Couverture de INPSY_9608

Article de revue

L’impact du confinement sur la santé mentale, l’importance des signaux faibles et des indicateurs fins. Résultats préliminaires de l’enquête Covadapt

Pages 632 à 638

Introduction

1Le 17 mars 2020, 66 millions de Français ont vécu un événement sans précédent : un confinement total de 8 semaines. Cette mesure de santé publique prise par le gouvernement français avait pour but de limiter la propagation du SARS-CoV-2 identifié en décembre 2019 à Wuhan en Chine. Dès le 30 janvier 2020, la situation est qualifiée de pandémie mondiale par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’état d’urgence et le confinement total mis en place reposaient sur l’idée que le virus pouvait tuer entre 300 et 500 000 personnes en France en l’absence de mesures de prévention [1] avec une saturation des capacités des systèmes sanitaires. Ce virus à tropisme respiratoire entraîne également l’apparition de nombreuses pathologies, dont les formes les plus graves peuvent aboutir au décès, en particulier parmi des groupes vulnérables, âgés de plus de 65 ans ou atteints de certaines maladies chroniques [2]. Le mode de transmission par « micro-gouttelettes » a pu être rapidement identifié par les scientifiques [3], la période d’incubation particulièrement longue (5 à 12 j), mais le fort taux de patients contagieux et asymptomatiques (jusqu’à 60 % des cas) et la grande hétérogénéité de la contagiosité (avec des cas qualifiés de patients « super-contaminateurs ») rendent particulièrement difficiles le suivi et la gestion des chaînes de contaminations [4]. Le 24 janvier 2020, les premières personnes contaminées sont identifiées sur le territoire français, le taux de personnes contaminées par le virus augmente exponentiellement au cours des semaines qui suivent avec plusieurs centaines de nouveaux cas par jour identifiés. Un pic est atteint, de 4375 nouveaux cas pour la seule journée du 31 mars 2020. Entre le 1er mars et la fin de confinement généralisée du 11 mai 2020, la France déplore 26 643 personnes décédées, 96 431 hospitalisées [5, 6]. Cette crise sanitaire est sans précédent dans ses modalités de réponses sanitaires et sociales, comparée par exemple à la grippe espagnole qui a fait des millions de morts dans le monde (dont 240 000 en France) de 1918 à 1920 [7]. Les réponses apportées à la crise du coronavirus pour limiter la diffusion de la pandémie oscillent entre des mesures d’hygiène classiques, de lavage des mains et de distanciation sociale jusqu’à des mesures drastiques telles que le confinement total des populations, en passant par l’usage des masques, d’abord affirmé inutile par les autorités de santé, aujourd’hui rendu obligatoire en quasiment tous lieux.

2La pandémie et la situation de confinement ont provoqué une situation qui peut être qualifiée d’extrême. Tous les aspects de la vie des individus vont être perturbés, laissant place à une incertitude marquée et une confrontation à la fragilité de la vie. Les activités quotidiennes ou professionnelles vont être reportées, arrêtées ou abandonnées, soumises à de nombreuses contraintes et imprévus. De nombreux Français vont être confrontés à la menace directe ou indirecte sur leur propre vie ou celle de proches ainsi que sur leur intégrité physique. Dès la survenue de la pandémie, plusieurs études se mettent en place afin de suivre les conséquences sanitaires et sociales de la situation. Les premières études épidémiologiques menées auprès des populations générales dans différents pays montrent l’apparition de certains troubles psychologiques associés aux conditions provoquées par la pandémie. Plusieurs auteurs relèvent l’apparition de troubles anxieux, de dépression, d’attaques de panique, de troubles de stress post-traumatiques, de délires, de psychoses et d’idées suicidaires [8-11]. Globalement, les personnes qui présentent des troubles psychologiques présentent également des facteurs aggravants qui les rendent plus vulnérables face à la détresse psychologique provoquée par ces conditions. L’impact psychologique risque d’être plus important chez les femmes en raison d’une plus grande précarité (e.g., familles monoparentales) et d’un passé traumatique plus important (e.g., violences sexuelles passées). L’impact risque également d’être plus important lorsque les personnes ou leur entourage présentent des problèmes de santé qui font partie des facteurs de risques en cas de contamination par le SARS-CoV-2 (e.g., l’âge, le surpoids). Le temps passé à penser à la pandémie, l’exposition médiatique, la désinformation et l’incertitude sont également des facteurs aggravants. Ces derniers vont être associés aux troubles d’anxiété, de dépression et de sommeil. Tandis que la contamination par le virus semble être associée au trouble de stress post-traumatique [8]. Selon les études, 7 % de la population générale développe un trouble de stress post-traumatique ; entre 6 et 35 % de la population développe une anxiété sévère, entre 16 et 48 % une dépression ; entre 16 et 28 % développe à la fois des symptômes d’anxiété et de dépression [12]. Des prévalences similaires concernant la dépression et l’anxiété sont observées auprès de la population française, où entre 18 et 26,7 % de la population présente une dépression et 17 et 20 % un taux d’anxiété [12], allant jusqu’à 37 % de détresse psychologique [13] selon les études.

3Ces données épidémiologiques ne traduisent qu’une partie de l’impact de la crise sur l’état psychologique de la population générale : la plus visible avec les niveaux de détresse les plus importants. Alors que l’impact psychologique de la crise recueilli par des échelles diagnostiquant des troubles modérés à sévères touche 53 % de la population générale, 67 % de la population qui ne présente pas de troubles caractérisés se déclare pourtant préoccupée par sa santé mentale, présente une diminution des émotions positives ainsi qu’une diminution de leur satisfaction de vie [11]. Par ailleurs, plus de 66 % de la population française fait état de troubles de sommeil tandis qu’une diminution de la satisfaction de vie pouvant atteindre plus de 44 % des Français les premières semaines de confinement [12]. Ces niveaux d’impact plus « faibles » et plus « fins », sont toutefois à surveiller sur le long terme car ils peuvent entraîner in fine des effets néfastes sur la santé psychique [14]. Ils peuvent, par ailleurs, être accentués, en raison des conséquences sociales (perte du lien social, isolement) et économiques qui sont susceptibles d’accentuer ces troubles et renforcer la vulnérabilité de populations déjà fragilisées [11, 15].

4Au-delà des détresses psychologiques provoquées par cette crise, des signes moins « aigus », plus « faibles », plus « fins » témoignent d’un impact sur l’état psychologique également chez ceux qui ne semblent pas présenter de trouble. Or ces désordres plus fins, ne sont peu ou pas évalués par les études épidémiologiques utilisant des échelles standardisées. C’est dans ce contexte que nous avons mis en place l’étude Covadapt qui a pour but d’étudier l’impact du confinement au-delà des aspects psychopathologiques mesurés par les échelles standardisées, sur l’équilibre global du fonctionnement des individus. Au moyen de multiples indicateurs, Covadapt permet d’évaluer l’impact du confinement auprès de la population française, en se basant sur la détresse psychologique, le fonctionnement psychophysiologique, les activités quotidiennes et la perception de la situation.

Méthode

Procédure

5L’étude Covadapt a utilisé une méthodologie de questionnaire en ligne, diffusé par un effet boule de neige. L’étude a été mise en œuvre par une équipe pluridisciplinaire, ce qui a favorisé la diversité des canaux de diffusion via de nombreux médias, réseaux sociaux et institutions de recherche. Le questionnaire a été mis en place dès le 23 mars 2020, il a été réitéré à 5 reprises, avec la possibilité de participer jusqu’au 12 mai 2020 (détail de la procédure associé à la chronologie des événements dans la figure 1). Tous les participants ont participé de manière volontaire, n’ont reçu aucune compensation, ont donné leur accord pour être recontactés durant les vagues suivantes (déclaration de conformité MR-004 auprès de la CNIL, référence : 2217313 v 0 pour cette étude).

Outils de recueil

Données démographiques

6Au moyen d’autoreport, d’échelles de Likert ou de questions à choix multiples, nous avons recueilli des informations personnelles (e.g., sexe, âge, situation matrimoniale, nombre d’enfants en garde partagée ou non) ; des informations relatives à la zone résidentielle où de confinement (e.g., caractéristique du lieu, nombre de personnes hébergées) ; et nous avons cherché à caractériser les situations professionnelles au moment du confinement (e.g., activité professionnelle, télétravail pendant le confinement, exposition au virus dans le cadre professionnel).

La détresse psychologique

7Par le biais de l’auto-évaluation, nous avons mesuré directement certains états psychologiques. Nous demandions à chaque individu comment il se sentait sur vingt-sept indicateurs (e.g., stressé, anxieux, inspiré, optimiste...) sur une échelle de 10 points allant de 0 (« non ») à 10 (« extrêmement »). Nous avons qualifié un haut niveau de détresse lorsque le score dépasse la note seuil de 7.

Le fonctionnement psychophysiologique

8Par l’auto-évaluation, nous avons mesuré certains indicateurs subjectifs qui reflètent un bon fonctionnement physiologique. Avec un item par indicateur (e.g., du sommeil, de l’humeur, la qualité de l’organisation des journées...) les participants renseignent la qualité perçue sur une échelle de 10 points, allant de 0 (« bonne qualité ») à 10 (« mauvaise qualité »).

Les activités quotidiennes

9Nous avons évalué la perception subjective du temps accordé à différentes activités. Nous avons demandé si les personnes consacraient plus de temps, autant de temps, moins de temps à chaque activité sur la base d’une liste (e.g., lire, jouer, cuisiner, regarder la télévision, planifier l’avenir, s’occuper de sa famille...).

Figure 1

La procédure de l’étude Covadapt associée à la chronologie des événements et des mesures gouvernementales durant le confinement

figure im1

La procédure de l’étude Covadapt associée à la chronologie des événements et des mesures gouvernementales durant le confinement

La perception de la situation

10Nous avons évalué la perception subjective pour chaque individu de la situation actuelle au moyen de questions auto-rapportées. Chaque individu devait évaluer comment il vivait la situation actuelle selon plusieurs indicateurs (e.g., « était stressante », « avait du sens », « projetait une amélioration »...), au moyen de réponse allant de 0 (« pas du tout ») à 5 (« extrêmement »).

Analyses statistiques

11Le logiciel SPSS a permis de réaliser l’ensemble des analyses. Au préalable de toute analyse, les données ont été redressées, à partir de données INSEE, en fonction des variables sociodémographiques de la population française (e.g., âge, la région, la surface du lieu d’hébergement, la nationalité, la situation familiale). Les données manquantes ont été traitées par la méthode de l’arbre de segmentation sur l’échantillon des répondants ayant répondu à au moins deux vagues. Les analyses effectuées sont descriptives et ont été faites sur ces données redressées dans l’ensemble de l’échantillon.

Principaux résultats

12Nous avons pu interroger 6545 participants, avec un maintien du taux de participation de 46 % et 27 % de notre échantillon premier au cours du temps (voir figure 1). Les données manquantes ont été traitées nous permettant d’effectuer les analyses statistiques. Notre échantillon de départ est composé à 65 % de femmes (n = 4234) et 35 % d’hommes (n = 2311), avec un âge entre 18 et 60 ans et un âge moyen de 48,2 ans (ET = 16,30) (cf. tableau 1).

13L’impact psychologique évalué directement par une mesure de la détresse psychologique oscille selon les indicateurs entre 11 et 22 %. Dans les premières semaines de confinement, 19 % des personnes interrogées déclarent ressentir un haut niveau d’anxiété ; 22 % un haut niveau de stress, 11 % un haut niveau de dépression ; 15 % un haut niveau d’irritabilité. Des scores assez similaires sont observés durant les dernières semaines de confinement (15 % de haut score d’anxiété ; 19 % de haut score de stress ; 11 % de haut score de dépression ; 14 % de haut score d’irritabilité).

14L’impact du confinement est aussi évalué par le fonctionnement psychophysiologique au travers des indicateurs d’humeur, de sommeil et de fatigue mentale. Sur la base de ces indicateurs, plus de 38 % de la population déclare avoir été impactée. Interrogée sur la qualité de leur humeur hors période de crise, 12 % de la population déclare avoir une humeur dégradée. Au début du confinement, ils sont 33 % à déclarer être de mauvaise humeur. Ce chiffre va légèrement baisser au cœur du confinement (31 %) puis remonter à l’annonce du déconfinement (34 %). Les répondants ont déclaré avoir habituellement un sommeil plutôt correct (25 % estiment avoir une qualité de sommeil moyenne, 37 % bonne, 22 % très bonne). Mais à la question, sur la qualité de sommeil sur les 7 derniers jours par rapport à la normale, ils sont en moyenne 25 % à le déclarer systématiquement « moins bon » ou « vraiment moins bon » et 26 % en moyenne à déclarer systématiquement moins dormir que d’habitude. Les dernières semaines de confinement, une proportion importante des répondants affirme être un peu ou beaucoup fatiguée (respectivement 38 % et 14 %) et 4 % déclarent être exténués. Au total, c’est 56 % qui déclarent ressentir une fatigue mentale. Par ailleurs, 70 % déclarent se réveiller une à plusieurs fois par nuit et que 39 % déclarent subir des sommeils agités, avec de nombreux réveils.

Tableau 1. Différentes caractéristiques de l’échantillon interrogé. Étude Covadapt

tableau im2
N% N % Femmes4 23465 Femmes 4 234 65 Hommes2 31135 Hommes 2 311 35 MoyenneÉcart type Moyenne Moyenne Écart type Écart type Âge48,216.30 Âge 48,2 16.30 N% N % Célibataire2 64440 Célibataire 2 644 40 En couple3 47753 En couple 3 477 53 Sans enfant(s)225064 Sans enfant(s) 2250 64 Avec enfant(s)125836 Avec enfant(s) 1258 36 Caractéristiques sociodémographiques Caractéristiques sociodémographiques N% N % Nationalité française610693 Nationalité française 6106 93 Nationalité étrangère4397 Nationalité étrangère 439 7 Séparé avec garde alternée2367 Séparé avec garde alternée 236 7 Salarié (e)161547 Salarié (e) 1615 47 Indépendant (e) ou chef (fe) d’entreprise33210 Indépendant (e) ou chef (fe) d’entreprise 332 10 Retraité (e)2387 Retraité (e) 238 7 Etudiant (e)2387 Etudiant (e) 238 7 Sans activité ou chômage1566 Sans activité ou chômage 156 6 Caractéristiques du confinement Caractéristiques du confinement Caractéristiques du confinement N% N % Appartement186853 Appartement 1868 53 Maison161146 Maison 1611 46 Jardin/terrasse…199057 Jardin/terrasse… 1990 57 Nature proche65019 Nature proche 650 19 Pas d’exposition au virus dans le cadre du travail90429 Pas d’exposition au virus dans le cadre du travail 904 29 Télétravail136650 Télétravail 1366 50 Arrêt de travail67625 Arrêt de travail 676 25 Maintien du travail37914 Maintien du travail 379 14

Tableau 1. Différentes caractéristiques de l’échantillon interrogé. Étude Covadapt

15S’agissant de l’impact du confinement au prisme des activités quotidiennes on relève que pour 19 % de la population, il y a réduction du temps consacré à des activités habituelles. Nous observons une évolution fortement négative des occupations nécessitant une implication intellectuelle ou émotionnelle. Les taux de personnes qui déclarent arrêter ou réduire de beaucoup leurs activités de loisir ou de sociabilité sont de 13 % pour la lecture, 7 % pour l’écriture, 8 % pour le jeu, et 19 % pour le rire. Concernant certaines activités, présentées comme positives pour faire face à la situation relayée par les médias traditionnels, 31 % des répondants affirment mettre en place des pratiques de relaxation, gestion du stress en début de confinement. La pratique s’érode au fur et à mesure (se réduit ou s’arrête pour 27 % des personnes en cours de confinement).

16En ce qui concerne l’impact du confinement évalué par la perception de la situation par les répondants, 38 % de la population déclare ressentir un impact car ils perçoivent la situation comme étant stressante ou très stressante. Cette perception s’accompagne d’un sentiment de perte de sens pour une proportion similaire : pour 37 % des répondants, la situation n’a peu ou pas de sens. Ce sentiment n’évolue pas de manière positive avec l’annonce du déconfinement : à ce moment-là, la majorité des répondants ne déclare pas se sentir mieux : 66 % déclarent ne pas se sentir mieux et 14 % déclarent avoir une perception dégradée voire très dégradée de leur état. Ces données sont confortées par un sentiment largement partagé de pessimisme pour le futur. Ainsi, interrogés sur la manière dont iront les choses après la crise, 86 % déclarent que les événements iront moins bien ou seront identiques à la situation actuelle. Enfin, à l’issue du confinement, 56 % estiment n’avoir que peu ou pas de maîtrise sur leur vie.

Discussion

17La présence du SARS-CoV-2 sur le territoire a été considérée comme un risque majeur pour la santé de la population et a entraîné la mise en place d’une mesure de confinement total. Cette mesure drastique, sans précédent, a eu et va continuer à avoir des répercussions sur la santé psychologique de la population générale. La présente étude avait pour ambition de mettre en évidence cet impact au travers des mesures directes telles que la détresse psychologique et d’autres signaux plus « fins » tels que le fonctionnement psychophysiologique, les activités quotidiennes et la perception de la situation. Les principaux résultats montrent que l’impact psychologique associé à cette crise se manifeste sous différents aspects. Plus précisément, la détresse psychologique ou une réduction des activités quotidiennes, pourtant souvent appréciées, touche 19 % à 22 % de la population. Tandis que des indicateurs de l’impact psychologique relatifs au fonctionnement psychologique et à la perception de la crise concernent entre 29 % et 38 % de la population. Une fatigue, un sentiment de perte de contrôle, une perception dégradée sont les plus importantes manifestations.

18L’impact psychologique provoqué par le confinement, évalué de manière directe en mesurant l’intensité de détresse ressentie, nous permet de supposer qu’entre 10 et 22 % de la population interrogée présente un niveau de détresse psychologique aiguë. Des taux en accord avec les niveaux de prévalence mesurées au moyen d’échelles standardisées dans les études épidémiologiques françaises [12, 13]. En effet, entre 17, 26,7 % [12] voire 37 % [13] de la population présente des symptômes de dépression ou d’anxiété [12, 13]. L’étude Coconel affine la représentativité de ces taux d’impact direct en relevant qu’ils varient selon la vulnérabilité économique. Ils notent que l’impact psychologique est plus important chez les personnes aux revenus les plus bas (i.e., 55 %) par rapport aux personnes les plus aisées (i.e., 22 %) [13]. Ces chiffres représentent des individus a minima conscients de leur état de détresse, pouvant répondre à des échelles directes et explicites, plus enclins pour solliciter des acteurs de santé afin de chercher de l’aide. Les demandes d’aide et de prise en charge ont été exacerbées pendant le confinement, et il ne serait pas surprenant que ces augmentations persistent dans les années à venir [16]. Assurer la continuité des soins malgré les contraintes sanitaires a été un réel défi pour les professionnels et les structures sanitaires. Plusieurs initiatives de téléconsultation, de e-santé ont vu le jour pendant cette période afin de s’adapter au contexte [16]. Le repérage précoce de ces individus en détresse reste important car il participe à une prise en charge plus efficiente, d’où l’importance d’affiner les indices reflétant l’impact du confinement sur la population.

19L’isolement à domicile provoque de nombreux changements soudains, plus ou moins importants, non désirés dans les différents domaines de la vie des individus et ceci de manière simultanée. Ces changements peuvent être plus ou moins subtils, ne pas avoir d’impact immédiat, mais se cumuler sur plusieurs semaines et dans plusieurs domaines de la vie. L’impact psychologique provoqué par ces changements ne va pas systématiquement se manifester par un état de détresse intense mesurée par les échelles évaluant la prévalence des troubles psychologiques caractérisés. Mais il se manifestera par des changements dans le quotient plus subtils, mesurés par des indices plus fins tels que ceux utilisés dans notre étude. Les résultats préliminaires de l’étude Covadapt nous permettent de faire l’hypothèse que plus d’un tiers de la population générale est affectée (soit 39 % contre 22 % en cas de mesure directe). Des résultats qui corroborent ceux de l’étude CovidPrev qui met en évidence que 44 % des Français font état d’un impact sur des indicateurs plus subtils tels qu’une diminution de leur satisfaction de vie [12]. Cependant, sur un indicateur, le taux observé diffère entre notre étude et les études épidémiologiques françaises. Nous observons que seuls 26 % de la population déclare présenter des troubles de sommeil contre 66 % [12] et 53 % [13, 17] observé par les principales études épidémiologiques. Néanmoins, dans notre étude, entre 70 % et 39 % des répondants déclarent avoir un sommeil agité et 56 % une fatigue mentale, ce qui peut être associé à une qualité du sommeil perturbée. Ainsi, au travers de la présence d’autres indicateurs de la qualité du sommeil, nous observons des taux proches des autres études épidémiologiques. Des indicateurs à ne pas négliger en raison du rôle crucial du sommeil et de la fatigue dans l’équilibre physiologique et la régulation émotionnelle [11]. Ces différences, selon les études, témoignent de l’importance d’affiner le repérage des indicateurs de vulnérabilité. Si l’on va au-delà de la vision dichotomique « impact/pas d’impact » sur des troubles caractérisés mesurés par des échelles psychopathologiques standardisées pour mesurer les conséquences psychologiques du confinement, on constate qu’un plus grand nombre d’individus sont touchés avec un impact qui se manifeste différemment selon les situations et semble plus subtil et plus complexe.

20Plusieurs aspects de la vie vont être perturbés par les contraintes de la vie en confinement. La situation d’isolement social et la privation sensorielle vont jouer un rôle déterminant dans l’apparition de certains troubles, notamment les troubles anxieux, de dépression et de sommeil dont les processus psychophysiologiques sous-jacents qui ont été identifiés et décrit dans la littérature (pour en savoir plus, voir la référence [18]). Les perturbations psychophysiologiques dues à l’ennui et l’isolement social peuvent être à l’origine d’un large panel de détresse psychologique observé dans les différentes études épidémiologiques dont l’anxiété et la dépression sont les plus étudiées [18]. La réduction des contacts sociaux va être un facteur aggravant important [18], qui ne peut être totalement compensé par la mise en place de liens numériques. Les échanges numériques, qu’ils soient visuels, verbaux ou écrits, ne mettent pas les individus en présence. Les liens et les rencontres sont amputés d’une forme de présence corporelle à soi et à l’autre [19], et perdent leur rôle de régulateur dans le rapport aux événements de vie [18]. Le sentiment d’être en lien peut s’effriter et entraîner l’apparition d’un profond sentiment de solitude malgré la présence d’autrui [19]. Du point de vue sociologique, les individus se sont soit retrouvés avec une superposition de casquettes de différents rôles sociaux dans un même espace-temps, à la fois parent, enseignant, professionnel, conjoint, ami, tout en perdant dans le même temps soudainement d’autres rôles sociaux (pour les personnes au chômage, sans enfant à charge, vivant seules). L’absence de cloisonnement de ces différents rôles sociaux vont rendre les individus plus ou moins vulnérables, demandant des ressources émotionnelles et cognitives plus importantes pour penser, planifier les tâches du quotidien et la situation. Au niveau comportemental, des difficultés de planification des tâches quotidiennes et une irrégularité des activités quotidiennes peuvent apparaître [20]. Plusieurs aspects de la vie vont être perturbés : la perte d’activité, l’ennui, une certaine forme de privation sensorielle, la réduction des contacts sociaux, un décloisonnement des rôles sociaux sont autant d’éléments régulateurs du maintien du bien-être au quotidien [20]. Les perturbations seront d’autant plus coûteuses chez des personnes souffrant préalablement de troubles ou de problèmes de santé [11]. Les impacts psychologiques vont se manifester différemment selon les situations et nécessitent pour leur analyse des méthodes plus fines que celles qui sont classiquement utilisées en épidémiologie psychiatrique sur des populations générales. Il est important de surveiller ces formes de vulnérabilité au long terme. Selon leur amplitude, ils peuvent déterminer la capacité à affronter une seconde période de confinement ou autres mesures en cas de recirculation du virus sur le territoire.

21Face à des médias qui véhiculent une image « positive » du confinement bien vécu, voire bénéfique, et devant des études épidémiologiques ne mettant en lumière que la détresse aiguë et les troubles caractérisés, le risque est de ne pas percevoir ces sources de vulnérabilités plus fines. Réintégrer une vision dynamique, en évaluant l’importance des indicateurs selon leur évolution au cours du temps, permet d’observer plusieurs signaux indiquant que ces individus ont subi des perturbations de leurs repères quotidiens qui laisseront des traces, potentiellement pour certains individus à long terme. Toutes ne vont pas aboutir au développement de pathologies, mais les difficultés rencontrées nécessitent un coût cognitif important pour que ces nouvelles contraintes soient intégrées comme de nouvelles habitudes quotidiennes. Ce coût se manifeste entre autres par des difficultés élevées de concentration et d’efficacité au travail et des sentiments de solitude, d’ennui et de frustration [8]. Ces niveaux d’impact peuvent être maintenus ou accentués au cours du temps, en raison des conséquences sociales et économiques. La question essentielle est maintenant d’identifier les déterminants qui font le lit du développement de cette vulnérabilité au cours du temps, tandis que d’autres pourront récupérer, intégrer rapidement ces repères comme de nouvelles habitudes [21]. Il est également important d’évaluer l’évolution de ces impacts plus fins au cours du temps et d’envisager des outils de repérage et des prises en charge adaptées.

22L’étude Covadapt a pour but d’étudier et de suivre l’impact de la pandémie au-delà des aspects psychopathologiques au cours du temps, en s’intéressant à l’équilibre global du fonctionnement des individus. Ces résultats préliminaires nous permettent de conclure que la crise peut avoir un impact plus complexe que la simple vision dichotomique. Plusieurs limites existent et les résultats qui sont à interpréter avec précaution doivent être enrichis d’études complémentaires. L’analyse est descriptive et les conclusions ouvrent des pistes de recherche pour étudier l’impact de cette crise au cours temps. Au vu de l’importance des changements que la crise a provoqués dans le quotidien, il paraît normal d’avoir été impacté à un moment donné. La question réside dans le retour à l’équilibre pour éviter de maintenir d’une vulnérabilité au long terme, dans un contexte de crise latente qui pourrait encore durer plusieurs mois.

Liens d’intérêts

23Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

Remerciements

À Luc Mallet, Karim Ndiaye, Stephane Besnard, Philippe Lemoigne ainsi qu’à Antoine Moreau.

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Mots-clés éditeurs : vulnérabilité, enquête, confinement, santé mentale, vie quotidienne

Mise en ligne 17/11/2020

https://doi.org/10.1684/ipe.2020.2164

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