’Accueil téléphonique de l’Enfance en danger (Snated) en 2019, 59 p. (www.allo119.gouv.fr/ www.giped.gouv.fr)

7En 2019, 255 506 appels téléphoniques ont été adressés aux écoutants du service national d’Accueil téléphonique de l’Enfance en danger (Snated) ; 17 113 ont concerné un enfant en danger ou en risque de danger et 16 853 ont abouti à une aide immédiate (entretien, conseil, orientation, renseignement). La spécificité du Snated ne réside pas seulement dans l’écoute mais aussi dans le recueil d’informations précises et circonstanciées en matière de danger, de mauvais traitement et de parentalité. L’écoutant peut être aussi conduit à traiter des situations d’urgence et à établir des liens immédiats avec des services du type police pompiers Samu. Le service d’écoute fonctionne jour et nuit, 7 jours sur 7. Si le nombre d’appels traités reste constant depuis plusieurs années, le Snated fait état d’une augmentation régulière des appels donnant lieu à une information préoccupante (IP). Les appelants sont majoritairement des membres de la famille proche (parents, grands-parents membres de la fratrie). Le tiers des enfants en danger vit dans des familles dites traditionnelles et les auteurs présumés des mises en danger sont majoritairement issus du cercle familial.

Transfuge de soi-même

Small town boys : homosexualité et ruralité, Virginie Le Corre, Thèse pour l’obtention du grade de docteur de l’Université de Strasbourg, mention sociologie, École doctorale Sciences humaines et sociales – Perspectives européennes, 2019, 231 p. (http://www.theses.fr/2019STRAG036)

8Ils s’appellent Bastien, Fred, Kerem, Marc, Pierre et Mathieu. Ils ont entre 20 et 47 ans. La plupart ont vécu tout ou partie de leur enfance et de leur adolescence dans un petit village rural d’Alsace. Ils sont homosexuels, fait stigmatisé en alsacien par le terme argot « arschficker ». Au moment où Virginie Le Corre réalise avec eux de très longs entretiens, dont le compte rendu sert de support à cette thèse, ces hommes sont installés dans leur vie, professionnelle et affective. À la différence d’autres travaux, l’auteure ne s’intéresse pas à l’insertion dans les vies d’adulte, ni au moment d’un « coming-out », elle regarde avec attention cette longue période antérieure pendant laquelle s’élabore l’identité de soi qui rend possible cette affirmation aux autres. Cette phase d’élaboration, qui peut commencer très tôt, dès les premières années d’école, se caractérise par un ensemble de mécanismes de transfuge. Transfuge de territoires en quittant le village pour la ville, transfuge de classe, lorsque les études et l’accès à la classe moyenne permettent d’échapper aux pressions familiales ou de voisinage, transfuge de sexualité, lorsque le corps d’autres garçons devient seul désirable, transfuge de famille, lorsque les parents, le plus souvent les pères, ne veulent voir ou comprendre les évolutions, transfuge enfin de soi-même lorsque pour donner le change on fait mine d’aimer le football ou de s’enfermer dans une obésité protectrice. Parmi les nombreuses références utilisées par Virginie Le Corre signalons le Retour à Reims de Didier Eribon (Flammarion, 2014) et En finir avec Eddy Bellegueule d’Édouard Louis (Seuil, 2014), ainsi bien évidemment que les travaux de Judith Butler et de Michel Foucault.

18-21 ans, après l’ASE

Étude relative aux modalités d’accompagnement des jeunes de 16 à 21 ans de l’aide sociale à l’enfance mises en œuvre par les services départementaux de l’ASE, Asdo Études, Rapport d’étude réalisé pour la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), mai 2020, 133 p. (https://onpe.gouv.fr/actualite/etude-sur-laccompagnement-jeunes-16-21-ans-lase)

9En octobre 2018, la présentation de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté avait mis l’accent sur l’insertion des jeunes de l’aide sociale à l’enfance, précisant que toute sortie « sèche » de la protection de l’enfance à 18 ans devait désormais être impossible. L’étude sur les contrats de jeunes majeurs qui recouvrent des aides financières, des accompagnements sociaux et des hébergements provisoires, réalisée par Asdo études à la demande de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) montre que l’atteinte de cet objectif reste une perspective éloignée. Le rapport s’appuie sur les monographies de quatre départements, des études de cas auprès de jeunes ainsi que sur une investigation quantitative dans les départements. Cette politique reste peu développée : seulement un peu plus du tiers des jeunes potentiellement concernés (36 %) font l’objet d’une aide après leur 18e anniversaire. D’un département à l’autre, les stratégies diffèrent sans corrélation avec les caractéristiques économiques ou sociodémographiques des départements traduisant des conceptions très différentes. Plus inquiétant, il apparaît que la préparation à l’autonomie est inégalement travaillée, la poursuite d’un accompagnement semblerait ne pas être un droit mais « se mériter ». Alors que la loi de 2016 prévoit la signature d’un protocole de coordination entre les différents partenaires départementaux, ce dispositif n’a été mis en place que dans un département sur 10. Cette étude peut être rapprochée du rapport de la Cour des Comptes La protection de l’enfance, une politique inadaptée au temps de l’enfant (2020). Plus de dix ans après un précédent rapport qui formulait 27 recommandations, l’institution de la rue Cambon constate que la majeure partie d’entre elles restent d’actualité en 2020. La faiblesse de la gouvernance, le pilotage défaillant, l’enchevêtrement des acteurs et des missions, des moyens limités génèrent des iniquités territoriales et surtout des délais dans la prise en charge des enfants sans vision à long terme de l’avenir de ces enfants.

Délinquants, d’un genre à l’autre

Le traitement institutionnel de la délinquance des jeunes filles mineures en France : une différentiation de genre ? Nayé Dominique Vroh-Iritie, Thèse pour l’obtention du doctorat de l’Université de Rennes 2, sociologie, école doctorale n° 604, Sociétés, temps territoires, laboratoire « Espaces et sociétés » (ESO) UMR CNRS n°6590, janvier 2019, 214 p. (http://www.theses.fr/2019REN20014)

10Justice d’exception depuis l’ordonnance du 2 février 1945, la justice des mineurs a pour caractéristique essentielle de privilégier l’éducatif sur le répressif. Elle intervient sur deux faces des problèmes des mineurs : l’enfance délinquante et l’enfance en danger. Son intervention varie bien évidemment selon les critères d’âge, le mineur de 5 ou 6 ans est plus souvent en danger et celui de 16-17 ans plus fréquemment délinquant. Cette distinction entre les âges se double d’un fort décalage selon les sexes. Les garçons sont surreprésentés en justice pénale alors que les filles se retrouvent plutôt dans les procédures d’assistance éducative. On en déduit alors que la délinquance varie selon les sexes, les filles commettraient des délits moins nombreux et moins graves que les garçons. La justice des mineurs sanctionnerait les garçons et protégerait les filles. Dans une thèse, assez courte, et toujours passionnante, Nayé Dominique Vroh-Iritie réinterroge la façon dont la chaîne pénale, dans toute sa continuité, du policier qui interpelle à l’éducateur qui assure un suivi en passant par le juge des enfants et le substitut du procureur de la République, reconstruit la délinquance des filles. Relisant les travaux des criminologues du XIXe siècle, parcourant l’histoire des formes plus anciennes du contrôle de la déviance des garçons et des filles, analysant les représentations des professionnels de l’ensemble de cette chaîne, l’auteure de ce travail montre qu’à tous les niveaux de l’intervention sociale joue une même trame de représentations sociales. Celle-ci conduit à protéger la fille pour sa supposée fragilité et à encadrer et surtout recadrer le garçon pour le danger qu’il représente.


Date de mise en ligne : 26/04/2021

https://doi.org/10.3917/inso.202.0107

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