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Article de revue

Démographie et soutenabilité du système de retraite : les réformes ont-elles tout résolu ?

Pages 126 à 135

English version

1Dans un contexte de vieillissement de la population, en grande partie dû à l’augmentation du nombre de personnes âgées, les régimes de retraites sont soumis à des pressions que les projections démographiques tentent d’anticiper. Depuis une vingtaine d’années, différentes réformes ont apporté des changements importants au système des retraites, sans toutefois corriger la dépendance de celui-ci à la croissance économique ni son manque de lisibilité.

2Les évolutions démographiques affectent la plupart des postes de la protection sociale mais à des degrés extrêmement variables. On sait que cet impact n’est pas si marqué que cela dans le domaine des dépenses de santé. S’il l’est davantage dans le domaine de la dépendance, c’est un poste qui pèse globalement moins lourd et où l’intensité de l’impact ne dépend pas uniquement de la démographie générale stricto sensu mais aussi des perspectives de prévalence de la dépendance à un âge donné. C’est dans le domaine des retraites que l’impact démographique est le plus massif et le plus évident. À taux d’emploi, âge de la retraite et niveau relatif des retraites inchangés d’une période à une autre, la part des retraites dans le PIB se montre très étroitement liée au ratio entre la population de plus de 60 ans et la population d’âge actif. Ce ratio a commencé à croître rapidement il y a une dizaine d’années, comme les projections démographiques l’avaient annoncé bien à l’avance (Blanchet et Le Gallo, 2013), et cette hausse devrait continuer jusque vers le milieu de la décennie 2030-2040, après quoi la tendance au vieillissement pourrait marquer le pas.

3Il n’est pas inutile de revenir d’abord sur les sources de ce vieillissement. La représentation qui en est donnée a sensiblement évolué depuis que la question démographique est au centre du débat sur la retraite, soit depuis environ vingt-cinq ans, et cette représentation n’est pas sans impact sur le type de réponse qu’elle appelle. Dans un deuxième temps, nous examinerons le contenu de ces réponses, leur efficacité ainsi que leurs limites.

Retour sur le constat démographique

4Si le constat démographique est bien connu et désormais largement partagé, certaines zones d’incompréhension subsistent quant à la nature des mécanismes qui le sous-tendent et appellent des clarifications. Ainsi, à quoi exactement faut-il attribuer la croissance du ratio des 60 ans et plus aux 20-59 ans ? L’augmentation de ce ratio peut être imputée à deux causes : soit une hausse de son numérateur – le nombre de personnes en âge d’être retraitées –, soit une baisse de son dénominateur – le nombre de personnes d’âge actif. On parle ainsi respectivement de vieillissement « par le haut » et « par le bas ». L’effet dénominateur joue dans les nombreux pays où le taux de fécondité est depuis longtemps passé très en dessous du seuil de remplacement des générations, celui qui assure la stationnarité des effectifs à long terme. Dans ces pays, le problème des retraites est donc dû en partie au fait que demain, sauf apports migratoires de grande ampleur, « il y aura moins d’actifs pour payer les retraites ». C’est dans ces termes que la question des retraites a longtemps été formulée en France, de façon plus insistante même que dans la plupart de ces autres pays, en raison d’une tradition bien française de crainte des effets du déclin démographique. Cette vision a parfois créé l’illusion que c’était du côté de la politique familiale, et uniquement de ce côté-là, qu’il fallait chercher la réponse au problème des retraites.

5Cet accent n’était guère justifié. Les projections démographiques ont certes longtemps pronostiqué une décrue de la population d’âge actif à partir de 2006, mais celle-ci a toujours été de faible ampleur, en raison d’une fécondité proche du niveau de remplacement des générations, et facilement contrebalancée par les flux migratoires, même relativement faibles. C’était déjà vrai dans les projections démographiques réalisées au milieu des années 1990, alors même qu’elles tablaient sur une fécondité de seulement 1,8 enfant par femme et des flux migratoires limités à 50 000 entrées nettes par an. Cette perspective de décrue de la population d’âge actif a totalement disparu en hypothèse médiane depuis que les projections ont pris acte d’une légère remontée de la fécondité et opté pour un flux migratoire relativement élevé à 100 000 entrées nettes par an (voir le graphique 1).

Graphique 1

Évolutions relatives du nombre des 60 ans et plus et du nombre des 20-60 ans telles que projetées en 1995 et 2010, par rapport aux niveaux observés en année de base (bases 100 en 1990)

Graphique 1

Évolutions relatives du nombre des 60 ans et plus et du nombre des 20-60 ans telles que projetées en 1995 et 2010, par rapport aux niveaux observés en année de base (bases 100 en 1990)

Lecture : les courbes en traits fins correspondent aux projections publiées en 1995. À cette date, on anticipait un nombre de plus de 60 ans en 2050 égal à 2,04 fois le niveau de l’année de base qui était l’année 1990. Les courbes en traits épais correspondent aux résultats des projections de 2010, toujours exprimés en année de base 1990.
Source : Insee, Blanchet et Le Gallo, 2013.

6Le rôle mineur du vieillissement par le bas ayant fini par être bien admis, l’accent est passé sur le vieillissement par le haut mais, là encore, des éclaircissements s’imposent car celui-ci est parfois assimilé aux seuls effets des gains d’espérance de vie à venir. Cela crée une deuxième illusion, qui consiste à croire qu’il suffirait d’indexer l’âge de la retraite sur les gains futurs d’espérance de vie pour résoudre l’intégralité du problème des retraites. Or une telle politique ne peut suffire. Dans une population dont les générations se renouvellent à peu près, il est certes exact de dire que c’est la hausse de l’espérance de vie qui est le moteur du vieillissement, mais à deux nuances importantes près qui compliquent la recherche de solutions au problème des retraites.

7D’une part, les variations de la mortalité qui sont en jeu ne se limitent pas aux variations de mortalité à venir, car l’effet de la baisse de la mortalité sur la structure démographique se propage lentement sur l’ensemble de la pyramide des âges. Il convient donc de gérer également la montée en régime progressive des effets des baisses de mortalité passées.

8D’autre part, cette montée en régime progressive a été largement contrecarrée, jusqu’en 2006, par l’effet du baby-boom, qui doit lui aussi être bien compris. L’effet d’un baby-boom sur le ratio retraités/actifs est souvent décrit comme un effet temporaire en « dos d’âne » : le ratio s’élèverait au fur et à mesure que les baby-boomers arrivent aux âges de retraite, puis il redescendrait quand ils décèdent. À nouveau, il s’agit d’une représentation erronée car l’effet du baby-boom sur la structure par âge est en forme de V, c’est-à-dire de creux plutôt que de bosse. Les baby-boomers freinent la progression du ratio retraités/actifs lorsqu’ils passent par les âges d’activité. C’est ce qui s’est passé en France jusque vers 2006, où ils ont assez largement contrecarré le processus de vieillissement que la hausse de l’espérance de vie aurait dû entraîner. Puis cet effet s’inverse quand ces générations arrivent à la retraite : le ratio de dépendance ré-augmente ou ré-accélère pour progressivement rejoindre la trajectoire qui aurait été la sienne si le baby-boom n’avait pas existé. Cette ré-accélération représente une part importante du problème qu’il faut gérer. En définitive, l’ensemble de ces constats sur la nature du vieillissement a trois conséquences sur la manière de formuler le problème des retraites.

9En premier lieu, dans un pays où le nombre d’actifs n’est pas appelé à baisser, la solution au problème des retraites ne passe guère par la remontée de la fécondité, qui serait au demeurant bien incertaine. On peut au mieux s’interroger sur ce qu’il est nécessaire de faire pour éviter qu’une rechute du taux de fécondité ne fasse évoluer la situation vers celle que connaissent beaucoup d’autres pays, où la contraction de la pyramide des âges à sa base vient s’ajouter aux conséquences du vieillissement par le haut.

10En deuxième lieu, on ne peut résoudre le problème des retraites en se contentant de décaler l’âge de la retraite parallèlement à la trajectoire future de l’espérance de vie. Un tel décalage peut et doit contribuer à la recherche de solutions aux problèmes de retraites mais il ne peut y suffire car il ne prend pas en compte les effets des hausses d’espérance de vie passées, dont une partie importante a longtemps été masquée par les bénéfices du baby-boom.

11Enfin, puisque l’impact du baby-boom doit s’analyser en termes de sortie d’un V plutôt que de passage transitoire d’une bosse, on ne peut prétendre gérer le problème à l’aide de dispositifs transitoires qui n’auraient plus lieu d’être une fois la bosse dépassée. Un exemple type de ces dispositifs consisterait à accumuler préalablement des réserves destinées à être consommées pendant le passage de la bosse ou bien, faute de réserves, à laisser filer les déficits en période de passage de la bosse, en comptant sur le retour à des conditions démographiques plus favorables pour éponger la dette héritée de cette période difficile. Ces stratégies sont inadaptées puisque la situation à gérer n’est pas une bosse. Vu du point bas d’avant le passage à la retraite des baby-boomers, la sortie du V s’apparente plutôt au franchissement d’une marche d’escalier, qui appelle des solutions de financement pérennes et non transitoires.

Quelle incidence ex ante ?

12Ces éléments de contexte démographique ayant été rappelés, quels sont les ordres de grandeur des ajustements qu’ils impliquaient pour le système de retraite avant que les réformes n’aient eu lieu ? De façon schématique, dans les années 1990, le problème anticipé par le système de retraite était le versement de retraites en 2050 à un nombre de retraités à peu près deux fois plus élevé, en prélevant des ressources sur un nombre d’actifs resté à peu près constant. Sur cette base, l’équation des retraites était et reste facile à poser. Si l’on demande à des actifs en nombre à peu près constant de financer deux fois plus de retraités, et si on veut le faire sans hausse des cotisations ni de l’âge de la retraite, on est contraint de diviser par deux le ratio retraite moyenne/salaire moyen, et donc de planifier un décrochement massif du niveau de vie relatif des retraités. Une autre solution, tout aussi extrême, est de ne jouer que sur l’âge de la retraite.

13Dans le cas limite d’un nombre d’emplois fixe et où la hausse de l’âge de la retraite se borne à faire baisser le nombre de retraités sans faire augmenter celui des actifs, c’est à une division par deux de la durée de la retraite qu’il faudrait cette fois consentir, entraînant des hausses de l’âge de départ en retraite bien plus conséquentes que celles auxquelles on pense habituellement, de l’ordre de la dizaine d’années. Même en supposant que tous ces retraités en moins seraient des actifs en plus, le besoin d’ajustement reste très substantiel, atteignant facilement sept à huit années.

14La dernière solution « pure » était la hausse des cotisations. Toutes choses égales par ailleurs, garantir un même niveau de vie brut à des retraités deux fois plus nombreux nécessite logiquement un doublement du taux de cotisation.

Graphique 2

Projections du ratio retraites/PIB, selon les rapports successifs du Conseil d’orientation des retraites

Graphique 2

Projections du ratio retraites/PIB, selon les rapports successifs du Conseil d’orientation des retraites

Source : Cor et Blanchet, 2013.

15Dans la pratique, un objectif plus normal est la stabilisation du ratio des niveaux de vie nets. La hausse des taux de cotisation joue alors par les deux bouts : elle abaisse le niveau de vie net des actifs en même temps qu’elle remonte celui des retraités. En raison de ce double effet, l’ajustement requis est moins élevé qu’un doublement ; il est d’autant plus faible que l’écart entre salaire net et salaire brut est important dès le départ, mais il reste néanmoins très substantiel, de l’ordre de 5 à 6 points.

16Ce dernier chiffre est celui qu’on retrouvait dans le scénario dit de « statu quo » qu’avait élaboré le Conseil d’orientation des retraites (Cor) dans son tout premier rapport de 2001. Ce scénario consistait à la fois à prolonger la valeur courante de l’âge de la retraite et la valeur initiale du ratio pension nette/salaire net et à en déduire l’évolution de la masse des retraites en part de PIB. Celle-ci était ainsi attendue à 18,5 points de PIB en 2040 contre 12,5 points en 2000. Or, déjà à cette époque, cette évolution n’était plus celle qui était projetée en hypothèse centrale par le Cor, compte tenu de la réforme des retraites qui était intervenue en 1993. Quelle avait été l’orientation de cette réforme et quelles ont été celles des réformes suivantes ?

Les réformes et leur impact

17La réforme des retraites de 1993 avait surtout concerné le secteur privé. Sa mesure la plus forte symboliquement avait consisté à amorcer un durcissement des conditions d’accès à la retraite à taux plein avant 65 ans, en portant la durée obligatoire d’assurance tous régimes de 37,5 ans pour la génération née en 1933 à 40 ans pour la génération née en 1943. Une autre mesure, d’apparence plus technique mais en fait plus importante dans ses effets, a programmé une baisse des taux de remplacement, en prenant comme référence pour le calcul de la retraite la moyenne des vingt-cinq et non plus des dix meilleures années, nécessairement plus basse. Cet effet a été renforcé par le fait d’avoir adopté, dès la fin des années 1980, une règle de revalorisation des salaires passés sur la base des prix et non pas de la croissance passée, contrairement à la pratique qui avait prévalu jusque-là. La réforme de 1993 a entériné ce principe d’indexation sur les prix non seulement pour la revalorisation des salaires passés mais aussi pour celle des pensions en cours de service, avec là aussi un effet potentiellement fort sur le niveau moyen de la pension de l’ensemble des retraités et non pas seulement du flux de nouveaux retraités.

18La réforme de 2003 n’est pas allée beaucoup plus loin dans la réduction des droits à taux plein, mais elle a programmé à la fois une convergence de la durée de cotisation dans le secteur public avec celle du secteur privé (les quarante années d’assurance) puis une nouvelle hausse de cette durée pour les deux secteurs, en la portant dans un premier temps à quarante et un ans et en continuant ensuite à la faire évoluer au rythme de l’espérance de vie au moins jusqu’en 2020.

19La réforme de 2010 a, elle aussi, donné la priorité au paramètre de l’âge de la retraite, mais de manière toute différente : elle a déplacé la fenêtre de liquidation avec le relèvement à 62 ans de l’âge minimum d’ouverture des droits et le report progressif à 67 ans de l’âge dit d’annulation de la décote, c’est-à-dire l’âge permettant d’obtenir le taux plein automatique même sans disposer du nombre requis d’années de cotisation.

20Ces réformes ont-elles restauré la soutenabilité du système de retraite ? Leurs effets successifs se lisent dans les projections du ratio retraites/PIB telles qu’établies dans les rapports successifs du Cor. Dès le premier rapport de 2001, la trajectoire anticipée pour le ratio retraites/PIB le portait en 2040 à environ 2 à 2,5 points plus bas que les 18,5 points du scénario sans réforme.

21Ce mouvement d’horizontalisation progressive de la trajectoire s’est poursuivi avec les réformes suivantes, tout du moins si on se focalise sur les hypothèses médianes de chacune des projections. Au final, dans la projection de 2012, on assiste à un aplatissement complet de la trajectoire postérieure à 2020 si on retient le scénario économique médian dit « B » supposant une croissance annuelle de la productivité de 1,5 point par an.

22Contrairement à une réputation qui lui est souvent faite, notamment à l’étranger, on peut donc dire que le système de retraite français s’est déjà beaucoup réformé et a accompli des efforts importants vers la restauration de la soutenabilité financière. Il l’a fait en remodelant assez fortement le barème des droits à la retraite par rapport à ce qu’ils étaient à la fin des années 1980 : calcul de la retraite du secteur privé sur une durée plus longue, durcissements progressifs des conditions d’accès au taux plein, indexation moins favorable des droits après liquidation.

Les limites des réformes

23Faut-il en déduire que l’« impossible réforme » était presqu’achevée dès 2010 et que, grâce à cela, la réforme de 2013 a pu n’être qu’une « petite » réforme (Sterdyniak, 2013), le dernier réglage requis pour définitivement stabiliser le système ? La réponse est négative, car il reste deux points d’importance que tout cet ensemble de réformes a laissés largement non résolus.

24Le premier est que les réformes ne sont pleinement efficaces qu’en hypothèses médianes ou favorables. Depuis sa création, le Cor a toujours assorti ses projections de variantes portant à la fois sur les hypothèses démographiques et les hypothèses économiques. Les variantes démographiques sont devenues un sujet un peu moins central depuis que les mécanismes du vieillissement sont mieux analysés : la force et l’inertie des effets de la hausse de l’espérance de vie et du baby-boom relativisent l’incertitude qui affecte les projections démographiques.

25En revanche, depuis l’entrée dans la crise économique, la question de la fiabilité et de la crédibilité des hypothèses économiques est devenue centrale. Le COR a réagi à cette nouvelle donne en mettant systématiquement en avant ses variantes de croissance économique. Il n’y a plus « un » scénario de référence complété par quelques scénarios annexes mais, systématiquement, plusieurs scénarios économiques mis sur le même plan. En 2013, ce sont cinq scénarios qui ont été proposés avec des hypothèses de croissance à long terme s’étageant de 1 % à 2 % de croissance annuelle pour les deux scénarios extrêmes.

26Or que disent ces variantes ? Elles montrent la forte sensibilité du résultat des projections à ces hypothèses de croissance (Blanchet, 2013 ; Marino, 2014). Il y a des cas où les réformes passées vont jusqu’à produire un surajustement, avec une part des retraites dans le PIB qui se met à redécroître après 2020, mais sous des hypothèses qui semblent peu réalistes dans le contexte actuel, à savoir soit les 2 % du scénario A’, soit les 1,8 % du scénario A.

27Dans les cas malheureusement plus probables des scénarios avec des croissances à 1 ou 1,2 % par an, la trajectoire du ratio retraite/PIB reste au contraire ascendante. Elle porte vers des niveaux certes bien plus faibles que ceux auxquels il aurait fallu s’attendre si aucune réforme n’avait eu lieu, mais suffisamment élevés pour s’interdire d’affirmer que l’impossible réforme est achevée.

28Le risque d’un décalage entre croissance espérée et effective s’est d’ailleurs déjà manifesté de manière régulière dans le passé, la croissance n’ayant jamais atteint le niveau envisagé dans les scénarios centraux des projections précédentes. Il y a fort à parier qu’il en ira de même pour les projections suivantes et que de nouvelles réformes seront nécessaires pour résoudre de nouveaux problèmes financiers. Or, dans le même temps, chaque nouvelle réforme semble devenir de plus en plus difficilement acceptable par une population qui a le sentiment qu’on lui demande des sacrifices récurrents et très inégalement répartis. La raison de ce sentiment constitue l’autre point que les réformes ont laissé inchangé. Il s’agit du fort éclatement du système de retraite français et de la difficulté de bien comparer les règles s’appliquant aux différentes catégories de population.

29Ce sont ainsi deux chantiers qui restent ouverts. Le premier consiste à chercher des voies de résorption de la dépendance du système aux hypothèses de croissance. Les raisons pour lesquelles cette incertitude sur le rythme de croissance impacte si fortement les performances du système sont bien connues. Depuis 1993, on a cherché à résoudre une part importante du problème des retraites par des politiques d’indexation sur les prix de plusieurs des paramètres du système. Par nature, ces politiques ne sont efficaces qu’en situation de croissance soutenue et leur efficacité tend vers zéro lorsque la croissance devient faible ou nulle, a fortiori négative. Il faudrait d’autres mécanismes qui assurent un partage du revenu national entre actifs et retraités beaucoup moins dépendant de la façon dont s’accroît ce revenu national. Il ne s’agit pas de plaider pour un système de retraite dont la taille s’ajusterait instantanément aux fluctuations conjoncturelles du PIB, car il peut être bon que le système de retraite fasse partie des stabilisateurs automatiques qui servent à limiter l’impact de crises telles que celle qui s’est ouverte en 2008. Mais, à long terme, il faudra bien trouver un système qui soit capable de s’adapter à des décrochements durables de la croissance. C’est toute la problématique du pilotage, que la réflexion préparatoire à la réforme de 2013 n’a pu qu’effleurer (Moreau, 2013) et qui appelle une remise à plat complète pour les décennies à venir.

30L’autre chantier est celui de l’harmonisation et de la lisibilité du système. Les réformes passées se sont faiblement attaquées à l’éclatement et à la complexité du système de retraite français, le seul élément d’harmonisation ayant été le rapprochement des durées de cotisation requises pour les salariés du privé et du public. Ce mouvement a été bien insuffisant pour dissiper l’impression d’inégal traitement des deux catégories d’actifs. Cette problématique recoupe d’ailleurs celle du pilotage : un système unique fondé sur des principes clairs est plus facile à piloter qu’un ensemble de systèmes disparates ayant chacun ses propres outils de contrôle de la dynamique de la dépense.

31***

32En résumé, à la question du retour à la soutenabilité du système, la réponse est à la fois positive et négative. Quatre réformes paramétriques se sont succédées. Elles ont bien contribué à la restauration de la soutenabilité, mais elles l’ont fait avec une efficacité qui reste très dépendante de la croissance et elles nous laissent aux prises avec un système dont la complexité est de plus en plus mal vécue par les intéressés. Ce double constat ne suffit pas forcément pour plaider afin que la prochaine réforme soit une réforme systémique au sens fort du terme, c’est-à-dire qui ferait brutalement table rase du passé et permettrait au système de repartir définitivement sur de nouvelles bases (Bozio et Piketty, 2008 ; Bichot, 2009). Mais il y a désormais place pour des réformes accordant davantage d’attention à deux problématiques : l’harmonisation des règles et l’adaptation des outils de pilotage à un contexte de croissance devenu de moins en moins assuré.

Bibliographie

Bibliographie

  • Bichot J., 2009, Réforme des retraites : vers un big bang ?, Institut Montaigne.
  • Blanchet D., 2013, « Les retraites : vers l’équilibre en longue période ? », Note de l’Institut des politiques publiques, n° 3, février.
  • Blanchet D. et Le Gallo F., 2013, « Retour vers le futur : trente ans de projections démographiques », in Trente ans de vie économique et sociale, Insee Références.
  • Bozio A. et Piketty T., 2008, Pour un nouveau système de retraite. Des comptes individuels de cotisations financés par répartition, Paris, éd. Rue d’Ulm, coll. du Cepremap, n° 14.
  • Conseil d’orientation des retraites (Cor), 2001, 2006, 2007, 2010, 2012 et 2013, Rapports n° 1, 3, 4, 8, 11 et 12, La Documentation française.
  • Marino A., 2014, « 20 ans des réforme des retraites : quelle contribution des règles d’indexation ? », Insee Analyses, n° 17, avril
  • Moreau Y., 2013, Nos retraites demain : équilibre financier et justice. Rapport de la commission pour l’avenir des retraites, Paris, La Documentation française.
  • Sterdyniak H., 2013, « Retraites 2013 : une (petite) réforme… », Les notes de l’OFCE, n° 31, 4 septembre.

Date de mise en ligne : 22/08/2014.

https://doi.org/10.3917/inso.183.0126

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