Notes
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[1]
Traduit du portugais : zonas eróticas “reduzidas à sua função de borda” (Lacan, 1964, p. 169).
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[2]
La jouissance phallique (JΦ), la seule à laquelle le sujet parlant ait accès, est régulée par le signifiant. Toute jouissance est phallique et, en tant que telle, n’a pas de rapport avec l’Autre-sexe, avec lA Femme ; tel est le sens de ce que dit Lacan lorsqu’il affirme qu’il n’y a pas de rapport sexuel. « Ce que l’on appelle la jouissance sexuelle est marqué, dominé par l’impossibilité d’établir comme tel, nulle part dans l’énonçable, ce seul Un qui nous intéresse, l’Un de la relation rapport sexuel […]. La jouissance phallique est ce par quoi l’homme n’arrive pas, dirai-je, à jouir du corps de la femme, précisément parce que ce dont il jouit, c’est de la jouissance de l’organe », traduit du portugais : « [o que chamamos de gozo sexual é marcado, dominado, pela impossibilidade de estabelecer, como tal, em parte alguma do enunciável, esse único Um que nos interessa, o Um da relação sexual […]. O gozo fálico é o obstáculo pelo qual o homem não chega, eu diria, a gozar do corpo da mulher, precisamente porque o de que ele goza é o gozo do órgão » (Lacan, 1972-1973, p. 15). « La jouissance, en tant que telle, est phallique, c’est-à‑dire qu’elle ne se rapporte pas à l’Autre comme tel », traduit du portugais : « o gozo, enquanto sexual, é fálico, quer dizer, ele não se relaciona ao Outro como tal » (Lacan, 1972-1973, p. 17-18).
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[3]
Lacan, lors d’un entretien accordé au Service de la Recherche de l’O.R.T.F., diffusé à la télévision française puis publié sous le titre de Télévision, a soulevé la question suivante, en se référant à ceux qui disaient qu’il négligeait l’affect : « Un affect, ça regarde-t-il le corps ? Une décharge d’adrénaline, est-ce corps ou pas ? »
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[4]
« Le sujet de l’inconscient, lui-même, influe sur le corps », traduit du portugais : « O sujeito do inconsciente, ele mesmo, influi no corpo » (Lacan, 1974, p. 66).
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[5]
« Senti o vácuo ; era no peito que o sentia » (Branco 1862, p. 136).
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[6]
« Quis moldar-me ao viver que o mundo ama » (Branco, 1862, p. 246).
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[7]
Dans De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Lacan établit un lien entre l’esprit romantique et la sensibilité infantile, en l’identifiant à la « sensibilité bovarienne », qui est l’un des traits caractéristiques de la psychose paranoïaque (Lacan, 1932, p. 178, version portugaise).
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[8]
Traduit du portugais : « é preciso “se orientar no inconsciente, na estrutura” » (Lacan, 1974, p. 44).
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[9]
Le passage suivant, extrait du témoignage de l’écrivain Phillip K. Dick, illustre à merveille le choix du sujet, lorsqu’il se porte sur le désir au détriment de la jouissance : « L’abus des drogues n’est pas une maladie ; c’est une décision, au même titre que de traverser la rue devant une voiture lancée à vive allure. […] Quand un certain nombre de gens s’y mettent, cela devient une erreur sociale, un style de vie, dont la devise serait : “prends du plaisir maintenant, parce que demain, tu seras mort.” Seulement, la mort commence à vous ronger presque aussitôt et le bonheur n’est plus qu’un souvenir. Il ne s’agit en somme que d’une accélération, d’une intensification de la vie telle qu’elle est vécue ordinairement. Cette existence ne diffère pas de notre propre style de vie ; elle va simplement plus vite. Tout arrive en quelques jours, en quelques semaines, en quelques mois au lieu de quelques années – “s’argent avez, il n’est enté. Mais le despensez tost et vite”, comme l’a dit Villon en 1469. Mais c’est une erreur, si l’on n’obtient qu’un sous comptant et que les dettes durent toute la vie », traduit du portugais : « O abuso das drogas… » Cf. Dick (1977, p. 271-272).
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[10]
[…] la jouissance se présente non purement et simplement comme la satisfaction d’un besoin, mais comme la satisfaction d’une pulsion », traduit du portugais : « […] o gozo se apresenta não pura e simplesmente como a satisfação de uma necessidade, mas como a satisfação de uma pulsão », cf. Lacan (1959-1960, p. 256).
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[11]
Renoncer à son être, c’est-à‑dire, à ses signifiants, pour avoir les oreilles grand ouvertes, désintoxiquées de sens, ce qui n’en demeure pas moins une tâche impossible. Dans « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Freud fait figurer la pratique de la psychanalyse dans une liste de trois « professions impossibles ». Les deux autres sont éduquer et gouverner. Pour lui, le psychanalyste doit persister dans cet impossible amour de la vérité, et cela « exclut tout semblant et tout leurre » – traduit du portugais : isso « exclui qualquer classe de impostura ou engano » (Freud, 1937, p. 3-361). Pour Lacan, cette insistance ne met pas en scène le désir du sujet, mais plutôt le désir de l’analyste, sur lequel se fonde l’éthique de la psychanalyse.
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[12]
Cette expression apparaît dans l’écrit intitulé « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », dans Le Séminaire, Livre IV (1956-1957), La relation d’objet et dans Le Séminaire, Livre V (1957-1958), Les formations de l’inconscient, dans la version portugaise.
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[13]
Le passage de Lacan en question est le suivant : « Quand on avance dans la direction de ce vide central, en tant que c’est jusqu’à présent sous cette forme que se présente à nous l’accès à la jouissance, le corps du prochain se morcelle. » En portugais : « Quando se avança na direção desse vazio central, dado que é, até agora, sob essa forma que se apresenta para nós o acesso ao gozo, o corpo do próximo se despedaça » (Lacan, 1964, p. 246).
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[14]
« […] l’éthique de l’analyste est son désir, c’est la seule occasion qu’il ait de ne pas s’identifier à cette jouissance [la jouissance de l’énigme]. Les antinomies entre le désir et la jouissance font que le terme fondamental de l’analyse est, pour Lacan, le désir de l’analyste », traduit du portugais (Laurent, 1995, p. 37). Et encore : « Le questionnement de Lacan sur le dispositif de l’analyse tend à nous rappeler ces réalités et si, finalement, il évoque le désir du psychanalyste, c’est pour réveiller l’analyste de la jouissance qui envahit le dispositif analytique. » Du portugais (Laurent, 1995, p. 42).
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[15]
Laurent, 1995, p. 14.
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[16]
Dans Le Séminaire, Livre XI (1963-1964), Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Lacan dit que, dans l’inconscient, il y a « un trou, une fente » [um buraco, uma fenda], ce qui fait que s’y inscrit quelque chose qui « est de l’ordre du non-réalisé » [algo que é « da ordem do não realizado »] (p. 28), c’est-à‑dire, du réel. Freud évoque cette inscription dans le septième chapitre de L’interprétation des rêves lorsqu’il se réfère au « nombril du rêve ».
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[17]
Um saber « que não pensa, nem julga, nem calcula » (Lacan, 1974, p. 31).
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[18]
« Deixar a esse Outro seu modo de gozo, eis o que só se poderia fazer não impondo o nosso, não o considerando como um subdesenvolvido » (Lacan, 1974, p. 58).
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[19]
O analista « se identifica com o “goza-ouço” do supereu » (Laurent, 1995, p. 38).
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[20]
Ele « faz o balanço de alguns cinquenta anos de experiência, nos consignando ali um tipo de testamento teórico no qual se delineiam as tarefas do futuro » (Soler, 1994, p. 392).
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[21]
A análise terá realizado seu intuito de fornecer àquele que aprende uma convicção firme da existência do inconsciente, se o capacitar, quando o material recalcado surge, a perceber em si mesmo coisas que de outra maneira seriam inacreditáveis para ele, e se lhe mostrar um primeiro exemplo da técnica que provou ser a única eficaz no trabalho analítico (Freud, 3, p. 361-362).
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[22]
A análise terá realizado seu intuito de fornecer àquele que aprende uma convicção firme da existência do inconsciente, se o capacitar, quando o material recalcado surge, a perceber em si mesmo coisas que de outra maneira seriam inacreditáveis para ele, e se lhe mostrar um primeiro exemplo da técnica que provou ser a única eficaz no trabalho analítico (Freud, 3, p. 361-362).
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[23]
« Il ne faut pas oublier que la relation analytique est fondée sur l’amour de la vérité – c’est-à‑dire, sur la reconnaissance de la réalité – et qu’elle exclut tout semblant et tout leurre » (Freud, 1937, 3.361).
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[24]
A análise didática « só pode ser breve e incompleta » (3.361).
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[25]
Tout analyste devrait « périodiquement, à intervalle approximatif de cinq ans, se soumettre à une vue de sa propore analyse » (3.362).
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[26]
É um tratamento « que consome tempo » (3.339).
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[27]
Pour Rank, la véritable source de la névrose était le moment de la naissance, puisqu’il était possible que l’enfant ne parvienne pas à dépasser la « fixation première » sur la mère et que cette fixation perdure comme « répression première ». Rank espérait qu’en faisant face à ce trauma premier, par le biais d’une analyse ultérieure, on parviendrait à se libérer de toute la névrose. Ainsi, ce petit fragment de travail analytique nous épargnerait tout le reste et quelques mois suffiraient à le réaliser » (Freud 1937, 3.339).
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[28]
« Não se pode discutir que o argumento de Rank era audaz e engenhoso… » (3.339).
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[29]
La finalité de la thérapie psychanalytique est de « [libérer] quelqu’un de ses symptômes, inhibitions et anormalités à caractère névrotique » (Freud 1937, 3.339).
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[30]
« O esclarecimento da neurose infantil » (3. 340).
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[31]
Serguei é « capaz de reproduzir todas as lembranças e descobrir todas as conexões que pareciam necessárias para compreender sua neurose primitiva e dominar a atual » (3.340).
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[32]
« O leão só salta uma única vez » (3.340).
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[33]
Pode conformar-se « com a certeza de que demos à pessoa analisada todo o incentivo possível para reexaminar e alterar sua atitude para com ele » (3.384).
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[34]
« O sujeito transformado pela análise se definirá por uma nova relação com a castração e com a pulsão » (Soler, 1994, p. 394).
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[35]
« Nous ne pouvons plus adhérer à la croyance selon laquelle les évènements psychiques se trouvent exclusivement régis par la recherche de plaisir » (Freud, 1937, 3.358).
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[36]
Freud se base sur la pensée d’Empédocle, le philosophe d’Agrigente, qui a écrit deux poèmes en ionien, De la nature et Purifications, dont il n’est resté que quelques fragments, pour élaborer sa théorie sur les pulsions sexuelles (Éros) et la pulsion de mort : les premières se caractériseraient par la tendance à l’unification, tandis que la seconde se caractériserait par une force qui tend à la destruction, à l’agression et au retour à l’inanimé. Le concept d’Éros glisse vers le mythe de l’Un, si cher aux philosophes grecs, ou, comme dit Lacan, Freud « y choit aussi, car ce qu’il impute à Éros, en tant qu’il l’oppose à Thanatos, comme principe de “la vie”, est d’unir, comme si, à part une brève coïtération, on avait jamais vu deux corps s’unir en un » – « Freud também cai nessa : pois o que ele imputa a Éros, na medida em que se opõe a Tânatos, como princípio de “a vida”, é de unir, como se, afora uma curta coiteração, sempre se tivesse visto dois corpos se unirem em um » (Lacan, 1974, p. 46). Quant à la conceptualisation de Thanatos, Lacan a toujours insisté sur le fait que la tendance à l’agression et à la destruction de la pulsion de mort ne devait pas être prise pour un affect, c’est-à‑dire, pour de l’agressivité à l’encontre de son prochain. On ne trouve pas chez Freud lui-même, malgré les interprétations qu’en ont fait les adeptes de la psychologie, ce sens donné au terme d’agression. Ce qu’il nous dit est la chose suivante : « […] nous avons cherché une base biologique au principe de la “discorde”, en ramenant notre pulsion de destruction à la pulsion de mort, à l’effort du vivant pour retourner à l’état inanimé » – « […] Nós temos procurado uma espécie de base biológica para o princípio da ‘“luta”, remontando nossa pulsão de destruição à pulsão de morte, ao desejo do que vive voltar a um estado animado » (Freud, 1937, 3.360). Lacan a recours à la métaphore du Saint-Esprit pour évoquer la pulsion de mort freudienne : « […] le Saint-Esprit est l’entrée du signifiant dans le monde. C’est ce que Freud nous a apporté sous le terme d’instinct de mort. Il s’agit de cette limite du signifiant qui n’est jamais atteinte par aucun être vivant. […] C’est toutefois quelque chose qui se trouve virtuellement à la limite de la réflexion de l’homme sur sa vie, ce qui lui permet d’entretenir la mort comme condition absolue, indépassable, de son existence, comme le dit Heidegger. […] Ce qu’il y a sur le fond de l’existence du signifiant, de sa présence au monde, mettons-le sur notre schéma comme une surface efficace du signifiant, où celui-ci reflète, en quelque sorte, ce que l’on peut appeler le dernier mot du signifié, c’est-à‑dire de la vie, du vécu, du flux des émotions, du flux libidinal. C’est la mort, en tant qu’elle est le support, la base, l’opération du Saint-Esprit par laquelle le signifiant existe » – « […] O Espírito Santo é a entrada do significante no mundo. Foi isso, com toda certeza, que Freud nos trouxe sob o termo instinto de morte. Trata-se desse limite do significado que jamais é atingido por algum ser vivo. […] É, todavia, algo que se encontra virtualmente no limite da reflexão do homem sobre sua vida, o que lhe permite entrever a morte como a condição absoluta, insuperável, de sua existência, como se expressa Heidegger. […] O que está no fundo da existência do significante, de sua presença no mundo, vamos coloca-la em nosso esquema como uma superfície eficaz do significante, isto é, da vida, do vivido, do fluxo das emoções, do fluxo libidinal. É a morte, na medida em que ela é o suporte, a base, a operação do Espírito Santo pela qual o significante existe » (Lacan, 1956-1957, p. 47-48). Ainsi, « le signifiant fonctionne sur le fond d’une certaine expérience de mort » – « o significante funciona sobre o fundo de uma certa experiência de morte » (p. 50). Dans les séminaires suivants, Lacan continue à attirer l’attention de ses auditeurs sur les équivoques qui ont été commises par rapport à la notion freudienne de Thanatos. Dans Le séminaire, Livre IX, L’identification, datant de 1961 et 1962, il affirme en toutes lettres que l’instinct de mort n’est pas un ver dévorant, un parasite, une blessure, ni même un principe de contradiction ou un élément d’alternance entre la vie et la mort. C’est simplement le principe qui entoure l’essence de la vie inscrite dans l’instinct de mort, qui est régi par la loi du principe de plaisir, c’est-à‑dire, une tendance à répéter le même cercle, pour revenir à l’inanimé. Dans Le Séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, il se réfère à Antigone pour illustrer l’instinct de mort : « […] En effet, Antigone n’a-t-elle pas déclaré d’elle-même, et depuis toujours, – je suis morte et je veux la mort. Dès lors qu’Antigone se décrit comme Niobé changée en statue de glace, à quoi s’identifie-t-elle ? Sinon à cet inanimé où Freud nous apprend à reconnaître la forme dans laquelle se manifeste. Il s’agit justement d’une illustration de l’instinct de mort » – « […] com efeito, Antígona se descreve como Niobe se petrificando, com o que ela se identifica ? – senão com esse inanimado no qual Freud nos ensina a reconhecer a forma na qual o instinto de morte se manifesta. Trata-se justamente de uma ilustração do instinto de morte » (Lacan, 1959-1960, p. 340).
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[37]
Um « conceito limite entre o psíquico e o somático » (Freud, 1914, 2.041).
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[38]
Traduit du portugais : « hieróglifos da histeria », « brasões da fobia », « labirintos da Zwangsneurose », « encantos da impotência », « enigmas da inibição », « oráculos da angústia », « armas eloquentes do caráter », « chancelas de auto-punição », « disfarces da perversão » (Lacan, 1953, p. 282).
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[39]
« Entre o significante enigmático do trauma sexual… » (Lacan, 1957, p. 522).
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[40]
« Isto é o mais-além da análise, e jamais foi abordado » (Lacan, 1964, p. 258).
1 Dans tout corps vivant, il y a de la jouissance. Il s’agit d’une jouissance qui se situe dans le réel et qui est, par conséquent, hors du langage, hors du symbolique. On ne sait rien de cette jouissance ; on ne peut rien en dire. Après l’inscription du signifiant – l’arrivée du Saint-Esprit (Lacan, 1956-1957) – nous acquérons un corps pulsionnel, dont certaines parties sont le lieu de la jouissance, ou, comme dirait Lacan, des zones érogènes « réduites à leur fonction de bord [1] ».
2 Lors du passage du corps comme substance jouissante au corps pulsionnel se produit une rupture, qui produit une perte de jouissance. C’est ce que veut dire Lacan lorsqu’il affirme que toute jouissance délimitée par le signifiant est phallique [2]. À chaque expérience jouissive, ce qui reste de la jouissance réelle réapparaît sous la forme de manque-à-jouir. De la répétition de ce qui manque-à-jouir, naît la supposition d’un plus-à-jouir.
3 Le signifiant d’un côté. La jouissance de l’autre. Sujet et objet naissent du désir et de la jouissance de l’Autre, qui restent des énigmes indéchiffrables. Devant l’opacité de l’Autre, on construit plusieurs prothèses, afin que le sujet demeure dans l’ignorance de son désir et de sa jouissance. Les affects [3] produits par les failles de ces prothèses, non seulement dérangent, mais font aussi jouir un corps affecté par la structure de l’inconscient [4].
4 Camilo Castelo Branco (1825-1890), l’un des représentants du romantisme portugais, savait que la tristesse n’était pas un état d’âme, mais plutôt une faute morale qui s’abat sur le corps. Silvestre da Silva, l’anti-héros du roman Cœur, tête, estomac (1862), s’abandonne aux délices du cœur et tombe amoureux de Marcolina, « la femme que le monde méprise ». Marcolina, phtisique, faisant déjà ses adieux à la vie, acquiert la valeur imaginaire d’objet du désir, c’est-à‑dire, de l’autre moitié, qui complèterait ce qui manquait à l’être de Silvestre. La mort de la femme aimée, non seulement plonge Silvestre dans une profonde tristesse, qui affecte son corps – « j’ai ressenti le vide ; c’est dans mon cœur que je l’ai ressenti [5] » – mais l’emprisonne aussi dans le fantasme selon lequel l’objet de son désir a été trouvé, puis perdu à jamais. Alors, n’ayant plus rien à désirer, il décide de se « plier » aux leurres des « lois austères de la raison » et de se soumettre au désir de l’Autre : « J’ai voulu me conformer au mode de vie que le monde aime [6]. » Il est évident qu’ici, entrent en scène les idéaux romantiques, selon lesquels la vertu de l’homme s’oppose aux vices du monde (Autre).
5 Dans le choc qui se produit lorsque les forces du monde se superposent à celles de l’homme, la fiction romanesque exalte le sacrifice héroïque, au mépris d’autres alternatives. Lacan commente ces « dérives de l’âme romantique » en affirmant qu’elles se rapprochent de la sensibilité infantile [7]. Cependant, notre personnage ne se comporte pas comme un héros romantique et n’est pas traité comme tel par l’auteur. Au lieu de « mourir d’amour », il choisit de se tourner vers le journalisme et poursuit deux objectifs : trouver une riche héritière avec laquelle se marier et, au Nom-de-la Raison, rendre la justice en démasquant les faux « hommes de bien ». Il est non seulement mis en prison, mais se voit affublé de l’épithète de « calomniateur avéré » et est obligé de quitter la ville.
6 Il décide alors d’abandonner les affaires publiques et de se vouer aux plaisirs de la chair, ou plutôt, de la bouche. Il est nommé gouverneur, gagne les élections et entre au conseil municipal, reçoit l’insigne de Chevalier de l’Ordre du Christ et épouse Tomásia. On ne saurait trouver meilleur paradigme pour illustrer le renoncement au désir et à l’amour. Ni aimée, ni désirée, Tomásia, l’épouse, était bête (« elle manquait de clartés ») ; en bonne santé (« elle n’avait jamais été malade ») ; masculinisée (« Ses poignets étaient d’une seule pièce, comme on dit là-bas pour exprimer la force » ; « la paume de chaque main était comme du papier de verre ») ; et sale (« vanter le soin qu’elle prenait de ses ongles, ce serait une flagornerie indigne de ma sincérité »). Silvestre devient enfin un citoyen respectable, dont les activités intellectuelles se bornent à la lecture de la Physiologie du goût, de Brillat-Savarin, et au poème de Bouchet, intitulé « Gastronomie ». Hormis tout cela, et ce n’est pas rien, il ne cesse de manger, devient gras comme un porc et meurt d’indigestion.
7 L’histoire de Sylvestre n’en demeure pas moins une allégorie de la mort du sujet. Entre l’éthique, qui se fonde sur le désir, et l’impératif moral, qui rejette l’inconscient, on choisit la jouissance des symptômes. Ainsi, ce qui ne passe pas par le dire – et cela, depuis Freud, s’appelle le refoulement – ne peut que revenir vers le réel du corps, comme des plaies qui ne cessent de saigner.
8 Imaginons Sylvestre, sorti des pages de fiction écrites par Camilo Castelo Branco, à la recherche d’un analyste. Comment ce dernier devrait-il se positionner face à cette demande et comment devrait-il diriger le traitement ? Lacan répondrait d’abord que l’analyste doit diriger le traitement vers le bien-dire et que, pour ce faire, il faut « s’y retrouver dans l’inconscient, dans la structure [8] » (Lacan, 1974, p. 44). Plus tard, à partir des années 1970, il dirait que le sacrifice d’une partie de la jouissance est nécessaire pour que le sujet se positionne comme désirant [9]. D’ailleurs, en 1959-1960, dans le séminaire qui aborde le thème de l’éthique de la psychanalyse, en définissant la jouissance comme la satisfaction d’une pulsion [10], Lacan nous avait prévenus que le désir impose des limites à la jouissance, qui est toujours de l’ordre de l’excès.
9 Dans Le Séminaire, Livre XX, Encore, déclamé en 1972 et 1973, il présente quelques-unes des modalités de la jouissance, qui s’appuient sur le langage et se déclinent en jouissance du sens (déchiffrage), jouissance de la parole, jouissance de l’écriture et jouissance de l’écoute. Ces modalités présentent des nuances sur lesquelles je ne m’étendrai pas. Ce qui m’intéresse ici, c’est l’articulation de la jouissance du signifiant comme sinthome, c’est-à‑dire que le fait de jouir avec le sinthome est une manière de jouir de l’inconscient et du savoir qu’il produit sous la forme de savoir ce que l’on ne sait pas. Il s’agit, enfin, non pas des symptômes de la névrose, mais du sinthome de l’homme, qui s’écrit S(A). Ainsi, la fin d’une analyse pointe vers un au-delà du bien-dire et vise le bien-vivre avec le sinthome, en s’inscrivant dans un parcours au cours duquel l’analyste va prêter son corps, pas son être [11], pour qu’il serve d’ancrage au fantasme de l’analysant. Pour pouvoir occuper cette place et la supporter, l’analyste ne doit pas avoir de comptes à rendre sur son être et doit s’appuyer sur le désir de l’analyste : le désir de provoquer le désir, pour que l’analysant puisse nommer son désir.
10 L’analyste ne peut pas se laisser charmer par le fantasme que l’analysant construit au sujet de son être, de même qu’il doit savoir quelle place on lui attribue en tant que semblant au cours du transfert. Il doit encore introduire, dans la parole de l’analysant, l’équivoque, sans lequel les certitudes cristallisées et inébranlables ne se défont pas. Une telle intervention ne prend toute sa valeur que si l’analyste ne se place pas à l’endroit qui lui a été octroyé par l’amour de transfert. Cet amour s’adresse à un sujet supposé savoir, l’analyste doit intervenir à partir d’un autre lieu. Parler, encore une fois, du même est la voie qui permet de faire émerger un autre sens, puis un autre, puis un autre encore… Ce n’est qu’ainsi que ce qui a été pris pour la vérité et s’est cristallisé peut se révéler être une fiction, autour de laquelle un destin s’est construit. Parfois, lorsque la souffrance devient insupportable, le sujet décide de faire appel à un analyste ; cela ne veut pas dire qu’il cherche à en savoir davantage sur son désir, mais plutôt que la jouissance, extraite de sa souffrance, de ses plaintes, enfin, de ses symptômes, est devenue trop lourde. Comme me l’a dit un jour un analysé : « Je n’en peux plus de porter cette croix. Elle est plus lourde que celle du Christ sur le calvaire. »
11 Le sujet ne peut se confronter à son désir que s’il renonce à la jouissance de ses symptômes. Pour ce faire, il faut reconstruire son histoire jusqu’au moment où l’on parviendra à approcher la scène cruciale, lors de laquelle le sujet a élaboré des fictions qui l’ont enfermé dans une position fantasistique. Il faut encore faire un pas supplémentaire : transposer cette scène et lever le voile qui couvre sa position d’objet par rapport au signifiant qu’il a fabriqué, portant sur le désir et la jouissance de l’Autre.
12 Il s’agit ici de ce que Lacan a qualifié de traversée du fantasme fondamental : l’expérience, dans sa propre chair, de la jouissance extraite de ses renonciations, en se donnant à l’Autre, pour être aimé et joui. De l’autre côté de la scène, au-delà de cette image défaite, apparaît, dans toute sa magie, le voile de Maya [12], dont la fonction est de voiler le vide et de rendre possible la production de nouvelles fictions, sous-tendues une à une par le désir. Il faut donc dissiper un quiproquo, pour que le sujet fasse un choix éthique : céder aux symptômes et s’aventurer sur les sentiers de son désir, avec, comme horizon, le désir de désirer.
13 Lacan insiste depuis longtemps sur ce point : il faut lire Freud, en se laissant guider par les nouvelles découvertes effectuées dans le domaine des sciences humaines. C’est le moment où son enseignement s’emploie à démontrer que l’inconscient, tel qu’il a été découvert et théorisé par Freud, est structuré comme un langage. Ce retour qu’il opère a comme conséquences immédiates l’élaboration de l’imaginaire, du symbolique et du réel, et la tendance à la prédominance du symbolique sur l’imaginaire. À mesure qu’il avance dans le projet qui le suivra durant toute son existence, le réel et la jouissance deviennent le cœur de ses réflexions, et de nouvelles articulations, centrées autour des constructions topologiques et des nœuds borroméens, se produisent.
14 À partir de 1964, année du Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Lacan se détache de plus en plus des articulations entre le désir et la jouissance, et avance dans ses théories, assignant au lieu de l’interprétation de nouvelles attributions au sein de la clinique psychanalytique. Lorsqu’il évoque cette trajectoire, Éric Laurent affirme que « Lacan a pu dire, dans Le séminaire, Livre XI, que l’interprétation va à l’encontre du mot, parce que l’essence de la parole humaine est le malentendu [13] ». Si une analyse se tourne vers l’éveil d’un sujet désirant et vers l’assumation des singularités de la jouissance de ce sujet, ce qui met en jeu une éthique qui n’élimine pas le réel, il faut que le psychanalyste s’interroge sur la fonction qu’occupe la jouissance dans le dispositif analytique, puisqu’elle peut servir d’entrave à ce qui sous-tend le traitement psychanalytique, qui est le désir de l’analyste [14]. C’est dans ce sens que Laurent remarque que : « Lacan a d’abord élaboré une clinique du sacrifice de l’être parlant à la jouissance, rappelant le sens du malheur ordinaire, que l’auteur du Malaise dans la culture a isolé de la névrose. Si le retour à Freud opéré par Lacan a été un mouvement d’un grand classicisme, c’est parce qu’il a réussi à renouer le dialogue avec le fondateur de la psychanalyse, en retournant aux sources les plus vives de l’énigme que la jouissance ne cesse de soumettre à l’être parlant, même si les chemins de la science ne sont pas semés de sphinx qui lui racontent cette énigme [15]. »
15 Dans Le séminaire, Livre XXI, Les non-dupes errent, Lacan, lorsqu’il travaille le nœud borroméen, imaginaire et réel, fait par le Nom-du-Père, dont la fonction est de nommer et de déterminer le sinthome, reprend la jouissance du signifiant, qu’il avait commencé à élaborer dans Le Séminaire, Livre XX. L’inclusion du réel dans le symbolique [16], fait que le réel ne peut apparaître que sous forme chiffrée. Le déchiffrage du réel opéré par le symbolique ne débouche pas que sur l’imaginaire, défini comme le lieu de la dimension du sens et de « l’intuition de ce qui est à symboliser », mais aussi sur « une vague jouissance ». L’inconscient, comme symbolique pure, tisse des liens, qui produisent un non-tout-savoir, un savoir qui ne se sait pas. Le nœud du problème réside néanmoins dans le fait que le savoir, élaboré par ce travail inlassable, produit de la jouissance.
16 Dans la leçon du 20 novembre 1973, Lacan soulève deux questions autour de la distinction entre plaisir et jouissance : dans la première, la notion freudienne de plaisir, régie par le principe de plaisir (Lustprinzip), définie dans « Au-delà du principe de plaisir », en 1920, comme la tendance au retour à l’inanimé, doit être interprétée comme « jouir le moins possible » ; dans la seconde question soulevée, la notion freudienne de « gain de plaisir » (Lust-gewin), doit être interprétée comme la jouissance. À la lumière de cette distinction, Lacan fait une lecture du texte freudien sur les rêves, dans laquelle il met en relief la différence entre rêve et sommeil. Les processus qui régissent l’élaboration du rêve (le travail du rêve) sont les mêmes que ceux qui régissent le langage : condensation et déplacement, métaphore et métonymie. Le sommeil est au service de la jouissance (« gain de plaisir »), de même que le rêve est fait pour protéger le sommeil. On ne doit pourtant pas oublier que le rêve, en tant qu’effet du travail de l’inconscient, est tissé en tous points, par le désir, c’est-à‑dire qu’il peut perturber le sommeil. On se trouve donc face à un paradoxe : le rêve qui protège le sommeil dérange le sommeil lui-même. La fonction des mécanismes d’élaboration du rêve est de chiffrer le désir pour garantir le sommeil, qui est au service de la jouissance. Le rêve prend ici une autre dimension. Il ne s’agit pas de l’interprétation freudienne selon laquelle un désir, parce qu’il a été refoulé, revient sous la forme d’une énigme pour se réaliser dans le rêve, mais plutôt d’une structure qui, parce qu’elle est trouée, rend impossible la réalisation du désir.
17 À chaque désir, on se heurte à la constatation décevante que ce n’est pas tout à fait cela, qu’il manque quelque chose. Dans une analyse, la reconnaissance des désirs refoulés par le sujet l’amène à occuper une position désirante et ne débouche pas sur la réalisation du désir, qui est structurellement impossible, puisqu’il n’y a pas d’objet du désir. C’est le manque de cet objet qui sous-tend le désir en tant qu’acte de désirer ; on en vient même à désirer le moment où le corps est emporté par la mort corps. Au-delà des restes réels d’un corps, demeure, dans le champ de l’Autre, un nom, comme vestige d’une existence humaine.
18 Je ne nie évidemment pas l’importance qu’ont les récits des rêves dans une analyse. Mais ce qui paraît évident ne se montre pas toujours comme tel. On sait, depuis Freud, que le rêve est une des voies par lesquelles le désir refoulé apparaît de manière énigmatique et où l’amour de transfert transparaît dans toute sa force, indiquant le lieu que le sujet supposé savoir occupe aux yeux du sujet en analyse. L’inconscient, de toute manière, ne cesse de produire du savoir, sous la forme de messages chiffrés, qui apparaissent dans le rêve et dans la parole, dans lesquels ce que l’on dit n’est pas ce que l’on avait l’intention de dire.
19 L’existence de l’inconscient n’est pas synonyme de névrose. La fin d’une analyse n’élimine pas le savoir inconscient, ni les fissures qui s’y inscrivent, voilant le caractère impossible de la relation sexuelle. La cause de la névrose réside dans le fait de ne pas vouloir entendre parler du désir et de la singularité de la jouissance. Le refoulé revient dans le dire, parce que le fait de ne pas vouloir savoir n’empêche pas l’inconscient de travailler et de produire un savoir « qui ne pense pas, ni ne calcule, ni ne juge [17] ». En d’autres termes, le refoulé persiste à être symbolisé, c’est-à‑dire, à être intégré au discours par le sujet. Ainsi, ce qui n’est pas incorporé par le discours se déplace vers les symptômes, affectant le corps et produisant la jouissance. Les belles âmes souffrent du rejet de l’inconscient, en choisissant toujours un autre pour incarner ses fautes morales. De la supposition taraudante de ce que devrait être le désir de l’Autre, naît le besoin insatiable d’amour, qui rend le sujet prisonnier de ses propres renoncements et des « trahisons » de l’Autre. Se situer comme désirant, en apprenant à faire avec la précarité de sa jouissance, c’est ce qui est en jeu à la fin d’une analyse. De plus, face à l’Autre, évoqué dans la jouissance de l’Autre-sexe, la fin d’une analyse doit conduire à un choix éthique : « Laisser à cet Autre son mode de jouissance, c’est ce qui ne se pourrait qu’à ne pas lui imposer le nôtre, à ne pas le tenir pour un sous-développé [18]. »
20 Malgré cela, il y a des psychanalystes qui dirigent le traitement analytique comme s’il n’avait pas de fin, contribuant ainsi à renforcer la fiction selon laquelle l’Autre a une forme (un visage) et une substance (l’être) et à renforcer une « alliance thérapeutique » entre l’analyste et l’analysant qui repose sur les liens forgés par le mortier qui obstrue la structure du manque-à-être.
21 Comment maintenir une éthique de la psychanalyse, si l’analyste jouit de son écoute, parce qu’il s’identifie au « jouis-j’ouis du surmoi [19] » ? Comment un sujet désirant peut-il apparaître, si l’analysant est amené par l’analyste à la position d’objet du désir de l’Autre : « Je parle, tu écoutes, nous jouissons… » ? On est ici devant un projet d’analyse sans fin, où le dispositif analytique, mis au service de la jouissance de l’analyste, empêche de nommer le désir et rend impossible la conquête du bien-dire, sans laquelle il est impossible de vivre avec le sinthome. En d’autres termes, on est face à un traitement qui s’oriente exclusivement vers le déchiffrage du savoir inconscient. Il est logique que certains effets se produisent, à mesure que la jouissance extraite des symptômes est remplacée par la jouissance du déchiffrage. Le prix à payer est celui d’une analyse interminable, puisque l’inconscient ne cesse de travailler et de produire des messages chiffrés.
22 La fin de l’analyse est l’un des thèmes du texte « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », que Freud a écrit en 1937, à l’âge de 81 ans, alors qu’il était déjà très malade, atteint d’un cancer apparu en 1932, après qu’on l’eut opéré d’une tumeur maligne située du côté droit du palais. Après avoir subi plus de trente opérations, il en vint à utiliser une prothèse, qu’il qualifiait de « monstre ». Le créateur de la psychanalyse était alors tout près de la mort, qui survint le 23 septembre 1939. Il s’agit donc, comme le fait remarquer Colette Soler, d’un écrit dans lequel il « fait le bilan de quelque cinquante années d’expérience, nous laissant une espèce de testament théorique dans lequel se dessinent les travaux de l’avenir [20] ».
23 La finalité du traitement, la durée requise pour atteindre cette finalité, le devenir du refoulement face aux exigences pulsionnelles, qui rend possible ou pas le retour d’anciens ou de nouveaux symptômes, et la formation de l’analyste sont des questions qui amènent Freud à émettre des considérations sur la fin de l’analyse. En ce qui concerne la formation de l’analyste, il établit une différence entre analyse didactique et analyse thérapeutique. Cette dernière a pour finalité « la libération des symptômes », alors que la première vise à former l’analyste à l’exercice de la clinique psychanalytique. Pour Lacan, il n’y a qu’une seule analyse : celle qui débute par le « symptôme, ou par ce qui produit du symptôme [21] », indépendamment de l’aspiration à pratiquer la clinique psychanalytique. En se basant sur des « raisons pratiques », Freud affirme que l’analyse didactique « aura atteint son but si elle apporte à l’élève la ferme conviction de l’existence de l’inconscient, si elle lui permet, quand du matériel refoulé apparaît, de percevoir en lui-même des choses qui, autrement, lui sembleraient incroyables, et si elle lui montre un premier échantillon de la technique qui s’est avérée être la seule efficace dans le travail analytique [22] ».
24 Il est important de souligner ici à quel point Freud a le souci de laisser derrière lui une politique de la psychanalyse bien établie. La stratégie qu’il emploie pour garantir la transmission de la psychanalyse et la formation de nouveaux analystes l’amène à la question de la durée de l’analyse didactique, mais, persistant dans son amour de la vérité [23], il ajoute ce commentaire, au sujet de l’analyse didactique : elle « ne peut être que brève et incomplète [24] ». C’est pourquoi il recommande à tout analyste de se soumettre périodiquement – avec des intervalles d’environ cinq ans – à une nouvelle analyse, sans avoir honte d’avoir pris cette mesure [25].
25 Par rapport à l’analyse thérapeutique, Freud affirme d’emblée, au tout début du texte, qu’il s’agit d’un traitement « qui prend du temps [26] » et c’est la raison pour laquelle il aurait effectué plusieurs tentatives pour écourter sa durée. Parmi ces tentatives, se distingue celle qu’Otto Rank décrit dans le livre Le trauma de la naissance, en 1924 : « L’argument de Rank était indiscutablement audacieux et ingénieux, mais il n’a pas résisté au test de l’examen critique [27]. De plus, c’était un produit de son temps, conçu dans le cadre de la tension résultant du contraste entre la misère européenne de l’après-guerre et la “prosperity” des États-Unis, et conçue pour adapter le rythme de la thérapie analytique au rythme accéléré de la vie américaine. On n’a pas entendu dire grand-chose sur ce que la mise en pratique des projets de Rank a fait pour les cas pathologiques. Pas plus que ce que feraient les pompiers si, en cas d’incendie d’une maison provoqué par une lampe à pétrole renversée, ils se contentaient d’enlever la lampe de la pièce où le feu s’est déclaré. Il n’y a aucun doute qu’ainsi, on parviendrait à réduire considérablement les activités des pompiers. La théorie et la pratique des expérimentations de Rank font aujourd’hui partie du passé – tout autant que la “prospérité” américaine elle-même [28]. »
26 Freud a toujours insisté sur le fait que la durée d’une analyse dépend fondamentalement de trois facteurs : la singularité du cas, l’usage de la technique et la finalité du traitement [29]. Lorsqu’il évoque le cas de l’Homme aux Loups, il avoue avoir lui-même adopté un « procédé héroïque » pour accélérer le traitement analytique, puisque ce dernier était dans une impasse et ne prenait pas le chemin de « l’éclaircissement de la névrose infantile [30] ». Ce « procédé héroïque » consistait à fixer un délai d’un an déterminant la fin du traitement.
27 Au départ, Freud croyait en l’efficacité de ce procédé et il nous raconte que les résistances de Serguei Constantinovitch Pankjeff cèdent et qu’au cours des derniers mois, à l’approche du délai fixé, Serguei est « capable de reproduire tous les souvenirs et de découvrir toutes les connexions qui semblaient nécessaires pour comprendre sa névrose primitive et maîtriser sa névrose actuelle [31] ». Pourtant, en 1923, dans une note de bas de page du rapport clinique consacré à ce cas, Freud affirme que son évaluation était erronée.
28 J’ai déjà entendu dire beaucoup de choses sur cette posture qu’a adoptée Freud : humilité, sérieux, honnêteté, etc. Je préfère l’interprétation de Lacan : l’amour de la vérité. C’est précisément cet amour qui lui a permis d’entrevoir le réel inassimilable traduit en métaphores, traumatique, le nombril du rêve, etc. Il est vrai que le réel est resté entre les lignes, jusqu’à ce qu’il ait été lu par Lacan. Lui-même nous dit, d’ailleurs, que sa construction du concept du réel a suivi les traces de Freud.
29 Au-delà de l’amour de la vérité, la crainte d’être mal compris a suivi Freud pendant toute sa vie. C’est pourquoi il s’adresse à ses disciples et aux futurs psychanalystes, pour les prévenir que le procédé technique employé dans l’analyse de Serguei ne doit être appliqué que dans des cas extrêmes, puisque, après que l’analyste ait fixé un délai déterminant la fin d’une analyse, il ne peut revenir en arrière, non seulement parce que l’analysant ne lui ferait plus confiance, mais aussi parce que « le lion ne saute qu’une fois [32] ».
30 Pour revenir aux rapports entre pulsions et fin d’analyse, Freud les met en équation et soulève la question suivante : est-il possible de résoudre, « de manière permanente et définitive », les conflits entre les exigences pulsionnelles et les mécanismes de défense du moi, de manière à s’assurer de l’élimination des anciens symptômes ou même si cela rend impossible la formation de nouveaux symptômes apparaissant avec le retour du refoulé ? On en arrive ainsi à la question cruciale pour Freud. Après avoir fait appel au principe économique, selon lequel il discute le facteur biologique et la quantité énergétique correspondant aux pulsions qui affrontent les résistances du moi, il affirme, vers la fin de l’article, que s’il ne peut pas garantir le succès du traitement analytique, se trouvant devant « une part de la grande énigme du sexe », il peut, au moins, se contenter de « la certitude d’avoir donné à la personne analysée tous les encouragements nécessaires pour qu’elle réexamine et altère son attitude à son égard [33] ». Soler, lorsqu’elle commente ce passage freudien, affirme que « le sujet transformé par l’analyse se définira par un nouveau rapport à la castration et à la pulsion [34] ».
31 Ces « obstacles internes », que l’on appelle pulsions, laissent des traces qui échappent au déchiffrage et au principe de plaisir [35]. La fin de l’analyse ne signifie pas qu’il y ait élimination du refoulement et domestication des pulsions. Freud fait appel à l’existence de deux pulsions primitives, les pulsions sexuelles (Éros) et la « pulsion de mort [36] », pour illustrer l’intensité de la force (facteur quantitatif) des pulsions, et la variété de combinaisons et de transformations que ces pulsions peuvent connaître au cours de la vie d’un individu ; il en vient à dire que parvenir à élucider certaines questions liées aux pulsions serait un exploit gratifiant.
32 Face aux pulsions, pour parodier Camões, une valeur plus haute s’élève : l’énigme de la différence sexuelle. Freud, se trouvant devant une multitude de questions sans réponses, a alors recours à une métaphore de plus : « le rocher de la castration ». Et, butant sur l’ultime vérité, sans pouvoir faire un pas supplémentaire, il nous laisse en guise de testament la question irrésolue de la fin de l’analyse. Acculé par le désir de savoir la vérité, il nous transmet, au lieu d’une sentence, l’énigme qui l’a amené, dans un acte magistral, à inventer la psychanalyse. En d’autres termes, l’un de ses derniers témoignages écrits soulève une série de questions sur les pulsions et la différence sexuelle, qui laissent la question de savoir si une analyse est terminable ou interminable sans réponse.
33 Quant à la position de Lacan, il faut prendre en compte certaines considérations. Tandis que pour Freud, la pulsion est un « concept limite entre le psychique et le somatique [37] », Lacan, se détachant du facteur quantitatif et physiologique de ce concept freudien, affirme que la pulsion se constitue comme l’effet d’une opération symbolique qui se produit entre le nouveau-né et le premier représentant de l’Autre (le désir de la mère). Sa cible est la jouissance. Le principe de plaisir, conçu comme jouir le moins possible, implique l’inscription du plaisir dans le régime de la jouissance. Or, c’est en vertu de cette inscription symbolique que le retour à l’inanimé, comme visée du principe de plaisir, s’avère impossible. Il y a un excédent de jouissance qui empêche l’homéostasie et échappe au signifiant, indiquant le vrai visage de la jouissance. Le réel n’est-il pas ce qui se présente toujours au même endroit ? Le lieu de la jouissance est le corps ; ce qu’il y a de réel dans la jouissance ne peut que se présenter sous la forme de manque-à-jouir. Ce sont donc différentes registres de la jouissance qui permettent à Lacan de mettre en corrélation la fin de l’analyse avec la jouissance du sinthome, formulation qui, précédée d’autres, nous permet de repérer les quatre temps du traitement analytique : la dissolution des identifications imaginaires (symptômes) ; l’identification phallique ; la traversée du fantasme ; l’indentification avec le symptôme.
34 Le symptôme, en tant que parole qui inclut le discours de l’Autre sous forme d’énigme, se structure, tel que l’inconscient, comme un langage. C’est un défaut de symbolisation, causé par le refoulement du signifiant. Son intégration au réseau de signifiants débloque le processus de signification et rend possible la production de nouveaux sens. Dans la parole, il se manifeste par le biais d’hermétisme et d’équivoques et on a recours à toute une série d’artifices (symboles) pour l’exprimer : « hiéroglyphes de l’hystérie », « blasons de la phobie », « labyrinthe de Zwangsneurose », « enchantements de l’impuissance », « énigmes de l’inhibition », « oracles de l’angoisse », « armes éloquentes du caractère », « sceaux de l’autopunition », « déguisements de la perversion [38] ». De plus, sa formation obéit au mécanisme de la métaphore : la substitution. « Entre le signifiant énigmatique du trauma sexuel et le terme à quoi il vient se substituer dans une chaîne signifiante actuelle passe l’étincelle, qui fixe dans un symptôme – métaphore où la chair ou bien la fonction sont prises comme élément signifiant – la signification inaccessible au sujet conscient où il peut se résoudre [39]. »
35 Le premier grand tournant du traitement analytique débouche ainsi sur la disparition du symptôme, provoquée par le bien-dire. Le deuxième et le troisième temps s’acheminent vers l’identification phallique, la traversée du fantasme sur le plan de l’identification, et la liquidation de l’amour de transfert. Ainsi, l’objet a, l’objet qui est la cause du désir, se détache de la figure de l’analyste, qui jusqu’alors incarnait, dans le transfert, l’idéal du moi, pour se révéler comme objet de la pulsion. La séparation entre l’idéal du moi et l’objet de la pulsion (objet a) destitue l’analyste de l’enveloppe du sujet sachant savoir et fait que les liens sous-tendus par l’amour de transfert se dénouent. L’opération analytique peut alors se focaliser sur le maintien de la distance entre l’idéal du moi – I(a) – et la fonction de l’objet a.
36 Le transfert, compris comme ce qui détourne le besoin de la pulsion doit être conduit par le désir de l’analyste, afin de retourner à la pulsion. Un rebondissement de plus se produit : le bien-dire du symptôme mène à la confrontation avec l’impossible à dire, et nous confronte à la question suivante : comment un sujet qui a traversé le fantasme peut-il vivre la pulsion ? Lacan lui-même nous renvoie le problème lorsqu’il affirme que « cela est l’au-delà de l’analyse, et n’a jamais été abordé [40] ».
37 Dans la mesure où le sinthome est l’effet de la nodulation entre le réel, le symbolique et l’imaginaire, opérée par le Nom-du-Père, en tant que celui qui nomme, la fin de l’analyse se traduit par l’identification avec le sinthome : savoir se débrouiller avec l’impossible de la relation sexuelle, avec sa jouissance et avec l’énigme de la jouissance de l’Autre-sexe.
38 Voilà pourquoi la psychanalyse peut être conçue comme une pratique d’intervention symbolique sur le réel, dans le sens où elle ne cesse de ne pas s’inscrire. Au début de l’analyse, l’analysant parle, non pas de la vérité, mais de la variété de son symptôme. Alors que la fin de l’analyse est l’affrontement avec l’impossible de la relation sexuelle, puisque sur le plan sexuel, il n’y a pas de relation signifiante. Entre l’homme et la femme, il n’y a pas que la barrière, mais aussi le sinthome. Qu’en faire, à part vivre avec et le prendre comme un moyen de jouissance ? Si le signifiant, au lieu d’apporter l’union entre les êtres parlants et sexués, apporte la discorde, alors la relation entre hommes et femmes ne peut se constituer comme paire qu’au niveau de la jouissance, et pas au niveau du signifiant. Or, qu’est-ce que ce lien, sinon un lien symptomatique ?
39 Une analyse demande du temps, un temps qui ne peut être établi sur les aiguilles d’une montre. Chacun, dans sa singularité, a son propre instant de voir, son propre temps pour comprendre et son propre moment de conclure. Le fait de savoir vivre avec le sinthome dépend-il du désir de l’analyste ou du choix éthique de l’analysant ? Quelle que soit la réponse, il faut que l’analyste s’appuie sur l’éthique de la psychanalyse (le désir de l’analyste) et ne profite pas de la jouissance de son écoute, ni de l’amour qui lui est adressé par la force captivante du transfert.
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Mots-clés éditeurs : fantasme, Désir, interprétation, jouissance
Date de mise en ligne : 18/04/2017
https://doi.org/10.3917/insi.012.0101Notes
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[1]
Traduit du portugais : zonas eróticas “reduzidas à sua função de borda” (Lacan, 1964, p. 169).
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[2]
La jouissance phallique (JΦ), la seule à laquelle le sujet parlant ait accès, est régulée par le signifiant. Toute jouissance est phallique et, en tant que telle, n’a pas de rapport avec l’Autre-sexe, avec lA Femme ; tel est le sens de ce que dit Lacan lorsqu’il affirme qu’il n’y a pas de rapport sexuel. « Ce que l’on appelle la jouissance sexuelle est marqué, dominé par l’impossibilité d’établir comme tel, nulle part dans l’énonçable, ce seul Un qui nous intéresse, l’Un de la relation rapport sexuel […]. La jouissance phallique est ce par quoi l’homme n’arrive pas, dirai-je, à jouir du corps de la femme, précisément parce que ce dont il jouit, c’est de la jouissance de l’organe », traduit du portugais : « [o que chamamos de gozo sexual é marcado, dominado, pela impossibilidade de estabelecer, como tal, em parte alguma do enunciável, esse único Um que nos interessa, o Um da relação sexual […]. O gozo fálico é o obstáculo pelo qual o homem não chega, eu diria, a gozar do corpo da mulher, precisamente porque o de que ele goza é o gozo do órgão » (Lacan, 1972-1973, p. 15). « La jouissance, en tant que telle, est phallique, c’est-à‑dire qu’elle ne se rapporte pas à l’Autre comme tel », traduit du portugais : « o gozo, enquanto sexual, é fálico, quer dizer, ele não se relaciona ao Outro como tal » (Lacan, 1972-1973, p. 17-18).
-
[3]
Lacan, lors d’un entretien accordé au Service de la Recherche de l’O.R.T.F., diffusé à la télévision française puis publié sous le titre de Télévision, a soulevé la question suivante, en se référant à ceux qui disaient qu’il négligeait l’affect : « Un affect, ça regarde-t-il le corps ? Une décharge d’adrénaline, est-ce corps ou pas ? »
-
[4]
« Le sujet de l’inconscient, lui-même, influe sur le corps », traduit du portugais : « O sujeito do inconsciente, ele mesmo, influi no corpo » (Lacan, 1974, p. 66).
-
[5]
« Senti o vácuo ; era no peito que o sentia » (Branco 1862, p. 136).
-
[6]
« Quis moldar-me ao viver que o mundo ama » (Branco, 1862, p. 246).
-
[7]
Dans De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Lacan établit un lien entre l’esprit romantique et la sensibilité infantile, en l’identifiant à la « sensibilité bovarienne », qui est l’un des traits caractéristiques de la psychose paranoïaque (Lacan, 1932, p. 178, version portugaise).
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[8]
Traduit du portugais : « é preciso “se orientar no inconsciente, na estrutura” » (Lacan, 1974, p. 44).
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[9]
Le passage suivant, extrait du témoignage de l’écrivain Phillip K. Dick, illustre à merveille le choix du sujet, lorsqu’il se porte sur le désir au détriment de la jouissance : « L’abus des drogues n’est pas une maladie ; c’est une décision, au même titre que de traverser la rue devant une voiture lancée à vive allure. […] Quand un certain nombre de gens s’y mettent, cela devient une erreur sociale, un style de vie, dont la devise serait : “prends du plaisir maintenant, parce que demain, tu seras mort.” Seulement, la mort commence à vous ronger presque aussitôt et le bonheur n’est plus qu’un souvenir. Il ne s’agit en somme que d’une accélération, d’une intensification de la vie telle qu’elle est vécue ordinairement. Cette existence ne diffère pas de notre propre style de vie ; elle va simplement plus vite. Tout arrive en quelques jours, en quelques semaines, en quelques mois au lieu de quelques années – “s’argent avez, il n’est enté. Mais le despensez tost et vite”, comme l’a dit Villon en 1469. Mais c’est une erreur, si l’on n’obtient qu’un sous comptant et que les dettes durent toute la vie », traduit du portugais : « O abuso das drogas… » Cf. Dick (1977, p. 271-272).
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[10]
[…] la jouissance se présente non purement et simplement comme la satisfaction d’un besoin, mais comme la satisfaction d’une pulsion », traduit du portugais : « […] o gozo se apresenta não pura e simplesmente como a satisfação de uma necessidade, mas como a satisfação de uma pulsão », cf. Lacan (1959-1960, p. 256).
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[11]
Renoncer à son être, c’est-à‑dire, à ses signifiants, pour avoir les oreilles grand ouvertes, désintoxiquées de sens, ce qui n’en demeure pas moins une tâche impossible. Dans « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Freud fait figurer la pratique de la psychanalyse dans une liste de trois « professions impossibles ». Les deux autres sont éduquer et gouverner. Pour lui, le psychanalyste doit persister dans cet impossible amour de la vérité, et cela « exclut tout semblant et tout leurre » – traduit du portugais : isso « exclui qualquer classe de impostura ou engano » (Freud, 1937, p. 3-361). Pour Lacan, cette insistance ne met pas en scène le désir du sujet, mais plutôt le désir de l’analyste, sur lequel se fonde l’éthique de la psychanalyse.
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[12]
Cette expression apparaît dans l’écrit intitulé « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », dans Le Séminaire, Livre IV (1956-1957), La relation d’objet et dans Le Séminaire, Livre V (1957-1958), Les formations de l’inconscient, dans la version portugaise.
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[13]
Le passage de Lacan en question est le suivant : « Quand on avance dans la direction de ce vide central, en tant que c’est jusqu’à présent sous cette forme que se présente à nous l’accès à la jouissance, le corps du prochain se morcelle. » En portugais : « Quando se avança na direção desse vazio central, dado que é, até agora, sob essa forma que se apresenta para nós o acesso ao gozo, o corpo do próximo se despedaça » (Lacan, 1964, p. 246).
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[14]
« […] l’éthique de l’analyste est son désir, c’est la seule occasion qu’il ait de ne pas s’identifier à cette jouissance [la jouissance de l’énigme]. Les antinomies entre le désir et la jouissance font que le terme fondamental de l’analyse est, pour Lacan, le désir de l’analyste », traduit du portugais (Laurent, 1995, p. 37). Et encore : « Le questionnement de Lacan sur le dispositif de l’analyse tend à nous rappeler ces réalités et si, finalement, il évoque le désir du psychanalyste, c’est pour réveiller l’analyste de la jouissance qui envahit le dispositif analytique. » Du portugais (Laurent, 1995, p. 42).
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[15]
Laurent, 1995, p. 14.
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[16]
Dans Le Séminaire, Livre XI (1963-1964), Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Lacan dit que, dans l’inconscient, il y a « un trou, une fente » [um buraco, uma fenda], ce qui fait que s’y inscrit quelque chose qui « est de l’ordre du non-réalisé » [algo que é « da ordem do não realizado »] (p. 28), c’est-à‑dire, du réel. Freud évoque cette inscription dans le septième chapitre de L’interprétation des rêves lorsqu’il se réfère au « nombril du rêve ».
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[17]
Um saber « que não pensa, nem julga, nem calcula » (Lacan, 1974, p. 31).
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[18]
« Deixar a esse Outro seu modo de gozo, eis o que só se poderia fazer não impondo o nosso, não o considerando como um subdesenvolvido » (Lacan, 1974, p. 58).
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[19]
O analista « se identifica com o “goza-ouço” do supereu » (Laurent, 1995, p. 38).
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[20]
Ele « faz o balanço de alguns cinquenta anos de experiência, nos consignando ali um tipo de testamento teórico no qual se delineiam as tarefas do futuro » (Soler, 1994, p. 392).
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[21]
A análise terá realizado seu intuito de fornecer àquele que aprende uma convicção firme da existência do inconsciente, se o capacitar, quando o material recalcado surge, a perceber em si mesmo coisas que de outra maneira seriam inacreditáveis para ele, e se lhe mostrar um primeiro exemplo da técnica que provou ser a única eficaz no trabalho analítico (Freud, 3, p. 361-362).
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[22]
A análise terá realizado seu intuito de fornecer àquele que aprende uma convicção firme da existência do inconsciente, se o capacitar, quando o material recalcado surge, a perceber em si mesmo coisas que de outra maneira seriam inacreditáveis para ele, e se lhe mostrar um primeiro exemplo da técnica que provou ser a única eficaz no trabalho analítico (Freud, 3, p. 361-362).
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[23]
« Il ne faut pas oublier que la relation analytique est fondée sur l’amour de la vérité – c’est-à‑dire, sur la reconnaissance de la réalité – et qu’elle exclut tout semblant et tout leurre » (Freud, 1937, 3.361).
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[24]
A análise didática « só pode ser breve e incompleta » (3.361).
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[25]
Tout analyste devrait « périodiquement, à intervalle approximatif de cinq ans, se soumettre à une vue de sa propore analyse » (3.362).
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[26]
É um tratamento « que consome tempo » (3.339).
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[27]
Pour Rank, la véritable source de la névrose était le moment de la naissance, puisqu’il était possible que l’enfant ne parvienne pas à dépasser la « fixation première » sur la mère et que cette fixation perdure comme « répression première ». Rank espérait qu’en faisant face à ce trauma premier, par le biais d’une analyse ultérieure, on parviendrait à se libérer de toute la névrose. Ainsi, ce petit fragment de travail analytique nous épargnerait tout le reste et quelques mois suffiraient à le réaliser » (Freud 1937, 3.339).
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[28]
« Não se pode discutir que o argumento de Rank era audaz e engenhoso… » (3.339).
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[29]
La finalité de la thérapie psychanalytique est de « [libérer] quelqu’un de ses symptômes, inhibitions et anormalités à caractère névrotique » (Freud 1937, 3.339).
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[30]
« O esclarecimento da neurose infantil » (3. 340).
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[31]
Serguei é « capaz de reproduzir todas as lembranças e descobrir todas as conexões que pareciam necessárias para compreender sua neurose primitiva e dominar a atual » (3.340).
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[32]
« O leão só salta uma única vez » (3.340).
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[33]
Pode conformar-se « com a certeza de que demos à pessoa analisada todo o incentivo possível para reexaminar e alterar sua atitude para com ele » (3.384).
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[34]
« O sujeito transformado pela análise se definirá por uma nova relação com a castração e com a pulsão » (Soler, 1994, p. 394).
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[35]
« Nous ne pouvons plus adhérer à la croyance selon laquelle les évènements psychiques se trouvent exclusivement régis par la recherche de plaisir » (Freud, 1937, 3.358).
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[36]
Freud se base sur la pensée d’Empédocle, le philosophe d’Agrigente, qui a écrit deux poèmes en ionien, De la nature et Purifications, dont il n’est resté que quelques fragments, pour élaborer sa théorie sur les pulsions sexuelles (Éros) et la pulsion de mort : les premières se caractériseraient par la tendance à l’unification, tandis que la seconde se caractériserait par une force qui tend à la destruction, à l’agression et au retour à l’inanimé. Le concept d’Éros glisse vers le mythe de l’Un, si cher aux philosophes grecs, ou, comme dit Lacan, Freud « y choit aussi, car ce qu’il impute à Éros, en tant qu’il l’oppose à Thanatos, comme principe de “la vie”, est d’unir, comme si, à part une brève coïtération, on avait jamais vu deux corps s’unir en un » – « Freud também cai nessa : pois o que ele imputa a Éros, na medida em que se opõe a Tânatos, como princípio de “a vida”, é de unir, como se, afora uma curta coiteração, sempre se tivesse visto dois corpos se unirem em um » (Lacan, 1974, p. 46). Quant à la conceptualisation de Thanatos, Lacan a toujours insisté sur le fait que la tendance à l’agression et à la destruction de la pulsion de mort ne devait pas être prise pour un affect, c’est-à‑dire, pour de l’agressivité à l’encontre de son prochain. On ne trouve pas chez Freud lui-même, malgré les interprétations qu’en ont fait les adeptes de la psychologie, ce sens donné au terme d’agression. Ce qu’il nous dit est la chose suivante : « […] nous avons cherché une base biologique au principe de la “discorde”, en ramenant notre pulsion de destruction à la pulsion de mort, à l’effort du vivant pour retourner à l’état inanimé » – « […] Nós temos procurado uma espécie de base biológica para o princípio da ‘“luta”, remontando nossa pulsão de destruição à pulsão de morte, ao desejo do que vive voltar a um estado animado » (Freud, 1937, 3.360). Lacan a recours à la métaphore du Saint-Esprit pour évoquer la pulsion de mort freudienne : « […] le Saint-Esprit est l’entrée du signifiant dans le monde. C’est ce que Freud nous a apporté sous le terme d’instinct de mort. Il s’agit de cette limite du signifiant qui n’est jamais atteinte par aucun être vivant. […] C’est toutefois quelque chose qui se trouve virtuellement à la limite de la réflexion de l’homme sur sa vie, ce qui lui permet d’entretenir la mort comme condition absolue, indépassable, de son existence, comme le dit Heidegger. […] Ce qu’il y a sur le fond de l’existence du signifiant, de sa présence au monde, mettons-le sur notre schéma comme une surface efficace du signifiant, où celui-ci reflète, en quelque sorte, ce que l’on peut appeler le dernier mot du signifié, c’est-à‑dire de la vie, du vécu, du flux des émotions, du flux libidinal. C’est la mort, en tant qu’elle est le support, la base, l’opération du Saint-Esprit par laquelle le signifiant existe » – « […] O Espírito Santo é a entrada do significante no mundo. Foi isso, com toda certeza, que Freud nos trouxe sob o termo instinto de morte. Trata-se desse limite do significado que jamais é atingido por algum ser vivo. […] É, todavia, algo que se encontra virtualmente no limite da reflexão do homem sobre sua vida, o que lhe permite entrever a morte como a condição absoluta, insuperável, de sua existência, como se expressa Heidegger. […] O que está no fundo da existência do significante, de sua presença no mundo, vamos coloca-la em nosso esquema como uma superfície eficaz do significante, isto é, da vida, do vivido, do fluxo das emoções, do fluxo libidinal. É a morte, na medida em que ela é o suporte, a base, a operação do Espírito Santo pela qual o significante existe » (Lacan, 1956-1957, p. 47-48). Ainsi, « le signifiant fonctionne sur le fond d’une certaine expérience de mort » – « o significante funciona sobre o fundo de uma certa experiência de morte » (p. 50). Dans les séminaires suivants, Lacan continue à attirer l’attention de ses auditeurs sur les équivoques qui ont été commises par rapport à la notion freudienne de Thanatos. Dans Le séminaire, Livre IX, L’identification, datant de 1961 et 1962, il affirme en toutes lettres que l’instinct de mort n’est pas un ver dévorant, un parasite, une blessure, ni même un principe de contradiction ou un élément d’alternance entre la vie et la mort. C’est simplement le principe qui entoure l’essence de la vie inscrite dans l’instinct de mort, qui est régi par la loi du principe de plaisir, c’est-à‑dire, une tendance à répéter le même cercle, pour revenir à l’inanimé. Dans Le Séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, il se réfère à Antigone pour illustrer l’instinct de mort : « […] En effet, Antigone n’a-t-elle pas déclaré d’elle-même, et depuis toujours, – je suis morte et je veux la mort. Dès lors qu’Antigone se décrit comme Niobé changée en statue de glace, à quoi s’identifie-t-elle ? Sinon à cet inanimé où Freud nous apprend à reconnaître la forme dans laquelle se manifeste. Il s’agit justement d’une illustration de l’instinct de mort » – « […] com efeito, Antígona se descreve como Niobe se petrificando, com o que ela se identifica ? – senão com esse inanimado no qual Freud nos ensina a reconhecer a forma na qual o instinto de morte se manifesta. Trata-se justamente de uma ilustração do instinto de morte » (Lacan, 1959-1960, p. 340).
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[37]
Um « conceito limite entre o psíquico e o somático » (Freud, 1914, 2.041).
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[38]
Traduit du portugais : « hieróglifos da histeria », « brasões da fobia », « labirintos da Zwangsneurose », « encantos da impotência », « enigmas da inibição », « oráculos da angústia », « armas eloquentes do caráter », « chancelas de auto-punição », « disfarces da perversão » (Lacan, 1953, p. 282).
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[39]
« Entre o significante enigmático do trauma sexual… » (Lacan, 1957, p. 522).
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[40]
« Isto é o mais-além da análise, e jamais foi abordado » (Lacan, 1964, p. 258).