Notes
-
[1]
É. Badinter, L’amour en plus. Histoire de l’amour maternel, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Flammarion, 1980, 372 p.
-
[2]
Ph. Ariès, Histoire des populations françaises et de leurs attitudes devant la vie, Paris, Le Seuil, 1996, 412 p.
-
[3]
P. Guillaume, “Les ateliers de famille entre paternalisme et sweat system”, actes du colloque “Les PME dans les sociétés européennes de 1880 à nos jours. Pouvoir, représentation, action”, Paris, 20 et 21 janvier 2006, à paraître.
-
[4]
Id., Un siècle d’histoire de l’enfance inadaptée, l’OREAG 1889-1989, Paris, Expansion scientifique française, 1989, 120 p.
-
[5]
D. Dessertine, La société lyonnaise pour le sauvetage de l’enfance (1890-1960), Toulouse, Érès, 1990, 218 p.
-
[6]
C. Rollet-Echalier, “La politique à l’égard de la petite enfance sous la III République”, INED, Travaux et documents, n° 127, Paris, 1990, 2 vol., p. 677
-
[7]
V. Gourdon, Histoire des grands-parents, Paris, Perrin, 2001, 459 p.
-
[8]
INSEE, Données sociales, Paris, Édition 1984, p. 128.
1Depuis de la fin du XIXe siècle, les coûts relatifs à l’enfant, ont pesé de plus en plus sur les familles qui, jusque-là, trouvaient dans les fruits du travail de ces enfants (et de leur exploitation) une aide non négligeable. Á partir des domaines de l’école et de la santé, puis des allocations familiales, l’État, progressivement, est venu apporter sa contribution.
2Tous les historiens de la famille, et notamment Élisabeth Badinter [1] et Philippe Ariès [2], ont insisté sur la place sans cesse grandissante donnée à l’enfant dans la famille au cours du XIXe siècle, au point que ce dernier ait pu parler de l’“enfant roi”, objet de toutes les attentions. C’est cette évolution qui expliquerait l’importance des efforts faits, des sacrifices consentis par bien des parents. Les impératifs affectifs, dont on ne saurait sous-estimer l’importance, se conjuguent avec les obligations légales inscrites dans le Code civil qui veulent que :
- article 203 : “Les époux contractent ensemble, par le fait seul du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants” ;
- article 205 : “Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère et autres ascendants qui sont dans le besoin”.
Les apports de l’enfant
3Pendant les décennies de la première révolution industrielle, au milieu du XIXe siècle, le salaire de l’enfant travaillant en atelier était de l’ordre du quart du salaire masculin, mais, si faible qu’il ait été, cet apport fut indispensable à l’équilibre de bien des budgets populaires. Il faut cependant se garder d’imputer à l’industrialisation cette exploitation du travail enfantin. Elle était de règle dans la société rurale et le resta. Le décret du 19 janvier 1811 concernant les enfants trouvés, abandonnés ou orphelins dit, à partir de ce cas particulier mais très répandu, ce que l’on considère comme les rapports normaux de l’enfant du peuple et du travail. Dès 6 ans, il est admis qu’il contribue, en travaillant pour son tuteur, à son entretien, et à 12 ans, il devra couvrir intégralement le coût de celui-ci par les services rendus. Une autre disposition légale suggère aussi ce que, beaucoup plus tardivement, on peut exiger de l’enfant. En 1872, lorsque est discuté le texte qui devait aboutir à la loi de 1874 sur le travail des enfants, il est dit que ses dispositions ne s’appliqueraient pas aux “ateliers de famille”, c’est-à-dire à ceux dans lesquels le chef de famille fait travailler uniquement les membres de celle-ci, donc ses propres enfants [3]. Cette disposition est à nouveau discutée lors de l’élaboration de la loi de 1892, qui laisse les ateliers de famille fermés aux inspecteurs du travail, sous prétexte que nulle autorité ne peut être plus bienveillante que celle du père. Cela signifie, en clair, que celui-ci peut légalement imposer à ses enfants la charge de travail qui lui agrée. Ces dispositions situent bien la responsabilité de l’exploitation des enfants au XIXe siècle. À la recherche d’une main-d’œuvre à bon marché, les manufacturiers, notamment du textile, n’y sont certes pas étrangers. Mais des contraintes familiales jouent aussi, qui s’expliquent elles-mêmes, par ce qu’a d’indispensable l’apport du travail enfantin, à la ville où il est le plus apparent, dans les campagnes où la coutume le couvre d’un voile pudique.
4L’enfant, c’est aussi l’héritier, et il arriva qu’il réponde aux espoirs mis en lui, aux sacrifices pour lui consentis. On a fait du polytechnicien l’incarnation même d’une réussite qui n’était pas totalement interdite aux garçons de modeste condition, à condition que la reconnaissance de leurs dons leur ait valu les bourses nécessaires. Si la carrière ecclésiastique, tentante pour les ambitieux, comme l’a montré Stendhal, est un cul-de-sac familial, l’école normale primaire permet d’échapper à la condition populaire et peut conduire, à la deuxième génération, aux sommets de l’État, comme l’a démontré Georges Pompidou. Les écoles militaires ont constitué aussi des ascenseurs sociaux, même si, pour bien des historiens, elles sont moins recommandables que les écoles normales. Plus généralement encore, dès lors que l’on accéda à la fonction publique par concours et non plus sur recommandation, ladite fonction publique offrit une chance de promotion sociale, modeste pour le facteur titulaire de son certificat d’études, notable, beaucoup plus tard, pour l’élève de l’École nationale d’administration, créée dans ce but, à la Libération. N’a-t-on pas fait du souhait de toutes les mères de famille de faire de leurs fils des fonctionnaires l’une des explications du blocage de la société française ?
5Cependant, l’apport de l’enfant est largement différé puisque, aux termes mêmes du Code civil, ce dernier doit répondre aux besoins de ses parents et autres ascendants nécessiteux. C’est là, dans les sociétés européennes jadis, dans bien des sociétés en voie de développement aujourd’hui, la justification donnée à la fécondité des plus défavorisés, celle que déplorait Malthus. On a pu donner des visions idylliques de cette prise en charge, par exemple celle qui avait pour cadre les “maisons” des vallées pyrénéennes, où Le Play et ses disciples trouvaient déjà le modèle de la famille large qui leur était cher. De subtiles stratégies matrimoniales permettaient de transmettre sans fractionnement les domaines, tandis que des filles condamnées au célibat étaient autant de gardes-malades pour leurs vieux parents. Si ce modèle a existé, il ne fut général ni en milieu rural ni en milieu urbain, où les Pères Goriot furent sans aucun doute nombreux, comme en témoigne la surpopulation des hospices de vieillards où s’éteignaient ceux qui étaient abandonnés de tous.
Le coût de l’enfant
6Chaque enfant est un investissement spécifique dont le montant dépend des moyens des parents et du destin qu’ils souhaitent pour leurs descendants. Il est évident que la nourriture, le vêtement et la formation d’un enfant du peuple coûta durablement moins cher que ceux d’un jeune bourgeois ou aristocrate, tout en représentant une charge relative beaucoup plus lourde pour les siens. On peut néanmoins déceler des évolutions globales. Ainsi, on admettra sans doute que le coût de la nourriture et du vêtement a évolué dans les familles populaires, comme l’a fait le niveau de vie qui a eu tendance à s’améliorer, en France, à partir de 1860. Les enfants, comme les adultes, sont mieux nourris et mieux vêtus en 1913 qu’en 1850, sans que la charge relative que cela représente se soit élevée.
7L’école et la santé en tant que postes de dépenses ont connu une évolution autonome. Nous allons voir ci-après comment l’État en a repris peu à peu la charge. Comme son apport, le coût de l’enfant est aussi un coût différé. Depuis que le Code civil a imposé le partage égal des successions, le problème du fractionnement du patrimoine se pose. On y a vu l’origine de ce malthusianisme qui a caractérisé la société française au XIXe siècle. Il fut particulièrement rigoureux dans les milieux où les moyens étaient limités et où leur convergence sur une seule tête était la condition de la promotion sociale de l’enfant. Avoir plusieurs filles pouvait également tourner à la catastrophe familiale aussi longtemps qu’elles restaient écartées de toute vie professionnelle. La nécessité de les doter correctement pour leur assurer un avenir digne hanta bien des pères, avec comme alternative le célibat ou l’entrée dans les ordres. L’apparition des institutrices et des demoiselles du téléphone, à la fin du XIXe siècle, permit d’entrevoir des solutions qui ne prirent consistance qu’avec l’accès très progressif des filles à l’enseignement supérieur, après la Première Guerre.
Avec ou contre la famille : la protection de l’enfant
8Un grand pas a été franchi pour la protection de l’enfant au sein même de la famille avec le vote de la loi du 24 juillet 1889 qui ouvre la possibilité de la déchéance paternelle, automatique lorsque les géniteurs ont subi une condamnation criminelle ou correctionnelle, à l’appréciation du magistrat lorsqu’ils sont connus pour “leur ivrognerie habituelle, leur inconduite notoire et scandaleuse ou par de mauvais traitements compromettant la santé, la sécurité ou la moralité de leurs enfants”. Très longuement discuté avant son adoption, ce texte contredisait une tradition multiséculaire héritée d’un droit romain qui donnait sa toute-puissance au pater familias. Désormais, il était possible de confier, par voie de justice, à des œuvres créées à cet effet, dites de patronage, des enfants enlevés à leur famille. Ce fut le cas à Bordeaux avec la fondation, dès 1889, alors même que la loi était encore en discussion, de l’Œuvre des enfants abandonnés ou délaissés de la Gironde [4]. Il en alla de même dans bien d’autres villes, comme à Lyon avec la Société lyonnaise pour le sauvetage de l’enfance, créée en 1890 pour répondre au besoin né de la nouvelle loi [5]. Les buts poursuivis étaient, certes, la sauvegarde de l’enfant, mais aussi la défense d’une société qui se pensait menacée par des individus issus de familles criminogènes et dont on devait faire des éléments utiles, ouvriers agricoles, marins ou soldats. Quant aux filles, que ne menaçait guère que la prostitution dont la dangerosité sociale était considérée comme limitée, elles restaient confiées à des œuvres religieuses, les plus aptes à en faire des domestiques de bonne moralité.
9La mise en apprentissage constituait une autre forme d’exploitation de l’enfant. La suppression des corporations par la Révolution, en 1791, avait fait disparaître toute réglementation et il en fut ainsi jusqu’à la loi du 22 février 1851, qui fixa par contrat les obligations du maître comme de l’apprenti. Celui-ci devait recevoir une véritable formation professionnelle, disposer de deux heures par jour pour accéder à une éducation primaire et religieuse, ne pas travailler plus de dix heures par jour avant 14 ans, de douze heures avant 16 ans. On ne devait pas lui imposer d’efforts au-dessus de ses forces, et lui laisser libres dimanches et fêtes légales. Le maître était “obligé de se conduire envers l’apprenti en bon père de famille, de surveiller sa conduite et ses mœurs, d’avertir ses parents de ses fautes graves ou de ses penchants vicieux, et de les prévenir sans retard des cas de maladie ou d’absence et de tous faits susceptibles de motiver leur intervention.” Il était “responsable du dommage causé par son apprenti, à moins qu’il ne [prouvât] qu’il n’avait pu l’empêcher”.
10Ce sont des rapports d’autorité qui sont ainsi définis, alors que “les conditions de logement, de nourriture et de prix” qui doivent être inscrites dans le contrat ne sont soumises à aucune contrainte légale. Il est question de prix et non pas de salaire, ce qui signifie que l’apprenti peut avoir à payer sa formation. Dans la réalité, échappant à tout contrôle, celle-ci est très aléatoire et l’apprenti reste bien souvent le domestique du maître et des compagnons. Une loi de 1892 innove en créant les écoles pratiques du commerce et de l’industrie, mais pour qu’il y ait un véritable changement, il faut attendre la mise en application de la loi Astier du 25 juillet 1919, rendue possible par la création de la taxe d’apprentissage, en 1925. Les entreprises sont incitées à organiser une formation professionnelle par l’exemption de cette taxe qui finance l’enseignement en question.
11Deux types de dispositions légales limitèrent l’exploitation de l’enfant. Les premières furent celles qui fixèrent pour lui la durée du travail. Le texte du 28 mars 1841, imité du factory act anglais de 1833, interdit de faire travailler en usine les enfants de moins de 8 ans, de faire travailler plus de huit heures par jour entre 8 ans et 12 ans, plus de douze heures entre 12 ans et 16 ans. Leur était interdit le travail de nuit jusqu’à 13 ans, tandis que, jusqu’à 12 ans, ils devaient “suivre une école”. Ces dispositions, elles n’avaient rien de draconien mais elles furent perçues comme une ingérence de l’État dans les relations de travail et furent peu appliquées car ni véritable inspection ni réelles sanctions n’étaient prévues. La loi du 19 mai 1874 fixa à 12 ans l’âge minimum à l’embauche, diminua les durées légales pour les différentes tranches d’âge, et créa un corps d’inspecteurs rétribués par l’État. La loi du 2 novembre 1892 étendit les dispositions du texte précédent aux femmes et confia la surveillance de son application à l’inspection du travail, qui lui donna une beaucoup plus grande efficacité. Comme cela a été mentionné précédemment, les ateliers de famille échappèrent à cette législation, ce qui permit à des formes d’exploitation en famille de se perpétuer.
L’école obligatoire et gratuite
12Les autres dispositions légales qui limitèrent l’exploitation de l’enfant furent celles qui imposèrent sa scolarisation. La loi Guizot de 1833 avait permis l’alphabétisation de la grande majorité des jeunes Français et, à un moindre degré, des Françaises, mais c’est la loi Ferry du 28 mars 1882 qui rendit l’enseignement primaire obligatoire, après qu’il fut devenu gratuit, en 1881. Cette obligation pesa lourd sur les familles dans lesquelles le travail des enfants était de règle. Ce qui était notamment le cas en milieu rural, où la main-d’œuvre enfantine était particulièrement sollicitée en période de gros travaux, de fenaisons, de moissons ou de vendanges, et vouée à des tâches comme la garde des troupeaux. Durablement, l’obligation scolaire resta donc saisonnière et limitée aux périodes, notamment hivernales, où le travail de la ferme était moins pressant. On a raconté mille fois les drames vécus par les bons et bonnes élèves de l’école primaire qui, bien que reconnus comme tels et poussés par leurs maîtres, se virent enlever par les contraintes familiales tout espoir de poursuivre leurs études, ce qui aurait été pour eux le moyen d’échapper à la glèbe, à l’atelier ou à la mine. Même l’obtention d’une bourse, si elle allégeait la charge découlant d’une scolarisation prolongée, ne compensait pas le manque à gagner de l’enfant qui n’était pas mis au travail au terme de la scolarité obligatoire, soit 13 ans à partir de 1882, 14 ans en 1936, 16 ans en 1959.
13En effet, la démocratisation – celle de l’enseignement primaire, financé par la contribution scolaire jusqu’à la III République, celle, très relative, de l’enseignement secondaire, resté payant jusqu’en 1928, et celle, plus marginale encore, de l’enseignement supérieur – n’est pas allée sans des efforts accrus de la part des familles, alors même que les bourses sont en nombre limité.
La lutte contre la mortalité infantile
14L’attention accrue à la santé, voire à la survie des enfants, n’est pas allée non plus sans peser lourd sur les parents, tout particulièrement jusqu’à la mise en place, si tardive en France, des assurances sociales, en 1930. La mise au monde elle-même est plus onéreuse dès lors que la sage-femme qualifiée ou, dans les cas délicats, le médecin se substituent aux commères qui, traditionnellement, assistaient l’accouchée. Lorsque, à la fin du XIXe siècle, se répandit une peur justifiée de la tuberculose, le coût de la prévention pesa sur bien des familles pour lesquelles les frais d’envoi en préventorium n’étaient que partiellement couverts par la philanthropie.
15Au lendemain de la défaite de 1870, la France, que l’on croyait menacée par une “dégénérescence de la race”, présentait une mortalité infantile beaucoup plus élevée que la Grande-Bretagne ou que l’Allemagne. Des efforts ont alors été entrepris pour y remédier, à l’initiative de médecins comme Pierre Budin, et ont progressivement été créées des gouttes de lait pour assurer une nourriture saine aux nourrissons, ainsi que des consultations dans les hôpitaux [6]. Avec la mise en application de la loi de 1916 sur les dispensaires, des infirmières-visiteuses sont venues donner des directives d’hygiène dans les familles. Ce sont là les prémices de ce qui sera, en 1945, la protection maternelle et infantile. Ces attentions nouvelles imposant souvent des soins eurent un coût. Il est difficile à évaluer, comme de dire dans quelle mesure il fut pris en charge par la collectivité. En 1909, la loi donna aux femmes enceintes le droit à un congé de maternité de huit semaines, sans salaire, mais avec conservation de l’emploi. En 1910, les institutrices bénéficièrent d’un congé de maternité de deux mois à plein traitement, tout comme les postières en 1911. En 1928, cette mesure fut étendue à toute la fonction publique. Dès lors, pour les catégories sociales qui en bénéficiaient, les enfants à naître ou les nouveau-nés n’étaient plus la charge qu’ils représentaient pour les femmes, condamnées auparavant à travailler jusqu’à la limite de leurs forces, risquant de perdre leur emploi et contraintes, dès les lendemains de l’accouchement, à confier le nouveau-né à des mains étrangères, celles des grands-mères dans le meilleur des cas [7]. On explique aussi l’emmaillotage serré des nouveau-nés, dénoncé dès la fin du XVIIIe siècle par les médecins comme nocif, voire meurtrier, par la nécessité d’immobiliser complètement l’enfant alors que sa mère était au travail. En complément, le sinistre biberon à bec ou à tube permettait à l’enfant de s’alimenter avec le lait ou avec la bouillie qui s’y putréfiait en délestant la mère de la charge de l’allaitement naturel ou artificiel. Sauver davantage de nouveau-nés imposa donc de leur consacrer plus de temps, mais les nouvelles dispositions légales des premières années du XXe siècle offrirent des contreparties à des salariées de plus en plus nombreuses, dans le secteur public d’abord, dans les grandes entreprises ensuite. Si l’on considère le deuil comme un coût, on dira que la régression de la mortalité infantile, sensible en France après 1900, l’abaissa progressivement.
L’enfant, la famille et l’État-providence
16En accordant à tous les salariés (de l’industrie, du commerce, de l’agriculture et des professions libérales) des allocations familiales, l’État, qui avait préalablement mis en place les assurances sociales par la loi du 30 avril 1930, apporte sa contribution au coût de l’enfance. Leur définition est la suivante : “Les allocations familiales sont dues pour tout enfant ou descendant légitime, reconnu ou adoptif, et pour tout pupille, résidant en France à la charge de l’ouvrier ou de l’employé et n’ayant pas dépassé l’âge de l’obligation scolaire. Elles sont dues jusqu’à l’âge de 16 ans si l’enfant poursuit ses études ou est placé en apprentissage […] ou est, par suite d’infirmités ou de maladie chronique, dans l’impossibilité constatée de se livrer à aucun travail salarié.”
17Il faudra les décrets de novembre 1936 pour qu’en bénéficient les salariés agricoles, puis de juin 1938 pour les exploitants. Le Code de la famille du 29 juillet 1939 modifie profondément les dispositions de 1932. D’après son article 11, les allocations familiales ne sont dues qu’à partir du deuxième enfant, tandis que la première naissance justifie une prime qui n’est accordée que si elle intervient dans les deux années qui suivent le mariage. La portée populationniste de la politique amorcée en 1932 est ainsi clairement renforcée. Le but poursuivi n’est pas de soulager les parents de la charge de leurs enfants, mais de les inciter à en avoir davantage, notamment ce troisième enfant, gage du “remplacement” des générations, notion très chère aux démographes français, alors même que l’augmentation de l’espérance de vie fait que les générations tendent à se superposer plus qu’à se “remplacer”. Alfred Sauvy et ses émules liaient vieillissement de la société et manque de dynamisme, ce qui n’apparaît plus aussi évident aujourd’hui. Le texte de 1939 traduisait aussi des préoccupations qualitatives ; la famille paysanne, considérée comme l’élément sain de la population, y était l’objet de dispositions particulièrement favorables. Le gouvernement de Vichy ne fit que diversifier et enrichir les mesures ainsi prises en 1939, qui furent reconduites en 1945 dans une continuité de la politique populationniste.
18Une autre mesure majeure prise en faveur de la famille fut l’adoption du “quotient familial” pour le calcul de l’impôt sur le revenu. Le revenu imposable fut divisé en parts, chaque enfant comptant pour une demi-part, et on divisa le montant résultant du tarif de l’impôt par le nombre de parts.
19Vers 1950, les allocations familiales représentaient conjointement la fraction la plus importante des dépenses de Sécurité sociale et une fraction souvent très élevée des revenus des ménages modestes. Avec l’élévation globale des salaires qui a marqué les Trente Glorieuses et qui s’est poursuivie moins régulièrement après 1973, la part des allocations familiales dans les revenus a diminué, tandis que les dépenses des branches Maladie et Retraite de la Sécurité sociale augmentaient beaucoup plus vite que celles des allocations familiales. Il y eut aussi, à partir des années 1970, un infléchissement notable de la politique même des Allocations familiales ou des autres formes d’aide à la famille. À l’uniformité originelle pour tous les enfants de tous les milieux s’ajoutent des actions ponctuelles visant à aider les personnes le plus en difficulté, mères célibataires ou parents d’enfants handicapés notamment. Les finalités populationnistes initiales perdirent ainsi leur priorité, la norme des deux enfants par famille tendit à s’imposer, alors que les familles de plus de trois enfants se raréfiaient. Ramenée à des niveaux qui avaient semblé catastrophiques dans les années 1930, la natalité française n’en est pas moins aujourd’hui la plus élevée d’Europe occidentale, avec celle de l’Irlande.
20Toutes les statistiques montrent que les aides publiques ne couvrent pas le coût d’enfants qui ne produisent plus de revenus [8]. Ce coût s’inscrit dans une durée inconnue avant 1940, moment où l’on voit se prolonger des études ouvertes par l’octroi de bourses à des garçons et à des filles d’origine modeste. En revanche, on ne dote plus ses filles, et c’est en s’endettant que, dans nombre de professions, les garçons s’établissent. Ajoutons enfin que les enfants n’héritent plus de parents dont la longévité serait décourageante si elle n’avait pas pour contrepartie aides et donations.
Notes
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[1]
É. Badinter, L’amour en plus. Histoire de l’amour maternel, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Flammarion, 1980, 372 p.
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[2]
Ph. Ariès, Histoire des populations françaises et de leurs attitudes devant la vie, Paris, Le Seuil, 1996, 412 p.
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[3]
P. Guillaume, “Les ateliers de famille entre paternalisme et sweat system”, actes du colloque “Les PME dans les sociétés européennes de 1880 à nos jours. Pouvoir, représentation, action”, Paris, 20 et 21 janvier 2006, à paraître.
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[4]
Id., Un siècle d’histoire de l’enfance inadaptée, l’OREAG 1889-1989, Paris, Expansion scientifique française, 1989, 120 p.
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[5]
D. Dessertine, La société lyonnaise pour le sauvetage de l’enfance (1890-1960), Toulouse, Érès, 1990, 218 p.
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[6]
C. Rollet-Echalier, “La politique à l’égard de la petite enfance sous la III République”, INED, Travaux et documents, n° 127, Paris, 1990, 2 vol., p. 677
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[7]
V. Gourdon, Histoire des grands-parents, Paris, Perrin, 2001, 459 p.
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[8]
INSEE, Données sociales, Paris, Édition 1984, p. 128.