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Article de revue

Quelle politique de santé en pédopsychiatrie en 2020 ? Réflexion et analyse pour une meilleure précocité des interventions

Pages 269 à 278

Notes

  • [1]
    Mission sénatoriale d’information sur la situation de la psychiatrie des mineurs, avril 2017.
  • [2]
    Mission IGAS relative au fonctionnement des CAMSP, CMPP, CMP, septembre 2018.
  • [3]
    Discours de madame Agnès Buzyn, ministre de la santé et des Solidarités, Congrès de l’Encéphale, janvier 2019.
  • [4]
    HAS : Haute autorité de santé, autorité publique indépendante à caractère scientifique, vise à développer la qualité dans le champ sanitaire, social et médicosocial, au bénéfice des personnes.
  • [5]
    CMP : Centre médico-psychologique, unité centrale des secteurs de pédopsychiatrie du service public, accueillent les enfants de 0 sans limite supérieure mais environ jusqu’autour de 18 ans. Ce sont des établissements sanitaires dépendants du service public hospitalier.
    CMPP : Les centres médico-psycho-pédagogiques sont des services médico-sociaux assurant des consultations, des diagnostics et des soins ambulatoires pour des enfants et adolescents de 0 à 20 ans. Ils sont régis par l’Annexe XXXII.
    CAMSP : ce sont des services médico-sociaux, qui ont pour mission de dépister et de proposer une cure ambulatoire et une rééducation pour des enfants présentant des déficits sensoriels, moteurs ou mentaux. Ils accueillent des enfants de 0 à 6 ans, sont régis par l’annexe XXXII bis.

1Les pédopsychiatres de service public ont toujours porté la plus grande attention à la politique de santé publique pour le champ qui les concerne. Leur exercice auprès de l’ensemble des populations, y compris les plus vulnérables, concernant toutes les pathologies ou troubles, à toutes les étapes, de la prévention aux soins en passant par le diagnostic, les amène naturellement à cette préoccupation.

2La pédopsychiatrie a fait l’objet, ces derniers mois, de différentes déclarations et rapports [1], [2], [3]. Son caractère indispensable et prioritaire est mis en valeur. Les questions de démographie, d’accessibilité et la nécessité d’une offre plus étoffée sont soulignées. Pour autant, aucun plan d’action global fixant collectivement des lignes structurantes d’une politique de santé pour la spécialité n’a véritablement été conçu et présenté.

3Nous proposons ici une trame de ce que pourrait être une politique de santé en pédopsychiatrie. Pour ce faire, nous dessinerons, tout d’abord, les contours de la pédopsychiatrie actuelle et la place qu’occupent les classifications qui sont mises en exergue dans les derniers textes officiels. Secondairement, nous examinerons la nouvelle fonction des plateformes et les déterminants qui ont présidé à leur création, à l’occasion de la naissance de ces plateformes d’orientation et de coordination en direction des troubles neuro-développementaux pour les moins de 7 ans. Elles méritent en effet une attention spéciale au regard du rôle qu’elles seront amenées à jouer dans les dispositifs de santé en lieu et place de cette politique de santé en pédopsychiatrie dont nous souhaitons la construction.

4En annexe, nous tirerons quelques conclusions et propositions qui complèteront, dans le domaine des interventions précoces, les orientations prises par la SIP dans un dossier de présentation de toute l’organisation des soins en pédopsychiatrie (cf, en annexe, le dossier 2017 révisé en 2018) et par la FFP en 2018-2019.

Qu’est-ce que la pédopsychiatrie ?

Ses contours

5La pédopsychiatrie est une spécialité médicale dont l’exercice se fait majoritairement en service public hospitalier.

6Les pédopsychiatres exercent également dans les CMPP, dans la majorité des CAMSP, dans certains établissements médicosociaux recevant des enfants avec notification MDPH et très peu en libéral.

7La pédopsychiatrie de service public (encore appelée « Intersecteur » de psychiatrie infanto-juvénile ou service de pédopsychiatrie de secteur) appréhende l’ensemble des pathologies psychiques et des troubles du développement des bébés, des enfants et des adolescents. C’est la psychiatrie dite des mineurs. Elle contribue à maintenir les enfants dans leur environnement.

8Le service public en psychiatrie dite de secteur, fortement implanté par définition sur tous les territoires, présente de multiples atouts :

  • Il est au plus près de la population, travaille dans et avec la cité, favorise l’intégration des enfants et de leurs familles dans la société.
  • Les professionnels médicaux et non médicaux de la pédopsychiatrie construisent un large panel d’interventions auprès des enfants et de leurs familles.
  • Ils pratiquent une pédopsychiatrie intégrative des méthodes actuelles, constamment réinterrogées par les données scientifiques nouvelles sur lesquelles ces interventions s’appuient.
  • Les prises en charge sont mises en cohérence, articulées tant en interne qu’en externe et exercées au sein d’une équipe multidisciplinaire.

9La pédopsychiatrie est une spécialité médicale à part entière. Elle se réfère au courant humaniste des Lumières dans l’approche et le soin individualisé. Elle inclue les dimensions organique, biologique, neurologique tout en les associant aux autres déterminants humains du développement, émotionnels, du psychisme, des affects et du relationnel. De par sa tradition doublement ancrée dans les sciences de la vie comme dans les sciences humaines, elle s’enrichit des dimensions philosophique, sociologique, psychologique, pour éclairer son raisonnement. Elle se veut constamment préoccupée d’acquérir les connaissances scientifiques nécessaires qu’elle intègre à son corpus. Elle est soucieuse de se prémunir des phénomènes de croyances ou d’idéologies qui émergent constamment dans le domaine du psychisme et de la petite enfance.

10Aussi la pédopsychiatrie publique présente l’immense qualité d’un accueil priorisé, non discriminatoire, des populations les plus en souffrance, que ce soit du fait de données environnementales (par exemple au plan socio-économique) et/ou du fait de la complexité, de la multiplicité et de la gravité des troubles. De ce fait même, de ce contact quotidien avec la population d’enfants de toutes les strates de la société et particulièrement de celles qui n’accèderont pas aux soins dits privés ou libéraux, la majorité des pédopsychiatres a une forte attention portée à la construction d’une politique de santé concernant leur discipline ainsi que de santé publique.

Les classifications : la CIM 10, classification de l’OMS, et le DSM 5, production des USA reconnue et discutée internationalement

11Le DSM 5, classification diagnostique statistique des troubles mentaux, qui décrit les expressions manifestes, observables des troubles, est devenu, aujourd’hui, la classification de la pédopsychiatrie internationale, s’imposant en clinique, dans la recherche, les publications et la formation des professionnels.

12Les hôpitaux français ont conservé, eux, l’utilisation de la CIM 10 (qui deviendra sous peu la CIM 11), classification internationale émanant de l’Organisation mondiale de la santé et intégrant toutes les pathologies, les pathologies mentales étant le 5e chapitre. Son chapitre « troubles mentaux et du comportement » s’inspire directement du DSM.

13Précisons que le DSM 5 définit des grandes catégories de troubles mentaux, notamment les troubles neuro-développementaux (TND) dont l’intitulé met l’accent sur un probable processus, soutenu par une conception causaliste. Les TND touchent d’une part l’équipement neuronal dans sa partie génétique, biologique, d’autre part le développement dans sa dimension de construction des fonctions cérébrales dans le temps. Le DSM balaie aussi l’ensemble des autres catégories de pathologies mentales, moins déterministes dans leur fondement. Le concept de trouble neuro-développemental primaire « écrase », comme le préconise le DSM, toutes les autres catégories et favorise une conception de l’atteinte cérébrale comme une causalité unidirectionnelle, neurobiologique, dominante. Il favorise également un rassemblement des pathologies, avec le risque d’inclure dans une même catégorie des pathologies qui relèveraient pour le moins de sous-groupes différenciés.

14Cette classification internationale est, avant tout, adaptée à la politique de santé des USA. Elle est indispensable à la couverture assurantielle des patients qui sont pris en charge au regard des codes diagnostics du DSM. De plus, un outil catégoriel et très précis présente de grands avantages pour la recherche, démarche scientifique qui nécessite pour être efficace de réduire les questions posées afin d’être en mesure de les opérationnaliser. Les auteurs du DSM eux-mêmes reconnaissent ses limites et ont proposé, par exemple dans le cadre des troubles de la personnalité, deux approches possibles pour les caractériser : l’approche catégorielle habituelle déjà présente dans le DSM IV et IV TR, et une nouvelle approche dimensionnelle. Force est de constater que si l’approche dimensionnelle est nettement plus intéressante sur le plan conceptuel, en pratique médicale courante elle reste trop complexe et coûteuse en temps pour avoir véritablement gagné du terrain.

15En ce qui concerne une réflexion plus globale sur la question des processus en cours pour comprendre les trajectoires développementales des enfants, toute catégorie diagnostique quelle qu’elle soit, reste insuffisante, en particulier à cause de l’impossibilité d’y intégrer les spirales interactionnistes qui incluent les nombreuses données en cours concernant l’épigénèse. De plus, rares sont les diagnostics qui permettent de déterminer de manière univoque les conduites médicales à tenir (hors urgence extrême et pathologies infectieuses courantes qui sont souvent citées en exemple car fréquentes ou frappant les esprits, mais en termes de nombre de pathologies, elles sont plus des exceptions qui confirment une règle qu’une règle en soi). Pour la majorité des pathologies et en particulier pour les troubles chroniques, encore plus pour ceux qui sont évolutifs, des lignes directrices existent. Celles-ci sont toujours contextualisées en fonction de l’existence de troubles associés, des conditions générales de vie du patient (et ici l’âge de développement sera essentiel), ainsi que du contexte environnemental, ici, pour l’enfant, sa famille et ses conditions de vie. Rappelons que le niveau socio-économique reste un, si ce n’est LE facteur le plus déterminant du devenir fonctionnel des enfants.

Pédopsychiatrie et diagnostic précoce

Positionnement de la pédopsychiatrie publique

16Historiquement, la pédopsychiatrie française a été fer de lance avec une préoccupation pour les interventions précoces dans ses principes d’organisation (circulaire de R. Misès en 1992). Cette circulaire a rapidement été appliquée dans les secteurs. Ils ont ouvert des unités (ou sous-unités) dédiées aux tout-petits avec réponse rapide pour une tranche d’âge précoce (0-2 ans ou 0-3 ans). Celles-ci contrastent souvent aujourd’hui avec les centres consacrés aux enfants en âge de latence qui rencontrent des délais importants de réponses. Ces unités de soins précoces reçoivent des bébés et tout-petits. Leurs symptômes sont parfois rapidement résolutifs, du fait de la précocité des soins et/ou grâce aux soins intensifs mis en place sans délais. Parfois, des troubles plus sévères et durables vont nécessiter une continuité de suivi. Dans tous les cas, la prise en compte de l’environnement dans un sens large participe notablement à l’élaboration des propositions de soins.

17De ce fait, la recommandation HAS [4] (2018) sur le diagnostic précoce des troubles du spectre autistique (TSA) (qui correspond à la reprise et à la réactualisation de la recommandation de la Fédération Française de Psychiatrie de 2005) conjointement à l’annonce d’un dispositif venant faciliter les interventions le plus précocement possible a reçu un accueil très favorable de toute la pédopsychiatrie, comme du monde médical dans son ensemble.

18Le ministère souhaitait d’abord intervenir uniquement pour les TSA. Nous avons exprimé nos réserves face au risque de construction de dispositifs en tuyaux d’orgue, laissant de côté une part importante de la population. Ce dispositif s’est alors élargi aux troubles neuro-développementaux (TND). Certes, cela continue de laisser de côté tous les autres troubles décrits dans le DSM 5. Néanmoins, cela couvre une plus large part des troubles en émergence, s’exprimant par des symptômes ou des signes d’alerte peu spécifiques, relevant de la pédopsychiatrie.

19Le besoin en interventions précoces et les modalités pour y parvenir ont déjà suscité une réflexion, tant des instances officielles que des sociétés scientifiques. La Société de l’Information Psychiatrique (SIP) a produit un document en 2017, publié par le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH) en 2018, proposant une structuration de la pédopsychiatrie publique au regard des besoins et des populations. La FFP a produit deux cahiers des charges, l’un concernant les hôpitaux de jour, l’autre en cours pour les CMP (2019-2020). Elle a finalisé en parallèle son travail sur la petite enfance (2018-2019).

20Nous exposerons ci-dessous des extraits des propositions de ces institutions scientifiques membres du Conseil national professionnel de la psychiatrie.

Les plateformes d’orientation et de coordination (POC)

21Suite au décret n̊  2018-1297 du 28 décembre 2018 relatif au parcours de bilan et intervention précoce pour les troubles du neuro-développement, les plateformes d’orientation et de coordination (POC) instaurées par la circulaire SG/2018/256 du 22 novembre 2018, accompagnées d’un forfait précoce de prestations libérales, jusqu’alors non remboursées, ont constitué l’une des premières mesures de la stratégie nationale des TSA au sein des troubles neuro-développementaux (TND). Un guide de repérage des TND a été secondairement porté par le secrétariat d’État auprès des personnes handicapées.

22Les POC introduisent un nouvel élément dans une organisation structurée jusque-là par les trois niveaux d’intervention (repérage/dépistage, diagnostic/soins, 3e niveau dit expertal ou de recours). Leur domaine est le champ des troubles du neuro-développement pour les enfants de 0 à 6 ans, assorti d’un guide de repérage, publié sur le site du secrétariat d’État aux personnes handicapées.

23C’est sur ces deux documents, circulaire et guide de repérage, que portent nos remarques. Il semblerait que ce guide ait vocation à réactualisation et amélioration régulière. Pour ce faire nous souhaitons décrire plusieurs points spécifiques.

24Nous rappellerons tout d’abord, la définition de chaque terme.

  • Le repérage sert à identifier des difficultés. Il est effectué par les parents ou des professionnels non spécialistes à partir de signes d’alerte.
  • Dans le guide, le repérage est large. Il s’appuie sur un croisement de signes pour arriver à déterminer une alerte. Ce niveau d’alerte pourrait donner lieu à des échanges ville-hôpital que nous appelons de nos vœux.
  • Le dépistage, inscrit dans une politique de santé, cible une population à risque et sert à dépister un trouble à partir de grilles validées. Il est effectué par un médecin.
  • Dans le guide, il est peu différencié du repérage, est incarné par un médecin généraliste ou pédiatre qui informe par formulaire la plateforme d’orientation et de coordination. Des réseaux informels de communication existent de manière ancienne et très disparate, il faut les inclure dans une réflexion territoriale.
  • Le diagnostic spécialisé est inscrit dans un parcours. Il est effectué par un médecin spécialiste du domaine associé à une équipe. Il détermine les interventions secondaires.
  • La circulaire autorise un parcours d’interventions antérieur au diagnostic. Interventions et diagnostic sont à la charge de structures ou professionnels différents, validés par la POC sans consultation pédopsychiatrique préalable obligatoire. La prise en charge ne dure qu’un an et de ce fait une équipe spécialisée sera sollicitée à un moment donné si les troubles se confirment : il serait bien que sous forme de réseau elle soit d’emblée informée ou pressentie pour améliorer la fluidité du parcours de soins.

25La commission petite enfance (0-3 ans) de la FFP a produit un document « signes d’alerte de développement atypique chez le jeune enfant de 0-3 ans ».

26Ce document propose de concevoir le parcours en une cascade repérage/dépistage/parcours diagnostique-parcours de soin pour les interventions précoces.

  • Le repérage est relativement simple et se cantonne à des « drapeaux rouges » sur le modèle canadien (afin d’être accessible aux professionnels du champ non médical de la petite enfance).
  • Le dépistage est plus solide, il repose sur des outils validés et s’adresse aux médecins généralistes et pédiatres.
  • Le parcours diagnostique et le parcours d’intervention et de soin sont conjoints, assurés au départ par la même équipe. Les interventions sont soumises à des ajustements constants, suivant l’évolution du diagnostic, durant quelques mois.

27Cette vision pragmatique, issue de modèles canadiens, nous semble une façon de passer à une application plus structurée et solide de la graduation des soins.

Prescription des interventions précoces entre repérage et diagnostic – problématique

28La création des POC est manifestement centrée sur les troubles neuro-développementaux dont l’origine somatique, bien connue des pédiatres, est déterminante (cf dans le guide : la liste de facteurs de haut risque ante- et néonataux, citée dans la dimension transversale). En la matière, ce guide est une amélioration dans le repérage, par les libéraux, des troubles survenant secondairement chez ces enfants au début de vie très difficile et qui sont en général soignés ultérieurement par les CAMSP. La possibilité de laisser le choix aux familles de consulter également un plus grand nombre de professionnels installés dans le libéral est un plus pour celles qui préfèrent cette option.

29Le guide laisse cependant de côté un ensemble de facteurs de risque environnementaux isolés ou croisés (la révolution épigénétique est pourtant en cours pour mieux en comprendre les mécanismes) qui impactent le développement ultérieur des enfants. Ceux-ci sont fréquemment soignés en pédopsychiatrie. Leurs familles font souvent partie des 30 % qui consultent la PMI dans le cadre du dispositif de prévention.

30La grille du guide de repérage des TND renvoie à une bonne clinique observationnelle du tout-petit. Ce travail n’avait pas été fait et les professionnels manquaient de grilles et de procédure pour repérer des signes d’alerte à partir d’une observation clinique de qualité. L’existence de cette grille est à saluer et aidera les médecins généralistes à affiner leurs observations et si possible à être moins attentistes. Elle n’a cependant pas été soumise à une étude de validation scientifique qui permettrait d’en déterminer sa sensibilité et sa spécificité. Elle balaie l’ensemble des catégories des troubles au sein des TND. Les faux positifs et les faux négatifs seront par conséquent nombreux et croisés. Les signes d’alerte ainsi constitués renverront donc à plusieurs ou à d’autres troubles ou pathologies, à d’autres circonstances développementales.

31Il est également important de rappeler que les signes de repérage ne peuvent en rien constituer ou se substituer à un diagnostic. Repérage n’équivaut pas diagnostic.

32Le repérage ainsi dessiné ne pourra pas se substituer aux étapes suivantes. Il implique que la mise en œuvre des interventions précoces devra s’accompagner d’une démarche diagnostique dans le cadre du parcours de soins de l’enfant.

33La FFP, dans son dossier, enrichit l’étape dépistage (entre repérage et diagnostic, avant les interventions) au moyen de grilles et d’un ensemble de signes structurés destinés aux médecins de 1re ligne. Ce choix assure une plus grande solidité à l’orientation des enfants soit vers la POC, soit directement vers une unité de pédopsychiatrie (CMP, CMPP, CAMSP) [5].

34Elle préconise l’adresse directe des situations incertaines ou complexes à ces structures-ci, et non à la POC, à chaque fois que nécessaire, sous condition de priorisation d’un rendez-vous (dans un délai rapide). Elle maintient la garantie d’une évaluation clinique large et précise, et permet ainsi d’observer la trajectoire développementale de l’enfant et d’ajuster les interventions et les soins avant même la finalisation du diagnostic.

Une politique de santé en pédopsychiatrie

Intérêts des CMP, CMPP et CAMSP

35Dans les textes récents, pour ces trois types d’institutions, la convention avec la POC doit être systématique. La POC, en tant que maître d’œuvre aurait, dans ce cas, une fonction de facilitation d’orientation, de fluidité et d’assurance pour les usagers d’une réponse possible.

36La porte d’entrée dans les structures (CMP, CMPP, CAMSP) peut être soit directe à partir des professionnels de première ligne, soit indirecte après orientation de la POC. Nous déplorons que le guide de repérage soit organisé différemment et ne rappelle pas ces possibilités.

37Le parcours diagnostique articulé au parcours des interventions et soin, réalisé par la même équipe, a toute sa valeur (avec ou sans orientation par la POC) car ces institutions sont légitimes en matière de parcours diagnostique et de prescription des interventions. Les propositions de soins issues des centres spécialisés sont prises sur des signes de repérage ET sur une élaboration diagnostique précise qui s’affine avec le temps (court mais adapté). C’est une démarche nécessaire pour approcher l’enfant et sa famille, effectuer les bilans, connaître l’enfant dans toutes ses dimensions.

38Ce travail est celui qui a effectivement lieu dans les unités ambulatoires de la pédopsychiatrie, comme dans les CMPP et CAMSP. L’orientation entre ces trois lieux se fait souvent sur un préalable des types de soins disponibles dans chaque lieu (kinésithérapie en CAMSP, psychomotricité et groupe en CMP, orthophonie en CMPP par exemple).

39Ces institutions ont cliniquement la responsabilité de l’annonce diagnostique, fonction du médecin pédopsychiatre, associé au référent de l’enfant dans la structure. Le pédopsychiatre s’appuie sur les observations et bilans effectués. Il a, au préalable, rencontré les parents et l’enfant. Il est en effet éthiquement et cliniquement inenvisageable que parents et enfant reçoivent un diagnostic par quelqu’un qui les verrait pour la première fois (ce qui pourtant pourrait se faire dans le cadre de la POC).

40Les unités de pédopsychiatrie ont légitimement la responsabilité de la mise en route des interventions et soins, leur confirmation et prescription ainsi que la décision d’une orientation selon la volonté ou l’accord parental, le moment le plus judicieux et le besoin de l’enfant.

Confusion et limite des POC dans une politique de santé

41Les POC et le guide de repérage apportent des éléments nouveaux insuffisamment aboutis.

42Le manque d’une politique de santé publique en matière de pédopsychiatrie est sans doute en cause dans l’incompréhension de points essentiels dont témoigne ce dispositif. Les textes des POC (décret et circulaire) sont portés conjointement par le ministère des Solidarités et de la Santé et le secrétariat d’État auprès du Premier ministre chargé des Personnes handicapées. Le guide de repérage précoce est porté uniquement par le secrétariat d’État aux Personnes handicapées. Cette différence est notable et très probablement à l’origine du fait que le formulaire d’adressage du guide qui sert de conseil d’orientation est uniquement dédié aux professionnels libéraux.

43Le pilotage conjoint de la circulaire présente l’intérêt de considérer la dimension du handicap qui existe dans de nombreux troubles pédopsychiatriques. Cependant le choix principal du médico-social dans son effectivité met l’accent sur le handicap avant celui de la maladie et celui du processus. À cet âge, ce choix nous semble préjudiciable pour les enfants et leurs parents et explique probablement les failles ou les questions qui demeurent et qui ne sont pas des moindres (cf ci-dessous), alors qu’il s’agit ici d’un repérage large de troubles qui ne s’inscriront pas systématiquement dans le champ du handicap.

44Par ailleurs, le pilotage « handicap » du guide oriente uniquement sur les libéraux, révélant le moteur de la politique du secrétariat d’État aux Personnes handicapées. Plusieurs écueils sont à souligner dans l’orientation vers les libéraux. Le premier est que les familles vulnérables risquent d’être ainsi abandonnées, car c’est une charge lourde en disponibilité et en compétence que de coordonner leur parcours ; le service public sait déployer et coordonner les moyens avec une constance à hauteur de ses préoccupations pour ces populations. D’autre part, lorsque les troubles sont pérennes et recouvrent de multiples diagnostics, une élaboration diagnostique et une prise en charge précoce pluriprofessionnelle coordonnée au sein d’une équipe spécialisée dans les deux procédures est nécessaire (cf recommandations diagnostic des TSA 2018). Enfin, pour les enfants de toutes les couches sociales dont la trajectoire s’orientera malheureusement vers une forme sévère ou dont les co-morbidités sont majeures, l’excellence des services de soins intégrés existe pour répondre à leurs besoins (organisation en trois niveaux de la pédopsychiatrie et de la pédiatrie, cf Document pédopsychiatrie SPH/SIP).

45Une politique de santé pour la pédopsychiatrie se construit à partir de l’éventail des références nécessaires pour balayer l’ensemble des problématiques : la dimension sanitaire (signes, diagnostic, traitement, soin, inclusion, réhabilitation), la dimension familiale, la dimension sociologique, la dimension économique... Les recommandations HAS ne peuvent constituer à elles seules une politique de santé. Pour aucune spécialité médicale, elles ne constituent un socle suffisant pour fonder une politique de santé. Elles sont des instruments de base et nécessairement évolutifs pour les professionnels. Les recommandations concernant la pédopsychiatrie, fondées sur des consensus professionnels, sont utiles et pourraient s’appuyer vers une intégration des recommandations d’autres pays européens (NICE anglais par exemple).

Qui est porteur du discours public ?

46Il existe un hiatus important entre la représentation des besoins des populations ainsi que de leur appréciation du service rendu par le service public qu’a le secrétariat d’État aux Personnes handicapées, relayé par la délégation interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme au sein des autres TND d’une part, et la représentation des professionnels en pédopsychiatrie d’autre part. Nous constatons que les populations, à l’origine de ces représentations opposées, ne sont pas les mêmes. Nous manquons d’ailleurs de véritables données de santé publique (sociologiques et épidémiologiques) en France concernant les populations suivies en pédopsychiatrie.

47Ce hiatus, équivalent à un effet de disparition d’une partie de la réalité, est illustré par l’orientation du guide de repérage uniquement vers le libéral. Cette réalité disparue concerne en premier les très jeunes enfants à risque de développement dans les familles les plus vulnérables, population non prise en considération par ces institutions de tutelles, aux besoins desquelles la pédopsychiatrie répond ; en second, la pédopsychiatrie et les pédopsychiatres, eux aussi disparus dans le guide, puisqu’ils ne sont pas même cités. Pourquoi se priver d’un outil qui existe au service des populations ?

48Les spécificités des approches et des modalités intégratives des interventions en pédopsychiatrie expliquent pour une part le panel de la population reçue, plus diversifiée, plus tributaire mais aussi plus attachée au service public que celle entendue au niveau décisionnel. Cette dernière, à l’inverse, largement représentée à tous les niveaux, exige de voir accepté son choix du libéral et reconnu son refus, tant de la pédopsychiatrie que du service public de secteur. Ceci n’est pas sans poser des questions de répartition des moyens budgétaires.

49Nous rappelons que pour les enfants vivant dans un contexte de vulnérabilité, les troubles ne sont pas reconnus au rang de ce qu’ils devraient être, alors que la prévention, les interventions adaptées, souvent complexes et concertées, ont le pouvoir de modifier leur trajectoire développementale. En l’absence de ces interventions, les atteintes sont nombreuses, avec des modifications neuro-développementales qui ont été étudiées et mises en évidence par des bilans intégrant également les données neuroscientifiques. Les conséquences de ce délaissement touchent non seulement les enfants de ces milieux présentant des TND primaires mais aussi secondaires. Les effets sont avérés à toutes les étapes de la vie ultérieure de ces enfants que l’on retrouve en pédopsychiatrie, dans les services de l’ASE, de protection de l’enfance, et ultérieurement en psychiatrie. Ces enfants, pour certains, deviennent des adultes en grande difficulté de vie. Le retentissement personnel, mais aussi social et économique est considérable mais ne peut être entendu par les tutelles tant il est obturé aujourd’hui par un choix préférentiel des besoins.

50Il ne faudrait pas qu’une politique de santé ne priorise que ces considérations et ne fasse que « déshabiller le service public » (le plus en difficulté et recevant le plus de monde car contraint) pour « habiller le libéral » (attaché à son autonomie et au principe contractuel), et ce en utilisant éventuellement des raisons considérées comme fortement scientifiques (édictées en science d’État), en rejetant des données existantes ou en agitant des motifs qui occultent la réalité des exercices.

51Mais qui est porteur du discours public en matière de pédopsychiatrie ? Nous pensons toujours utile d’interroger la légitimité de la représentativité globale et l’absence de conflits d’intérêt de chacun revendiquant cette voix. Nous attendons d’une politique de santé menée par le ministère des Solidarités et de la Santé qu’elle soit porteuse, dans les faits, d’un discours public qui n’abandonne pas une partie de la population, celle qui s’adresse à ses services, au motif d’absence de représentativité directe ou par des associations car presqu’exclusivement soutenue par les professionnels de santé.

Conclusion

52La politique de santé de la pédopsychiatrie demande de répondre aux besoins de l’ensemble de la population. Les nouvelles mesures pourraient être un outil à condition que celui-ci soit pensé en lien avec ce qui existe déjà et se maille sur le terrain pour être un élément de plus en faveur des populations. Aucun dispositif ne peut à lui seul répondre à toutes les demandes et à tous les besoins. Le service public a longtemps pensé qu’à lui seul incombait cette mission. Il s’inscrit aujourd’hui dans un paysage où la société exige de pouvoir faire des choix.

53Pour cela, faut-il encore que ces choix soient éclairés et ensuite faisables.

  • Éclairé, signifie que ce choix soit loyal et sincère afin que les services soient présentés en toute transparence dans ce qu’ils font et ce qu’ils peuvent offrir, que les familles et les enfants soient en mesure d’être informés de façon à être en capacité d’entendre et de comprendre, grâce à des termes justes, la teneur des soins qu’ils reçoivent.
  • Faisable, implique que le service public soit doté de manière à accomplir ce qui reste fondamentalement sa mission, accueillir tous ceux qui du fait de la complexité de leurs troubles et/de la difficulté de leurs situations sociale, environnementale ou personnelle, en ont besoin ; que les services médico-sociaux ou libéraux existent à proximité et soient coordonnées entre eux.

54Ces conditions sont loin d’être réunies le plus souvent.

55C’est ainsi que le message du service public universel sera entendu, à savoir garantir le meilleur soin pour chaque enfant.

Liens d’intérêt

56les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.


Annexe A. Matériel complémentaire

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Mots-clés éditeurs : définition, pédopsychiatrie, politique de santé, parcours de soins, service public, coordination

Mise en ligne 26/05/2020

https://doi.org/10.1684/ipe.2020.2095

Notes

  • [1]
    Mission sénatoriale d’information sur la situation de la psychiatrie des mineurs, avril 2017.
  • [2]
    Mission IGAS relative au fonctionnement des CAMSP, CMPP, CMP, septembre 2018.
  • [3]
    Discours de madame Agnès Buzyn, ministre de la santé et des Solidarités, Congrès de l’Encéphale, janvier 2019.
  • [4]
    HAS : Haute autorité de santé, autorité publique indépendante à caractère scientifique, vise à développer la qualité dans le champ sanitaire, social et médicosocial, au bénéfice des personnes.
  • [5]
    CMP : Centre médico-psychologique, unité centrale des secteurs de pédopsychiatrie du service public, accueillent les enfants de 0 sans limite supérieure mais environ jusqu’autour de 18 ans. Ce sont des établissements sanitaires dépendants du service public hospitalier.
    CMPP : Les centres médico-psycho-pédagogiques sont des services médico-sociaux assurant des consultations, des diagnostics et des soins ambulatoires pour des enfants et adolescents de 0 à 20 ans. Ils sont régis par l’Annexe XXXII.
    CAMSP : ce sont des services médico-sociaux, qui ont pour mission de dépister et de proposer une cure ambulatoire et une rééducation pour des enfants présentant des déficits sensoriels, moteurs ou mentaux. Ils accueillent des enfants de 0 à 6 ans, sont régis par l’annexe XXXII bis.
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