Restavek ou adoption ?
L’expérience vécue par les mères haïtiennes vivant à Port-au-Prince ayant donné leur enfant en adoption internationale, Erick Pierre-Val, Mémoire présenté à la Faculté des arts et sciences de l’université de Montréal pour l’obtention du grade de maître ès sciences en service social, mai 2014, 95 p., téléchargeable sur https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/discover
1Chaque année, dans le cadre des procédures d’adoption internationale, plusieurs centaines d’enfants quittent Haïti pour un autre pays. Dans la majorité des cas, ces enfants ne sont pourtant pas orphelins ni abandonnés ; ils arrivent dans les orphelinats conduits par leurs familles biologiques. Que faire de ses enfants lorsque l’on n’arrive plus à les nourrir dans une société de pauvreté généralisée, où les coups d’État se succèdent aux politiques publiques impuissantes et où le séisme de 2010 a conduit une population entière à se retrouver sous perfusion des organismes internationaux et des associations ? Il y a bien sur le « restavek », qui consiste à confier, comme domestiques, des enfants pauvres à des familles plus riches. La mise en adoption, lorsque le père a disparu, lorsque l’enfant malade doit être soigné, apparaît alors comme un moindre mal, d’autant plus que les orphelinats recrutent activement des enfants « abandonnables ». Il arrive aussi que les pressions pour l’abandon proviennent de membres de la famille. Les mères rencontrées par Erick Pierre-Val décrivent les raisons de la mise en adoption mais témoignent surtout de leur incompréhension d’un processus qui aboutit à la rupture du lien entre la famille et l’enfant. Là où les mères pensaient placer leur enfant de façon provisoire, renouant avec des pratiques traditionnelles de circulation des enfants au sein des familles tout en conservant des liens avec l’enfant, l’adoption crée une rupture définitive sans aucune contrepartie matérielle. Les rumeurs d’exploitation sexuelle ou de prélèvement d’organes sur les enfants ajoutent à ces incertitudes et génèrent bien des sentiments de regret, de culpabilité et de peur.
Syllogomane ou syllogomaniaque ?
« Perception de soi et de l’accumulation d’objets chez les personnes présentant des comportements de hoarding », Mylène Manta, Mémoire présenté à la Faculté des arts et sciences de l’université de Montréal pour l’obtention du grade de maître ès sciences en service social, avril 2014, 131 p., téléchargeable sur https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/discover
2Bien connus aux États-Unis à la suite de quelques émissions de téléréalité et de séries à succès, les comportements de « hoarding », mot traduit en français par le terme de « syllogomanie », consistent à accumuler des objets de manière compulsive au point d’en voir son espace quotidien et sa vie de tous les jours profondément perturbés. Lorsque ces comportements consistent à accumuler des déchets et sont associés à une détérioration de l’hygiène personnelle, on parle de « syndrome de Diogène ». Ces comportements sont décrits dans les classifications des troubles psychiatriques. Le mémoire de Mylène Manta s’interroge sur l’action du travailleur social confronté à ces situations. S’éloignant d’une approche psychiatrique dont elle conteste la surmédicalisation, elle montre qu’il est possible de proposer des formes d’aide qui ne renforcent pas la stigmatisation des personnes. Le lecteur français s’étonnera du nombre important de pages consacrées à la discussion des modèles théoriques qui tentent d’expliquer le syndrome ainsi qu’aux précautions éthiques et méthodologiques prises pour aborder les personnes interrogées pour ce travail. De l’autre côté de l’Atlantique, un mémoire professionnel peut aussi être un véritable compte rendu d’une recherche, avec ses problématiques et ses hypothèses que l’on cherche à valider.
Un bon coin de recherche
« Donner, revendre, troquer ses biens de l’espace domestique », Charlotte Dion, Mémoire pour l’obtention du master 2 de l’École des hautes études en sciences sociales, École normale supérieure, avril 2014, 131 p., téléchargeable sur http://www.master-socstat.ens.fr/
3Si l’on n’est pas le possesseur compulsif décrit par Mylène Manta dans le mémoire précédent, que faire des objets excédentaires lors d’un déménagement, ou simplement devant le constat de l’inutilité de certains biens lorsqu’il faut bien vider les placards pour envisager de les remplir à nouveau ? Les dépôts-ventes et la fréquentation assidue des brocantes et autres vide-greniers peuvent être une réponse, tout comme l’usage immodéré de la benne à déchets. Pour beaucoup, Internet reste la solution la plus aisée, surtout si l’envie de passer des dimanches entiers à jouer au marchand derrière son étalage de bibelots et de vêtements usagés n’est pas familialement partagée. Charlotte Dion analyse quelque 3 000 annonces de propositions de vente, de troc ou de don publiées en Île-de-France sur Leboncoin.fr et Recup.net. La vente est la pratique la plus massive sur Internet et la fixation du prix passe souvent par des jeux de marchandage. Elle fait se rencontrer des vendeurs désireux de faire des économies en temps de crise et des acheteurs qui souhaitent consommer à bas prix. La construction d’une relation de confiance est alors garante du bon déroulement de la transaction. Alors que les pratiques de troc renvoient davantage au souci d’organiser une circulation des objets dans une logique de consommation plus responsable et font se rencontrer des personnes partageant souvent des valeurs proches, le don reste plus ambigu. Ce mémoire constitue un bon exemple méthodologique de modalités d’usage de données extraites des sites internet.
Des articulations à travailler
« Articuler recherches et pratiques en protection de l’enfance » Gilles Séraphin (coordination), Dossier thématique de l’Observatoire national de l’enfance en danger, GIP Enfance en danger, BP 30302, 75823 Paris Cedex 17, juillet 2015, 104 p., www.oned.gouv.fr, diffusion La Documentation française
4En 2014, à l’occasion de ses dix années d’existence, l’Observatoire national de l’enfance en danger (Oned) organisait une journée thématique sur les articulations entre pratiques et recherches en protection de l’enfance. La publication in extenso des communications présente un double intérêt. Elle est d’abord l’occasion de confronter nos politiques dans ce domaine à celles d’autres pays. On pense en particulier au programme anglais Looking after children, ou au Pippi italien, « Programme d’intervention pour prévenir l’institutionnalisation », ou encore à la loi de 2012 sur la protection de l’enfance en Allemagne. Au-delà de l’analyse des différents programmes, dont l’une des constantes est la volonté de faire participer les familles et les enfants à la prise des décisions concernant leur devenir, les communications dessinent différentes modalités de liens entre pratiques et recherches. Si les approches de type « evidence-based », dans lesquelles la recherche énonce un résultat vérifié et dont l’application relève des professionnels, reste un idéal pour certains chercheurs, principalement dans l’univers anglophone, d’autres contributeurs mettent l’accent sur la nécessaire interpénétration entre praticiens et chercheurs dans une démarche de rétroaction systématique. Cela suppose des rencontres et des confrontations régulières entre la recherche et la pratique. Cette coopération semble trouver ses effets les plus importants lorsque le duo chercheur-praticien se transforme en un trio en accueillant des décideurs.
De la retraite à l’immortalité
« La pression temporelle ultime : conceptualisation et influence sur les motivations au bénévolat des retraités », Andréa Gourmelen, Thèse pour l’obtention du grade de docteur, spécialité sciences de gestion, école doctorale SHOS, université de Bretagne occidentale, laboratoire ICI (EA2652), 705 p., novembre 2013, disponible sur hal.archives-ouvertes.fr
5Les discours sont terminés, les cadeaux remis, le bureau ou l’atelier rangés. Vous pouvez désormais quitter votre travail. Fini les levers matinaux et les transports en commun bondés, les chefs qui ne comprennent rien, la pression des délais à respecter. Vous êtes en retraite, le temps de la vie choisie et des contraintes acceptées et non plus imposées. Vous avez le temps de voyager, de lire, d’aller à la pêche ou de ne rien faire, peut-être même de devenir bénévole dans une association. Elles sont des milliers à s’intéresser à votre temps libre, à votre disponibilité, certaines que vos compétences et votre dévouement seront des garants de leur maintien et de leur développement. Jusqu’ici, les études réalisées auprès des bénévoles montraient que l’âge, la formation et le niveau social constituaient les facteurs les plus prédictifs de l’engagement dans la vie associative. La thèse d’Andréa Gourmelen modifie profondément cette approche. Elle montre d’abord que, le temps qui s’ouvre avec la retraite étant le dernier qui reste à vivre et les années et les jours désormais comptés, un avenir rétréci remplace désormais toutes ces pressions que vous pensiez avoir laissées de côté. Andréa Gourmelen utilise pour désigner cette nouvelle contrainte le concept de « pression temporelle ultime », un état psychologique dans lequel la personne prend conscience que le temps qui lui reste à vivre est limité et éprouve des sentiments positifs ou négatifs à cet égard. L’engagement associatif serait alors déterminé par la représentation qu’elle se fait de ce temps. Vous pouvez décider de l’utiliser en maximisant les avantages des ressources encore disponibles en argent, en soleil, en farniente. Vous pouvez aussi penser que ce temps doit être géré de la moins mauvaise manière possible, soit pour éviter de devenir un vieillard inactif et isolé, soit pour tenter de rendre aux autres, votre famille, votre pays, tout ce que vous avez reçu d’eux tout au long de votre vie antérieure, et laisser ainsi le meilleur souvenir de vous. Multipliant les entretiens et les questionnaires auprès de personnes retraitées, Andréa Goumelen invente un nouveau marketing à l’usage des associations.
6Cette thèse, déjà un peu ancienne, s’inscrit dans une ligne de travaux passionnants conduits à l’Université de Bretagne occidentale sous la direction de Bertrand Urien et s’appuyant sur le concept de « générativité ». Cette notion caractérise l’une des dernières périodes de la vie humaine qui serait marquée par le désir d’accéder à une sorte d’immortalité symbolique en transmettant aux jeunes générations des biens et des expériences. Vous trouverez là l’une des explications aux multiples campagnes associatives, sociales ou patrimoniales, d’appel aux legs, devenues fréquentes depuis quelques mois.
Enfants adoptés, enfants biologiques
« Le devenir des jeunes ayant grandi dans une famille adoptive : enquête sur les adoptés et leurs frères et sœurs », Michel Duyme, Farid El Massioui, Jacques Vaugelade, Rapport de recherche réalisé pour Enfance et Familles d’Adoption, 221, rue Lafayette, 75010 Paris, 32 p., 2015, www.adoptionefa.org
7Le rapport de la recherche sur les enfants adoptés et leurs fratries, publié par Enfance et Familles d’adoption, est une synthèse initiale de travaux dont la publication s’échelonnera dans le temps. Les points saillants soulignés dans cette présentation portent sur le parcours scolaire, l’adaptation sociale et la qualité de vie des jeunes adoptés, rencontrés lorsqu’ils sont âgés de 15 à 30 ans. La collecte des informations a porté sur 807 familles adoptives et 1 450 jeunes, dont 83 % d’enfants adoptés et 17 % d’enfants biologiques des familles adoptantes. La répartition des enfants adoptés selon différents critères – âge d’adoption, continent de naissance, catégories sociales et âge des adoptants – permet de multiplier les axes de comparaison. Si les deux tiers des jeunes adoptés font état de discriminations négatives, leur insertion sociale est comparable à celles de leurs frères et sœurs nés dans leur famille adoptive. Congruente avec les résultats d’autres études internationales, cette recherche fait toutefois état de performances scolaires moindres chez les enfants adoptés. Plus que par l’âge à l’adoption ou l’origine géographique, ces différences semblent pouvoir être expliquées par les difficultés, de santé et/ou de maltraitance, antérieures à l’adoption. Un peu plus de la moitié des enfants adoptés mettent en avant la chance que l’adoption a représentée pour eux. Un quart d’entre eux associent famille de naissance et famille adoptive et fait état de l’intérêt de cette biappartenance affective et culturelle. Enfin, pour 19 % de ces enfants, l’abandon initial, la souffrance et le sentiment de n’appartenir à aucune famille restent prédominants.
Les morcellements du social
« Handicap et protection de l’enfance : des droits pour des enfants invisibles », Geneviève Avenard, Jacques Toubon, Rapport du Défenseur des Droits, 7, rue Saint-Florentin, 75409 Paris Cedex 08, 2015, 130 p., téléchargeable sur defenseurdesdroits.fr
8Soit un enfant, appelons-le Jérémie. Accueilli le week-end et les vacances scolaires en maison d’enfants à caractère social, il bénéficie d’une orientation vers un Institut thérapeutique éducatif et pédagogique (Itep) avec une scolarisation en milieu ordinaire après intervention d’un Service d’éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad). Jérémie relève également d’un hôpital de jour. Pour donner de la cohérence à son action et être en conformité avec la loi de 2002-2, chaque service ou établissement élabore un projet personnalisé. Ainsi, les travailleurs sociaux doivent élaborer un Projet pour l’enfant (PPE), un contrat de séjour ou, le cas échéant, un Document individuel de prise en charge (DIPC) qui mettra en œuvre un Projet d’accueil et d’accompagnement (PAA). Pour l’arrivée en Itep, il aura fallu élaborer un contrat de séjour entre les parents et l’établissement. Ce contrat sera accompagné d’un Projet individualisé d’accompagnement (PIA). Enfin, pour parachever le dispositif, l’hôpital de jour proposera un contrat de soin. Ce seul exemple, qui semble caricatural mais est bien réel, illustre, à côté de dizaines d’autres, la situation des enfants handicapés pris en charge au titre de la protection de l’enfance. L’invisibilité statistique le dispute au morcellement des interventions et l’intérêt de l’enfant disparaît derrière les logiques institutionnelles. Reprenant les rapports de l’Inspection générale des Affaires sociales (Igas) ou les travaux de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), s’appuyant sur des auditions et surtout sur l’exploitation des dossiers de saisine, l’équipe du Défenseur des droits livre une image rude des défaillances d’un secteur de la protection sociale, lorsque l’organisation en tuyaux d’orgue l’emporte sur la nécessité d’une polyvalence centrée sur la singularité de la personne accompagnée.
Les labyrinthes de l’accueil
« La réinstallation des réfugiés en France : état des lieux et voies d’amélioration », Lucie Perdrix, Hélène Soupios-David, Thiphaine Lefebvre, Nadina Camp, Christophe Harrisson, Matthieu Tardis, Rapport du Forum réfugiés-Cosi et France Terre d’Asile, juin 2015, 53 p., www.forumrefugies.org et www.france-terre-asile.org
9La « réinstallation » doit ici être comprise comme l’installation définitive dans un pays de personnes reconnues comme réfugiées par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). En 2008, 18 États européens se sont engagés à réaliser un effort d’accueil des réfugiés. La France devait accueillir une centaine de personnes par an. Le programme exceptionnel d’accueil des réfugiés syriens a accru très largement cet engagement, dont la mise en œuvre est cependant particulièrement lente. L’étude conduite par Forum-réfugiés et France-Terre d’asile a porté sur l’examen de la situation de 74 ménages, soit 230 personnes arrivées en 2013 et 2014. Depuis mars 2012, le réseau européen Share soutient les régions, les villes ainsi que leurs partenaires dans cette action. La France a su, par le passé, mobiliser des ressources importantes pour accueillir des réfugiés : 12 700 Hongrois ont été accueillis en 1956 et plus de 100 000 réfugiés du sud-est asiatique ont été réinstallés entre 1975 et 1984. Le rapport des deux associations insiste sur la lourdeur de nos processus actuels. Ainsi, des réfugiés, qui ont obtenu une protection des instances internationales avant leur arrivée en France, qui ont dû faire, en France, une demande de réinstallation, doivent effectuer une troisième démarche de demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Autant de retard pour le démarrage d’un parcours d’insertion, d’autant plus que la délivrance des actes d’état-civil va prendre plusieurs mois supplémentaires, ce qui constitue un obstacle supplémentaire pour l’accès aux soins, aux droits sociaux et à la scolarité des enfants.
Action locale contre le non-recours
« La lutte contre le non-recours au local », Catherine Chauveau, Pierre Mazet, Philippe Warin, Annette Casagrande, Sandrine Astor, Annie-Claude Salomon, Mohamed Djouldem, Rapport d’étude de l’Observatoire du non-recours aux droits et services (Odenore), 82 p., mars 2015, https://odenore.msh-alpes.fr/
10La question du non-recours aux droits a longtemps été un impensé des politiques d’action sociale, malgré la loi de lutte contre les exclusions de 1998 qui, en mettant l’accent sur le rôle de l’accès aux droits, comportait de facto une dimension de lutte contre le non-recours. La mise en évidence de l’importance des taux de nonrecours au Revenu de solidarité active (RSA) et à la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) a été un choc. Une étude récente de l’Odenore montre que des collectivités territoriales franchissent une nouvelle étape en ne cherchant plus seulement à identifier l’ampleur du problème mais en mettant en place des outils de lutte contre ce phénomène. L’attention portée à la situation globale des demandeurs de prestation, les collaborations entre des institutions différentes, le souci d’une prévention plus active, illustrent cette volonté. Il arrive même que des départements et des CCAS fassent de la lutte contre le non-recours un axe principal de leur politique, y compris en inscrivant cette priorité dans leurs schémas directeurs au motif que la lutte contre le non-recours doit être menée au titre du refus de l’exclusion. Il arrive aussi que des collectivités intègrent la question du non-recours dans leurs dispositifs d’observation et d’évaluation. Enfin, certaines collectivité vont jusqu’à intégrer le non-recours dans leurs outils comptables, témoignant ainsi de l’institutionnalisation de leur volonté de réduire ce phénomène.