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Article de revue

Les obstacles à la mise en place d’un traitement par électro-convulsivothérapie en psychiatrie. Une enquête qualitative

Pages 425 à 430

Introduction

1L’électro-convulsivothérapie (ECT) consiste à appliquer un courant électrique de part et d’autre du crâne d’un patient afin d’induire une crise convulsive dans le but de traiter certaines affections psychiatriques [1, 2].

2La technique est d’abord décrite en 1938 par deux médecins italiens, Ugo Cerletti et Lucio Bini en charge d’un hôpital psychiatrique à Rome [3]. La technique est appelée électrochoc et vient s’ajouter aux autres thérapies dites de choc [4, 5]. L’électrochoc se répand en Europe puis aux États-Unis, principalement après la guerre [6]. À partir des années 1960, alors que la psychiatrie connaît une vague de contestation, les électrochocs sont moins pratiqués, jusqu’à leur interdiction dans certains états des États-Unis d’Amérique et en Europe [7]. Le mouvement antipsychiatrique met en avant l’usage de la technique par le régime nazi à des doses létale pour la condamner [8] et assimile la technique à un outil de contrôle social [9]. L’ECT se trouve dépeint comme moyen de répression dans des productions cinématographiques, dont la plus célèbre est Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman, sorti en 1976. Cette contestation provient également de psychiatres qui pointent les effets secondaires de la technique, en particulier l’amnésie survenant après une cure d’ECT [10] en comparaison de nouvelles molécules psychotropes, comme la chlorpromazine [11]. La technique est réhabilitée à partir des années 1980 [12] par la publication et la diffusion de recommandations de bonnes pratiques qui réduisent les indications de la technique aux pathologies les plus graves et les plus résistantes et en rendant sa réalisation sous anesthésie générale obligatoire [13, 14]. De plus, la technique est adaptée afin de réduire les effets indésirables cognitifs [15].

3La supériorité de l’efficacité de la technique comparée à celle des psychotropes a été démontrée dans la dépression résistante [16-18], dans les épisodes maniaques [19, 20], dans la schizophrénie et en particulier dans la catatonie [21-23]. Par des études qualitatives des auteurs ont tenté de déterminer quelles représentations les patients avaient de l’ECT. Cependant celles-ci se sont limitées à décrire si les patients et leurs proches étaient satisfaits [24, 25] ou non de ce traitement [26, 27]. De façon plus nuancée, certaines d’entre elles ont mis en évidence que les patients reconnaissaient un certain bénéfice tout en restant ambivalents vis-à-vis de l’ECT [28, 29].

4Aujourd’hui, en France, l’ECT est un acte thérapeutique pratiqué par des services de psychiatrie situés au sein d’hôpitaux généraux, du fait de la possibilité d’accès à une équipe d’anesthésie, ou d’établissements privés. Les données épidémiologiques, qui restent à étoffer, font état de 70 000 ECT en France par an [30]. Des auteurs ont souligné que le traitement n’était pas assez souvent proposé, avec, semble-t-il, des inégalités sociales et géographiques dans l’accès à ce soin, entraînant une perte de chance pour ces patients [31, 32]. Certains auteurs ont pointé que ce traitement n’était pas proposé du fait de représentations négatives de la part des patients mais aussi des médecins, du fait de son histoire [9, 33, 34]. Cependant, aucune étude qualitative n’a étudié quels étaient les obstacles à l’ECT en pratique.

5L’objectif de cette étude est d’explorer quels sont les obstacles à la mise en place d’une cure d’ECT, pouvant limiter son usage en pratique clinique, et d’éclairer comment les équipes de psychiatrie parviennent à contourner ces difficultés pour proposer ce traitement.

Matériel et méthode

6Pour répondre à cet objectif, une enquête qualitative a été menée. Ce type d’enquête répond au mieux aux questions de recherche se demandant comment un phénomène peut exister, contrairement à la recherche quantitative qui se demande pourquoi il existe [35]. La recherche a eu lieu dans un hôpital universitaire de la banlieue parisienne, où se pratique l’ECT. Des observations non participantes de décembre 2016 à février 2017 ont été réalisées. D’autre part, douze entretiens en face à face avec des professionnels ont été menés : avec quatre psychiatres, deux internes, quatre infirmières, une psychologue et un anesthésiste. Les enquêtés étaient recrutés sur le lieu des observations, et aucun n’a refusé. Une grille d’entretien était réalisée au préalable. Elle abordait les thèmes du parcours de l’interviewé, de la vie quotidienne dans le service, des indications du traitement par ECT, du recueil de son efficacité et de la façon employée pour expliquer les effets des ECT. Les entretiens étaient enregistrés avec le consentement oral des enquêtés. Les entretiens étaient intégralement retranscrits sur Word.

7Les données ont été analysées et théorisées par la théorie ancrée, telle que décrite par Anselm Strauss [36]. Il s’agit d’une méthode inductive à partir de laquelle une théorie est générée à partir des données [37]. Cette méthode a d’abord été décrite en sociologie pour ensuite être utilisée par les professionnels de santé, notamment dans un but d’évaluation des pratiques [38]. Selon cette méthodologie, les données sont regroupées selon leurs similarités pour être analysées. L’enquête s’arrête lorsque les données confirment la théorie. La qualité de la recherche était contrôlée par la COnsolidated criteria for REporting Qualitative research Checklist[39].

8Cette méthodologie a pour spécificité d’attribuer un codage à chaque donnée brute pour ensuite les regrouper en catégories qui puissent décrire finement les phénomènes observés [40]. Dans ce travail 74 catégories ont été dégagées et compilées sur un fichier Word. Ces catégories ont été regroupées en trois thèmes qui sont présentés dans la partie résultat. Contrairement à une analyse quantitative, qui exprime des résultats chiffrés, les résultats d’une analyse qualitative permettent de décrire un ensemble de processus à partir de données brutes, comme des extraits d’entretiens ou de journal de terrain, organisées de façon thématique [41]. La méthode de la théorie ancrée a ainsi été choisie afin de décrire quels étaient les obstacles rencontrés en pratique et comment ils étaient contournés sans idée a priori, mais à partir du recueil de données. Le premier thème regroupait les obstacles à la mise en place d’une cure, le deuxième, les possibilités qu’ont les psychiatres pour contourner ces obstacles avant la cure et le troisième, les techniques employées par l’équipe de psychiatrie pour contourner ces obstacles pendant la cure.

Résultats

Les obstacles à la mise en place d’une cure d’ECT

9Lorsque les psychiatres proposent une cure d’ECT, il existe de nombreux obstacles. Dans le service de l’hôpital H, la plupart des patients restent entre deux et trois semaines. Au contraire, une cure d’ECT nécessite une hospitalisation longue et une prise en charge centrée sur l’hôpital.

10Entretien avec Quentin (PH) : « Moi je pense que, de par les effets indésirables, pas tellement cognitifs, mais à l’anesthésie, à la sous-stimulation et à l’hospitalisation longue… parce qu’une cure c’est 6 semaines d’hospitalisation au moins, ça allonge. Et ça, pour moi, ça limite l’indication. Il faut vraiment que ça vaille le coup. »

11De plus, l’accès limité à la technique freine son usage : par le nombre de places réduit et par le fait que seuls quelques hôpitaux sont équipés d’une machine à ECT.

12Entretien avec Edouard (chef de service) : « Nous on y pense très facilement parce qu’on l’a sous la main. Lorsqu’un service n’a pas l’ECT, il n’y pense pas. Et puis, plus il y a de place et plus on a de demandes. Et souvent c’est un problème, lorsque le planning est plein on est obligés de faire autrement. »

13Contrairement aux psychotropes, les psychiatres expriment également ne pas être à l’aise avec l’explication du mode d’action de l’ECT. Ceci empêche le partage d’une conception commune de l’efficacité entre psychiatre et patient.

14Entretien avec Quentin (PH) : « Ce que j’aime beaucoup avec les agonistes dopaminergiques, c’est la représentation qu’on se fait de la dopamine. C’est une représentation qu’on peut partager avec le malade, et qui est thérapeutique. Et je trouve qu’avec les ECT on a du mal à proposer ça. »

15L’équipe de psychiatrie doit intégrer qu’il s’agit d’un soin technique comme un autre mais qui a de nombreuses spécificités en comparaison des autres thérapeutiques employées en psychiatrie.

16Entretien avec Cindy (infirmière) : « Alors, c’est un soin comme un autre mais quand même, il y a une prise en charge équivalente à celle des chirurgies, il faut quand même une préparation pré bloc, il faut amener le patient au bloc, et puis après il y a une surveillance en salle de réveil, ça rend les choses beaucoup plus lourdes. »

17L’ensemble de l’équipe sait que les séances d’ECT provoquent de la peur chez les patients. Cette peur, ils peuvent l’attribuer au fait de se rendre au bloc ou de recevoir une anesthésie générale et peuvent leur faire demander l’arrêt de la cure.

18Entretien avec Lucie (infirmière) « Ils ont peur de l’anesthésie souvent, mais aussi de faire une crise d’épilepsie. Et puis ils voient toute la préparation autour, les anesthésistes qui ne sont pas toujours très doux, le réveil en salle de réveil qui est angoissant... C’est super angoissant l’ECT. Parfois ils nous disent qu’ils ont peur de ne pas se réveiller. Du coup ils nous demandent d’arrêter la cure. »

19De plus, l’ensemble des professionnels rapporte que les séances d’ECT entraînent fréquemment des troubles cognitifs dans la journée qui suit la séance.

20Extrait du journal de terrain : « Une patiente de 65 ans est hospitalisée pour une cure d’ECT dans le cadre d’une mélancolie délirante. Elle a eu trois séances d’ECT. Les effets secondaires cognitifs sont très sévères chez elle : elle présente, après chaque séance, et durant toute la journée, un état confusionnel lui faisant sortir tous les objets de sa chambre. Lorsque cet état cède, elle présente des troubles mnésiques majeurs qui l’angoissent beaucoup. À chaque entretien, elle demande à Pascal (interne) d’arrêter la cure. »

21Ces effets indésirables et la peur des séances peuvent amener le patient à demander l’arrêt de la cure à l’équipe de psychiatrie.

Contourner les obstacles pour proposer la cure

22Pour traiter le patient par ECT, l’équipe de psychiatrie doit contourner les principaux obstacles et convaincre le patient. Pour cela, les psychiatres doivent se faire une idée de l’indication de l’ECT.

23Entretien avec Édouard (chef de service) « Pour les ECT, il y a les répercussions somatiques, l’altération de l’état général, donc l’urgence, il faut aller vite, et puis les situations de résistance ou d’intolérance aux traitements. Voilà en fait on a souvent un peu les trois. »

24Lorsque l’indication est posée, la conviction des psychiatres dans la grande efficacité de la technique leur permet de proposer l’ECT et de convaincre les patients.

25Entretien avec le Dr B (PH dans un autre centre) « Non mais l’ECT, je suis adepte. Parce que c’est hyper efficace ! C’est l’efficacité, quand tu peux soulager des gens qui se traînent avec des traitements, que tu les soulages en beaucoup moins de temps qu’avec les traitements... Et c’est hyper démontré. Et ça on le dit aux patients. Ce n’est pas un traitement de premier recours, mais c’est un traitement qui a toute sa place en psychiatrie. »

26Selon les situations, les psychiatres vont conduire les patients à accepter la cure d’ECT de façon différente. Ces deux extraits du journal de terrain mettent en évidence comment les psychiatres adaptent la contrainte.

27Extraits du journal de terrain : « Une patiente de 35 ans a été admise pour une cure d’ECT dans le cadre d’une dépression d’intensité sévère avec de fortes idées suicidaires et d’infanticide. La patiente refuse initialement la cure d’ECT. Après lui avoir signifié que si elle refusait la cure, elle serait transférée sous contrainte sur son hôpital de secteur, celle-ci accepte finalement la cure. Devant le risque suicidaire, les psychiatres ne donnent pas de permissions à la patiente. En entretien, Olivia (interne) explique à la patiente que le fait qu’elle ne se trouve pas malade fait partie de sa dépression. Olivia lui pointe qu’elle a des idées suicidaires qu’elle n’a pas d’ordinaire. Elle lui explique que l’ECT est le traitement le plus efficace dans ces dépressions qui ont des critères de sévérité. »

28« Une patiente de 60 ans a été admise dans le service par sa psychiatre libérale pour une cure d’ECT. Elle était déjà venue un an auparavant pour dépression résistante. L’équipe de psychiatrie avait posé l’indication d’une cure d’ECT mais la patiente avait refusé. Devant une amélioration avec un traitement antidépresseur et devant l’absence de signe de gravité la patiente était retournée à domicile. Cette fois-ci, la patiente présente des idées suicidaires. De plus, devant l’absence d’amélioration significative depuis la dernière hospitalisation, sa psychiatre libérale a réussi à lui faire accepter une cure d’ECT. À son arrivée dans le service, la patiente dit être d’accord pour réaliser cette cure d’ECT et dit avoir saisi que son état le nécessitait. De plus, elle ne présente plus d’idées suicidaires à son arrivée. Les psychiatres l’autorisent à prendre des permissions pour rendre la cure moins difficile à vivre. »

29Ces deux extraits mettent en évidence que c’est la gravité du tableau clinique qui permet aux psychiatres d’utiliser certains leviers plutôt que d’autres. Si le tableau est grave, les psychiatres peuvent utiliser la menace d’un transfert en hospitalisation sous contrainte, suspendre les permissions. Au contraire, lorsque le tableau se présente avec moins de signes de gravité, les psychiatres peuvent avoir recours à une hospitalisation en plusieurs temps et proposer des permissions dès le début de l’hospitalisation. Les psychiatres utilisent leur conviction de l’efficacité future de l’ECT pour convaincre les patients et pour mettre en place des outils de psychoéducation : si les patients sont convaincus que leur état le nécessite ils peuvent plus facilement accepter le traitement par ECT.

Continuer la cure malgré les obstacles

30Au cours de la cure d’ECT, l’équipe de psychiatrie doit continuer à contourner les obstacles au maintien de la cure. Dans les premiers temps de la cure, l’ECT présente peu d’effets positifs sur le tableau clinique initial. Pendant cette période initiale il faut « tenir le coup ».

31Extrait du journal de terrain : « Pascal (interne) voit en entretien familial le compagnon et une amie d’une patiente. Lors de l’entretien il dit à la famille que la patiente a demandé l’arrêt de la cure. Il avait dit à la patiente que si elle demandait trop à arrêter la cure, il demanderait un transfert en soins sous contrainte dans un autre hôpital. L’amie dit qu’il ne faut surtout pas la transférer et encourage la patiente à coopérer avec les psychiatres. Pascal les informe que la cure se composera de 10 à 20 séances selon la réponse thérapeutique. Il leur dit également que les effets cognitifs seront transitoires mais qu’il est important de « garder le cap ». À la fin de l’entretien, Pascal m’explique qu’il était très mal à l’aise d’expliquer à la famille pourquoi il avait parlé du secteur, et que c’était une façon de la contraindre à accepter le traitement. Il est cependant convaincu que le traitement marchera et qu’il faut qu’elle ait ses séances d’ECT. »

32De même qu’au début de la cure, le maintien du consentement s’obtient par différents procédés : le travail d’alliance avec le patient, l’aide de la famille, en rappelant au patient que son état nécessite la cure d’ECT ou encore la menace d’un transfert contraint. La conviction des psychiatres dans l’efficacité de celle-ci leur permet de « tenir le coup ».

33Le recueil de l’efficacité permet à l’équipe de psychiatrie de mettre en place des éléments de psycho éducation avec le patient.

34Entretien avec Lucie (infirmière) : « À ce moment-là, on va dire au patient qu’on le trouve mieux et lui donner des exemples. On leur dit “il y a une semaine vous ne vous leviez pas et regardez, aujourd’hui, vous êtes habillé, vous êtes dans le poste de soin, on peut discuter avec vous”. Donc on leur dit qu’il faut continuer, écouter les médecins, aller jusqu’au bout, qu’ils en sont arrivés là et que ce serait dommage de reculer. »

35Tout comme au début de la cure, les membres de l’équipe de psychiatrie font intérioriser au patient l’idée qu’ils se font de son état de santé. À la fin de la cure, ils pointent fréquemment au patient que son état s’est amélioré.

Discussion

36Cette recherche repose sur une enquête qualitative par entretiens non directifs et par observations non participantes dans un service de psychiatrie universitaire. Les obstacles à la mise en place d’un traitement par ECT sont la nécessité d’une hospitalisation longue et centrée sur l’hôpital, le nombre réduit de places pour réaliser les séances d’ECT, les difficultés pour les psychiatres à partager avec le patient une conception commune de son mécanisme d’action, la peur des séances de la part des patients et des effets indésirables cognitifs importants. Pour pouvoir proposer la cure, les psychiatres doivent se faire une idée de la résistance et de la gravité du tableau, à partir desquels ils adaptent la temporalité dans laquelle ils proposent l’ECT. Ils doivent également être convaincus de l’efficacité future de la cure, pour conduire le patient à accepter la cure. Pendant la cure, l’équipe de psychiatrie contribue à maintenir l’accord du patient pour poursuivre la cure. Les psychiatres aident les patients à « tenir le coup » face aux troubles cognitifs induits par la cure grâce à leur conviction dans l’efficacité future de la cure. Enfin, ils pointent aux patients l’efficacité de la technique et leur font intérioriser les améliorations de leur état.

Un soin à part

37Nos résultats montrent combien l’ECT est un traitement à part dans l’ensemble des outils thérapeutiques disponibles en psychiatrie. Tout d’abord, l’ECT implique de centrer les soins autour de l’hôpital. En effet, à partir des années 1960, avec le développement du secteur et la « désinstitutionalisation », la prise en charge des patients s’est déplacée de l’hôpital vers des structures extrahospitalières [42]. Avec l’ECT, non seulement les soins se maintiennent autour de l’hôpital mais se situent en dehors du découpage géographique des secteurs. De plus ce processus de « désinstitutionalisation » a été dans le sens d’une réduction des durées de séjour à l’hôpital, également présent dans les autres spécialités. L’Irdes [43] indique qu’en 1980 la durée moyenne de séjour à l’hôpital psychiatrique était de 105,7 jours alors qu’en 2011 elle était de 28,9 jours. Dans le service de l’hôpital H, la plupart des patients non traités par ECT restaient entre deux et trois semaines alors qu’ils y restaient entre deux et trois mois pour une cure d’ECT.

38Ensuite, nous avons vu que les psychiatres utilisaient rarement le mécanisme d’action de l’ECT pour poser l’indication d’une cure. Avec les psychotropes, au contraire, depuis les années 1980, la recherche en psychopharmacologie s’est efforcée de caractériser les effets des traitements psychotropes en termes de spécificité de mécanisme d’action afin de proposer un traitement adapté à chaque patient [44]. Cette spécificité n’est pas présente pour l’ECT. Pour proposer une cure d’ECT, les psychiatres invoquent plutôt la sévérité et la résistance du tableau clinique, ce qui en fait un traitement de dernier recours.

39En dépit de représentations négatives de la technique chez certains membres de l’équipe, dont font état certaines études [33, 34], nos résultats montrent qu’ils parviennent à s’en départir. Nos résultats mettent également en avant la persistance chez ces professionnels d’une ambivalence : d’une part ils peuvent expliquer que c’est un soin comme les autres, d’autre part ils exposent les difficultés que son usage génère et la persistance de la forte impression que les séances d’ECT génèrent chez eux.

40Au total, l’ECT est un traitement à part et présente deux aspects contradictoires. D’une part il s’agit d’un soin ancien qui rentre en tension avec les évolutions de la psychiatrie contemporaine : il induit des hospitalisations longues, il entre en rupture avec la logique de secteur, il n’est pas pensé en termes de cible pharmacologique. De plus, l’ECT garde des représentations négatives issues de son histoire. D’autre part l’ECT est un traitement de pointe, accessible par peu de centres, et nécessitant un plateau technique. En cela, l’ECT constitue une « vieille thérapeutique d’avenir » [1].

Le coût d’une cure d’ECT

41On peut définir le coût d’une cure comme l’ensemble des obstacles qui doivent être surmontés pour pouvoir réaliser celle-ci. Les psychiatres vont attribuer une valeur à la cure en mettant en regard de ce coût, des objectifs à celle-ci. Cette valeur est matérialisée par l’expression utilisée fréquemment : « ça vaut le coup ». Une cure vaut le coup lorsqu’elle est justifiée par un objectif qui dépasse son coût.

42La notion de coût permet de discuter l’hypothèse selon laquelle la sous-utilisation de l’ECT serait imputable à la représentation négative de l’ECT [9]. Ce travail nous a permis de comprendre que les difficultés liées à l’usage de l’ECT ne sont pas simplement un problème de représentations, mais posent, au contraire, un ensemble de problèmes pratiques. Les représentations négatives de l’ECT illustrent plus que ne causent les réticences des patients et des professionnels à accepter une cure d’ECT.

43La lecture des obstacles à la mise en place de l’ECT en termes de coût permet également de discuter l’affirmation selon laquelle la sous-utilisation de l’ECT provient de sa difficulté d’accès [31, 32]. Cette étude a montré que l’accès limité à la technique constituait parfois un obstacle mais qu’il en existait bien d’autres. Parler en termes de coût d’une cure permet de saisir pourquoi la technique est difficile à accepter pour l’ensemble des acteurs impliqués.

44Enfin, nos résultats viennent apporter un regard neuf sur la notion de satisfaction des patients [24-29, 45]. La valeur d’une cure ne peut se comprendre qu’en mettant en regard son coût et ses bénéfices. Ces deux termes devront être explorés par des enquêtes qualitatives ultérieures.

45Les analyses par la théorie ancrée possèdent des limites [46]. K. Charmaz a critiqué la rigidité avec laquelle certains chercheurs pouvaient utiliser la théorie ancrée, préférant un usage plus flexible de la construction des catégories [40]. D’autres auteurs ont critiqué la possibilité d’utiliser une méthode purement inductive et préfèrent parler d’allers-retours entre induction et déduction [47]. Par ailleurs pour limiter le biais de la subjectivité du chercheur, certains auteurs ont suggéré d’être guidé plus que limité par le recueil de données, permettant de mieux généraliser la théorie [48]. Ces critiques ont permis d’enrichir la théorie ancrée, qui reste un outil pour les méthodes qualitatives permettant de générer des théories innovantes.

Conclusion

46Cette étude est la première recherche qualitative portant sur les obstacles à la mise en place d’un traitement par ECT. Elle permet de discuter une littérature médicale qui, jusqu’à présent, n’avait identifié comme seuls obstacles à la mise en place d’une cure d’ECT que ses représentations négatives et le problème de son accès. Nous avons vu que les équipes de psychiatrie doivent faire face à une série d’enjeux pratiques que ces dernières considérations ne permettaient pas d’identifier. À partir de ces résultats de nouvelles études qualitatives sont attendues pour mieux comprendre la façon dont les patients parviennent à accepter une cure d’ECT et avec quels enjeux.

Lien d’intérêt

47les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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Mots-clés éditeurs : efficacité, dépression résistante, enquête, consentement aux soins, soignant, sismothérapie

Mise en ligne 01/08/2019

https://doi.org/10.1684/ipe.2019.1973

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