Territoires de vieillesse
« Vieillesse différenciées et “ effets de milieu ”: contribution à une théorie sociologique du vieillissement et de la vieillesse », Catherine Gucher. Mémoire soutenu en vue de l’habilitation à diriger des recherches, Université Pierre Mendès-France, Pacte, UMR CNRS, BP 47, 38040 Grenoble Cedex 9, Juin 2012, 305 p., téléchargeable sur HAL
1Catherine Gucher appartient à cette catégorie de professionnels du social qui après plusieurs années de terrain ont enchaîné un DSTS, puis un DEA et une thèse avant de soutenir, terme du parcours universitaire, une habilitation à diriger des recherches. Comme souvent, l’intérêt d’un mémoire d’HDR réside autant dans l’analyse de la trajectoire professionnelle et académique du postulant que dans la description des problématiques de recherche. La première partie du mémoire montre les continuités et les inflexions qui peuvent conduire d’un travail clinique avec des personnes âgées à la guidance de travaux de recherche dans le domaine de la gérontologie. La seconde partie s’intéresse à la façon dont, principalement en milieu rural, les formes du territoire peuvent influencer non seulement les modalités mais aussi le sens du vieillissement développé par les personnes âgées. Le territoire serait, simultanément, le lieu de la construction d’une représentation du vieillissement mais aussi le lieu de la régulation, par l’intermédiaire des politiques publiques locales, de ce vieillissement. L’HDR est, à la fois, un point d’étape et le moment d’un nouveau départ, souhaitons à Catherine Gucher, une longue route, pour elle et pour nous. Réf. 1699
RGPP, fin et suites
« Bilan de la RGPP et conditions de réussite d’une nouvelle politique de réforme de l’État », Marianne Bondaz, Cyrille Bret, Sophie Delaporte, Pierre Deprost, Nathalie Destais, Werner Gagneron, Martine Marigeaud, Michel-Henri Mattera, Yves Rabineau et Philippe Rey. Rapport des Inspections générales de l’Administration, des Finances et des Affaires sociales, septembre 2012, 367 p., consultable sur http://www.ladocumentationfrancaise.fr
2Faudrait-il alors interpréter comme un acte de décès le rapport récent que viennent de publier de manière conjointe les Inspections générales de l’Administration, des Finances et des Affaires sociales ? L’évocation du terme d’héritage laisse penser que le décès a eu lieu même si le faire-part n’a pas été encore envoyé. Il s’agit d’abord d’un véritable travail d’évaluation qui va au-delà d’une procédure traditionnelle d’inspection. Les auteurs du rapport se sont attachés à décrire les modalités de mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques entre 2007 et 2012 mais également à en analyser les impacts sur le fonctionnement de l’État. Ils décrivent aussi la perception, généralement mauvaise, de ces mesures par les populations concernées, à titre individuel ou collectif. Au total, 530 mesures ont été prises dans le cadre de la RGPP et 170 audits de modernisation ont été lancés pendant ces cinq années. Ce n’est pas la première fois que l’État cherchait à se transformer mais la RGPP avait comme caractéristiques principales de s’interroger sur la pertinence des missions de l’État et de vouloir mener cette réforme dans des délais très courts. Le rapport montre que les choix retenus en matière de gouvernance, en particulier son excessive centralisation, ont été inconciliables avec une démarche qui ne pouvait aboutir que si elle mobilisait les énergies des personnels concernés. Par ailleurs, et dès 2008, les contraintes budgétaires, et en particulier, le choix de ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux, ont fortement obéré le programme. Pour les agents publics, la RGPP est devenue uniquement une machine à faire et à justifier des coupures budgétaires. L’échec de cette démarche rend-il désormais impossible toute réforme de l’État ? Les auteurs du rapport insistent fortement sur une gouvernance qui respecterait les places et les fonctions de chacun et qui associerait les différents acteurs au processus de modernisation. Ce rapport constitue une utile contribution à l’analyse des organisations et une bonne leçon de management des personnes et des institutions. Réf. 1700
S’accommoder du reste
« Pour une mise en œuvre du droit à des moyens convenables d’existence», CNLE. Rapport d’étude du Conseil national des Politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, juin 2012, 151 p., consultable sur le site du CNLE, http://www.cnle.gouv.fr
3« Les fruits sont chers, le cinéma est un luxe, le coiffeur n’en parlons pas, la viande le moins souvent possible et le chauffage, c’est une pièce après l’autre ... ». Si la plupart des études sur la pauvreté s’intéressent aux ressources des personnes à bas revenus, d’autres, moins nombreuses, analysent leurs dépenses, les dernières, encore moins fréquentes, cherchent à établir un lien entre les ressources et les dépenses. La crise économique et l’augmentation des charges fixes comme l’essence, le gaz, l’électricité et le montant des loyers ont contribué à mettre l’accent sur l’importance de ces charges dites contraintes qui intègrent également les frais d’assurance, les impôts, les remboursements de crédits en cours, le paiement des pensions alimentaires. Ces dépenses obligatoires viennent en déduction des revenus et laissent pour vivre au quotidien un montant bien faible. Cela explique que chaque année près de 450 millions de repas soient distribués à 3,4 millions de personnes. L’Insee montre que ces dépenses contraintes, appelées aussi préengagées, n’ont cessé d’augmenter au fil des années, passant de 12,6 % du revenu disponible brut des ménages dans les années soixante à 27,8 % en 2009. Cette notion de « reste pour vivre » est fréquemment utilisée par les commissions de surendettement, dans les règlements de la Caisse nationale des Allocations familiales (Cnaf) ou dans les pratiques des collectivités territoriales et des associations, elle est toutefois très hétérogène et son calcul obéit à des logiques multiples et sans trop de cohérence. Le rapport analyse avec précision les composantes de ce « reste pour vivre » et surtout développe de nombreuses propositions parmi lesquelles une indexation des minima sociaux sur l’évolution du seuil de pauvreté, une proposition dont on pourrait reparler dans le plan quinquennal de lutte contre la pauvreté, plan annoncé pour le début de l’année 2013. Réf. 1701
Traits d’identité, traits d’union
« Les registres de l’identité. Les immigrés et leurs descendants face à l’identité nationale », Patrick Simon et Vincent Tiberj. Document de travail de l’Ined, n? 176, 2012, 40 p., accès sur le site de l’enquête « Trajectoires et origines » http://www.teo.site.ined.fr. Ce site présente aussi les premiers résultats de l’enquête dans le document de travail n? 168.
4Les informations utilisées dans le secteur social sur les populations d’origine étrangère proviennent très souvent des rapports publiés par l’Observatoire national des zones urbaines sensibles. Ces travaux servent de support à la réflexion et à l’évaluation des politiques de la ville. Leur intérêt est indéniable mais ils présentent toutefois l’inconvénient de ne fournir des informations que sur des populations qui résident dans des zones géographiques bien spécifiques, ce qui constitue une limite pour décrire la situation de ces populations dans leur globalité. L’Ined et l’Insee ont réalisé entre septembre 2008 et octobre 2009 une enquête auprès de 21 000 personnes nées entre 1948 et 1990. Cette enquête explore l’histoire migratoire des personnes interrogées et parfois de leurs parents. Elle décrit leurs parcours scolaires et professionnels, leurs habitats, leur vie familiale, l’accès aux biens et aux services ainsi que les discriminations qu’elles ont pu rencontrer. Les premières publications issues de ces travaux sont accessibles sur le site de ce programme. En lien avec les débats dans le monde politique de ces dernières années, le texte de Patrick Simon et de Vincent Tiberj explore quelques questions relatives à l’identité. Les auteurs montrent l’importance de l’origine dans la construction de l’identité mais sans que cette importance entre en contradiction avec le développement d’un sentiment national français. Les personnes interrogées témoignent d’une pluralité d’appartenances qui coexistent en dépit des pressions qui devraient les obliger à choisir. Ce sont eux que les auteurs désignent sous le joli nom de « Français à traits d’union ». Réf. 1702
L’avenir est-il dans le social ?
« Évaluation du projet économique du quinquennat 2012-2017 », Eric Meyer, Mathieu Plane et Xavier Timbaud. Rapport de l’Observatoire français des conjonctures économiques, OFCE, 69 quai d’Orsay, 75340 Paris Cedex 07, septembre 2012, consultable sur http://www.ofce.sciences-po.fr
5Les travaux de l’OFCE figurent rarement dans les rubriques d’action sociale, ils alimentent en revanche les débats économiques. Depuis plusieurs mois, les chercheurs de l’OFCE tirent le signal d’alarme devant l’adoption par les gouvernements européens, et plus particulièrement la France, de politiques trop rapides de réduction de la dette et de retour à marche forcée vers l’équilibre des finances publiques. Cette stratégie devrait peser, selon eux, sur la reprise de la croissance et se traduire par une augmentation des déficits conjoncturels. Il pourrait n’y avoir là que matière à alimenter les débats entre économistes si parmi les différentes mesures qui composent cette stratégie ne figuraient de nombreuses mesures sociales : le contrat de génération, les emplois d’avenir, la défiscalisation des heures supplémentaires, la réforme du quotient familial et de l’allocation de rentrée scolaire, le report de l’âge de la retraite, la mise en place d’un service public de la petite enfance, l’encadrement des loyers en zone tendue. Ces mesures, et quelques autres hors du champ social, font l’objet d’évaluation ex ante – il s’agit d’ailleurs plus de prospective que d’évaluations. Les auteurs montrent que la mise en œuvre de ces mesures sociales ne pourra qu’améliorer la situation des populations qui se situent dans les niveaux de revenus bas et moyen bas. Il n’est pas certain, en revanche, que ce soit les bons leviers à actionner pour engager une sortie de crise. Réf. 1703
Emploi, chacun pour soi
« Étude comparée sur le développement des dispositifs individuels dans les politiques de l’emploi », Jacques Toulemonde, Irène Basile (Société Euréval), Coralie Perez (Centre d’économie de la Sorbonne) et Camille Guézennec (Centre d’analyse stratégique). Rapport d’étude réalisé à la demande du Centre d’analyse stratégique (CAS), 18 rue de Martignac, 75700 Paris Cedex 07, 81 p., 2012, consultable sur http://www.strategie.gouv.fr
6L’accompagnement des demandeurs d’emploi en Australie a été totalement individualisé à partir de 1998. Chaque demandeur d’emploi a 7 jours pour se choisir un opérateur parmi les prestataires privés pour l’accompagner dans son retour vers l’emploi. Selon son profil, il utilisera l’un des quatre parcours possibles de retour vers l’emploi, parcours comprenant de la formation et de l’aide au placement. L’exemple est géographiquement un peu éloigné et le taux de chômage en Australie ne dépasse guère 5,5 %. Dans les autres pays étudiés par les auteurs de ce rapport, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Chili, les États-Unis, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, les démarches d’individualisation proposées aux demandeurs d’emploi se sont aussi considérablement développées en s’appuyant principalement sur des comptes individuels de formation et des contrats personnalisés. Quel bilan peut-on tirer de cette approche ? L’étude comparative porte sur 13 dispositifs dans 8 pays. Dans la plupart de ces pays, il ne s’agit pas tant de personnaliser les prestations proposées, c’est-à-dire d’adapter une prestation standard aux caractéristiques de la personne, que d’individualiser les procédures en faisant appel aux choix individuels des bénéficiaires dans une logique de responsabilisation. Les premiers résultats, qui devaient être confirmés plus solidement, montrent que cette individualisation est bénéfique pour une majorité des bénéficiaires. Il apparaît aussi nettement que l’individualisation ne profite pas aux publics défavorisés alors que ces publics sont considérés comme étant prioritaires. Réf. 1704
Services aux personnes, pauvres services
« Les services à la personne : un levier d’insertion pour les publics éloignés de l’emploi ? », Elodie Alberola, Léopold Gilles et Florence Tith. Cahier de recherche n? 288, Crédoc, 142 rue du Chevaleret, 75013 Paris, décembre 2011, 80 p., consultable sur http://www.credoc.fr/pdf/Rech/C288.pdf
7Au cours des vingt dernières années, le secteur des emplois de service à la personne a proposé plus de 500 000 emplois nouveaux dont près d’un tiers d’aides ménagères aux personnes âgées et handicapées. Les perspectives de croissance restent fortes pour les prochaines années en dépit de la faible attractivité de ces emplois. Il s’agit, en effet, d’emplois, le plus souvent, à temps partiel comprenant une part importante de travail de week-end, chez des employeurs multiples ce qui génère des temps de déplacements importants et surtout, ces emplois sont très faiblement rémunérateurs. On ne s’étonnera pas alors que les salariés aient un faible niveau de qualification, que la moitié ait plus de 45 ans et que la part des plus de 55 ans progresse nettement, ce qui pose la question du renouvellement de cette main-d’œuvre à court terme. Faut-il faire de ces emplois des sas d’insertion pour les publics les plus éloignés de l’emploi ? Jusqu’alors les pouvoirs publics sont plutôt allés dans cette direction. On regrettera que les auteurs du rapport ne s’interrogent pas plus en profondeur sur cette stratégie qui consiste à rapprocher une offre et une demande à basse intensité de qualification, là où quelques travaux commencent à pointer les limites d’un service dont les compétences restent trop peu développées. Réf. 1705
Les majeurs protégés, combien de divisions ?
« Les majeurs protégés en France. Dénombrement, caractéristiques et dynamiques d’une sous-population méconnue », Paskall Malherbe. Université Montesquieu - Bordeaux IV, 10 A avenue d’Aquitaine, 33170 Gradignan. École doctorale 42, Entreprise, économie, société, juin 2012, 777 p., consultable sur le site de HAL
8Après la thèse de doctorat en démographie soutenue à l’Université de Bordeaux IV par Paskall Malherbe, chargée de l’Observatoire national des populations « majeurs protégés » de l’Unaf, il sera difficile d’expliquer que les majeurs protégés forment une population méconnue en France. D’abord parce que le document est un objet de 777 pages dont 200 d’annexes, mais il reste quand même près de 600 pages pour expliquer qui sont les majeurs protégés. Une grande première partie, aux confins du droit plus que de la démographie, rappelle la construction des trois régimes de protection juridique que sont la sauvegarde de justice, la tutelle et la curatelle et développe le contenu de la loi du 3 janvier 1968. Utilisant les multiples facettes de l’enquête Handicaps-Incapacités-Dépendance (HID), mais également l’enquête EHPA réalisée par la DREES auprès des établissements d’hébergement pour personnes âgées, ainsi que de nombreuses autres sources, nationales et locales, utilisant des méthodes démographiques, Paskall Malherbe parvient à une estimation de l’ordre de 750 000 majeurs protégés en 2008, soit 1,5 % de la population des majeurs vivant en France. Cette population est en croissance de 100 000 personnes tous les cinq ans et augmente surtout du fait de la croissance démographique française. Au-delà des majeurs protégés, l’auteure conduit une réflexion méthodologique en profondeur sur la statistique judiciaire et sur les données en matière de handicap et de dépendance. Réf. 1706
Les peurs alimentaires
« Les formes de peurs émergeant dans l’alimentation des sociétés occidentales contemporaines », Frédéric Précigout. Thèse pour l’obtention du grade de docteur en sociologie, Université François-Rabelais, École doctorale SHS, mai 2011, 361 p., consultable sur http://www.applis.univ-tours.fr/theses/2011/frederic.precigout_2346.pdf
9Pendant des centaines d’années, et encore actuellement dans certains pays, la question essentielle à propos de la nourriture a été celle des quantités disponibles. Allons-nous avoir assez à manger ? Allons-nous pouvoir nourrir nos enfants ? À partir des années quatre-vingt dix, surtout en Europe et en France, la question la plus importante a porté sur la qualité de cette nourriture et surtout sur les risques de nocivité que présente notre alimentation. Ce premier retournement s’accompagne d’un regard différent porté sur la nature. Pendant longtemps celle-ci fut la source des dangers, lorsque l’orage ou la tempête détruisaient les récoltes. Elle est désormais le havre heureux d’un temps presque disparu où les vaches ne consommaient pas des farines empoisonnées et où les grains de maïs n’étaient pas génétiquement modifiés. Ce sont ces retournements de représentations qu’étudie Frédéric Précigout dans une passionnante thèse qui oscille entre la sociologie et l’anthropologie. Multipliant les entretiens avec les industriels de l’agro-alimentaire, rencontrant des maraîchers du dimanche comme des passionnés de nourriture biologique, l’auteur décrit la transformation de nos peurs, l’évolution des représentations des relations entre la santé, la maladie et l’alimentation et surtout nos usages de la nourriture au service d’une idéologie de la beauté, de la jeunesse, et d’une santé idéale, presque de l’immortalité. Réf. 1707