1La prise en charge des troubles du comportement alimentaires (TCA) est connue comme complexe du fait de l’intrication somato-psychique et des conséquences parfois vitales de ses symptômes, elle est d’autant plus compliquée que les acteurs de premier recours sont souvent insuffisamment formés, et informés, des accès aux réseaux de soins spécialisés. En outre, elle se heurte aux inégalités territoriales d’accès aux soins, aux conditions démographiques médicales dégradées mais également au non-remboursement des soins efficaces dans ces pathologies : consultations spécialisées diététique, psychothérapie individuelle, thérapie familiale.
2Dans ce contexte, il convient de rappeler que l’offre de soins TCA ne s’appuie pas que sur les structures publiques, bien souvent engorgées et dont les délais d’attente peuvent parfois constituer une raison de renoncement aux soins. La médecine libérale et les établissements privés font partie intégrante des réseaux de soins TCA, pour l’ambulatoire mais aussi pour les hospitalisations, fait souvent méconnu des professionnels de santé et du grand public.
3Le but de cet article est de faire connaître une des structures de soins spécialisées TCA en Île-de-France (la clinique Villa Montsouris) et de développer quelques aspects thérapeutiques spécifiques.
Présentation de l’établissement
4La clinique Villa Montsouris est un établissement privé de soins psychiatriques adultes, spécialisé de longue date la prise en charge des TCA. Les capacités d’accueil sont de 56 lits, dont 22 dédiés à la prise en charge des TCA.
5Les TCA accueillis à la clinique sont de tous types : anorexie mentale, boulimie, hyperphagie boulimique, TCA non spécifiques.
6La clinique peut accueillir tout patient du territoire français mais aussi de l’étranger à partir de l’âge de 17 ans. Les hospitalisations sont réalisées uniquement sous la modalité de soins libres.
7Les soins sont réalisés sous forme d’hospitalisation temps plein car l’établissement ne dispose pas à ce jour d’hôpital de jour. Les consultations sont assurées aux cabinets des médecins spécialistes travaillant à la clinique.
8 Un important travail de réseau avec d’autres structures spécialisées est mené afin de jalonner l’ensemble du parcours de soins du patient, des soins nutritionnels intensifs aux soins études en passant par les structures d’hôpital de jour.
Déroulement des hospitalisations
9Les demandes de prise en charge à la clinique peuvent concerner tous types de troubles alimentaires, de niveaux de gravité très variés. La rotation des lits reste assez fluide comparativement à d’autres structures TCA, ce qui permet une liste d’attente cohérente et même la possibilité de prises en charge semi-urgentes. Il n’en demeure pas moins que l’établissement ne peut accueillir les urgences somatiques, comme c’est régulièrement le cas dans l’anorexie accompagnée de conduite de purges, notamment les hypokaliémies sévères nécessitant une surveillance scopique, ou une cachexie avec IMC < 12 kg/m2.
10La demande est formulée par le patient et par le médecin adresseur par téléphone, fax ou via formulaire internet. Une prise en charge mutuelle est nécessaire pour les chambres individuelles. Les chambres doubles existent mais il y a pour ces dernières un délai d’attente bien plus long, du fait de l’absence de coût supplémentaire.
11Il est possible d’organiser des consultations de pré-admission si le patient est demandeur, cela reste néanmoins assez rare, car il est expliqué au patient que les soins se dérouleront de façon collaborative avec l’établissement du contrat thérapeutique quelques jours après l’admission. Il n’y a ainsi aucune mesure restrictive systématique mais davantage une approche pédagogique autour des éléments de cadre qui sont instaurés de façon personnalisée en fonction de la situation somatique, des symptômes sous-jacents et des objectifs thérapeutiques réalistes pour le patient. Ainsi il n’y pas d’interdiction systématique des visites, du téléphone, des effets personnels, des permissions. Chaque contrat thérapeutique se veut basé sur le renforcement positif et une approche plus horizontale que verticale. Cette souplesse pourrait laisser à penser qu’elle pourrait accentuer l’ambivalence aux soins, mais en pratique c’est rarement le cas. Ce type d’élaboration de contrat se rapproche en réalité des techniques d’entretien motivationnel décrites par Miller et Rollnick [1].
12La durée d’hospitalisation est très variable selon les pathologies : dans l’anorexie elle est surtout déterminée par le poids de sortie, qui doit être au minimum un poids de sécurité vis-à-vis des complications somatiques de court terme ; dans la boulimie et dans l’hyperphagie boulimique elle est de l’ordre de 3 à 6 semaines.
13 Les soins réalisés au cours de ces prises en charges sont détaillés au chapitre suivant.
14 Dans certains cas de pathologies chronicisées ou bien de situations cliniques demeurant fragiles, des hospitalisations séquentielles peuvent être proposées.
Soins spécifiques pluridisciplinaires
15La prise en charge des TCA est avant tout pluridisciplinaire. Elle s’appuie à la fois sur un soin infirmier spécifique, des entretiens psychologiques et diététiques ainsi que les consultations avec le psychiatre et le médecin généraliste de l’établissement. Des temps de transmission quotidiens et des synthèses hebdomadaires sont nécessaires à la bonne articulation des professionnels réunis autour du patient.
16Les premiers temps de l’hospitalisation sont dédiés à l’évaluation psychiatrique et somatique, mais aussi diététique. Le contrat thérapeutique est élaboré par l’infirmier et le patient au bout de la première semaine. Il définit les objectifs thérapeutiques personnalisés (pondéraux, comportementaux, diététiques) mais également les moyens mis à disposition pour y parvenir.
17La prise en charge psychothérapique, individuelle et groupale est proposée à l’ensemble des patients. Elle consiste généralement en une thérapie de soutien mais peut être le cas échant une thérapie centrée sur les traumas (EMDR, eye movement desensitization and reprocessing ; et ICV, intégration du cycle de la vie). Plus récemment, la clinique a mis à disposition la thérapie par exposition à la réalité virtuelle (TERV) (voir encadré page suivante) [2] avec une professionnelle formée qui peut accompagner les patientes boulimiques ou hyperphages à exposer à des situations de courses alimentaires ou de crises. Elle permet également aux patientes anorexiques de travailler leur dysmorphophobie grâce au casque de réalité virtuelle.
18La prise en charge infirmière consiste en des entretiens quotidiens à visée psychoéducative et de soutien. Les infirmiers sont aussi les garants de la mise en application du contrat et ils proposent des exercices spécifiques comme le travail sur l’image du corps, les repas d’évaluation et ses repas thérapeutiques.
19La prise en charge diététique est diverse : réalisation des protocoles alimentaires, mise en place de la nutrition entérale par sonde nasogastrique, repas thérapeutiques, ateliers diététiques. Son rôle est primordial pour la restructuration cognitive concernant les idées erronées liées à l’alimentation et au métabolisme.
20Enfin, la prise en charge psychiatrique est quotidienne, interroge à la fois le TCA et les comorbidités psychiatriques, addictives, médicales. Le psychiatre est coordinateur des différents soins, met en œuvre le traitement médicamenteux. Il propose aussi des entretiens avec les parents, la fratrie, les conjoints ou les enfants des patients.
Accès aux soins
21Il semble enfin important d’éclairer le lecteur sur le maillage des soins TCA et les modalités pratiques d’orientation des patients.
22Le site FFAB [1] (ex-AFDAS/TCA) constitue un portail clair des différentes structures TCA du territoire (adulte et enfants/adolescents, publiques et privées).Il existe également une permanence téléphonique « Anorexie Boulimie, Info écoute » [2].
23Le développement récent des centres de référence TCA, qui permettent une évaluation et une orientation plus aisée, vient fluidifier l’accès aux soins. À l’heure actuelle, ils existent pour Lyon, Saint-Étienne, Grenoble et plus récemment Clermont-Ferrand et Paris.
24Enfin, il convient de rappeler que les TCA constituent parfois des urgences somatiques, qui ne sauraient être retardées du fait d’un délai d’attente en centre spécialisé. C’est plus souvent le cas pour l’anorexie mentale par le biais de la dénutrition. Il existe des recommandations opposables de la HAS [3] concernant les critères d’hospitalisation somatique.
Définition et intérêt de la TERV dans la prise en charge des TCA
Une définition possible de la RV repose sur « la notion d’interaction sensori-motrice avec l’environnement virtuel en trois dimensions, ce qui suppose donc que l’utilisateur peut se déplacer dans les mondes créés numériquement » [4]. La RV permet ainsi une alternative efficace à l’exposition réelle aux situations anxiogènes puisqu’elle permet immersion et interaction, le sujet éprouvant le phénomène subjectif « d’être là » (présence).
L’application de la TERV à la prise en charge des TCA cible 3 problématiques principales :
- la dysmorphophobie et le désir de minceur : on expose le patient à des projections en RV de son propre corps en modulant la corpulence. On explore et entraîne ainsi la capacité du patient à se percevoir tel qu’il est réellement mais aussi la faculté à se projeter dans un corps différent (notamment à s’exposer à l’image d’un poids normal après renutrition) ;
- l’exposition aux aliments qui permet de travailler les stratégies d’apaisement du craving boulimique, le vécu émotionnel ambivalent. Dans le contexte de boulimie, la TERV permet un exercice d’exposition avec prévention de la réponse plus sécurisant qu’une exposition aux aliments réels :
- l’exposition à la situation anxiogène de l’achat de nourriture en magasin.
Enfin, un article récent a pu démontrer un intérêt de la RV dans l’évaluation quantitative de l’insatisfaction corporelle [5] permettant d’envisager une mesure objective de l’efficacité des prises en charge sur les aspects de dysmorphophobie. Les outils antérieurs reposaient essentiellement sur des auto-questionnaires.
Liens d’intérêt
25Aurore Guy Rubin déclare : être en contrat d’exercice libéral Groupe Orpea.
26Emilie Grasset déclare : être salariée de la Villa Montsouris Clinea ; collaboratrice de l’étude Hormones leptine/greline chez les TCA et Étude génétique et vulnérabilité chez les TCA ; des interventions à « Prise en charge TCA en 2015 », Montréal (Sidief), en 2015, à « TCA et image corporelle », Congrès français de psychiatrie.
Références
- 1. Miller W.R., Rollnick S.. L’entretien motivationnel. Aider la personne à engager le changement. Paris : InterEditions, 2013 .
- 2. Clus D., Larsen M.E., Lemey C., Berrouiguet S.. The Use of Virtual Reality in Patients with Eating Disorders: Systematic Review. J Med Internet Res 2018 ; 20 : e157.
- 3. HAS. Anorexie : prise en charge. Recommandations de bonne pratique. Juin 2010..
- 4. Levy F., Rautureau G., Jouvent R.. La thérapie par la réalité virtuelle dans la prise en charge des troubles anxieux. Information psychiatrique 2017 ; 93 : 311-6.
- 5. Purvis C.K., Jones M., Bailey J.O., Bailenson J., Taylor C.B.. Developing a Novel Measure of Body Satisfaction Using Virtual Reality. PLoS One 2015 ; 10 : e0140158.
Mots-clés éditeurs : prise en charge, établissement privé de santé, boulimie, anorexie mentale, trouble du comportement alimentaire, hyperphagie, accès aux soins
Date de mise en ligne : 14/02/2019
https://doi.org/10.1684/ipe.2019.1900