Couverture de INSO_176

Article de revue

Le rapport à l'emploi des pères bénéficiaires du CLCA à temps partiel

Pages 48 à 57

Notes

  • [1]
    En particulier, le fait que le congé parental soit rémunéré sous la forme d’une allocation forfaitaire (CLCA) contribue au faible recours des hommes.
  • [2]
    Alexandra Piesen, stagiaire à la Cnaf dans le cadre de son master 2 de sociologie au Cerlis-Paris-Descartes, a été associée à cette étude.
  • [3]
    Avec une légère diminution depuis 2006.
  • [4]
    Cette année de référence est celle de la mise en place de l’ensemble des mesures de financement de l’arrêt ou de la diminution d’activité professionnelle des parents de jeunes enfants : CLCA et Colca.
  • [5]
    Pour reprendre la terminologie proposée par Jennifer Bué (cf. bibliographie).
  • [6]
    La plupart travaillent dans des secteurs d’activité peu féminisés.
English version

1Rares sont les pères qui font le choix de travailler à temps partiel dans le cadre d’un congé parental. Bien qu’ils portent sur le travail un regard distancié, ces hommes ne rompent pas avec le modèle prescriptif de travail masculin. Au regard de ce qu’ils considèrent acceptable à l’égard de la norme de l’engagement des hommes au travail, ils justifient leur aménagement du temps de travail moins dans une logique de « conciliation » que de « flexibilité ».

2Depuis les années 1960 en France, la norme de la famille à un seul actif, « Monsieur Gagnepain », a laissé la place au modèle de la famille à deux actifs dans laquelle père et mère travaillent. Pour autant, l’éducation et les soins aux enfants restent avant tout une « affaire de femmes » et une participation équilibrée des hommes et des femmes à la vie professionnelle et familiale peine à se mettre en place. Le recours sexué aux dispositifs du congé parental et/ou des prestations qui peuvent y être associées – Complément de libre choix d’activité (CLCA) et Complément optionnel de libre choix d’activité (Colca) (voir encadré 1) – illustre la lenteur des changements à l’œuvre : en 2011, seulement 3,5 % des bénéficiaires du CLCA sont des hommes (ONPE, 2012). Parmi l’ensemble des raisons qui peuvent expliquer ce faible recours [1], la norme de l’adulte travailleur à temps plein constituerait pour les hommes une limite à leur investissement dans la vie familiale. Ainsi, le fait de demander des congés pour raisons familiales, de travailler à temps partiel ou encore de partir plus tôt pour aller chercher ses enfants est encore perçu par les intéressés eux-mêmes, leurs collègues ou leur employeur comme un manque d’engagement dans le travail (Boyer et Nicolas, 2009).

Encadré 1. Le Complément de libre choix d’activité (CLCA)

Le CLCA à taux partiel est une allocation forfaitaire qui peut être versée aux familles avec enfants de moins de 3 ans dès lors que le bénéficiaire (le père ou la mère) travaille à temps partiel. On distingue deux types de CLCA à taux partiel selon que la quotité travaillée est inférieure ou égale à 50 % ou comprise entre 51 % et 80 % de la durée du travail à temps plein fixée par l’employeur. À chacun de ces deux types de CLCA correspond une rémunération forfaitaire distincte : 430,40 € ou 325,47 € en 2012.
Un droit au CLCA à taux partiel peut être ouvert simultanément à chaque membre du couple – c’est le « CLCA couple ». Dans ce cas, le montant global perçu par la famille ne peut pas excéder le montant d’un CLCA à taux plein (626,99 € en 2012).
Le bénéficiaire doit également pouvoir justifier d’au moins huit trimestres de cotisation vieillesse validés au titre d’une activité professionnelle, au cours d’une période qui varie en fonction du nombre d’enfants (deux ans pour un enfant, quatre ans pour deux enfants, cinq ans pour trois enfants ou plus).

3La France, où deux tiers des ménages sont composés de deux actifs, se caractérise par une dominante de la combinaison homme à temps plein plus femme à temps plein. Les écarts de temps de travail entre les deux membres des ménages à deux actifs sont les plus faibles, en raison à la fois des durées relativement courtes des temps pleins et des durées longues des temps partiels (OCDE, 2012). Depuis 2004, la politique familiale française encourage un autre modèle de répartition du temps de travail au sein des ménages ayant de jeunes enfants pour concilier la vie familiale et la vie professionnelle : l’exercice du travail à temps partiel. Dans ce but, la création du CLCA (voir encadré 1) s’est accompagnée d’une incitation financière plus forte pour le recours à la prestation à taux partiel (augmentation de 15 % par rapport au montant de l’Allocation parentale d’éducation – APE). Et, de fait, la part des bénéficiaires à taux partiel – y compris pour les hommes – a progressé depuis 2003, passant de 26 % à 43 % en 2011 (ONPE, 2012).

4Dans ce contexte, il nous a paru intéressant d’étudier, dans leur relation au travail et à la famille, une catégorie particulière de bénéficiaires : les pères qui perçoivent le CLCA à temps partiel [2]. Ils se distinguent en effet à la fois par leur temps de travail inférieur à celui de la norme associée à leur sexe (le travail à temps plein) et parce qu’ils touchent des prestations familiales (CLCA/Colca) majoritairement perçues par les mères. En nous centrant sur la manière dont ces rares hommes s’approprient ce dispositif de conciliation, nous tentons d’éclairer la norme de l’engagement professionnel et parental dont ces hommes s’affranchissent.

Un temps réduit choisi

5Bien que peu nombreux (3,5 % parmi l’ensemble des bénéficiaires) [3], la part de ceux qui travaillent à taux partiel est la plus importante et progresse. Alors qu’en 2006 [4] les pères à taux partiel représentaient 63,5 % des bénéficiaires masculins, leur proportion atteint 70,6 % en 2011 (ONPE, 2012). Par ailleurs, il est intéressant de noter que cette progression est essentiellement due à celle du taux de bénéficiaires qui perçoivent la prestation au taux de 80 %, qui de 27 % en 2006 est passé à 37 % en 2011. C’est sur cette catégorie de bénéficiaires, qui constitue en 2011 plus de la moitié de la part des pères bénéficiaires du CLCA à taux partiel (voir tableau, p. 52), que porte notre enquête qualitative (voir encadré 2).

Encadré 2. L’enquête qualitative

L’étude prend appui sur une analyse des données des bénéficiaires du CLCA à partir du Fichier des prestations légales et sociales (Fileas) de la Cnaf, le fichier exhaustif de l’ensemble des allocataires. Cette analyse est complétée par des entretiens semi-directifs en face-à-face, menés de décembre 2011 à avril 2012, au domicile de 25 pères bénéficiaires du CLCA à taux partiel. Domiciliés dans les départements de l’Essonne et de Seine-Saint-Denis, ces bénéficiaires vivent tous en couple et, étant donné les conditions d’octroi de la prestation, ont tous au moins un enfant âgé de moins de 3 ans. Compte tenu de la part importante (plus de la moitié) des pères bénéficiaires du CLCA au taux de 80 % parmi l’ensemble des pères bénéficiaires du CLCA à taux réduit, l’échantillon est constitué uniquement de cette catégorie de bénéficiaires.

6Les études qui se sont attachées à étudier le temps partiel masculin montrent sa rareté. En outre, quand il existe, ce type d’aménagement du temps de travail est rarement recouru à des fins de conciliation. Plus jeunes et moins souvent en couple que les hommes à temps complet, plus des deux tiers des hommes travaillant à temps partiel y sont contraints, et près d’un tiers est à la recherche d’un emploi (Bué, 2002).

Tableau

Répartition des pères bénéficiaires selon le taux de CLCA à taux partiel

Tableau
Taux du CLCA Pourcentage n CLCA 51 - 80 % 52 n CLCA 1 - 50 % 9 n CLCA couple 39 Ensemble CLCA à taux partiel 100

Répartition des pères bénéficiaires selon le taux de CLCA à taux partiel

Champ : pères bénéficiaires du CLCA à taux partiel au 31 décembre 2011.
Source : Fileas 2011 (France entière).

7Les hommes étudiés dans le cadre de notre étude qualitative font donc figure d’exception, non seulement pour leur rareté numérique, mais également pour les raisons énoncées pour travailler à temps partiel. Ainsi, la contrainte du recours au temps partiel n’apparaît pas dans les entretiens. Tous les hommes interrogés déclarent avoir choisi leur temps de travail. Il ne s’agit donc pour aucun d’entre eux « d’emploi partiel » [5] à l’initiative de l’employeur, mais « d’emploi à temps réduit » à l’initiative du salarié, sous la forme le plus souvent d’une journée non travaillée le mercredi. En outre, alors que la plupart de l’ensemble des hommes salariés (56,5 %) déclarent qu’il ne leur serait pas accordé de travailler à temps partiel « choisi » (Boyer et Nicolas, 2009), nos interlocuteurs témoignent avoir obtenu l’accord de travailler à temps partiel très facilement, sur simple demande : « Ça s’est très bien passé, aucune difficulté dans mon travail. J’ai fait une demande et ça a été accepté » (agent de mairie, 2 enfants) et persistent, y compris après nos relances : « Vous n’avez pas rencontré de souci ? » – « Non, non… Pas de problèmes avec la hiérarchie, de discrimination, de machin comme ça. Non, il n’y a pas eu de problèmes » (technicien compagnie aérienne, 3 enfants).

Un regard distancié sur le travail

8Des récits de nos interlocuteurs se dégage un regard distancié sur le travail, même s’ils présentent rarement leur situation comme l’aboutissement d’une remise en cause de leur inscription dans le salariat. Seuls trois des pères interrogés mettent en avant le fait que leur décision est liée directement à leurs conditions de travail, comme monsieur N., professeur en Île-de-France, qui a pris un temps partiel avant tout pour mieux exercer un métier qu’il juge difficile : « Mon temps partiel, c’est des heures en moins dans mon emploi du temps (…) Je trouve la charge de travail trop lourde si on veut faire le métier comme il faut (…) et du coup, j’ai trouvé ça bien pour mon équilibre psychologique… Et en même temps je m’occupe de la famille, de la maison » (professeur, Éducation nationale, 3 enfants).

9D’autres, comme monsieur D., présentent leur choix en opposition au modèle de l’omniprésence au travail : « Je suis ingénieur et les ingénieurs, les cadres et un temps partiel, ça ne peut pas aller ! Qu’on soit un homme ou une femme, on est censé être présent, faire des horaires. Or je considère que non : si le travail est fait, il n’y a pas de raison qu’on reste plus longtemps » (ingénieur, entreprise automobile, 2 enfants). La plupart mentionnent leur rapport distancié au travail, pour l’un : « Honnêtement, j’ai assez peu d’états d’âme vis-à-vis du travail », ou leur sentiment de frustration par rapport à un travail jugé décevant pour un autre : « Du coup, je le fais pour garder une sorte d’équilibre psychologique par rapport à la frustration du travail, parce qu’au final on a très peu d’impact sur ce qu’on fait » (économiste, centre mutualiste de santé, 1 enfant). Plus globalement, c’est un choix de vie qui se dessine, mettant à la marge la vie professionnelle ; la plupart des pères interrogés mettent en avant leur désir de donner la priorité à la qualité de vie de leurs enfants : « Le premier objectif, c’est sa qualité de vie à lui, qu’il soit le plus possible à la maison… » (aide-soignant, centre hospitalier, 3 enfants) ou à la leur propre : « Moi je trouve que c’est plus sain que de passer tout son temps au travail » (facteur, La Poste, 2 enfants).

10Pour autant, en filigrane d’un discours mettant en avant leur distance par rapport au monde du travail et leur investissement parental, les propos sur le travail occupent une place centrale : « C’est bien d’avoir des enfants mais eux, il faut qu’ils apprennent à vivre en société et nous, il ne faut surtout pas qu’on s’écarte de la société parce que si on s’enferme sur nous-mêmes, après je pense qu’on devient carrément psychotique de ses enfants, et du coup on ne voit plus qu’eux, qu’à travers eux… Je pense que la mixité travail / temps pour les enfants est bien » (chercheur, entreprise automobile, 1 enfant).

Composer avec la norme au travail

11Si ces pères qui travaillent à temps partiel semblent se démarquer des autres hommes en ne répondant pas à la pression sociale à « être omniprésent » sur leur lieu de travail (Grégory et Milner, 2004,), ils témoignent en même temps de leur attachement à la place importante du travail dans leur vie. Ils soulignent l’intérêt intellectuel ou organisationnel de celui-ci ou bien valorisent leur charge de travail, comme monsieur C. : « Surtout, ce qui est intéressant, c’est que les gens associent de moins en moins 80 % et travail à 80 %, parce que clairement, moi, je n’ai pas de différence de charge de travail. Ma chef considère que je m’organise comme je veux mais j’ai le même plan de charge que les autres » (ouvrier qualifié, imprimerie, 2 enfants). À l’exception d’un père interviewé – mais celui-ci évoque sur le ton de la plaisanterie son attrait pour une interruption de son travail : « C’est-à-dire que moi, ça ne me dérangerait pas de m’arrêter… Mais bon, ma femme ne gagne pas suffisamment bien sa vie pour que je puisse m’arrêter [rires] » (ouvrier qualifié, imprimerie, 2 enfants) –, les propos recueillis soulignent le lien quasi indissociable entre identité masculine et travail professionnel. Tous les pères interrogés déclarent ne pouvoir imaginer d’interrompre totalement leur activité professionnelle, à la fois parce qu’ils n’envisagent pas de consacrer tout leur temps aux activités parentales : « M’arrêter totalement, non… Passer du temps à la lumière que parentale, non… » (éducateur spécialisé, 2 enfants), mais aussi parce que cela constituerait une trop grosse remise en question professionnelle : « S’arrêter complètement… Je ne sais pas, parce que c’est quand même une grosse remise en question. Si j’étais sorti du système pendant deux ans, je pense que la claque quand on revient aurait été assez conséquente. À mon avis on s’en remet difficilement… Je pense que c’est envisageable si on est caissière… Aujourd’hui j’ai un poste et une place très, très bien, je n’ai surtout pas envie de la perdre. On va éviter de prendre trop de risques… » (ingénieur, entreprise automobile, 2 enfants).

12Tous conservent des perspectives de carrière et considèrent qu’il leur faudra reprendre leur activité à temps complet pour y parvenir : « J’envisage de changer de service… Je reprendrai à 100 % parce que changer de poste à temps partiel, ce n’est pas envisageable » (économiste, centre mutualiste, 1 enfant). Ils évoquent ce qu’ils considèrent comme la conformité à la norme du point de vue de l’engagement dans le travail en se rangeant parmi les salariés non investis dans le travail : « Cela dépend de l’engagement de chacun. Ça dépend comment on est investi dans son travail ou pas… De toute façon, je pense que la personne qui se pose la question de prendre du temps pour ses enfants… euh… n’est pas complètement immergée dans son travail » (ingénieur, entreprise automobile, 2 enfants). Monsieur X. exprime d’emblée que son faible engagement professionnel est la raison majeure de son investissement familial : « Il faut dire que je ne suis pas un fou du travail » (professeur, Éducation nationale, 3 enfants).

13Leur temps de travail réduit leur apparaît comme déviant par rapport aux normes en vigueur et étant à la limite de ce que peut accepter l’employeur : « Un temps de travail encore plus réduit ? Non, ça ce n’est pas possible, je suis déjà au plus court de ce qui est acceptable professionnellement, je pense que je ne pourrais pas faire plus court… Pourtant j’arrive tôt le matin, et même en partant à 17 h je fais une grosse amplitude horaire, mais je ne me vois pas partir de mon bureau à 16 h. Y’a des limites… C’est une provocation que je ne voudrais pas faire [rires] » (ouvrier qualifié, imprimerie, 2 enfants).

Le sentiment d’être dans des situations d’emploi privilégiées

14Il est fréquent que, dès le début des entretiens, nos interlocuteurs mentionnent qu’ils n’ont pas eu à se confronter à l’obstacle qu’ils se représentent comme étant le plus important : l’obstacle professionnel. « Les obstacles les plus forts, ils ne viennent pas de l’environnement familial ou conjugal, ils viennent de l’environnement professionnel, pour moi c’est évident. J’ai un camarade qui lui est dans une PME, je suis sûr qu’il aurait été intéressé, mais ce n’est pas imaginable. (…) En tout cas, je pense qu’intellectuellement, il est prêt à ce genre de disposition… » (ouvrier qualifié, imprimerie, 2 enfants). Ne pas avoir été confronté à la désapprobation de leur employeur leur apparaît comme un « privilège » : « Je sais que là ou je travaille, on est privilégié. Mon chef m’a dit “Vas-y, fonce ! Parce que tu n’as rien à perdre” » (conducteur de train, SNCF, 2 enfants). Effectivement, dans certains cas, des accords salariés sur l’égalité hommes/femmes ou des conventions collectives particulières leur permettent d’être rémunéré à plus de 80 % ou de garantir la participation de l’employeur aux prélèvements salariaux et patronaux sur la base d’un travail à temps complet.

15Pour autant, la poursuite des entretiens révèle que cette situation qu’ils qualifient également de « chanceuse » ne doit rien au hasard mais correspond à une mise en œuvre réfléchie de leur part. Ces hommes qui n’ont pas, au début de leur carrière, opté pour des secteurs d’activité jugés propices à la conciliation [6] ont souvent changé de poste ou de service – sans changer d’employeur – afin de recourir au travail à temps partiel : « C’est-à-dire en fait que, lorsqu’on veut se mettre à 80 %, il faut essayer de trouver l’emploi qui corresponde à un 80 %, parce que tous les emplois s’adaptent mal à un temps partiel » (technicien espaces verts, collectivité territoriale, 2 enfants). C’est le cas de monsieur D., qui est passé d’un service qu’il qualifie de « masculin » à un service essentiellement pourvu par des femmes : « Quand j’étais en opérationnel, ce n’était pas possible parce que les coups de fils, les sollicitations, c’est tous les jours. Après, si on n’est pas là, il faut ramer pour rattraper et il faudra une heure pour faire ce qu’on aurait fait en cinq minutes la veille, donc c’est très délicat… Alors que maintenant, je suis dans un poste très en recul, c’est-à-dire qu’on peut s’organiser, on a du temps. (…) C’est pour ça que j’ai changé ; je me suis mis dans un service un peu plus administratif. (…) Là où je suis, c’est assez féminin, on doit être 70 % de femmes. Le service où j’étais avant, dans le bâtiment, c’était essentiellement masculin. Maintenant je suis dans le domaine des achats, essentiellement administratif » (ouvrier qualifié, imprimerie, 2 enfants).

Passer inaperçu

16En conformité avec les comportements des autres pères au travail, qui tendent à minimaliser leur implication parentale, voire à la cacher (Grégory et Milner, 2004), nos interlocuteurs disent être peu prolixes sur leur lieu de travail sur leur forme d’implication paternelle : « Les collègues, non, je ne pense pas qu’ils soient au courant… Ils le savent lorsqu’ils veulent monter une réunion le mercredi, on n’est jamais là, par exemple, on finit par leur dire : “Non, arrêtez d’organiser des réunions le mercredi, je ne travaille pas…” mais au-delà de ça, les gens ne le savent pas forcément » (conducteur de bus, RATP, 2 enfants). Ils évoquent le fait d’être insérés dans un ensemble de flexibilité formelle, comme la RTT ou la variabilité des horaires en vigueur dans leur entreprise, ce qui leur permet de ne pas faire reconnaître leur organisation temporelle du travail au nom de la parenté : « Pour le boulot, ça passe entre guillemets “inaperçu”. Je suis autonome sur mon poste et puis entre les RTT et tout ça, ça passe inaperçu… » (aide-soignant, centre hospitalier, 3 enfants).

17Les mesures d’aménagement des temps de travail choisies par ces hommes semblent moins s’inscrire dans une logique de « conciliation » que relever de la « flexibilité » du temps de travail. Ingénieurs, techniciens ou employés exerçant le plus souvent sur des postes autonomes, les pères rencontrés exercent leur activité professionnelle selon une quotité d’heures les démarquant le moins possible du temps de travail à temps complet. Pour eux, s’absenter un jour par semaine est l’aménagement d’horaires le plus indiqué au regard des collègues ou de l’employeur : « C’est plus facilement accepté, une journée d’absence, même si ça revient au même et que le volume horaire est exactement le même… Mais non, non, il faut ménager les susceptibilités quand même… » (chercheur, entreprise automobile, 2 enfants). Ainsi, cet homme a choisi de s’absenter un jour par semaine, le mercredi, plutôt que de répartir sa réduction d’horaires sur plusieurs jours non seulement pour des raisons d’organisation familiale, mais aussi pour rendre son absence plus invisible : « C’est vraiment l’histoire du mercredi qui est rentrée dans les mœurs, je trouve. À la fois parce que les RTT ont aidé à intégrer ce genre d’idée, donc non, non, c’est assez facilement admis… Alors que faire des petites journées, non… faut pas exagérer » (technicien, compagnie aérienne, 3 enfants).

18***

19La flexibilité se développe en France dans le cadre de politiques formelles et les cultures organisationnelles déterminent la façon dont les obligations réglementaires en matière de conciliation vie familiale/vie professionnelle sont appliquées sur les lieux de travail. Les enquêtes quantitatives (enquête « Emploi » de l’Insee, enquête « Famille et employeur » de l’Ined) ont montré l’importance de nombreux facteurs – secteur d’activité, exigences du type de service, contraintes associées à l’organisation existante du travail, taille de l’entreprise, usages de dialogue social, regard des salariés dans la mise en place de mesures – qui contrecarrent ou au contraire facilitent les pratiques « hors normes » des hommes sur leur lieu de travail. Cette enquête qualitative montre que les pères en congé parental ont bien conscience de l’importance de ces paramètres. Dans leurs récits, leur situation d’emploi a plus compté que les expériences préalables de vie familiale (éducation reçue, naissance de l’enfant, etc.) dans leur décision de travailler à temps partiel. Il semble que les normes de genre concernant le temps de travail à temps plein, la place des hommes au travail, l’engagement au travail ainsi que la façon dont elles sont perçues sont encore pour eux si fortes qu’elles les conduisent à se considérer comme étant des « privilégiés » et, par exemple, à souligner dès le début des entretiens leur marginalité.

Bibliographie

Bibliographie

  • Boyer D. et Nicolas M., 2013, « Les pères bénéficiaires du Complément de libre choix d’activité », Cnaf, l’e-ssentiel, n°131 ; 2009, « La conciliation dans les entreprises : une mise en œuvre sexuée ? », in Entre famille et travail. Des arrangements de couple aux pratiques des employeurs, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », p. 345-360.
  • Bué J., 2002, « Temps partiel des femmes : entre “choix” et contraintes », Premières synthèses, n° 08/2, février, Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares).
  • Grégory A. et Milner S., 2004, « Dispositifs publics et investissement des pères : une comparaison franco-britannique », Cnaf, Recherches et Prévisions, n° 76, juin, p. 63-78.
  • Lefèvre C., Pailhé A. et Solaz A., 2007, « Comment les employeurs aident-ils leurs employés à concilier travail et famille ? », Ined, Population et sociétés, n° 440, décembre.
  • Mainguené A., 2011, « Couples, familles, parentalité, travail des femmes. Les modèles évoluent avec les générations », Insee Première, n° 1339, mars.
  • Merla L., 2007, « Père au foyer : une expérience “hors normes” », Cnaf, Politiques sociales et familiales, n° 90, p. 17-27.
  • Nicolas M., 2010, « Interrompre ou réduire son activité à la naissance d’un enfant et bénéficier du CLCA de la Paje », Cnaf, l’e-ssentiel, n° 97.
  • Observatoire national de la petite enfance (ONPE), 2012, L’accueil du jeune enfant en 2011. Données statistiques, Boyer D. (dir.), Cnaf.
  • OCDE, Perspectives de l’emploi 2012.
  • Ulrich V. et Zilberman S., 2007, « De plus en plus d’emplois à temps partiel au cours des vingt-cinq dernières années », Cahier travail et emploi, Dares.

Date de mise en ligne : 30/05/2013.

https://doi.org/10.3917/inso.176.0048

Notes

  • [1]
    En particulier, le fait que le congé parental soit rémunéré sous la forme d’une allocation forfaitaire (CLCA) contribue au faible recours des hommes.
  • [2]
    Alexandra Piesen, stagiaire à la Cnaf dans le cadre de son master 2 de sociologie au Cerlis-Paris-Descartes, a été associée à cette étude.
  • [3]
    Avec une légère diminution depuis 2006.
  • [4]
    Cette année de référence est celle de la mise en place de l’ensemble des mesures de financement de l’arrêt ou de la diminution d’activité professionnelle des parents de jeunes enfants : CLCA et Colca.
  • [5]
    Pour reprendre la terminologie proposée par Jennifer Bué (cf. bibliographie).
  • [6]
    La plupart travaillent dans des secteurs d’activité peu féminisés.
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