A. Giami et M.-A. Schiltz, L’expérience de la sexualité chez les jeunes adultes, Paris, INSERM, 2004.
1Avant la décision de vivre en couple, ou du mariage qui l’officialise, le jeune traverse une période que le sociologue a, depuis 1980, beaucoup exploré. L’étude d’Alain Giami et Marie-Ange Schiltz traite d’une population certes restreinte, des étudiants d’une université de la périphérie parisienne, mais elle met en lumière des facteurs significatifs généralisables. Période transitoire d’essai, de tâtonnement, période d’accession à une autonomie adulte, période de transition ”entre l’emprise et le dégagement”, en particulier par rapport à la famille, de positionnement par rapport à soi-même, aux autres (le groupe des pairs), à l’autre (le compagnon). On sait que cette période a tendance à s’allonger, de même que les statuts incertains avant d’accéder à un travail stable ou encore le maintien dans la famille d’origine, même pour les couples déjà constitués. Beaucoup de flottement, d’incertitude : le mariage-institution a cessé d’être un rite de passage avéré ; l’exploration des désirs va de pair avec une évanescence des tabous sur la sexualité. La virginité a perdu de sa valeur. De nombreux adolescents ont expérimenté, avec plus ou moins de douleur, leur période de sexualité durant un temps que les auteurs nomment ”errance”, avant de parvenir a une fidélité réciproque, en général souhaitée. Vivre en couple, marié, ”pacsé” ou non, c’est conjuguer des vulnérabilités, s’accepter et accepter l’autre, gérer des différences de projet de vie, éviter les pièges de la routine, ne pas instaurer un rapport dominant/dominé. Il faut aussi s’émanciper de l’image parentale, modèle d’identification (réussir ce que mes parents ont réussi) ou image répulsive (ne pas rééditer ce que mes géniteurs m’ont donné à voir), mais qui sera toujours une ombre portée sur le couple en voie de se constituer. Le peu d’enthousiasme souvent manifesté pour un engagement durable, jugé comme prématuré, peut s’expliquer par le désir d’affirmer son statut social : un poste de travail stable ou la fin des études. Il s’agit de n’être pas pris trop tôt par des exigences matérielles, de prendre le temps de tester ses véritables besoins, d’être au clair vis-à-vis de ses exigences. ”Je n’ai pas envie d’avoir un mari à moi, dont je devrais m’occuper”, dit une interviewée avec une naïveté abrupte. Cette façon de ménager l’avenir peut expliquer qu’on retarde l’arrivée d’un enfant, gage certes d’entrée dans la maturité, mais aussi ancrage dans l’irréversible. Le couple est, ou devrait être, ”le lieu et le moment où la sexualité est associée au désir de procréation”. En est-il toujours ainsi ? Le nombre important des naufrages, des ruptures conjugales permet d’en douter. Faut-il accuser les futurs adultes d’inconséquence dans leur engagement ? Mieux vaudrait sans doute bien évaluer les difficultés d’un contexte social où les “gardiens tutélaires de la loi” sont impuissants à en imposer les contraintes, où le monde du travail, miné par les impératifs de rentabilité, la mondialisation du marché, n’offre plus aux jeunes de perspectives sûres. L’allongement du temps avant de s’engager signe, dans l’ensemble, même si les comportements de certains sont chaotiques, la prise de conscience d’une réalité difficile.