Note
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Cet article est tiré du rapport de T. Rostgaard, Politique de soutien à la famille en Europe centrale et orientale. Quinze ans de transition, Paris, UNESCO, 2003.
1Analyser les évolutions des modes de garde des enfants et les congés parentaux depuis quinze ans amène à poser des questions de société : de la place des parents auprès des enfants bien sûr, mais aussi des femmes sur le marché du travail, en passant par l’égalité entre les sexes ou encore les problèmes démographiques, et, plus largement encore, les valeurs sociales.
2Après quinze ans de transition entre le socialisme étatique et l’économie de marché en Europe centrale et orientale, il est maintenant possible de regarder en arrière [1]. Dans ces pays, les familles ont vécu une évolution historique au cours de laquelle de nouvelles institutions ont été créées, de nouveaux objectifs politiques adoptés et de nouvelles valeurs sociales instaurées. Depuis les développements embryonnaires du début des années 1990 jusqu’à la période plus stable d’aujourd’hui, en passant par la crise du milieu des années 1990, les familles ont vu la politique de soutien familial s’adapter. La perception des besoins, de la redistribution et du rôle respectif de la mère et du père s’est modifiée, et la politique familiale en est le reflet. Les anciennes allocations d’État – en espèces ou en nature – ont disparu et l’instauration de l’économie de marché a mis fin à la sécurité de l’emploi. Parallèlement, les changements politiques ont mis au jour des problèmes sociaux qui existaient déjà sous l’ancien régime socialiste. Enfin, la diversité des familles comme le droit de ne pas travailler sont aujourd’hui reconnus.
3Nous présenterons ici un aperçu des évolutions des politiques d’aide et de soutien au très jeune enfant, ainsi que des dispositifs de congé parental en Europe centrale et orientale depuis le début de la période de transition. À partir de treize pays aux religions et aux situations géographiques diverses (Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Moldavie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Russie, Slovaquie, Slovénie et Ukraine), nous comparerons les politiques anciennes et actuelles, afin de donner une idée des choix et des orientations pour l’avenir.
Services d’accueil et d’éducation pour la petite enfance
4Le soutien aux familles sous la forme d’un système généreux de garde de haute qualité a plusieurs objectifs : il permet d’aider les parents à concilier travail et vie de famille en leur offrant une alternative appropriée à la garde parentale. Permettre aux femmes de travailler, c’est accroître les revenus du ménage et c’est également la meilleure façon de réduire le risque de pauvreté pour les enfants. Cela comporte aussi un certain nombre d’avantages pour ces derniers (et pour la société), qu’il s’agisse du développement affectif, de la stimulation cognitive, d’une meilleure préparation à l’école ou de la possibilité de socialisation avec des enfants du même âge. L’offre de crèches (pour les moins de 3 ans) et d’école maternelle (de 3 à 6 ans) favorise la cohésion sociale et l’intégration des enfants de milieux sociaux défavorisés. Elle constitue une alternative intéressante aux dispositifs de rattrapage, coûteux financièrement et humainement. En outre, l’expansion du secteur des services permet d’étoffer l’offre d’emplois, à temps complet ou partiel, notamment pour les femmes.
Inscriptions en crèche, 1989, 1997
Inscriptions en crèche, 1989, 1997
Inscriptions en maternelle, 1989, 1997
Inscriptions en maternelle, 1989, 1997
5Sous le régime communiste, la politique de garde d’enfants était efficace. La quasi-totalité des enfants de 3 à 6 ans pouvaient en bénéficier en Europe centrale, et plus de la moitié en Russie, permettant ainsi à une majorité de femmes de profiter du plein-emploi. Les crèches comme les maternelles étaient fortement subventionnées par l’État mais dans un but très différent. Alors que les premières se limitaient à une offre de soins d’hygiène et de soins médicaux, les secondes permettaient la socialisation des enfants. Ces institutions fonctionnaient comme un organe de maîtrise sociale et on considérait qu’il était préférable d’être élevé et socialisé dans une institution plutôt que dans un cadre familial.
6Avec la transition vers l’économie de marché, les taux de fréquentation ont fortement chuté, à l’exception de la Russie et de la Lettonie, où un enfant sur cinq bénéficie d’un de ces modes de garde (voir grahiques 1 et 2). L’inscription dans les écoles maternelles a moins souffert. Après le déclin initial au début des années 1990, l’offre s’est maintenant stabilisée, surtout à cause de la chute générale de la fécondité. En Europe centrale, les taux de fréquentation des maternelles sont presque aussi élevés qu’avant la transition : quatre enfants sur cinq sont inscrits chez les 3 à 6 ans. En Lettonie, on rencontre le même phénomène de stabilisation, bien que la participation ait été un peu plus faible au départ. En Russie, la fréquentation a baissé.
7Cette évolution s’explique à la fois en termes d’offre et de demande : avec la hausse du chômage, de nombreux parents peuvent s’occuper eux-mêmes de leurs enfants. Aujourd’hui, les femmes sont davantage encouragées à passer du temps avec leurs enfants qu’à travailler. Cette incitation s’inscrit dans une politique visant à réduire la pression sur le marché du travail, mais aussi dans un mouvement de renforcement du rôle traditionnel des parents, souvent soutenu par d’autres aides sociales. En Slovénie, par exemple, les allocations familiales sont augmentées de 20 % lorsque l’enfant ne fréquente pas l’école maternelle. Les parents sont donc incités financièrement à ne pas utiliser les structures d’accueil.
8Par ailleurs, du fait d’une restructuration du financement du système préscolaire, les garderies sont devenues très onéreuses pour les parents et, souvent, le coût de la garde des enfants est le poste de dépense le plus élevé parmi les services pour les familles ayant de jeunes enfants (UNICEF, 1999).
9En termes d’offre, le nombre de garderies est aujourd’hui inférieur, mais la baisse du nombre d’enfants masque cette situation. Les structures étaient souvent situées dans des entreprises publiques et les privatisations ont eu un impact négatif sur l’offre : en Moldavie, par exemple, un établissement préscolaire sur deux a disparu du fait de la fermeture des entreprises d’État entre 1992 et 2000. Les locaux sont devenus des entrepôts ou des bureaux, ou encore ont été loués à des fins commerciales (UNICEF, 2001). La diminution de l’offre a été ressentie notamment dans les zones rurales, ce qui a créé un fossé ville/campagne lorsque la baisse du taux de natalité a conduit les autorités locales connaissant des difficultés économiques à décider de fermer les structures d’accueil. Des rapports indiquent une baisse de la qualité, mais l’évaluation est une tâche difficile.
Une nouvelle stratégie pour l’emploi
10Devenir parent nécessite d’être présent auprès de son enfant. Les politiques de congé parental fixent des règles relatives à la durée des congés à prendre, à l’allocation compensatoire et aux conditions dans lesquelles un parent peut prendre ce congé. Le congé de maternité permet à la mère de s’arrêter de travailler avant l’accouchement et de passer ensuite du temps avec son enfant. Le congé de paternité accorde au père du temps et une indemnité pour lui permettre de rester à la maison, le congé étant normalement accordé pendant les semaines qui suivent la naissance. Le congé parental permet aux deux parents de prendre un congé pour s’occuper de l’enfant, normalement après l’expiration du congé de maternité.
11Évidemment, la décision de la famille quant au moment et à la durée du congé est liée à l’indemnité offerte. Si l’indemnité est faible par rapport au salaire abandonné, les familles, notamment celles où il y a deux revenus, peuvent préférer raccourcir ce congé. En revanche, les femmes ayant un salaire modeste ne sont pas incitées à reprendre le travail car leur revenu serait nettement plus faible que l’allocation de congé, notamment lorsque l’on prend en compte les frais de garde de l’enfant. Comme les hommes ont couramment un revenu plus élevé que les femmes, le montant de l’allocation est particulièrement pris en considération dans leur décision d’utiliser ou non leurs droits au congé de paternité et au congé parental. Et si ces congés concourent à l’égalité des sexes, tant les hommes que les femmes risquent d’être licenciés pendant leur congé, même avec de bonnes mesures de protection de l’emploi. En outre, des droits de congé généreux risquent d’accroître encore le risque de discrimination à l’embauche.
12Une longue période de congé peut se révéler favorable au développement de l’enfant, mais avec des conséquences négatives pour les femmes : perte des points de retraite, perte de droits aux indemnités de chômage et retard d’expérience professionnelle. Le choix de la durée du congé à prendre est également lié à l’offre de modes de garde, aux possibilités de reprendre le travail, ainsi qu’à la souplesse des conditions de travail dans l’entreprise, permettant ou non de concilier travail et vie de famille.
13Les congés de maternité sont relativement généreux dans les pays d’Europe centrale et orientale du fait des traditions héritées de la politique sociale menée pendant l’ère communiste, mais aussi parce que ces systèmes sont encore aujourd’hui considérés par les gouvernements comme un soutien essentiel pour les familles. La durée du congé de maternité oscille entre deux modèles : 16 à 18 semaines au total en Lettonie, en Pologne, en Bulgarie, en Estonie, en Roumanie et en Ukraine, et 24 à 28 semaines en République tchèque, en Hongrie, en Russie et en Slovaquie. La Slovénie n’offre que 11 semaines de congé de maternité, mais offre en revanche 90 jours de congé de paternité et 260 jours de congés parentaux. Aucun autre pays n’est aussi généreux pour le père, même si la Lettonie offre également 10 jours de congé de paternité. Tous les pays appliquent un principe d’octroi des allocations sous condition de revenus. Les indemnités sont relativement élevées – souvent 100 % de l’ancien salaire – et se sont maintenues à ce niveau même après la transition. Seules la République tchèque et la Hongrie ont récemment réduit ces indemnités, respectivement de 90 % à 69 %, et de 100 % à 70 % (UNICEF, 1999).
Assurance, universalité ou sélectivité des droits
14Le congé parental se fonde sur l’un des trois principes suivants : assurance sociale, sélectivité ou universalité. Ces principes définissent qui sont les bénéficiaires mais également s’ils ont droit uniquement à une allocation ou également à une période de congé. Les droits basés sur le principe de l’assurance sociale ont plus de chances de définir et d’accorder un droit à congé, alors que les droits basés sur un principe d’universalité ou de sélectivité rentrent le plus souvent dans le cadre de la législation relative à l’aide sociale et donc ne se préoccupent que d’allocations.
15Alors que la plupart des pays suivent le principe soit d’universalité, soit d’assurance sociale, accordant des droits soit à l’ensemble de la population soit seulement aux salariés assurés, la République tchèque, la Pologne et la Slovaquie ont choisi d’accorder le droit de bénéficier d’un congé parental sous condition de ressources. En raison de cette méthode sélective, l’allocation n’est plus maintenant offerte qu’aux familles à revenus modestes.
16Cependant, en ce qui concerne la durée du congé, les pays accordent pour la plupart le congé parental jusqu’à ce que l’enfant ait 2 ou 3 ans. En Slovénie toutefois, le droit à congé expire aux environs du premier anniversaire de l’enfant, mais une partie du congé parental peut être pris jusqu’à ce que l’enfant ait 8 ans.
17La tendance des politiques de soutien aux familles à s’inscrire dans le cadre de politiques démographiques est également évidente dans les droits à congé et à allocations, notamment dans les pays d’Europe centrale qui ont un programme actuellement plus conservateur : la Pologne offre deux semaines supplémentaires de congé de maternité pour le deuxième enfant et le suivant, et douze mois de plus de congé parental sous condition de ressources. La Hongrie propose, depuis 1993, un système d’assistance sociale versant une allocation aux seuls parents qui élèvent au moins trois enfants au foyer. L’Estonie offre également un congé parental plus long aux familles ayant deux enfants ou plus, mais c’est le seul pays où l’allocation est liée à l’âge de l’enfant et diminue à mesure que l’enfant grandit.
18En général, l’allocation s’est plutôt développée en termes de durées du congé de maternité, du congé de paternité et du congé parental. Cela s’inscrit dans une stratégie générale visant à réduire la pression sur le marché du travail, notamment lorsque les femmes sont incitées à rester chez elles. Le congé comporte habituellement une sorte de garantie de reprise du salarié par l’entreprise, mais les conditions effectives sont souvent négociées sur le lieu de travail. Ainsi, alors que les gouvernements mettent en place des politiques généreuses, on a de plus en plus l’impression que c’est à la personne concernée de s’assurer qu’elle bénéficiera effectivement des dispositions réglementaires (UNICEF, 1999). Fultz (2002) affirme que ces modifications se sont traduites par un changement du statut des bénéficiaires qui étaient détenteurs de droits personnels et sont devenus des demandeurs sollicitant l’État. Pour les femmes en particulier, l’accent grandissant mis sur l’aide matérielle aux familles et non sur des mesures leur permettant de concilier vie professionnelle et maternité a des implications dans leur choix de bénéficier d’un congé ou de travailler. Avec l’émergence du secteur privé, les employeurs associent de plus en plus “emploi des femmes” et “augmentation du coût de la main-d’œuvre”, et pratiquent une discrimination à l’embauche à l’encontre des femmes (UNICEF, 1999). Pour les femmes qui veulent conserver leur emploi, leurs stratégies – et celles de leurs familles – sont souvent de retourner au travail le plus vite possible. De nombreuses femmes renoncent donc à utiliser leur droit au congé. On constate que c’est souvent le cas en République tchèque, où 23 % des jours de congé de maternité ne sont pas utilisés (UNICEF, 1999). Parallèlement, on constate un manque général de mesures actives pour assurer la réintégration des femmes sur le marché du travail après qu’elles l’ont temporairement quitté.
19Une partie des stratégies a consisté à renforcer l’égalité hommes/femmes, et également, dans les pays candidats, à satisfaire les exigences de l’Union européenne. Cela semble avoir réussi en faisant évoluer le congé maternité vers le congé parental. Les droits des pères ont augmenté de façon générale, avec quelques exceptions. En Slovénie, le congé de paternité est un droit “dérivé”, et non individuel. En Russie, les pères ne sont légalement protégés durant le congé que lorsqu’il n’y a pas de mère présente au foyer. Alors que les mères peuvent également bénéficier d’un droit à un travail à temps partiel tout en recevant une allocation de congé, les pères n’en bénéficient pas (UNICEF, 1999). Cependant, les modifications législatives ne se sont pas traduites par un changement dans les comportements : encore très peu de pères utilisent leur droit au congé parental. Comme le note Fultz (2002), les études sur la Pologne n’ont pu trouver d’éléments, même anecdotiques, tendant à prouver que les hommes prennent ces congés pour s’occuper effectivement de leurs enfants chez eux. En République tchèque, seulement 1 % des pères profitent de leur droit au congé.
Les orientations pour l’avenir
20Les systèmes de soutien à la famille des pays d’Europe centrale et orientale et de la CEI ont évidemment connu de nombreux changements au cours des quinze dernières années.
21L’accent, aujourd’hui, est clairement mis sur les aides financières, l’extension du congé parental constituant un soutien à la mère de famille. Les femmes de ces pays ne sont plus obligées de travailler et les systèmes de congé parental offrent un cadre politique relativement généreux pour consolider les rôles traditionnels respectifs des deux sexes au sens occidental du terme, avec de longues périodes de congés. Alors que la plupart des pays appliquent un principe soit d’assurance sociale soit d’universalité, une certaine sélection des bénéficiaires potentiels est intégrée dans les systèmes de congés parentaux. La République tchèque, la Pologne et la Slovaquie appliquent une condition de ressources qui exclut les familles aisées du bénéfice du congé. Cette orientation politique risque d’encourager le retrait du marché du travail des femmes percevant de faibles revenus pour s’occuper de leurs enfants chez elles, tout en incitant les femmes à hauts revenus à concilier carrière et tâches familiales car elles peuvent plus facilement s’offrir les coûteux services de garde d’enfants. Si nous considérons les crèches et les écoles maternelles comme une condition préalable pour un apprentissage tout au long de la vie, cette orientation politique peut se traduire par une méthode sélective excluant les enfants des familles à bas revenus.
22Un retour aux politiques natalistes est constaté en Pologne, en Hongrie et en Estonie en particulier. En effet, ces pays ont réintroduit le principe de verser de plus fortes allocations aux familles nombreuses et accordent des congés parentaux, tandis que les allocations familiales sont redevenues universelles en Hongrie, dans les pays Baltes et en Roumanie.
23Les femmes ont maintenant davantage de possibilités de rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants, elles ont moins de facilités pour reprendre un travail salarié. La chute de l’offre de crèches et d’écoles maternelles pour les jeunes enfants permet plus difficilement aux familles de maintenir un double revenu et, avec la montée du chômage, les femmes se retirent souvent du marché du travail. La faiblesse du nombre d’emplois à temps partiel et l’insuffisance des mesures en faveur de la réinsertion des femmes sur le marché du travail après un congé représentent également un obstacle majeur à l’égalité hommes/femmes sur le marché du travail. Les hommes, de leur côté, ont obtenu l’égalité des droits en matière d’avantages sociaux tels que le congé parental, mais ils se heurtent à une discrimination due au fait qu’ils ne disposent que des droits “dérivés” et des possibilités restreintes de concilier travail et congé pour garde d’enfants. ?
Bibliographie
Bibliographie
- G. Fajth, Family Support Policies in Central and Eastern Europe, paper prepared for the National Academy of Sciences/National Research Council Task Force on Economies in Transition Workshop, Washington DC, 19-20 septembre 1996.
- E. Fultz, Social Security Reforms in Central and Eastern Europe : How Effective, Equitable and Secure, ISSA European regional meeting, Budapest, novembre 2002.
- T. Makkai, “Social Policy and Gender in Eastern Europe”, in D. Sainsbury (ed.), Gendering Welfare States, London, Sage, 1994.
- UNICEF, Women in Transition, Regional Monitoring Report, n° 6, Florence, 1999.
- UNICEF, Moldovan Country Report, country paper background paper prepared for the Social, 2001.
Note
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Cet article est tiré du rapport de T. Rostgaard, Politique de soutien à la famille en Europe centrale et orientale. Quinze ans de transition, Paris, UNESCO, 2003.