Couverture de INPSY_9507

Article de revue

Organiser les soins pour les phases critiques de rétablissement : exemple de Lausanne

Pages 483 à 488

Notes

  • [1]
    Ce texte a été présenté au Congrès franc¸ais de psychiatrie 2018.

Introduction

1Quatre aspects nous paraissent essentiels pour organiser les soins dans les phases critiques de rétablissement : une bonne connaissance du paradigme de rétablissement, des interventions de type case management, la collaboration entre membres du réseau et le fait que l’objectif final soit que l’intervention ait un impact dans la vie réelle de la personne souffrante. Le paradigme du rétablissement est issu des usagers « survivants de la psychiatrie », frustrés par le décalage entre les objectifs médicaux de guérison et leur propre expérience vécue [1]. Les troubles psychiatriques sont souvent durables, complexes et imprévisibles. La cure visant une guérison par le traitement des causes est donc souvent un objectif inatteignable. Dans le paradigme du rétablissement, la cause des troubles est secondaire et peut être interprétée de diverses manières. Le but est de s’engager dans un processus de rétablissement, avec pour objectif de vivre une vie accomplie dans la communauté [2]. La complexité et l’imprévisibilité rendent le processus de rétablissement non linéaire. Celui-ci passe par des moments critiques. Ces phases peuvent être liées au processus de rétablissement lui-même ou à des circonstances extérieures comme une sortie de l’hôpital ou le désir de reprendre une activité professionnelle. Par exemple, on décrit la phase de « moratoire » au début des troubles, comme le moment où la personne présente des difficultés à accepter et intégrer l’expérience vécue des troubles et à s’engager dans les soins [3]. On parle ainsi de périodes critiques de rétablissement, auxquelles on associe des interventions spécifiques. Le case management s’intéresse aux individus présentant des problèmes complexes, situations dans lesquelles il est nécessaire d’intégrer plusieurs dimensions dans une vision holistique [4]. Les case managers cliniques, quelle que soit leur formation d’infirmier, d’assistant social ou d’ergothérapeute par exemple, ont ainsi des missions qui dépassent leur cadre professionnel habituel. Ces rôles comprennent par exemple l’accompagnement bienveillant (analogue à celui d’un proche), la recherche de logement, la gestion des médicaments, la gestion des abus de substances ou la coordination des interventions d’autres professionnels. Le case manager est également légitimé dans un rôle d’interlocuteur principal auprès du patient, de ses proches et des professionnels (tableau 1).

Tableau 1

tableau im1
Se centrer sur les besoins immédiats du patient pour compenser le désavantage social Se centrer sur les besoins immédiats du patient pour compenser le désavantage social Obtenir une aide sociale, aider à la gestion du logement et des relations avec le voisinage Obtenir une aide sociale, aider à la gestion du logement et des relations avec le voisinage Engager dans les soins Engager dans les soins S’appuyer sur les ressources du patient et sur sa capacité de résilience S’appuyer sur les ressources du patient et sur sa capacité de résilience Lutter contre la stigmatisation et l’auto-stigmatisation Lutter contre la stigmatisation et l’auto-stigmatisation Assurer le coaching Assurer le coaching Soutenir le patient dans les cognitions sociales, fonctions exécutives (planification, réalisation des tâches), mémoire (rappels, sms) Soutenir le patient dans les cognitions sociales, fonctions exécutives (planification, réalisation des tâches), mémoire (rappels, sms) Participer à la psychoéducation individuelle et familiale Participer à la psychoéducation individuelle et familiale Permettre la compensation et la remédiation spécifique (mémoire verbale, mémoire et attention visuo-spatiale, mémoire de travail, attention sélective, fonctions exécutives, vitesse de traitement) Permettre la compensation et la remédiation spécifique (mémoire verbale, mémoire et attention visuo-spatiale, mémoire de travail, attention sélective, fonctions exécutives, vitesse de traitement) Entraîner les compétences sociales Entraîner les compétences sociales

Tableau 1

Le rôle central et les différentes missions du case manager.

2Dans une vision communautaire de la psychiatrie, la collaboration avec le réseau et, en particulier avec les soins de premier recours, est primordiale [5]. En effet, le rétablissement vise l’inclusion en milieu naturel et la présence permanente des proches et des intervenants de premier recours s’articule nécessairement avec la brièveté relative des soins spécialisés tels que prodigués par le case manager. Enfin, l’utilité des interventions ne doit pas être exclusivement mesurée en termes de réduction des symptômes ou de guérison du trouble, mais doit aboutir à un impact dans la vie réelle de la personne concernée. Les interventions cherchent à améliorer la situation du patient à trois niveaux : aux niveaux symptomatique, fonctionnel, et du désavantage social [6]. Contrairement à la démarche médicale habituelle qui s’intéresse d’abord aux signes, symptômes et troubles, les interventions en psychiatrie communautaire s’adressent d’abord au désavantage social, pour remonter ensuite aux troubles fonctionnels et aux symptômes. Dans cette perspective, l’accès au logement ou à l’activité professionnelle, par exemple, facilite le traitement des symptômes, plutôt que d’attendre que la disparition des symptômes ne permette l’accès au logement ou à l’activité professionnelle.

3L’objectif de cet article est de décrire différents types d’interventions en période critique développées à Lausanne et qui cherchent à rassembler les éléments précités pour une population de 250 000 habitants : le suivi intensif dans le milieu, le traitement et intervention précoce dans les troubles psychotiques, le case management de transition et le soutien à l’emploi de type IPS.

Les interventions en période critique

4Trois équipes pluridisciplinaires collaborent pour réaliser ces différentes interventions. Le tableau 2 en résume les principales caractéristiques.

Tableau 2

tableau im2
Population cibleDifficiles à engager, précarisés, urgences fréquentesPsychose débutante = 18-35 ans < 6 mois antipsychotiqueSortie de l’hôpital vers domicile sans suivi institutionnelInsertion en emploi, réseau de soins en place Population cible Difficiles à engager, précarisés, urgences fréquentes Psychose débutante = 18-35 ans < 6 mois antipsychotique Sortie de l’hôpital vers domicile sans suivi institutionnel Insertion en emploi, réseau de soins en place ObjectifEngagement dans les soins«Fil rouge» durant phase critique 3 ansAssurer un réseau de soins adaptéObtenir et garder un emploi Objectif Engagement dans les soins «Fil rouge» durant phase critique 3 ans Assurer un réseau de soins adapté Obtenir et garder un emploi Nombre de cas / intervenant20/135/110/120/1 Nombre de cas / intervenant 20/1 35/1 10/1 20/1 % soins dans la communauté> 90 %< 20 %33 % durant hospitalisation66 % à domicile> 80 % % soins dans la communauté > 90 % < 20 % 33 % durant hospitalisation66 % à domicile > 80 % Intensité maximum, durée moyenne2 x/j.; ≈ 6 mois2 x/sem.; 36 mois2 x/j.; 1 mois2 x/sem.; 3 mois + Intensité maximum, durée moyenne 2 x/j.; ≈ 6 mois 2 x/sem.; 36 mois 2 x/j.; 1 mois 2 x/sem.; 3 mois + TechniquesProactif, travail selon agenda du patientSpécifique, manualisé, psychoéducation…Éval. besoins et réseau. Bref / standard / intensif« Place then train » Techniques Proactif, travail selon agenda du patient Spécifique, manualisé, psychoéducation… Éval. besoins et réseau. Bref / standard / intensif « Place then train » ParticularitésHoraire flexible, connexion avec les urgences 24/24, zéro exclusion, coordination du réseau Particularités Horaire flexible, connexion avec les urgences 24/24, zéro exclusion, coordination du réseau Preuves scientifiques durée, nombre hospitalisations satisfaction DUP, coûts à long terme satisfaction réadmissions précoces satisfaction rechutes emploi, durée, salaire, satisfaction Preuves scientifiques durée, nombre hospitalisations satisfaction DUP, coûts à long terme satisfaction réadmissions précoces satisfaction rechutes emploi, durée, salaire, satisfaction

Tableau 2

Différents types d’interventions en période critique.

Le suivi intensif dans le milieu (SIM)

Vignette clinique 1. Difficile à engager dans les soins

5Franck, 21 ans, a interrompu ses études de mathématiques. Stressé après une période d’examens, il s’est enfermé chez lui à fumer du cannabis. Ses parents s’inquiètent, car il leur téléphone au milieu de la nuit en leur demandant d’arrêter de le déranger par leurs commentaires incessants. Il ne se sent pas malade et ne veut pas consulter un psychiatre.

6La période d’engagement dans les soins est une période particulièrement critique. L’expérience d’un trouble psychiatrique bouleverse le vécu, les relations avec autrui et l’inclusion sociale. Dans le processus de rétablissement, on décrit une phase initiale de « moratoire » durant laquelle le bouleversement vécu est trop important pour que la personne soit capable de l’intégrer [7]. Le refus de s’identifier à l’image d’un « malade mental » rend également difficile l’engagement dans les soins [8]. La prolongation de cette phase peut empêcher un traitement adéquat, accentuer le désespoir, aboutir à une marginalisation, un abus de substances comme automédication, voire au suicide. Le modèle « d’assertive community treatment (ACT) » est le plus efficace pour les personnes difficiles à engager dans les soins [9]. Avec le case management de transition, le suivi intensif dans le milieu est une mission d’une équipe mobile d’une quinzaine de collaborateurs infirmiers, médecins et assistants sociaux. Les interventions sont mobiles, proactives, dans la communauté, sans exclusion. Les intervenants fonctionnent comme case managers pour une vingtaine de patients et peuvent intervenir jusqu’à deux fois par jour dans les phases intensives. Les patients sont approchés activement, avec une recherche de collaboration sur des objectifs définis par le patient. La réalisation immédiate de ces objectifs, même s’ils ne concernent pas directement les soins, favorise l’alliance. Les obstacles rencontrés dans la réalisation permettent la plupart du temps d’introduire les traitements appropriés. Dans moins d’une situation sur dix, des mesures de traitement sans consentement sont nécessaires. Dans ces cas, la relation de confiance établie avec le case manager permet de limiter les traumatismes et de favoriser la continuité du rétablissement entre l’hôpital et l’ambulatoire. Par rapport au modèle original, le modèle de Lausanne n’a pas pour objectif un suivi à vie sans limite de durée [10-12]. Au contraire, la difficulté d’engagement dans les soins n’est pas considérée comme une caractéristique de la personne, mais comme un moment particulier de son existence. Les interventions durent en moyenne six mois et visent à amener les patients vers des soins ambulatoires moins intensifs, plus durables et plus proches.

Suite de la vignette clinique 1. Difficile à engager dans les soins

7Le case manager rencontre les parents à domicile dans les 48 heures qui suivent la demande. Malgré sa réticence initiale, Franck souhaite participer à l’entretien, car il ne veut pas qu’on parle de lui en son absence. Les parents expriment leur préoccupation. Franck ne se sent pas malade, mais il est d’accord qu’on l’accompagne pour demander une aide sociale, afin de diminuer les conflits avec ses parents. Une relation de confiance s’établit avec le case manager. Malgré cette aide sur une durée de plusieurs semaines, Franck constate qu’il n’arrive pas à résoudre ses problèmes. Il accepte de commencer un traitement pour diminuer son anxiété et prendre de la distance vis-à-vis des voix incessantes de ses parents.

Traitement et intervention précoce dans les psychoses (TIPP)

Vignette clinique 2. Psychose débutante

8Franck a pris conscience qu’il avait un problème. Le terme de psychose lui fait peur et il se demande s’il va pouvoir guérir. Les médicaments qu’on lui propose le fatiguent. Parfois, il perd espoir et se dit à quoi bon ? La tâche lui paraît complexe et infinie – ses amis, ses études, sa santé lui échappent et ses parents sont aussi démunis que lui pour l’aider.

9Les besoins dans les phases précoces de psychose sont spécifiques durant une phase critique de deux à trois ans. En effet, sans intervention, la baisse de fonctionnement social est importante durant cette période, alors que celui-ci tend ensuite à augmenter progressivement à nouveau [13]. Le but des interventions est de diminuer la durée de psychose non traitée (DUP), de transmettre un message optimiste sur les possibilités de rétablissement, d’offrir de la psychoéducation adaptée aux personnes et à leurs proches, d’éviter les ruptures de traitement, de gérer les comorbidités et de simplifier le parcours thérapeutique en évitant l’institutionnalisation par un accompagnement de case management ambulatoire [14, 15]. L’équipe de traitement et intervention précoce dans les psychoses (TIPP) comporte cinq case managers. Chaque case manager suit environ 35 patients sur une durée de trois ans après le premier épisode psychotique : il constitue le fil rouge du suivi. Durant cette phase, les interventions peuvent être systématisées, de façon à faciliter un suivi continu, un traitement antipsychotique optimal, et de s’adresser de manière proactive aux résistances au traitement, aux besoins psychothérapeutiques ou d’intégration sociale. Il s’assure du partenariat avec la personne et ses proches, ainsi que de la continuité et de la coordination des interventions médicales et des autres professionnels. Ces interventions diminuent la durée de psychose non traitée et les ruptures de traitement, augmentent la satisfaction des patients et des proches, et diminuent les coûts à long terme malgré un investissement initial important sur le suivi spécifique [16].

Suite de la vignette clinique 2. Psychose débutante

10Le case manager s’assure que le patient et sa famille sont bien informés sur la nature de la maladie et le traitement, à l’aide d’une psychoéducation adaptée aux psychoses débutantes. Pour faciliter le dialogue et la mémorisation, les questions de psychose, de rétablissement, de médicaments ou de consommation de cannabis sont discutées sur la base de cartes illustrées (http://ateliers-rehab.ch/produits-psychiatrie-communautaire/brochures-tipp/). Franck sait que le case manager va rester une personne de référence durant trois ans. Il examine avec lui l’évolution de son état mental, mais aussi s’assure d’un accès optimal à un traitement continu, au logement, à l’inclusion sociale, à l’éducation et à l’emploi, ainsi qu’à la sécurité financière. Le but est de dépasser l’effet catastrophique de la maladie pour reprendre une trajectoire normale de développement.

Case management de transition à la sortie de l’hôpital psychiatrique (CMT)

Vignette clinique 3. Case management de transition à la sortie de l’hôpital psychiatrique

11Franck est maintenant suivi par un nouveau médecin traitant installé en ville. Il a pensé qu’il n’avait plus besoin de médicament et a dû être hospitalisé. Bien que stabilisé maintenant après deux semaines d’hospitalisation, il se sent toujours fragile. Il éprouve aussi de la culpabilité et craint que son médecin lui fasse des reproches. De plus, l’état de son appartement est désastreux.

12La sortie de l’hôpital psychiatrique a été identifiée comme une période critique en raison des risques importants de rupture du traitement, de rupture dans la continuité du processus de rétablissement, de réadmission précoce, voire de suicide [17-19]. L’hôpital psychiatrique n’est plus conçu aujourd’hui comme un lieu de rétablissement, mais plutôt de soins aigus comme le tremplin pour permettre un rétablissement durable dans la communauté [20]. Dans cette perspective, la connexion entre l’hôpital et le réseau médicosocial ambulatoire devient aussi primordiale que ce qui se passe durant l’hospitalisation. Le but du case management de transition est d’assurer la continuité du processus de rétablissement à la sortie de l’hôpital psychiatrique [18, 19]. Le case manager intervient dès l’admission pour examiner les besoins psychosociaux de la personne, identifier les personnes importantes de son réseau, et discuter d’un plan de crise conjoint. Il intervient ensuite après la sortie de manière mobile à domicile et éventuellement auprès des autres professionnels de manière plus ou moins intensive selon la gravité de la situation. Dans cette période, il aide la personne à faire le lien avec un réseau de soins ambulatoires. L’intervention a lieu pour un tiers durant l’hospitalisation et pour deux tiers après la sortie à domicile. Selon les besoins, le case manager peut intervenir jusqu’à deux fois par jour et la durée d’intervention est limitée à un mois après la sortie. L’intervention est brève, car elle se focalise sur la gestion de la « crise du retour à domicile » et sur la construction du réseau médicosocial nécessaire pour assurer la continuité du rétablissement. Les résultats de ces interventions sont une diminution des admissions précoces et une augmentation de la satisfaction des patients, des proches et des partenaires du réseau.

Suite de la vignette clinique 3. Case management de transition à la sortie de l’hôpital psychiatrique

13Le case manager a rencontré Franck dès le début de l’hospitalisation. Ils ont examiné ensemble quels sont ses besoins, tant sur le plan de la santé que sur le plan social ou relationnel. Au-delà des troubles, la crainte de perdre son appartement est forte et le paralyse. Ils ont également établi une carte des relations importantes pour Franck, et sur cette base, élaboré un plan de crise conjoint pour mieux anticiper les difficultés à l’avenir. Avant la sortie, le case manager aide Franck à organiser le nettoyage de son appartement et à prendre contact avec son logeur. Il l’accompagne au premier entretien avec son médecin traitant après la sortie de l’hôpital. Il se fait l’avocat du patient pour expliquer son désir de trouver le dosage optimal d’antipsychotique et les moyens d’y arriver dans une meilleure concertation avec le médecin.

Soutien à l’emploi (Ressort)

Vignette clinique 4. Soutien à l’emploi

14Franck aimerait se réinscrire à l’université pour terminer ses études de mathématiques et faire un doctorat. Il est très motivé, mais doute parfois : « à quoi bon ? j’ai une schizophrénie, je n’arriverai à rien malgré tous mes efforts ». L’équipe soignante qui le suit veut surtout le protéger d’une rechute : il voudrait qu’on l’aide plus franchement à prendre le risque de faire ses preuves en situation.

15Soixante-dix pour cent des personnes souffrant d’un trouble psychiatrique sévère comme une schizophrénie souhaitent retrouver un emploi [21]. Or, de nombreux obstacles freinent le retour à l’emploi dans ces situations : outre les troubles eux-mêmes et leurs conséquences fonctionnelles, la stigmatisation et l’autostigmatisation des personnes souffrant de problèmes de santé mentale en sont les plus importants. Le soutien à l’emploi de type IPS est le modèle d’intégration en emploi ayant démontré le plus d’efficacité [22]. En effet, les méthodes classiques d’entraînement progressif dans des lieux protégés (« train then place ») sont inefficaces pour accéder à un emploi compétitif dans la première économie. À l’inverse, la méthode IPS utilise un modèle « place then train », c’est-à-dire que la plupart des interventions ont lieu dans la communauté, avec une recherche d’emploi immédiate. La résolution des problèmes rencontrés en emploi permet d’ajuster le traitement, d’identifier les déficits fonctionnels et d’y remédier ou de les compenser, ainsi que de contribuer à l’inclusion sociale en milieu naturel. L’objectif de l’intervention est d’obtenir et de garder un emploi. Les résultats sont une augmentation de l’accès à l’emploi (entre 30 % et 60 % d’emploi comparés à 15 % pour les modèles progressifs), de la durée de l’emploi, du salaire et de la satisfaction en emploi, y compris en Europe [23]. Paradoxalement, malgré le stress potentiel lié à l’activité professionnelle, on observe également une diminution des rechutes et des hospitalisations [24].

Suite de la vignette clinique 4. Soutien à l’emploi

16Après un bref bilan de situation, Franck et le case manager examinent ensemble comment mettre en œuvre rapidement le projet de se réinscrire à l’université pour terminer ses études de mathématiques et faire un doctorat. Malgré sa motivation, il est très inquiet de revoir ses anciens professeurs et craint que ses camarades le rejettent. Franck est d’accord que le case manager l’accompagne au service social de l’université pour discuter des conditions de son retour. Par contre, il souhaite voir seul son ancien professeur principal et assister au cours en auditeur libre. Plusieurs rendez-vous avec le service social sont manqués, ce qui permet de discuter avec lui de son anxiété sociale et d’envisager des pistes thérapeutiques. Avec le soutien du case manager, Franck parvient à surmonter ses craintes et à commencer à assister aux cours. Il se rend compte qu’il éprouve encore beaucoup de difficultés à se concentrer et qu’il doit adapter son rythme de travail dans un premier temps. Il est déçu, mais a l’impression qu’il se rend mieux compte de ce dont il a besoin pour se rétablir.

Discussion et conclusion

17Les interventions développées à Lausanne ciblent toutes les situations de santé mentale complexes dans des phases critiques du rétablissement. La psychose est paradigmatique de ce type de situations, mais tous les problèmes de santé mentale sont concernés. Elles s’appuient sur des modèles dont l’efficacité a été démontrée comme le suivi intensif dans le milieu [9], les interventions pour les psychoses débutantes [25] et le soutien à l’emploi de type IPS [22]. Tout en restant fidèles à certains aspects des modèles originaux, elles s’inspirent également de conceptions plus récentes comme le paradigme du rétablissement [26], les interventions en période critique [27], ou mieux articulées avec le réseau social comme l’approche basée sur les forces [28]. Le paradigme de rétablissement implique que même si les personnes souffrent d’un trouble durable ou récurrent, elles ne restent pas figées dans la chronicité, mais peuvent se rétablir pour vivre une vie accomplie. Ainsi, contrairement au modèle original, nous sommes convaincus que le suivi intensif dans le milieu n’est pas nécessaire à vie. La difficulté d’engagement dans les soins n’est pas une caractéristique de la personne, mais une phase critique durant laquelle un soutien spécifique est nécessaire. Le concept d’intervention en période critique paraît ainsi mieux adapté aux paradigmes du rétablissement, à condition de ne pas le restreindre à des phases critiques institutionnelles comme la sortie de prison ou d’hôpital. Enfin, le rétablissement n’est pas qu’une affaire de spécialiste et le modèle des forces vise à rechercher activement les ressources de santé dans le milieu naturel. Ainsi, les interventions ont en commun la connexion avec le réseau socio-sanitaire, en particulier avec les soins de premier recours, la focalisation sur des phases critiques du processus de rétablissement et la place centrale des case managers. Elles s’adressent à la fois aux symptômes, aux conséquences fonctionnelles et à l’inclusion sociale des personnes touchées par un trouble psychique. Ce sont en particulier les traitements et interventions précoces dans les psychoses, le soutien individuel à l’emploi de type IPS, le case management clinique intensif de type suivi intensif dans le milieu ou assurant la transition à la sortie de l’hôpital. D’autres interventions peuvent être regroupées sous les mêmes principes tels que le housing first ou les interventions de crise à domicile. L’avantage de ces interventions est de se focaliser sur les ressources de la personne, au moment où elle en a le plus besoin, de manière intensive et spécifique. Néanmoins, il existe plusieurs limitations. Premièrement, ces interventions ne remplacent pas les traitements psychiatriques et psychothérapeutiques habituels. Le rétablissement prend du temps et ne peut se réaliser que dans un système de santé fonctionnel où les suivis psychiatriques de base sont assurés sur le long terme par des intervenants de premier recours bien formés. Deuxièmement, multiplier les interventions et créer des équipes trop restreintes peut nuire à la cohérence et la durabilité d’ensemble. La taille critique des équipes peut être atteinte en regroupant les missions ou en élargissant la dimension du territoire couvert. Regrouper les missions de manière flexible pour un territoire étroit est par exemple plutôt le choix du modèle FACT en Hollande [29]. Le choix à Lausanne a été de développer des équipes spécifiques dans le secteur urbain le plus peuplé ayant une vocation universitaire, et de développer des équipes à missions mixtes dans les secteurs périphériques moins peuplées. La gouvernance joue un rôle important pour que les équipes collaborent, adoptent des principes et partagent des outils communs. De plus, c’est le rôle des case managers de piloter les patients dans la complexité de l’entier du système socio-sanitaire, dont les soins psychiatriques publics ne sont qu’une partie. Quelles que soient les solutions retenues, l’essentiel nous paraît de pouvoir offrir les opportunités de rétablissement aux moments où les personnes en ont le plus besoin.

Liens d’intérêt

18les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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Mots-clés éditeurs : Suisse, équipe mobile, soin ambulatoire, soin intensif, case management, rétablissement, psychiatrie sociale, schizophrénie

Mise en ligne 11/10/2019

https://doi.org/10.1684/ipe.2019.1985

Notes

  • [1]
    Ce texte a été présenté au Congrès franc¸ais de psychiatrie 2018.
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