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Article de revue

Rubrique - Entre la prise en charge judiciaire et administrative

Deux points de vue différenciés

Pages 96 à 103

Notes

  • [1]
    L?article 371-1 alinéa 2 du Code civil dispose que ?l'autorité parentale appartient aux père et mère jusqu?à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect dû à sa personne?.
  • [2]
    La loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l'enfance remplace la notion de ?mineur maltraité? par celle de ?mineur en danger?, afin d?harmoniser les concepts.
  • [3]
    Accueils provisoires et placements d?enfants et d?adolescents : des décisions qui mettent à l'épreuve le système français de protection de l'enfance et de la famille, rapport présenté par Pierre Naves et Bruno Cathala, juin 2001.
  • [4]
    Cette difficulté devrait, dans l'avenir, être écartée par le travail d?harmonisation des sources statistiques qu?effectue actuellement l'Observatoire national de l'enfance en danger, travail qui sera renforcé par la création des observatoires départementaux prévus par la loi sur la protection de l'enfance.
  • [5]
    L?aide sociale à l'enfance, bénéficiaires, séries chronologiques 1990-1996, ministère de l'Emploi et de la Solidarité, août 1998.
  • [6]
    Ces proportions semblent être toujours d?actualité, puisque, dans le Val-de-Marne, en 2005, les chiffres étaient les suivants : 366 accueils provisoires administratifs contre 1 109 placements judiciaires, et 429 aides éducatives à domicile contre 843 mesures d?AEMO judiciaires et 710 mesures d?investigation (180 enquêtes sociales et 530 mesures d?investigation et d?orientation éducative).
  • [7]
    Ordonnances de placement provisoire.
  • [8]
    Sources : enquête nationale 2004 ; rapport annuel 2005 de l'Observatoire de l'action sociale décentralisée (ODAS).
  • [9]
    Voir dans ce même numéro (article de Manuel Palacio) la liste des rapports récents.
English version

Le point de vue du juge des enfants

1Carol Bizouarn

2Juriste et sociologue de formation, elle est magistrate chargée des fonctions de juge des enfants auprès du tribunal de grande instance de Créteil, fonctions qu?elle avait précédemment exercées à Chartres. Dans l'entre-deux, elle a été affectée comme rédactrice au bureau des affaires judiciaires et de la législation de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse du ministère de la Justice, et s?est vue confier les dossiers relatifs à l'organisation, au fonctionnement des tribunaux pour enfants et à leur articulation avec les services éducatifs. Elle coordonne, en binôme avec Cécile Lalumière, la rédaction de l'Encyclopédie de la protection de l'enfance, et de ses mises à jour, parue aux éditions Weka en avril 2006.

3Résumé

4L?esprit des textes est que la protection administrative soit la règle et la protection judiciaire l'exception. Dans les faits, il en va autrement. Parmi les raisons qui concourent à la prédominance du judiciaire, les aspects symboliques sont présents. Mais la question qui se pose au juge comme à l'autorité administrative est celle de l'articulation des deux dispositifs. En effet, le passage de relais en amont ou en aval d?une décision oblige à une fluidité entre les acteurs, à une cohérence. Au regard des mesures récentes qui confient au président du conseil général cette mission de coordination, le dialogue doit s?ouvrir.

5La place du juge des enfants est spécifique : juge civil dans le cadre de la protection de l'enfance, en lien avec l'autorité administrative, juge pénal en cas de comportement délinquant. Le passage de l'un à l'autre soulève la question de la complémentarité des deux aspects, ou au contraire celle de la prédominance de l'un sur l'autre. Le département, auquel revient une mission de coordination des actions menées, devra organiser le passage de relais entre tous les acteurs.

6La protection de l'enfance en danger relève prioritairement des parents, titulaires de l'exercice de l'autorité parentale [1]. Ce n?est qu?en cas d?absence ou de défaillance de ceux-ci que la loi organise un autre mode de protection, administratif ou judiciaire. Néanmoins, ces dispositifs demeurent prioritairement des compléments aux actions parentales, puisque, dans le cadre administratif, la protection prend une forme contractuelle avec les parents, et dans le cadre judiciaire, non seulement elle est qualifiée d?assistance mais elle impose au juge des enfants de s?efforcer de recueillir l'adhésion de la famille.

Le cadre légal confronté aux pratiques

7Ainsi construite, la protection de l'enfance se répartit entre le conseil général et l'institution judiciaire sur la base de deux critères légaux : le risque et le danger. L?article L. 226-4 du Code de l'action sociale et des familles (CASF) impose, en effet, au président du conseil général d?alerter l'autorité judiciaire lorsqu?un ?mineur est victime de mauvais traitements ou est présumé l'être et qu?il est impossible d?évaluer la situation ou que la famille refuse manifestement d?accepter l'intervention du service de l'aide à l'enfance?. Ce texte se combine avec l'article 375 du Code civil qui définit la compétence du juge des enfants en fonction du danger pour ?la santé, la sécurité ou la moralité d?un mineur? ou de ?conditions d?éducation ou de développement physique, affectif, intellectuel et social gravement compromises?. Si les notions de mauvais traitement et de danger ne se recoupent pas totalement [2], la construction de l'article L. 226-4 du CASF qui subordonne le signalement à l'impossibilité d?intervenir auprès des familles conduit à considérer que la protection administrative est la règle et la protection judiciaire l'exception.

8Sur ce point, le rapport Naves-Cathala [3], qui souligne la difficulté de vérifier que l'esprit des textes soit respecté du fait de l'absence de chiffres d?une fiabilité incontestable [4], retient les chiffres du ministère de l'Emploi et de la Solidarité de 1998 [5], selon lesquels, en 1996, sur 113 400 placements gérés par l'aide sociale à l'enfance, 66 % relevaient d?une décision judiciaire, contre seulement 12 % d?un accueil provisoire signé par la famille. Aucun chiffre exploitable n?existait alors concernant les mesures d?assistance éducative en milieu ouvert [6]. Il semble donc que la pratique diffère de l'esprit des textes, la prévention se trouvant largement minoritaire (voir dans ce dossier l'article d?Isabelle Frechon).

9Quelle interprétation faire d?un tel constat ? En amont de l'intervention judiciaire, les professionnels travaillant dans le champ de la protection de l'enfance sont généralement imprégnés par l'esprit des textes et ne saisissent l'autorité judiciaire que lorsqu?ils estiment avoir atteint les limites de la prévention administrative. Plusieurs interprétations sont alors possibles pour expliquer la prédominance du judiciaire :

  • la difficulté pour les familles d?accepter l'intrusion de l'État dans la sphère domestique et la remise en cause de leurs méthodes éducatives les conduit à refuser l'aide administrative : un retrait d?adhésion qui suffit à justifier la saisine de l'autorité judiciaire indépendamment de la notion de danger. La difficulté est alors d?évaluer à partir de quel moment le refus des parents est ?manifeste?, tel que l'exige le texte. La passivité de certains parents peut-elle être interprétée comme un refus ? Qu?en est-il de l'accord donné par eux lorsqu?il résulte de la peur qu?ils ont de la saisine du juge des enfants ?
  • les nécessités matérielles : par exemple, les exigences de certains établissements d?enseignement spécialisé qui demandent la mise en place d?une mesure judiciaire pour accueillir un enfant, ou encore les questions de prise en charge financière des internats qui conduisent à tenter de contourner la politique du conseil général en matière d?aides financières ;
  • le recours à la symbolique judiciaire est également évoqué par les travailleurs sociaux qui signalent une situation, le plus souvent lorsqu?il existe un volet pénal à la problématique de danger (un comportement délinquant de l'enfant ou des poursuites pénales engagées contre l'un des parents). Dans ces hypothèses, le juge des enfants doit-il être le garant de la symbolique judiciaire ? Je ne pense pas qu?il faille généraliser. En effet, il convient, à mon sens, de ne pas dénaturer la place juridique du juge des enfants qui, dans le cadre de la protection de l'enfance, est un juge civil. Ainsi, même si le recours à la symbolique judiciaire est un argument tout à fait acceptable et opportun dans de nombreuses situations, il paraît, dans de nombreuses autres, une forme de facilité résultant du fait que le juge des enfants est le magistrat le plus accessible et peut-être le mieux repéré. Mais la symbolique pourrait bien souvent être assurée par le procureur de la République ou par le juge d?instruction. Par exemple, lorsque le mineur est délinquant et que le travailleur social souhaite uniquement que la loi lui soit rappelée, ne serait-il pas plus pertinent d?attendre une saisine pénale du juge des enfants pour effectuer un tel rappel ? Car c?est alors la place du procureur de la République, en sa qualité de garant des poursuites, qui est questionnée.

Fluidifier le passage de l'administratif au judiciaire

10Au-delà de la question du signalement à l'autorité judiciaire, en amont de la procédure, se pose la question de l'articulation en cours de prise en charge judiciaire, soit par la possible intervention concomitante des dispositifs administratif et judiciaire, soit en aval lorsqu?un non-lieu est envisagé en vue d?une prise en charge administrative.

11L?intervention simultanée des deux dispositifs est celle qui pose le plus de difficultés, notamment sur le plan de la conception que l'on peut avoir du dispositif global de protection de l'enfance. En effet, dès lors que la loi permet une totale articulation entre les deux dispositifs, deux conceptions existent : celle qui estime que l'intervention judiciaire est exclusive de toute autre et celle qui considère, au contraire, que l'articulation des dispositifs est un outil supplémentaire pour enrichir les prises en charge. Deux cas de figures permettent d?illustrer mon propos.

12Le premier est celui des fratries. Lorsqu?un enfant est en danger et que le reste de la fratrie ne l'est pas, mais nécessite néanmoins une prise en charge éducative, faut-il saisir le juge des enfants pour l'ensemble de la fratrie, afin de privilégier une cohérence éducative, ou faut-il, au contraire, poursuivre sur le mode administratif et ne saisir le juge que de la situation du seul enfant en danger ? Le fait de répondre à cette question soulèvera nécessairement des objections de la part de ceux qui privilégient la réponse ?au cas par cas?. Néanmoins, quelques lignes peuvent être dégagées. En effet, ou bien on considère que doit être privilégiée la nécessité de ne pas multiplier les intervenants, ou encore qu?il convient de ne pas stigmatiser l'enfant en danger par rapport aux autres, et le juge des enfants est saisi du tout. Ou bien on estime, au contraire, qu?il est important de préserver la symbolique judiciaire du danger, et n?est signalé que l'enfant concerné. Dans un cas comme dans l'autre, la marge de man?uvre du juge des enfants varie. S?il est saisi de la totalité de la fratrie, il pourra, selon sa pratique, ordonner une mesure éducative pour toute ou partie de celle-ci. En revanche, s?il n?est saisi que d?un seul enfant, il ne disposera généralement pas des éléments d?appréciation lui permettant d?étendre d?office sa saisine aux autres enfants. Faut-il pour autant généraliser les signalements de fratrie afin de restituer au juge des enfants sa marge d?appréciation ? Je ne le pense pas, car l'esprit des textes vise à privilégier la prévention sur le judiciaire. Le juge ne devrait donc être saisi que des cas de danger afin de permettre, lorsqu?il y a une collaboration possible des parents, une intervention administrative sur le reste de la fratrie.

13Le second cas de figure est celui de la double prise en charge d?un même mineur. Dit autrement, peut-on envisager, lorsqu?un mineur en danger est suivi dans le cadre d?une mesure d?Action éducative en milieu ouvert judiciaire (AEMO), que les parents signent un contrat d?accueil temporaire ? Là aussi, quelques arguments peuvent être dégagés. Le caractère judiciaire du placement peut être défendu quand les parents sont en difficulté pour gérer le sentiment de culpabilité que générerait la signature d?un accueil temporaire. Un tel sentiment pourrait les conduire à mettre rapidement un terme à la prise en charge, au détriment de la protection de l'enfant. L?intervention du juge des enfants permet alors d?introduire de la neutralité et de garantir à l'enfant une continuité dans sa prise en charge éducative. Mais peut-on envisager la judiciarisation à ce seul motif ? Je ne pense pas. Cela ne pourra bien évidemment se justifier qu?à condition que l'enfant courre un danger s?il retourne au domicile. Il m?apparaît en effet important de laisser aux parents le pouvoir de rester maîtres de la partie de la prise en charge qui relève de leur autorité parentale. Dans le même ordre d?idées, les contrats d?accueils temporaires ponctuels, principalement dans le cadre des vacances scolaires, sont souvent refusés par les conseils généraux, notamment pour des raisons budgétaires. Faut-il pour autant multiplier ce qu?on appelle les ?OPP [7] vacances?, cette pratique des juges des enfants, très usitée dans le passé, qui consistait à permettre à des enfants suivis dans le cadre d?une mesure d?AEMO de partir en vacances par le biais d?un placement. Pour ma part, je considère que le recours à l'OPP doit rester exceptionnel. Ainsi, je ne l'ordonne, et donc ne l'impose à l'Aide sociale à l'enfance (ASE), que dans deux hypothèses : ou le mineur est en danger s?il reste au domicile durant cette période, ou le placement court est un outil pour travailler la séparation et, à plus long terme, envisager un possible placement de longue durée.

14En dehors de l'intervention concomitante des deux dispositifs, se pose également la question du passage de relais en aval de la prise en charge judiciaire, lorsqu?un non-lieu est envisagé du fait de la disparition du danger. Ce passage de relais est simple et s?opère sans difficulté dès lors que le juge des enfants et l'inspecteur référent de la situation se sont accordés sur ce point, comme c?est généralement le cas en matière de placement. En revanche, la difficulté est plus importante lorsqu?il s?agit d?AEMO, pour deux raisons. D?une part, le service éducatif habilité pour intervenir dans le cadre judiciaire est rarement le même que celui qui intervient dans le cadre administratif. Le passage de relais implique donc un changement d?intervenant qui n?est pas toujours opportun et pour lequel recueillir l'adhésion de la famille est difficile. D?autre part, l'ASE n?intervient pas directement, sauf exception, dans la mesure d?AEMO (contrairement à la majorité des placements). De ce fait, elle n?est pas associée à la réflexion concernant l'existence du danger et le juge des enfants ne peut pas lui imposer la signature d?un contrat d?aide éducative à domicile. La décision de non-lieu mentionnant la possibilité d?intervenir dans un cadre administratif peut alors être vécue comme une intrusion du juge dans les prérogatives du conseil général. Pourtant, il est primordial de pouvoir signifier aux familles la disparition du danger et leur capacité à protéger leur enfant sans intervention du juge. C?est pourquoi il faut favoriser l'établissement de protocole de passage de relais entre autorités administrative et judiciaire. Or actuellement, une telle articulation est soumise à la seule bonne volonté des partenaires locaux.

Vers quelle coordination ?

15La loi relative à la protection de l'enfance du 5 mars 2007 ne modifie pas les dispositifs existants mais donne un cadre légal à des pratiques établies, telles les ?cellules de signalement?. En revanche, elle vise à institutionnaliser une réelle coordination entre les autorités administrative et judiciaire, à tous les stades de la procédure. Pour cela, elle crée un nouvel alinéa à l'article L. 221-4 du CASF qui confie au président du conseil général une mission de coordination avec l'autorité judiciaire, ?en amont, en cours et en fin de mesure, aux fins de garantir la continuité et la cohérence des actions menées?.

16Cet ajout peut paraître purement organisationnel, mais nous pouvons légitimement espérer que les discussions qui accompagneront cette mission permettront un débat de fond, au sein des départements, concernant les modalités d?une meilleure fluidité entre suivis administratif et judiciaire. Il faudra néanmoins attendre l'application effective de la loi et de cette disposition en particulier afin de voir de quelle façon les conseils généraux s?empareront de ce nouvel outil pour engager le débat.

Le point de vue du conseil général d?Eure-et-Loir

17Marie-Paule Martin-Blachais

18Médecin, thérapeute familial de formation, directrice ?Enfance et famille? auprès du conseil général d?Eure-et-Loir, chargée de la protection maternelle et infantile, des actions de santé et de la protection de l'enfance, elle a été, en 2005, co-rapporteur du rapport du sénateur de Broissia, chargé de mission auprès du ministre délégué à la Famille, sur L?amélioration de la prise en charge des mineurs protégés. Enfin, dans le cadre de ses engagements associatifs, elle est présidente de l'Association française d?information et de recherche sur l'enfance maltraitée (AFIREM).

19Résumé

20Face à une augmentation des charges du dispositif de protection de l'enfance, face à sa complexité et face aux nouvelles dispositions législatives, une série de constats alarmants sont effectués. Le président du conseil général est chef de file du dispositif, ce qui lui vaut une mission de coordination de l'ensemble des acteurs. Le passage du secteur administratif au secteur judicaire ne devrait se faire, propose l'auteur, qu?en seconde intention, lorsque la protection administrative ne suffit pas.

21La protection de l'enfance est une architecture complexe, peu lisible pour les usagers, voire pour les acteurs eux-mêmes. Depuis 2004, le conseil général est chargé de la coordination de l'ensemble, tout en étant co-responsable avec l'État. Pour tous il importe de savoir qui arbitre, qui décide, qui exécute et qui est responsable?

22Au moment où la solidarité se trouve de plus en plus sollicitée pour l'accompagnement des plus démunis et le soutien entre les générations, le dispositif de protection de l'enfance est interpellé sur sa cohérence et son efficience au regard des moyens qu?il mobilise.

Des constats préoccupants

23Le dispositif de protection de l'enfance, aujourd?hui [8], représente une dépense de 5 milliards d?euros pour l'ensemble des budgets départementaux d?ASE (sur les chiffres concernant la répartition des mesures, voir l'article d?Isabelle Frechon dans ce dossier). On observe une augmentation de 7 % des signalements administratifs et judiciaires (soit 95 000 en 2004), à laquelle s?ajoute un surcroît de signalements de mauvais traitements suspectés ou avérés, impliqués dans 20 % des cas (soit 19 000 en 2004).

Un cadre législatif et réglementaire qui évolue

24Rappelons les textes à l'origine du dispositif de protection de l'enfance :

  • l'ordonnance du 23 décembre 1958 (art. 375/CC) instaure l'assistance éducative et confie à l'autorité judiciaire la protection de l'enfant en danger ;
  • le décret du 7 janvier 1959 (art. R.221-1/CASF) confirme à la protection sociale la mission d?assurer la protection de l'enfant en risque de danger.
Les lois de décentralisation (juin et juillet 1983) ont conduit à la redéfinition des fondements de l'intervention administrative par la loi du 6 janvier 1986 (art L. 221-1/CASF) comme devant ?apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs confrontés à des difficultés susceptibles de compromettre gravement leur équilibre et mener en urgence des actions de protection à leur égard?.

25Par ailleurs, la loi du 10 juillet 1989 introduit une nouvelle catégorie de mineurs à protéger relevant de maltraitances, organise le recueil des signalements et définit, conformément à l'article L. 226-4 du Code de l'action sociale et des familles, les modalités de saisine du parquet par le président du conseil général, dès lors ?qu?un mineur est victime de mauvais traitements ou est présumé l'être et qu?il est impossible d?évaluer la situation ou que la famille refuse manifestement d?accepter l'intervention du service de l'aide sociale à l'enfance?. Enfin, la loi du 2 janvier 2004 (CC) introduit l'exigence de la prise en compte de l'intérêt de l'enfant dans les décisions de protection qui le concernent.

26Doivent également être prises en compte les modifications intervenues en ce qui concerne les droits des familles, tant dans leurs rapports avec l'Aide sociale à l'enfance (loi du 6 juin 1984 et décret du 23 août 1985) que dans le cadre de la réforme de l'assistance éducative (décret du 15 mars 2002).

27Ainsi, l'ASE doit concilier (sauf circonstances exceptionnelles) les prérogatives de l'autorité parentale qui ne sont pas incompatibles avec la mesure de placement (entretien, éducation, surveillance), tout en garantissant la capacité de l'exercice des actes usuels de la vie courante par le service de prise en charge (vie quotidienne, loisirs, sorties, etc.).

28En matière d?assistance éducative, il s?agit de prendre en compte les prérogatives liées à l'autorité parentale en permettant l'accès au dossier et en garantissant le débat contradictoire. De ce fait, les familles peuvent, préalablement à l'audience judiciaire, consulter les pièces du dossier et préparer leurs arguments devant le juge des enfants en toute connaissance de cause.

29En conséquence, on voit, au travers de l'évolution du cadre législatif et réglementaire, un élargissement des publics accessibles au dispositif de protection administrative, ainsi qu?une déclinaison partielle des modes de saisine de l'autorité judiciaire par le conseil général qui, depuis la loi du 10 juillet 1989, définit seulement les situations de suspicion de mauvais traitements, sans précision pour les autres catégories de mise en danger des mineurs telles que prévues au titre des mesures de protection judiciaire (art. 375 et suivants du Code civil).

30Ceci peut faire obstacle à une clarification du circuit de signalement, facilite la dispersion des modes d?entrée dans le dispositif de protection de l'enfance et accentue ses défaillances (saisine a priori du judiciaire, informations partielles, évaluation unilatérale des situations familiales, procédure d?urgence injustifiée, etc.), ne rend pas suffisamment lisible la hiérarchie du dispositif, à savoir la fonction première de la protection administrative et le recours subsidiaire à la protection judiciaire.

31La mise en place d?une cellule de signalement centralisée au sein du département, telle que prévue dans le projet de réforme de la protection de l'enfance, et la fonction de chef de file du dispositif de protection de l'enfance dévolue au président du conseil général devraient considérablement améliorer la procédure de recueil de signalements comme l'articulation entre ce qui relève de l'administratif et du judiciaire.

Le conseil général, chef de file?

32Depuis 1970, de nombreux rapports, dont plus de six en 2005 [9], soulignent la complexité du dispositif, son manque de lisibilité et de complémentarité, qui devrait pourtant reposer sur la co-responsabilité des autorités administratives et judiciaires.

33L?acte I de la décentralisation (juin et juillet 1983) attribue la prévention et la protection sociale au département ; l'acte II, dans le cadre de la loi du 13 août 2004, confie au président du conseil général la compétence de chef de file de l'action sociale sur le territoire départemental aux fins de coordination de l'ensemble des acteurs.

34Le dispositif de protection de l'enfance fonctionnant sous la co-responsabilité publique de l'État et du conseil général, il convient que, conformément à la circulaire du 10 janvier 2001, l'État, sous l'autorité du préfet, garantisse la coordination des administrations d?État (police, gendarmerie, juridictions, PJJ, Éducation nationale, Jeunesse et Sports, DDASS) avec les politiques départementales locales associant l'ensemble des acteurs (collectivités locales, secteur associatif, établissements publics, établissements privés habilités).

35L?existence de schéma de protection de l'enfance conjoint (État/département), l'élaboration de chartes partenariales, de protocoles et de procédures partagées, la mise en ?uvre de conférences annuelles de la famille, etc. sont autant d?éléments favorables à la consolidation du dispositif, à la clarification des rôles et des fonctions de chacun, à l'amélioration de la complémentarité des acteurs.

Un défaut d?articulation

36En effet, le président du conseil général dispose d?une fonction de protection générale des mineurs accueillis hors du domicile familial, au titre de l'article L. 227-1 du CASF. Par ailleurs, quand le mineur est confié à des particuliers ou à des établissements au titre des articles 375 et suivants, celui-ci est placé, conformément à l'article L. 227-2 du CASF, sous la responsabilité conjointe du président du conseil général et du juge des enfants. Enfin, lorsque le mineur, par décision du juge des enfants, est confié à l'ASE en qualité de service ?gardien?, il revient en même temps au conseil général la charge ?d?organiser, de diriger et de contrôler la vie de ce mineur et donc la responsabilité de ses actes?, celle-ci n?étant pas fondée sur l'autorité parentale mais sur la garde (Cour de cassation, 1996).

37Pour l'accomplissement de ses missions et sans préjudice de ses responsabilités vis-à-vis des enfants qui lui sont confiés, le service de l'ASE peut faire appel à des organismes publics ou privés habilités ou à des personnes physiques. Le service contrôle les personnes physiques ou morales auxquelles il a confié des mineurs en vue de s?assurer des conditions matérielles et morales de leur placement (art. L. 221-1 du CASF).

38De ce fait, la multiplicité des responsabilités gagnerait à être clarifiée au regard de la complexité des postures des décideurs dans le dispositif, qui rend peu lisibles les lieux de décision et d?arbitrage quand il s?agit de concilier les prérogatives entre juge des enfants, service gardien, familles et établissements ou services de prise en charge.

39Prenons l'exemple d?un des enfants d?une famille faisant l'objet d?une décision de placement judiciaire par le juge des enfants pour mise en danger du mineur. Il est confié à l'ASE et orienté dans un établissement social habilité. Dans ce cas, les parents détiennent toujours l'autorité parentale, mais le service de l'ASE est déclaré civilement responsable, y compris lors des retours en hébergement familial. Quelques questions sont soulevées : quelle représentation se font les parents de la répartition des prérogatives entre juge des enfants et service de l'ASE s?il y a demande d?hébergement chez un tiers ? Quelle articulation entre responsabilité du service ASE en qualité de service ?gardien? et projet individuel personnalisé de l'établissement d?accueil tel que prévu au titre de la loi du 2 janvier 2002 ? Quelles seront les modalités relationnelles entre parents et établissement alors que le commanditaire est l'ASE et non les parents, et l'usager le mineur confié ? Quelles seront les modalités relationnelles dans le dispositif triangulaire juge des enfants, ASE et établissement ou service public ou privé habilité, en matière d?information, de décision, d?arbitrage, de coordination et de recours ?

Le passage du champ administratif au champ judiciaire

40L?évolution des notions (danger, risques de danger, maltraitance?) retenues pour identifier les publics pris en charge interrogent aujourd?hui sur les critères de champs de référence. Par manque de définition consensuelle du danger ou du risque de danger, il apparaît plus pertinent de retenir la protection administrative dans le champ du contractuel ; c?est-à-dire requérant l'accord des parties devant une problématique reconnue, identifiée, partagée, pour laquelle les mesures d?aides proposées font l'objet d?un document, conformément à l'article L. 223-1 et R.223-6 du CASF, contractualisé et formalisé, opposable et intégrant les voies de recours. Il s?agit donc bien d?une démarche d?accompagnement négociée sans contrainte, librement consentie et co-construite par les deux parties.

41L?absence de ces conditions devrait conduire à la saisine de l'autorité judiciaire (déni, conflit, impossibilité d?évaluer, refus des mesures d?aide proposées), telle que prévue au titre de la loi du 10 juillet 1989 relative aux mauvais traitements.

42La diversité des origines des signalements (sanitaires, sociaux, éducatifs, familiaux, etc.) et la multiplicité des portes d?entrée (signalement au président du conseil général, saisine directe du parquet ou du juge des enfants) dans le dispositif de protection de l'enfance sont assez caractéristiques de notre système français. Il ne permet pas la mise en place d?une organisation garantissant la hiérarchisation des réponses au regard de la complexification des problématiques posées et le recours du judiciaire en seconde intention ? dès lors que la protection administrative ne peut assurer la mesure de protection initiale.

43L?externalisation de certaines mesures (comme le placement direct ou l'assistance en milieu ouvert) fonctionnant en auxiliaire de justice sans réel engagement formalisé dans le dispositif de protection de l'enfance ne permet pas de garantir le nécessaire travail en réseau, la continuité du parcours de l'enfant et de sa famille ni la complémentarité des actions, mais peut parfois induire clivage et rupture dans la prise en charge au niveau du système de protection de l'enfance, compromettant le sens et la cohérence de l'action. Aussi, un dispositif de droit commun de protection de l'enfance et une articulation coordonnée des actions permettraient une meilleure cohérence du dispositif.

Réinvestir le champ de la prévention

44Les travaux des experts (Anna Freud, John Bowlby, Esther Bick?) s?accordent sur le fait que la cellule familiale est le premier lieu d?expérience et de socialisation de l'enfant : lieu de découverte et d?apprentissage, d?attachement, d?identification et de structuration de l'estime de soi au regard de l'accès à une sécurité interne suffisante. Ceci plaide pour développer le champ de la prévention et de la protection administrative, pour favoriser les synergies des adultes qui entourent l'enfant et ainsi tisser le nécessaire réseau partenarial de prise en charge. L?enfant doit être au centre des préoccupations institutionnelles.

45En conséquence, au regard d?un dispositif actuel qui se caractérise par une forte judiciarisation des situations et une majorité de mineurs confiés à l'ASE, il est nécessaire de clarifier, tant pour les enfants et leurs familles que pour les acteurs eux-mêmes, l'architecture de notre dispositif de protection de l'enfance aux fins d?identifier les lieux d?arbitrage, de décision, de coordination, de mise en ?uvre, d?exécution, de responsabilité et de recours. C?est un double souci de transparence pour les usagers et de sécurisation des fonctions et des pratiques pour les professionnels qui doit nous guider.

Bibliographie

Bibliographie

  • Marie-Paule Martin-Blachais, ?Le petit enfant en souffrance aux lisières de la cité?, Édition ANPASE, Émergence, n° 74, 2006, p. 81-84
  • Didier Houzel, Les enjeux de la parentalité, Érès, 1999.
  • Louis de Broissia, L?amélioration de la prise en charge des mineurs protégés, rapport au ministre délégué à la Sécurité sociale, aux Personnes âgées, aux Personnes handicapées et à la Famille, juillet 2005.
  • Joseph Goldstein, Anna Freud, Albert J. Solnit, Dans l'intérêt de l'enfant, ESF, 1980.

Notes

  • [1]
    L?article 371-1 alinéa 2 du Code civil dispose que ?l'autorité parentale appartient aux père et mère jusqu?à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect dû à sa personne?.
  • [2]
    La loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l'enfance remplace la notion de ?mineur maltraité? par celle de ?mineur en danger?, afin d?harmoniser les concepts.
  • [3]
    Accueils provisoires et placements d?enfants et d?adolescents : des décisions qui mettent à l'épreuve le système français de protection de l'enfance et de la famille, rapport présenté par Pierre Naves et Bruno Cathala, juin 2001.
  • [4]
    Cette difficulté devrait, dans l'avenir, être écartée par le travail d?harmonisation des sources statistiques qu?effectue actuellement l'Observatoire national de l'enfance en danger, travail qui sera renforcé par la création des observatoires départementaux prévus par la loi sur la protection de l'enfance.
  • [5]
    L?aide sociale à l'enfance, bénéficiaires, séries chronologiques 1990-1996, ministère de l'Emploi et de la Solidarité, août 1998.
  • [6]
    Ces proportions semblent être toujours d?actualité, puisque, dans le Val-de-Marne, en 2005, les chiffres étaient les suivants : 366 accueils provisoires administratifs contre 1 109 placements judiciaires, et 429 aides éducatives à domicile contre 843 mesures d?AEMO judiciaires et 710 mesures d?investigation (180 enquêtes sociales et 530 mesures d?investigation et d?orientation éducative).
  • [7]
    Ordonnances de placement provisoire.
  • [8]
    Sources : enquête nationale 2004 ; rapport annuel 2005 de l'Observatoire de l'action sociale décentralisée (ODAS).
  • [9]
    Voir dans ce même numéro (article de Manuel Palacio) la liste des rapports récents.
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