1Les 38es journées de la Société de l’Information Psychiatrique à Metz se sont déroulées avec les « Émotions » choisies comme thème de congrès scientifique. Au même moment, les mobilisations des hôpitaux, nourries de colères et d’accablements cumulés, ont fait des émotions également un sujet d’actualité syndicale pour introduire l’assemblée générale 2019 du SPH.
2D’un point de vue philosophique, les théories des émotions semblaient figées dans les débats des Lumières sur le primat de la passion ou celui de la raison dans le déterminisme de l’action humaine. Avec les neurosciences, la notion de motivation réconcilie raison et passion par la conceptualisation de connexions selon un circuit court ou un circuit long, entre le cortex préfrontal et l’amygdale, siège des émotions de base. Mais c’est la révolution industrielle et la recherche d’amélioration des processus de production dans des organisations du travail bouleversées, qui ont donné la plus forte impulsion aux théories sur la motivation. Passée du domaine des économistes et des ingénieurs à celui de ce qui est devenu la « psychologie du travail », l’observation des comportements des travailleurs a produit en quelques décennies une abondance de conceptions : la théorie de Maslow sur la hiérarchie des besoins, celle des deux facteurs d’Herzberg, les théories X et Y de Mac Gregor, la ERG theory de Alderfer, la théorie de la caractéristique de la tâche de Hackman, l’autodétermination selon Deci, n’en constituent qu’un échantillon.
3Une science nouvelle, celle du management, ayant misé sur la prise en compte du capital humain dans sa dimension psychologique, a investi la gestion d’entreprise. Préparée par le new public management, la gestion publique ne pouvait échapper à la tendance.
4Pour le ministère de l’Économie et des Finances, et celui de l’action et des comptes publics, c’est la MSP, la « motivation de service public », qui serait la clé de la performance : sur leur portail Internet, une vidéo de l’Institut de la gestion publique et du développement économique en présente, en musique, les avantages [1]. On y retrouve ce que son inventeur, James L. Perry, a établi en 1996 dans l’échelle de MSP qui mesure quatre critères : l’attraction pour le service public, l’engagement pour l’intérêt public, la compassion et le sacrifice personnel.
5Venue des États-Unis, la MSP a été définie en 1990 à partir de travaux sur la rémunération des agents de services publics, grâce à la perception d’une « prédisposition individuelle à répondre à des motifs portés […] par des institutions et organisations publiques ». Selon le dossier « Les leviers de motivation dans la fonction publique » réalisé par le Conseil d’orientation des politiques de ressources humaines, rattaché au ministère des Comptes publics, « la rémunération n’est pas le premier déterminant de motivation chez les individus, en particulier chez les fonctionnaires ». L’OCDE exprime plus nettement l’intérêt économique de cette MSP dans le document « Faire participer les fonctionnaires à une fonction publique très performante » : en effet, « l’engagement des employés peut constituer un contrepoids puissant aux mesures dictées par l’austérité ».
6Autre tendance du management moderne, la bienveillance a investi d’autres ministères. Ainsi en est-il du ministère de l’Intérieur dont le Centre des hautes études a rédigé en 2017 une étude sur « Le management bienveillant au ministère de l’Intérieur ». Ce modèle basé sur le « care », bien-connu des pays anglosaxons, est valorisé pour répondre « pour un employeur pas comme les autres », aux fortes exigences des missions et à un contexte où le nombre de suicides des agents est élevé.
7C’est aussi la bienveillance qui a été adoptée par le ministère de l’Éducation nationale. Le monde de l’éducation paraît d’autant plus séduit par les bénéfices de la bienveillance que les neurosciences en apportent la preuve comme le montre la littérature abondante qui reprend le discours de la pédiatre Catherine Gueguen : sous l’influence de relations aimantes et d’une éducation empathique, les hormones du bien-être sont stimulées et participent aux modifications positives des circuits cérébraux, voire à l’expression de certains gènes pour une enfance heureuse. L’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspé) de l’académie de Créteil a ainsi organisé en ce mois d’octobre un colloque international sous le titre « Empathie et bienveillance au cœur des apprentissages », où les apports de la psychologie positive et des « neurosciences affectives et sociales » ont été exposés.
8Les textes institutionnels du ministère de l’Éducation nationale ont été gagnés par la bienveillance en 2013, grâce au référentiel des compétences des personnels enseignants. Et des docteurs en éducation encouragent le management des établissements scolaires par la bienveillance inspirée d’une éthique du care, où l’intelligence émotionnelle des chefs d’établissements favoriserait des « compétences émotionnelles » et un « agir émotionnel » auprès des enseignants [2].
9Cette promotion envahissante de la bienveillance en irrite quand même quelques-uns. Lorsque dans son premier discours de rentrée en 2017, le ministre de l’Éducation place l’école sous trois axes, la République, l’excellence et la bienveillance, des enseignants y voient un prêche moralisateur et estiment que la bienveillance qui ne coûte rien à l’État, permet d’escamoter, face à l’échec scolaire, la question des moyens, la réalité des aptitudes scolaires des élèves et de leurs différences de classes sociales. La bienveillance serait ainsi le « cache-misère de la sélection sociale à l’école » [3].
10Qu’en est-il du ministère de la Santé et des Solidarités ? Le colloque du 20 juin « Pleine conscience, santé et société » présidé par le directeur de la DGOS lui-même, donne des indices sur l’orientation retenue : avec une majorité d’intervenants liés aux activités de coaching en entreprises et un préfet qui se présente comme manager d’équipes, c’est le mot bienveillance qui revient le plus fréquemment.
11Le management bienveillant a connu la notoriété dans les sciences de la gestion en 2010, sous le titre Dare to care du congrès annuel de l’Academy of Management (AOM), un événement renommé dans la discipline où il est rappelé que le care a intégré depuis des années les pratiques de management des pays anglo-saxons. Signe de succès, François-Henri Pinault, PDG du groupe de luxe PPR, qui réunit entre autres marques, Gucci, Yves Saint-Laurent, Boucheron, a rebaptisé son groupe en 2013 sous le nom Kering avec un K, contraction de Ker, foyer breton, et de caring, prendre soin.
12Un destin du care que n’avait sans doute pas prévu sa créatrice Carol Guilligan, philosophe et féministe qui en 1982, veut opposer au libéralisme de l’ère Reagan une éthique de la capacité à prendre soin d’autrui. Dix ans plus tard, la politologue Joan Tronto le présente comme un projet politique de modèle de société. Giddens, conseiller de Tony Blair, y fait référence pour prôner une « protection sociale positive » face à la crise, avant que Martine Aubry l’introduise sur la scène politique française en appelant lors d’une interview, à une société du bien-être et « du soin ». Assez mal reçu, le propos est alors taxé de « nunucherie ».
13Depuis, les chercheurs en gestion des ressources humaines diffusent les avantages du management bienveillant issu du care, management à visage humain qui peut s’aider de happiness officers pour répondre aux 3 S, stress souffrance suicide [4]. Et les mêmes chercheurs d’estimer que le retard pris par la France pour intégrer le management bienveillant aux pratiques, tient à la conception différente du rôle de l’État dans le social.
De quoi le service public est-il encore le nom ?
14Cette exception française a produit l’expression de « service public à la française », justifiant par exemple des recherches pour adapter l’échelle de motivation de service public de Perry, née aux États-Unis, à la culture française [5].
15Car en France, le service public a valeur de « mythe national » dont Emmanuel Brillet reprend les caractéristiques [6]. Dans un imaginaire collectif, cette notion fourre-tout est très liée à l’intervention historique de l’État : les différentes crises du xixe siècle ont conduit à l’émergence d’une « question sociale » sous l’effet des mouvements insurrectionnels et révolutionnaires, des ambitions humanistes face au machinisme et à la misère, mais aussi de la peur des « classes dangereuses » avec la montée du marxisme et de l’anarchisme, et de leurs répressions. L’évolution de la pensée politique et les combats de jeunes syndicats ont poussé l’État à intervenir dans le domaine social, posant les bases de l’État providence avec les premières lois pour limiter le travail des enfants, ou celle, en 1893 sous l’impulsion de Léon Bourgeois du mouvement solidariste, qui reconnaissait à « tout Français ne bénéficiant pas de ressources financières la possibilité de recevoir gratuitement une assistance médicale ».
16Le service public a pris consistance sur le plan juridique par une jurisprudence du Conseil d’État de 1903 (l’arrêt Terrier) qui le place sous compétence de droit administratif à l’occasion d’un contentieux, et le consacre en l’autonomisant du droit privé. Il gagne ensuite une assise doctrinale avec les juristes dits de « l’école du service public » et notamment Léon Duguit, qui affirme la nécessité d’un droit correspondant à la solidarité et aux interdépendances sociales. En légitimant pour cela « l’intervention de la force gouvernementale », donc de l’État, la notion de service public ainsi confortée participe à la confusion qui serait caractéristique de la France, entre intérêt général et puissance publique.
17Le service public a donc bien une assise juridique, mais elle n’est pas de droit constitutionnel : il existe une jurisprudence du Conseil constitutionnel qui en reconnaît les principes posés par les lois de Rolland dans les années 30 (égalité, continuité, mutabilité) mais sans en définir la nature, et en renforçant ses bases de droit administratif [7]. En fait, selon Emmanuel Brillet, personne en France ne sait exactement à quoi renvoie la notion de service public du fait de son caractère mouvant, mais chacun pense qu’elle est quelque chose d’essentiel. En 1995, en période de grèves massives contre son plan de réforme des retraites et de la Sécurité sociale, c’est pour apaiser le climat social, et notamment les craintes de destruction du service public, que le Premier ministre Alain Juppé propose de l’inscrire dans la Constitution. Il déchaîne alors la critique libérale et un journaliste des Echos qualifie cette idée de projet vicieux, chargeant contre la doctrine officielle du service public qui a défaut d’être capable de lui donner une définition claire, lui « confère des attributs de plus en plus ronflants », comme les théologiens le font avec Dieu.
18C’est l’époque où sous l’effet du droit communautaire et des directives européennes, les représentations et les organisations vont être largement remaniées. L’Union européenne considère non pas le service public, concept jugé trop vague et variable selon les pays, mais les services d’intérêt général (SIG) définis comme « services marchands et non marchands que les autorités publiques considèrent comme étant d’intérêt général et soumettent à des obligations spécifiques de service public ». Le principe de libre concurrence va accélérer la fin des monopoles et le passage à l’État actionnaire : France Telecom est le premier à devenir société anonyme à capitaux publics en 1996 avant d’être privatisée en 2004, suscitant des inquiétudes et des interrogations sur les conséquences des évolutions statutaires imposées et de la détermination de ses dirigeants à réduire les coûts. Première entreprise du CAC 40 à être jugée pour « harcèlement moral », France Télécom est devenu le symbole de la souffrance au travail, et les cas de 19 personnes décédées par suicide ont été retenus par le parquet dans le procès qui vient d’avoir lieu.
19Le processus de libéralisation lancé, EDF en 2003, La poste en 2010, SNCF en 2020, sont passées et passeront au statut de sociétés anonymes à capitaux publics.
20Gérard Larcher expliquait que, pour le service public, « l’Europe préfère à la conception organique à la française la conception fonctionnelle axés sur le service rendu aux usagers ». Pour l’hôpital, Nicolas Sarkozy l’a traduit en 2008 par « le service public hospitalier, c’est une mission plus qu’un statut », et appliqué dans la loi HPST, la notion de service public hospitalier créée par la loi de décembre 1970 y est supprimée : remplacée par 14 missions de service public que les cliniques privées peuvent réaliser. Lorsque Marisol Touraine lance une concertation pour réintroduire le service public hospitalier dans la loi de 2016, un contributeur de l’iFrap [1], think tank ultralibéral, raille cette proposition de débattre d’une « idée vieille de 50 ans » lancée aux acteurs hospitaliers. Et plaide plutôt pour que les libéraux, offreurs de soins, participent aux missions de soins et donc selon lui au service public, avec en contrepartie, le respect par l’État des dépassements d’honoraires.
Motivation(s) de « service public à la française »
21Aujourd’hui, les réformes se poursuivent selon les mêmes principes de libéralisation. En 2018, le président Macron présente Ma santé 2022 dont on peut souligner l’inspiration care du titre « Prendre soin de chacun » [8]. Il y est question de « montrer par la preuve cette porosité que nous devons organiser entre le système hospitalier et le système libéral ». La modernisation prévue du statut de praticien hospitalier vise à le faire passer plus facilement de l’hôpital à l’exercice de ville. Même si le ton a changé depuis « un patron et un seul » que devait être le directeur pour Nicolas Sarkozy, pour Emmanuel Macron, « À l’hôpital, on peut former de bons médecins, de bons gestionnaires, on peut aussi former des managers ». Et d’associer le président de CME et les cadres de santé de proximité pour un « management qu’il soit médical ou soignant », à valoriser par des mesures d’intéressement.
22Les milliards de déficit de la Sécurité sociale se comptaient encore en francs lorsque sous la présidence de Jacques Chirac, le contrôle des dépenses de santé a été confié à Bercy avec la loi de financement de la Sécurité sociale et l’Ondam [2]. C’est sur l’hôpital public que se sont exercées les plus fortes contraintes, directement déterminées par les pouvoirs publics. Pierre-Louis Bras, ancien secrétaire général du ministère des Affaires sociales, précise que ces contraintes ont porté sur l’intensification du travail et sur les salaires avec – 0,3 % d’évolution du salaire net moyen en ETP, alors que le secteur privé tout confondu a vu le pouvoir d’achat croître de 2,5 % [9]. De quoi vérifier la « motivation de service public » des personnels…
23Le haut fonctionnaire prédit que face à l’augmentation de la production de soins, il faudrait que l’Ondam progresse d’au moins 4 % et plus précisément que « dans un contexte économique qui sur la période 2018-2022 devrait être plus favorable, il est peu probable que les hôpitaux publics puissent sans dommage supporter un Ondam qui ne progresserait que de 2,3 % par an ». Or le gouvernement a présenté un PLFSS 2020 avec un Ondam général à + 2,3 %, dont 2,1 % pour les établissements de santé.
24Il ne manquait que ça pour finir de motiver le monde hospitalier à se mobiliser, avec grève et manifestation massive le 12 novembre. Car un an après la psychiatrie, 250 services d’urgences en grève ont traversé l’été et la guerre d’usure avec le ministère pour rendre visible leur exaspération à une augmentation constante du nombre de patients (+ 3,5 % par an depuis 1996) sans que les effectifs soignants suivent. « Miroir grossissant de l’ensemble des dysfonctionnements de notre système de santé » selon le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat de 2017, le mouvement des urgences a contaminé l’ensemble des services, avec un collectif inter-urgences rejoint par un collectif inter-hôpitaux, les syndicats, des intersyndicales, et des usagers.
25La motivation du service public hospitalier a dû être réévaluée par le ministère lorsqu’Agnès Buzyn déclare, pour présenter le nouveau plan pour l’hôpital public, « nous ne pouvons plus dire aux soignants que ce qu’ils font a du sens…, sans leur apporter une reconnaissance sociale et matérielle à la hauteur de leur engagement au quotidien. On ne peut pas demander à ces personnels d’en faire toujours plus sans récompenser cet engagement ».
26Pourtant, dans un bras de fer qui paraît engagé dans la durée, face à la dénonciation des sous-investissements devenus chroniques, des difficultés de recrutement, des fuites de personnels, de l’endettement, le gouvernement n’a pas cédé sur la demande d’augmentation des salaires. La récompense à l’engagement décrétée est sous forme de primes, attribuables à certains corps et à Paris Île-de-France. La reprise par l’État d’une partie de la dette des hôpitaux est conditionnée par des travaux sur la qualité et la réduction des actes inutiles. Pour le reste, les mesures confirment d’abord des décisions déjà prises comme la suppression du concours de PH et une évolution du statut de PH. La désignation d’un « monsieur Gouvernance » en la personne du professeur Claris est la seule surprise des annonces destinées à faire patienter les soignants. Car les progrès doivent venir de Ma santé 2022, plan chargé de remodeler pour 50 ans le système de santé par la réorganisation de la médecine de ville.
27Inutile de chercher dans ce nouveau plan d’urgence une référence à la psychiatrie. L’allonge budgétaire de 1,5 milliards d’euros sur 3 ans annoncée par le Premier ministre vise à ne pas diminuer les tarifs hospitaliers : les DAF ne seront donc pas concernées. Les urgences auront eu leur plan cet été, et la psychiatrie, première à avoir été déclarée en état de crise, a eu une feuille de route santé mentale, un délégué ministériel, un dégel prudentiel, une petite rallonge pour la pédopsychiatrie, et encore un rapport qu’elle ne demandait pas.
28Et aura surtout une réforme du financement pilotée par la task-force, où la convergence public-privé est annoncée.
Psychiatrie prioritaire ?
29Franck Bellivier, missionné pour aider l’application de la feuille de route santé mentale, s’est chargé de la défendre face aux parlementaires lors d’une audition par la commission des affaires sociales du Sénat en septembre.
30Interrogé sur les moyens d’une discipline « notoirement sous-dotée » selon les termes du président de la commission, le délégué a assuré que des rallonges budgétaires sont prévues en s’appuyant sur les déblocages « exceptionnels » des 2 années précédentes. Mais derrière les annonces, la campagne tarifaire de début 2019 a surtout montré comment un tour de passe-passe permet que 50 millions d’euros de rallonge pris sur la réserve prudentielle 2018 peuvent être immédiatement annulés par la remise en réserve d’une somme supérieure de 59 millions pour 2019.
31Lorsque le délégué a vanté la défense et la promotion des droits des patients comme structurantes de la réforme, c’est en balayant 2 réalités :
- L’augmentation du nombre de soins sans consentement. La volonté de créer un Observatoire des droits des patients ne figure d’ailleurs pas dans la feuille de route, mais est issue du comité de pilotage de la psychiatrie.
- Hopsyweb et ses 2 décrets signés par la ministre de la Santé, qui fichent toutes les personnes hospitalisées sans consentement en psychiatrie, au nom du plan de prévention de la radicalisation. Les recours pour annulation du décret du 23 mai 2018 établis par le CRPA, le SPH et le Conseil de l’Ordre des Médecins auprès du conseil d’État, n’ont abouti qu’à la décision d’annulation partielle et sur un seul article du décret, où la pseudonymisation des données diffusées a été jugée insuffisante. Les conclusions du rapporteur qui avait pourtant retenu en audience publique le 16 septembre une partie de nos arguments sur la durée non justifiée de conservation des données et l’insuffisance de garanties sur l’identité des personnes qui ont accès aux données des patients, n’ont pas tenu face à une décision plus politique.
32Le virage ambulatoire est aussi mis à l’honneur : quand incitation aux CPTS, assistants médicaux, maisons médicalisées occupent Ma santé 2022, c’est télémédecine, IPA et unités mobiles qui sont promues pour la psychiatrie. Rien à voir avec un renforcement des principes du parcours de soins et de la sectorisation à l’origine de la voie ambulatoire il y a 70 ans.
33Pour ce qui est de restructurer, il faut plutôt s’intéresser aux effets de la réforme du financement à venir. La présentation commune du PLFSS 2020 par la ministre de la Santé et le ministre des Comptes publics faisait d’ailleurs état de la « construction d’une nouvelle activité psychiatrique ». La réforme figure à l’article 25 du PLFSS avec un rappel sur l’objectif de « rassembler les acteurs publics et privés » dans l’offre territoriale par une dotation populationnelle, mais aussi d’inciter à la qualité, à l’innovation et à la recherche par des compartiments budgétaires différenciés qui remplaceront les DAF en 2021. Le montant de cette Ondam psychiatrie restera à la main du ministère puisqu’il sera fixé par arrêté chaque année.
34Avec la perspective d’une refondation de la psychiatrie par son mode de financement, la députée Wonner semble s’être convaincue de son rôle à jouer dans la démolition avant une potentielle reconstruction : après avoir été rapporteure d’une mission inutile concluant, sans proposer d’alternative, à « la prise en charge catastrophique » en psychiatrie, elle répand sa critique du secteur et prédit la disparition des hôpitaux psychiatriques d’ici 2050. Régulièrement invitée aux manifestations sur la psychiatrie, et fréquemment aux côtés du délégué ministériel, on aurait tôt fait de la voir aux avant-postes des véritables intentions du gouvernement : une psychiatrie débarrassée du secteur, dont la principale innovation serait de concrétiser le projet libéral de faire disparaître le service public hospitalier jugé trop coûteux.
35Mais en santé mentale, la réalité est là pour rappeler que les politiques de destruction sont dangereuses : les statistiques montrent que la psychiatrie publique prend en charge, avec son maillage d’organisation sectorisée, la plus grande part des 2 millions de personnes, enfants et adultes, qui en ont besoin, dont beaucoup sont en situations cliniques et sociales trop complexes pour accéder au système sélectif, voire élitiste, des centres experts ou du système libéral. Elle joue malgré elle un rôle dans la cohésion sociale au sens où le Conseil de l’Europe économique (auquel devrait être sensible le gouvernement) a tenté de définir, dans son guide méthodologique d’indicateurs, la notion d’intérêt général pour remplacer celle de service public, jugé trop différent selon les États membres.
36Le manque d’attractivité dénoncé dans le service public hospitalier est décuplé en psychiatrie puisqu’aux problèmes de démographie médicale et de fuite des soignants sous régimes d’austérité, s’ajoutent le problème ancien de sa mauvaise image. Quand le rapport Wonner-Fiat est sorti avec une couverture médiatique centrée sur le catastrophisme, 17 %, chiffre record, des postes à pourvoir en psychiatrie n’ont pas été choisis par les internes sortis des ECN.
37À ce rythme, l’Institut national de psychiatrie que le lobbying de FondaMental parvient à vendre au moins auprès de certaines députées, n’aura s’il voit le jour, plus rien sur quoi régner.
Liens d’intérêts
38l’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Bibliographie
Références
- 1. https://www.economie.gouv.fr/igpde-editions-publications/motivation-service-public-msp?language=fr (consulté le 30-09-2019)..
- 2. Bélanger L., Réto G.. Management des établissements scolaires : l’appui sur l’intelligence émotionnelle et la bienveillance. Questions Vives 2018 ; 29En ligne.
- 3. Dozier C et Dumoulin S. La « bienveillance », cache-misère de la sélection sociale à l’école ». Le Monde Diplomatique, septembre 2019..
- 4. Tanquerel S.. Oser le management bienveillant !. Journal des Grandes Ecoles et Universités 2014 ; 19.
- 5. Desmarais C et Edey Gamassou C. La motivation de service public à l’aune du service public « à la française ». Politique et management public 2012 ; 29/3 : 393-411..
- 6. Brillet E.. « Le service public “à la française” : un mythe national au prisme de l’Europe ». L’Économie politique 2004 ; 24 : 20-42.
- 7. Foulquier N., Rolin F.. Constitution et service public. Nouveaux cahiers du conseil constitutionnel 2012 ; .
- 8. Macron E. Discours sur la transformation du système de santé « Prendre soin de chacun ». 18 septembre 2018. https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/09/18/discours-sur-la-transformation-du-systeme-de-sante-prendre-soin-de-chacun-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron (consulté le 30-09-2019)..
- 9. Bras P.L.. L’Ondam et la situation des hôpitaux publics depuis 2009. Les Tribunes de la santé 2019 ; 59 : 109-17.