F. Vouillot, S. Blanchard, C. Marro, M.-L. Steinbruckner, “La division sexuée de l’orientation et du travail : une question théorique et une question de pratique”, Psychologie du travail et des organisations, n° 10, 2004, p. 277-291 ; également disponible sur www.sciencedirect.com
1Comment s’attaquer aux inégalités persistantes entre les femmes et les hommes dans les domaines de l’éducation et du travail ? Des réponses existent aussi bien sur le plan théorique, en faisant référence aux théories du psychologue Albert Bandura, que sur le plan pratique, en particulier dans le champ professionnel de l’orientation scolaire et professionnelle.
2Le rappel des chiffres montre à quel point les disparités entre les hommes et les femmes sont fortes au détriment de ces dernières, et surtout à quel point ces inégalités restent dans l’ombre. Alors que les filles réussissent mieux à l’école, redoublent moins et sont plus nombreuses à obtenir le baccalauréat, toutes séries confondues, les statistiques montrent également qu’à tous les paliers d’orientation, les filles se retrouvent majoritairement dans les filières les moins prestigieuses. Au moment de l’insertion professionnelle, elles sont les plus nombreuses à être au chômage, et quand elles ont un emploi, elles sont systématiquement moins bien rémunérées et moins promues aux postes supérieurs.
3Il semble que ces positions inférieures soient la conséquence, entre autres, de “barrières internes et environnementales” qui s’appuient sur des stéréotypes dévalorisants pour les femmes. Ces représentations sont fortes car elles reposent sur l’idée que certains destins concernent plus spécialement les femmes, à travers des carrières spécifiquement féminines. Elles sont d’autant plus présentes qu’elles sont intériorisées par les filles dès l’école, et parfois par les professionnels chargés de l’orientation. En fait, les acteurs seraient dominés par une “grammaire des genres” qui valorise un sexe au profit de l’autre et par des “rapports sociaux de sexe” qui attribueraient aux filles certains travaux spécifiques, systématiquement inférieurs hiérarchiquement aux activités des hommes.
4C’est à ce stade que les auteurs ont recours au concept du sentiment d’efficacité personnelle (SEP) de Bandura. Ce concept s’intéresse aux croyances des personnes dans leur capacité à mobiliser des ressources cognitives pour exercer un contrôle sur des exigences présentes ou à venir. Ce SEP n’est pas un trait de personnalité mais un ensemble de “cognitions spécifiques concernant des comportements spécifiques, dans des situations ou des domaines spécifiques”. En résumé, plus le SEP est développé, plus les individus s’engagent dans des situations où ils pensent pouvoir réussir.
5Appliqué au champ de l’orientation, le concept de SEP peut être d’un grand secours. Il permet aux professionnels d’identifier les barrières internes qui limitent les parcours des sujets, notamment sur le plan des catégorisations sexuées des activités professionnelles. Ce concept permet aussi de vérifier que l’exemplarité est un puissant facteur de renforcement des capacités des acteurs. C’est pourquoi les professionnels de l’insertion devraient utiliser l’observation de modèles pertinents de réussite, notamment en étudiant des récits de femmes qui ont su construire des parcours remarquables.