Notes
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[1]
T. Haustgen souligne que « dès le début du xxe siècle, la nouvelle entité [délire d’interprétation] figure dans tous les traités de psychiatrie » [2].
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[2]
Voir à ce sujet l’article de D.F. Allen et C. Mariotti : « Les “incohérents” et les “arrangeurs” de François Leuret. Éléments pour une histoire du délire d’interprétation » [7]. Le travail de F. Leuret constitue pour les auteurs le « point de départ de toute compréhension du délire d’interprétation » ; ils soulignent « l’importance primordiale du travail de F. Leuret sur le délire d’interprétation ».
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[3]
C’est nous qui soulignons.
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[4]
Sérieux et Capgras vont d’ailleurs en donner une longue synthèse (50 pages) en 1911 dans le tome 2 du Traité international de psychologie pathologique dirigé par A. Marie [11].
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[5]
Cette définition sera également reprise plus tard par P. Janet, mais aussi reformulée en ces termes : « l’interprétation pathologique est la substitution au récit ordinaire de l’événement perçu d’un autre récit plus personnel, plus conforme à l’état sentimental du sujet pour en faciliter la réalisation » [21].
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[6]
Dromard considère comme équivalents paranoïa et délire d’interprétation.
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[7]
C’est nous qui soulignons. Pour G. Lantéri-Laura et R. Tevissen, l’interprétation délirante rétrospective est quasi pathognomonique : « très typique de ce délire est le fait suivant, de grande valeur diagnostique : lorsqu’il revient sur son passé, il explique que pendant un certain temps il n’a pas saisi le sens de ce qui lui arrivait, qu’il a ensuite admis que cela avait un sens, qui d’ailleurs lui échappait, mais qu’à un certain moment, souvent datable avec précision, il a compris la signification non seulement de mille événements en apparence fortuits, mais encore de toute son existence » [25].
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[8]
C’est ce qu’il écrivait précisément dans son article sur la « Structure des psychoses paranoïaques » (1931) : « Le délire d’interprétation est un délire du palier, de la rue, du forum. Ces interprétations sont multiples, extensives, répétées. Tous les incidents quotidiens et les événements publics peuvent en venir à s’y rapporter (…). Quelle que soit l’étendue de ces interprétations, elles sont centripètes, étroitement polarisées sur le sujet » [26].
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[9]
C’est nous qui soulignons.
Introduction
1Lorsqu’on évoque le délire d’interprétation, c’est évidemment à l’ouvrage classique de Sérieux et Capgras que l’on pense : Les folies raisonnantes. Le délire d’interprétation[1] (1909). C’est la référence majeure et incontournable sur le sujet. Il n’est pourtant pas inutile de revenir sur certains textes antérieurs des deux mêmes auteurs, comme sur certains textes ultérieurs, afin de voir le cheminement de leur pensée. De même, il convient de citer un certain nombre de travaux d’autres auteurs contemporains de Sérieux et Capgras qui – même si Les folies raisonnantes avait été particulièrement bien reçu [1] – discutèrent certains points et firent débat. J. Lacan s’intéressera très tôt lui aussi au phénomène de l’interprétation délirante dans les psychoses. Dès les années trente en effet l’interprétation fut considérée par Lacan comme un « problème psychologique majeur » [3]. De sa thèse de médecine (1932) jusqu’aux années cinquante principalement, Lacan s’est appliqué à mettre en relief ce symptôme psychotique qu’est l’interprétation délirante dans son rapport au signifiant. Il y eut de nombreux débats autour de la distinction entre interprétation et hallucination. Lacan lui-même dira en 1954 : « l’hallucination se différencie radicalement du phénomène interprétatif » [4]. Sur ce point les choses furent en effet loin d’être évidentes. Comme le disait G. Dromard en 1910 dans une étude remarquée par Lacan pour sa qualité : « il n’est pas douteux qu’une quantité de phénomènes rattachés à la légère au groupe “hallucination” dans nos examens de malades, relèvent en réalité du groupe “interprétation” » [5]. Il nous faudra également revenir, au cours de notre recherche, sur les travaux – entre autres – de H. Ey, car justement pour celui-ci : « le délire à mécanisme d’interprétation n’apparaît comme délire qu’à la condition de rapprocher l’interprétation de l’hallucination » [6].
Les travaux de Sérieux et Capgras sur le délire d’interprétation
Avant 1909
2Pour commencer, et sans évidemment recenser l’ensemble des travaux de Sérieux et Capgras sur le sujet, il nous faut reprendre certains de leurs articles publiés avant l’ouvrage sur Les folies raisonnantes. Bien sûr, cette histoire ne commence pas à strictement parler avec Sérieux et Capgras. Il y a une préhistoire au délire d’interprétation, et les auteurs n’auront de cesse dans leurs références historiques de le rappeler. Il faudrait notamment revenir sur les travaux des aliénistes, et plus spécialement sur ceux de F. Leuret dans la première moitié du xixe siècle [2]. En 1902 Sérieux et Capgras présentaient à la Société des Annales médico-psychologiques un texte ayant pour titre : « Les psychoses à base d’interprétations délirantes » [8]. La visée était de mettre en relief « l’importance, parfois même la prédominance exclusive des interprétations dans un certain nombre de psychoses ». Ils s’intéressent ainsi à certains cas de délires systématisés chroniques (de persécution ou de grandeur) qui ne reposent « que sur des interprétations », donc des cas de psychoses non hallucinatoires. Du point de vue symptomatique, ces délires se caractérisent donc d’une part par la richesse des interprétations, et d’autre part par l’absence ou la rareté des hallucinations. C’est un point essentiel qu’ils défendront constamment par la suite. Cette psychose chronique à base d’interprétations se développe selon les auteurs « uniquement grâce aux interprétations erronées de perceptions réelles ».
3 En 1906, dans L’Encéphale, paraît : « Les symptômes du délire d’interprétation » [9]. Cette fois-ci, comme l’indique le titre, il s’agit bien d’une entité à part entière : « le délire d’interprétation est une psychose systématisée chronique à base d’interprétations délirantes se développant progressivement ». C’est une psychose qui se développe, selon les auteurs, sur des sujets « prédisposés », et qui ne présente pas (ou très rarement) d’hallucinations et n’aboutit pas à la démence. La symptomatologie est donc essentiellement caractérisée par la multiplicité des interprétations (les auteurs entendent par interprétations des « déductions erronées à point de départ exact »), l’absence ou la rareté des hallucinations, et « la persévérance de l’activité intellectuelle et la logique apparente des raisonnements ». Ces éléments associés entre eux aboutissent à un « délire systématisé qui va toujours s’amplifiant ». Concernant les interprétations délirantes, ils constatent que « les raisonnements des sujets atteints de délire d’interprétation s’appuient à peu près exclusivement sur les données exactes que leur fournissent tous les sens. Leur perspicacité spéciale découvre, soit au dehors, soit en dedans d’eux-mêmes, la matière de leurs conceptions ». Les paroles surprises au cours d’une conversation, un mot entendu, un regard, une mimique, tout est sujet à interprétation (« le champ des interprétations délirantes est illimité »). Le hasard n’existe pas pour ces sujets : « tout ce qui leur arrive d’heureux ou de malheureux n’est point l’effet du hasard ; il est aisé d’y découvrir la trace de manœuvres hostiles », donc de sentiments de persécution. Dans tous les cas, l’interprétation est immuable ; le sujet est dans la certitude la plus absolue de son interprétation, qui ne sera donc jamais rectifiée. Aussi « toute discussion est superflue », et le « système délirant inébranlable ».
4Deux ans plus tard, en 1908, ils s’arrêtent plus spécifiquement sur le « Diagnostic du délire d’interprétation » dans la Revue de Psychiatrie[10]. Plus précisément, la question est celle du diagnostic différentiel : qu’est-ce qui différencie le délire d’interprétation du délire de revendication, des psychoses interprétatives symptomatiques, des psychoses systématisées hallucinatoires, etc. ? Les interprétations délirantes, qui « se coordonnent en un système plus ou moins cohérent », peuvent être exogènes ou endogènes. Les interprétations exogènes (l’origine des interprétations est externe : le fait est exact mais est ensuite « dénaturé », « travesti ») portent sur les menus faits ou incidents du quotidien, sur les gestes, les attitudes d’autrui, sur les événements importants de la vie (deuil, ruptures…), sur les mots, etc. Les interprétations endogènes, elles, sont produites par des malaises organiques ou par diverses sensations de corps que le sujet va interpréter. Ce peuvent être également des interprétations de souvenirs. Les auteurs vont donner ici la « formule psychologique » de l’interprétateur : « hypertrophie ou hyperesthésie du moi, avec lacune circonscrite de l’autocritique ». Les interprétations délirantes, lorsqu’elles émergent, vont rapidement s’organiser et désigner le plus souvent un persécuteur. Ensuite le délire « s’étend par rayonnement, englobant un nombre de faits et de personnalités de plus en plus grand », et la maladie, selon les auteurs, « ne guérit jamais, ne se désagrège jamais [...]. Toute psychose interprétative qui guérit ou qui devient démentielle n’est pas un délire d’interprétation essentiel ». Les auteurs passent ensuite au diagnostic différentiel sur lequel nous ne nous attardons pas. Indiquons seulement que « le délire d’interprétation est véritablement un état délirant ; le délire de revendication, uniquement basé sur une idée fixe, est un état passionnel chronique [...]. Le délire de revendication a pour point de départ une idée fixe ; le délire d’interprétation n’arrive à l’idée fixe (quand il y arrive) qu’après une longue phase préparatoire ». Il faut aller voir pour un répartitoire détaillé de ces deux formes de délires le tableau récapitulatif à la page 16 de l’article. Passons enfin à ces mots de leur conclusion, qui nous donnent une idée importante de la conception des auteurs : « l’interprétation délirante n’est pas l’expression d’une modification brusque, mais l’épanouissement des tendances antérieures [3] ». C’est ici l’idée d’une « constitution » paranoïaque (la personnalité du sujet avant le déclenchement proprement dit de sa psychose), sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.
1909 : Les folies raisonnantes. Le délire d’interprétation
5L’année 1909 est l’année de parution du livre devenu classique : Les folies raisonnantes. Le délire d’interprétation[1]. Il reprend l’état de la question, et donc les travaux précédemment cités. L’ouvrage est organisé en neuf chapitres et un appendice : 1/ Symptômes du délire d’interprétation. 2/ Nature et formule des conceptions délirantes. 3/ Évolution. 4/ Variétés. 5/ Genèse et causes. 6/ Diagnostic. 7/ Historique. 8/ Essai nosographique. 9/ Traitement et médecine légale. Appendice : le délire d’interprétation dans quelques œuvres littéraires. La définition de l’interprétation délirante est donnée dès l’introduction, définition qui demeurera sensiblement la même par la suite : « c’est un raisonnement faux ayant pour point de départ une sensation réelle, un fait exact, lequel en vertu d’associations d’idées liées aux tendances, à l’affectivité, prend, à l’aide d’inductions ou de déductions erronées, une signification personnelle pour le malade, invinciblement poussé à tout rapporter à lui ». Les auteurs distinguent d’emblée l’interprétation délirante de l’idée délirante. Nous pourrons retenir que l’interprétation délirante diffère de l’idée délirante dans la mesure où cette dernière est une « conception imaginaire, créée de toutes pièces, ou du moins non déduite d’un fait observé ». Les auteurs rappellent enfin ces éléments essentiels : l’interprétation délirante est incorrigible, elle tend à la diffusion, au rayonnement, s’organise en système, a pour objet le moi (« son caractère égocentrique est marqué »). Quant au délire d’interprétation comme tel, il se définit ici plus précisément comme une psychose systématisée chronique caractérisée par : « 1/ la multiplicité et l’organisation d’interprétations délirantes. 2/ l’absence ou la pénurie d’hallucinations, leur contingence. 3/ la persistance de la lucidité et de l’activité psychique. 4/ l’évolution par extension progressive des interprétations. 5/ l’incurabilité sans démence terminale ». Le délire d’interprétation fait partie pour les auteurs des psychoses dites « constitutionnelles ». Permettons-nous de souligner et de citer ici un peu longuement, car ce paragraphe sur la constitution paranoïaque est l’un des points fondamentaux de la pensée de Sérieux et Capgras. Ainsi, dans leur chapitre consacré aux causes du délire d’interprétation, en se référant à J.-P. Falret, ils notent : « une constitution psychopathique spéciale commande la genèse du délire : nous appellerons constitution paranoïaque ce “fond maladif de la sensibilité et de l’intelligence qui préexiste aux conceptions délirantes et leur donne naissance” [...]. Dans le délire d’interprétation l’importance de cette constitution paranoïaque est capitale, car à l’encontre de ce qui se passe dans les psychoses démentielles il n’y a ni modification radicale, ni dissolution du caractère, mais un développement hypertrophié et unilatéral de certaines tendances préexistantes. Point de rupture entre la personnalité antérieure du sujet et la personnalité de l’interprétateur. Celle-ci n’est que l’épanouissement de la première qui, persistant avec ses tendances, son caractère, ses modes de réaction accoutumés, influence l’élaboration du délire, le choix des conceptions, et l’activité tout entière. Il importe donc de rechercher quels sont les éléments essentiels de cette constitution » (ici par exemple : diminution de l’autocritique, égocentrisme, hypertrophie et hyperesthésie du moi, estime exagérée de soi-même, inadaptabilité au milieu). Indiquons seulement pour finir quelques variétés du délire d’interprétation reconnues par les auteurs : variété précoce, tardive, forme atténuée ou fruste, variété persécutrice, variété des résignés (J.-J. Rousseau), délire de supposition, etc. L’ouvrage est fort long à résumer [4], et surtout il reprend – certes avec plus de précisions et de détails – les travaux précédents, donc pour éviter d’être fastidieux nous laisserons le lecteur aller directement le consulter. L’ouvrage fut qualifié de « magistral » par P. Bercherie [12], et la description de cette forme de paranoïa qu’est le délire d’interprétation est, pour J.-C. Maleval, « restée inégalée » [13]. Pour Sérieux et Capgras, les recherches sur le délire d’interprétation – sa définition, ses contours, sa clinique, sa place dans la nosographie, son diagnostic différentiel, etc. – ne trouvent pas un point final avec cet ouvrage, car même s’il fut bien accueilli, certains auteurs émirent quelques réserves qui incitèrent à chaque fois Sérieux et Capgras à se remettre à l’ouvrage.
Réponses aux critiques
6Dès 1910 par exemple, ils vont devoir donner réponse à A. Binet et J. Simon, lesquels à la sortie des Folies raisonnantes publièrent un très long et intéressant article sur « La folie systématisée » [14]. Cet article égratigne en effet – courtoisement mais sans détours – l’ouvrage de Sérieux et Capgras. Binet et Simon y écrivent ceci : « tout récemment deux auteurs, Sérieux et Capgras, ont publié une monographie très documentée, très intéressante, très consciencieuse sur le délire d’interprétation [...]. Malgré un exposé très clair, la tendance nosographique de leur monographie reste indécise, sans doute parce que n’ayant jamais donné un système personnel complet de l’aliénation, ils ne permettent pas de deviner à quelle place ils rangent leur délire d’interprétation ». Le désaccord porte essentiellement sur une question clinique, celle des hallucinations. Le fait qu’il n’y ait pas d’hallucinations dans le délire d’interprétation, pour Binet et Simon, n’est pas un élément particulièrement important à considérer, et même, disent-ils, « nous ne voyons pas là matière à une monographie ». Ils soulignent que l’intention de Sérieux et Capgras était sans doute de soutenir la thèse qui voudrait que « la systématisation exclut les hallucinations », ou que « dans un délire hallucinatoire l’intelligence ne serait pas conservée au même degré que dans un délire sans hallucination ». Pour Binet et Simon : « en fait la clinique ne leur donne pas raison », et ils reconnaissent à Sérieux et Capgras l’honnêteté de dire que les hallucinations ne font pas toujours défaut (« loin de là ») dans le délire d’interprétation. Par ailleurs, ils s’opposent notablement à Sérieux et Capgras au sujet de la séparation entre hallucination et interprétation : « il nous semble qu’on peut se demander s’il existe entre l’hallucination et l’interprétation délirante cette distance que les auteurs supposent ; nous admettrons plus volontiers que ces deux troubles ne sont séparés que par une nuance, et que l’idée, l’attente, la conviction délirante, doivent être les conditions les plus importantes de l’hallucination auditive du persécuté ». L’approche de Binet et Simon se veut nuancée, et tente de mettre en relief la complexité des pathologies, les formes mixtes, les mécanismes divers et non uniques. En un mot par exemple : « nous connaissons des cas où l’on observe dans la démence précoce un délire d’interprétation, sans accompagnement de troubles hallucinatoires ; et cependant on ne peut pas se résigner à classer ces cas dans la folie systématisée, parce que l’interprétation manque de cohésion, de logique, de progression, et que le niveau intellectuel est abaissé ». C’est dans le fond l’idée que l’interprétation délirante peut intéresser toute forme de psychose – ce que ne nient pas Sérieux et Capgras –, mais que le « délire d’interprétation » en tant qu’entité semble laisser plus que dubitatifs Binet et Simon. Ceci est en quelque sorte résumé par ces mots : « tout notre travail, écrivent Binet et Simon, tend à montrer que ce qui caractérise une maladie mentale, c’est l’état mental pris en bloc, et non le détail de telle ou telle fonction troublée. À notre avis, il faut chercher les caractères fondamentaux de la folie systématisée non dans les symptômes accessoires, mais dans la constitution et l’orientation de toute l’intelligence ».
7Alors de quelle manière Sérieux et Capgras répondent-ils à ces critiques ? Dès l’année suivante, dans la revue de Binet et Simon (L’année psychologique), ils publient un mémoire intitulé « Le délire d’interprétation et la folie systématisée » [15]. Ils y réaffirment leur thèse : « les interprétateurs ne sont pas des hallucinés », et « le délire d’interprétation n’entraîne aucun affaiblissement de l’intelligence ». Les sujets concernés se caractérisent par le fait qu’ils « arrivent à se forger un roman délirant grâce à la multiplicité de leurs erreurs de jugement, à la signification personnelle qu’ils donnent aux sensations ou aux événements les plus fortuits. C’est seulement à l’aide d’interprétations fausses que se fixe et se développe ce roman souvent très simple, parfois fort compliqué » (autrement dit, précisent-ils plus loin : « l’interprétateur n’invente pas de toutes pièces son délire ; il le tire de la réalité »). Ce passage, remarquons-le, est fort proche de ce qu’écrivait J. Séglas vingt ans plus tôt dans sa leçon sur le délire des persécutions : « les idées de persécution, loin d’être monotones, de tourner dans un cercle restreint, ont plutôt tendance à s’étendre, chaque jour apportant des idées nouvelles à la construction du roman pathologique [...] ; le persécuté trouve sans cesse de nouveaux arguments à l’appui de ses convictions erronées, édifiant ainsi, progressivement, un véritable système d’explications qui partent d’un point de départ faux, il est vrai, mais s’enchaînent par la suite avec une certaine logique » [16]. Sérieux et Capgras tiennent aussi à préciser que hormis le délire, l’interprétateur « ne présente aucun trouble morbide apparent ». Attention, mémoire, associations d’idées, volonté, humeur « ne relèvent pas d’anomalie appréciable ». Pas d’hallucinations, ni de dépression, ni de confusion ou d’impulsions. L’un des traits les plus significatifs pour le diagnostic réside donc dans la multiplicité des interprétations à partir de mots, de lectures, de regards, de petits faits, de petits riens de la réalité quotidienne : le sujet « devine des allusions cachées, il comprend les insinuations, les mots à double sens [...], il codifie le hasard. Tout ce qu’il perçoit, tout ce qu’il éprouve prend une signification indiscutablement personnelle ». Ils répondent ensuite directement à Binet et Simon : « Binet et Simon nous font supposer que les troubles hallucinatoires sont exclusifs de toute systématisation. Telle n’a pas été notre pensée. Une conclusion aussi formelle et toute théorique serait contredite par les faits. Nous disons simplement que le rôle, et vraisemblablement la genèse des troubles sensoriels [entendons ici « hallucinations »] présentent des différences capitales suivant que l’on considère le délire d’interprétation ou les psychoses hallucinatoires systématisées (délire chronique de Magnan) ». C’est vraiment ce point qui crée le litige et le débat. Pour Sérieux et Capgras « les hallucinations du délire d’interprétation ne sont qu’un phénomène accessoire. Quand elles existent – car nous savons qu’elles font habituellement défaut – elles restent à l’arrière-plan ; elles se réduisent généralement à un mot, une injure, un appel, une vision. Elles peuvent ne survenir qu’une ou deux fois dans tout le cours de la vie ». Dans le délire chronique systématisé type Magnan, par contre, les hallucinations « loin d’être contingentes, transitoires, secondaires et rectifiables, sont au contraire nécessaires, permanentes et progressives, fondamentales, inébranlables ». En un mot : « le délire d’interprétation n’est pas le délire chronique ». Passons sur divers autres points de dissension entre ces deux couples d’auteurs. Sérieux et Capgras relèvent finalement quant à eux que « dans la folie systématisée de Binet et Simon, nous retrouvons la plupart des traits décrits par nous comme caractéristiques du délire d’interprétation ». Mais au sujet de la folie systématisée selon Binet et Simon, sur le plan de la nosologie, Sérieux et Capgras lancent aussi de leur côté en forme de pique : « ne cachons pas notre surprise de voir la folie systématisée de Binet et Simon demeurer un peu nébuleuse. Quelles en sont les limites ? [...]. Nous n’avons rien trouvé au chapitre Diagnostic différentiel, et aux Réflexions nosographiques la question est à peine abordée. L’incertitude où on nous laisse sur ces points d’importance capitale est fort regrettable. Mais peut-être la regretterons-nous moins si nous remarquons que la folie systématisée de Binet et Simon est – à tout bien considérer – superposable au délire d’interprétation ». D’ailleurs, dans la réponse de Binet et Simon [17] à la réponse de Sérieux et Capgras, si quelques « petits désaccords » semblent persister, les auteurs peuvent conclure : « il faut supposer qu’ils [Sérieux et Capgras] ne font pas du délire d’interprétation la seule affection mentale à délire systématisé qui échappe à la démence ; par conséquent il y a lieu dès à présent, et suivant leur avis, d’admettre que la folie systématisée est une entité qui correspond à un vaste groupe dont leur délire d’interprétation n’est qu’un des chapitres ; cela paraît être en définitive leur avis et, jusqu’à preuve du contraire, c’est aussi le nôtre ».
8Pour finir enfin ce chapitre consacré aux travaux de Sérieux et Capgras, il nous semble intéressant de signaler que dans la suite de cette histoire du délire d’interprétation, J. Capgras (avec H. Beaudouin et B. Briau), bien des années plus tard (1934), va publier un article sur « L’explication délirante » [18], pour distinguer précisément cette dernière de l’interprétation délirante. On a parlé des interprétations multiples qui s’enchaînent et qui tendent à la systématisation. J. Capgras a voulu repréciser les choses, faire une mise au point, car le terme d’« interprétation », selon lui, fut par la suite utilisé trop fréquemment de manière incorrecte ou peu rigoureuse, source de diverses confusions. Nous en retiendrons ici que 1/ L’interprétation délirante est un « phénomène pathologique primitif », alors que l’explication délirante est un « processus qui en diffère essentiellement par son caractère secondaire ». L’explication délirante, ainsi, est considérée comme un « trouble surajouté, rationalisé ». 2/ L’interprétation délirante est un « jugement précis de signification personnelle porté sur un fait réel » ; sans l’explication délirante « une psychose interprétative se réduirait à une juxtaposition de jugements erronés sommaires » ; l’explication délirante crée donc entre les interprétations délirantes – ou entre les hallucinations lorsqu’elles existent – un « lien nécessaire à une systématisation ». Ainsi Capgras distingue-t-il entre les phénomènes interprétatifs et le processus d’explication délirante, lequel produit à proprement parler le « roman délirant », à savoir le délire comme tel. En conclusion de ces travaux de Sérieux et Capgras, il convient de leur rendre hommage pour avoir mis en valeur la dimension interprétative dans la psychose, et spécialement dans la paranoïa. Comme l’écrit J.-P. Deffieux : « entre 1902 et 1909, Sérieux et Capgras vont mettre en avant la notion d’interprétation dans la paranoïa. Ils développent cette notion jusqu’à en faire une entité : le délire d’interprétation [...]. Un point est particulièrement remarquable : ce n’est pas la dimension persécutive qui est mise en avant dans la paranoïa, mais la dimension interprétative. Selon eux, le délire de persécution n’est d’ailleurs qu’une forme clinique de la paranoïa [...]. Pour Sérieux et Capgras, ce qui signe la paranoïa, c’est le délire d’interprétation » [19].
Autres références classiques sur le délire d’interprétation
9G. Deny et P. Camus, en 1906 [20], affirment leur pleine adhésion aux conceptions de Sérieux et Capgras : « grâce à ces différents caractères le délire d’interprétation mérite une place distincte dans le groupe très vaste, mais encore mal délimité, des psychoses systématisées chroniques ». Ils mettent en avant notamment le « tableau si fidèle et si complet que MM. Sérieux et Capgras ont tracé du délire d’interprétation ». Les contributions sans doute les plus intéressantes à cette époque restent celles de G. Dromard. Dans son article « L’interprétation délirante. Essai de psychologie » [5] il rappelle d’abord que « l’interprétation délirante est, dans l’architecture de maintes affections mentales, une manière de clef de voûte. Appartenant aux psychoses les plus diverses, elle concourt en de certaines proportions à l’organisation de tout délire systématisé, mais elle occupe aussi une place appréciable dans nombre d’états morbides aux lignes plus vagues et aux formes moins arrêtées ». Il est vrai, disons-le ici, que l’interprétation délirante est très certainement le dénominateur commun à de nombreuses psychoses. En ce sens, D.F. Allen et C. Mariotti ont pu écrire récemment que « le travail de Sérieux et Capgras sur la “folie raisonnante” pourrait constituer la base même d’une interrogation sur les psychoses – qu’elles soient discrètes [...] ou délirantes [...]. Le délire d’interprétation participe, il nous semble, à l’essence même de la logique psychotique et constitue donc un concept clé qui mérite d’être questionné à nouveau » [7]. Dromard veut définir « psychologiquement » l’interprétation délirante : elle est selon lui « une inférence d’un percept exact à un concept erroné, par l’intermédiaire d’une association affective », définition qui convient à Sérieux et Capgras [5]. La conception qu’il se fait de l’interprétation délirante au regard de l’idée délirante va l’amener à une comparaison qui fut reprise par de nombreux auteurs par la suite, à savoir : « l’interprétation délirante est à l’idée délirante ce que l’illusion est à l’hallucination ». L’une des idées importantes dégagées par Dromard dans cet article de 1910 consiste à dire que lorsque nous parlons d’interprétation délirante nous ne voyons en somme qu’une « finale », c’est-à-dire que généralement « nous ne tenons pas compte de tout un travail longuement préparé dans sa subconscience, à l’insu de l’intelligence lucide [...]. L’interprétation délirante n’est après tout qu’un aboutissement ». Si Dromard dans cet article se penche tout spécialement sur « l’interprétation » délirante (Lacan, à l’époque de sa thèse de médecine parlera de « la théorie psychologique très parfaite qu’en a donnée Dromard » [3]), l’année suivante il consacrera un article au « délire d’interprétation » comme tel [22]. Le délire y est défini comme une « néo-formation psychique » produite grâce à la coordination et au développement des interprétations délirantes. L’interprétation délirante est ici la « cellule élémentaire » du délire ; le délire, lui, est l’architecture constituée, organisée avec et grâce à ces éléments. Mais pour Dromard – qui est donc lui aussi « constitutionnaliste » – il ne faut pas en conclure pour autant que l’interprétation délirante soit à considérer comme le « phénomène primordial » du délire, car il existe déjà chez le sujet « à l’origine et sous une forme latente, un état d’activité plus ou moins obscure, une phase silencieuse de rumination et d’incubation. Le sujet souffre secrètement d’une opposition mal définie entre lui et le monde extérieur [...] ; des tendances insidieuses lui font prévoir déjà quelque hostilité de la part de son entourage. Il éprouve des pressentiments, des craintes, des soupçons, mais tout cela sous une forme vague, avec un cortège de doutes et d’hésitations [...]. Jusqu’ici les anomalies, très souvent, restent inaperçues ». Suivent quelques exemples de ces « anomalies » de la personnalité précédant l’éclosion des interprétations délirantes : sensibilité hypertrophiée, susceptibilité ombrageuse, amour-propre démesuré, méfiance outrée… Dromard continue en disant que l’interprétation délirante commence lorsque, par exemple, « les actes, les paroles, le silence même de son entourage deviennent pour le sujet autant de signes qui fortifient ses suppositions d’une manière constante. Il découvre des machinations, il entrevoit certaines allusions ou insinuations, et tout cela sous forme de pénétration intuitive beaucoup plus que sous forme de connaissance positive et analytique ». L’idée délirante qui s’impose provoque un « soulagement » pour le sujet, et G. Dromard a cette belle formule : « l’idée délirante, c’est le port auquel on aborde après un voyage sans boussole sur une mer houleuse, c’est la terre ferme à laquelle on se cramponne. L’idée délirante c’est en quelque façon le repos ». L’idée délirante apporterait donc une réponse, un soulagement, le repos au sujet qui éprouvait un malaise et un mal-être diffus, et qui désormais comprend, sait avec certitude de quelle manière il peut et il doit s’orienter dans le monde. La certitude ici est requise dans la mesure où le doute est « une position instable » qui risque « d’affaiblir la conviction établie, et de la détruire même ». Aussi, afin d’affermir sa certitude, le délirant va devoir quotidiennement « augmenter son butin ». La thèse de Dromard dans la première partie de l’article de 1911 peut se résumer de la manière suivante : « la paranoïa [6] n’est pas à vrai dire un épisode morbide ; elle est l’épanouissement naturel et en quelque sorte fatal d’une constitution [...]. En remontant en arrière on s’aperçoit que le sujet témoignait déjà quelques bizarreries de caractère, de telle sorte que le délire actuel se présente plutôt comme une exagération des tendances naturelles que comme un élément étranger brusquement implanté dans la vie mentale. L’idée délirante apparaît un beau jour, favorisée par les circonstances, mais la mentalité était préparée pour la recevoir » [22].
10Un mot seulement sur le grand article de P. Guiraud : « Les formes verbales de l’interprétation délirante » [23]. Le grand mérite de Guiraud, ici, est de mettre en relief un point essentiel, à savoir la dimension « verbale » au cœur d’un grand nombre d’interprétations délirantes. Il va surtout s’intéresser ici à « des formes d’interprétation dont l’absurdité est évidente d’emblée ». Les cas dont il s’agit présentent en effet « des interprétations par association verbale dans lesquelles de la simple analogie du son des mots le malade passe à l’identité des choses qu’ils représentent ». Guiraud, grâce à sa finesse clinique, va pouvoir distinguer les quatre variétés suivantes : les allusions verbales ; les relations kabbalistiques ; les homonymies ; le raisonnement par jeu de mots. Il faut lire le texte, car chaque exemple donné pour chaque variété clinique est particulièrement convaincant.
11Citons enfin G. Dumas qui publie son imposant Traité de psychologie en 1923. Il se charge notamment du long chapitre consacré à la pathologie mentale, dans lequel il consacre près de vingt pages à la « psychose d’interprétation ». Elles donnent un bon résumé sur la question. Dumas considère que la paranoïa « a été étudiée par Sérieux et Capgras dans un ouvrage très remarquable, sous le nom de délire d’interprétation » [24]. Relevons simplement cette formulation qui peut être assez « parlante » au sujet des interprétations rétrospectives : « la systématisation qui organise le présent et même l’avenir remonte vers le passé qu’elle déforme et fait entrer dans le délire. Les malades comprennent alors bien des faits qu’ils n’avaient pas compris ; leur délire rétrospectif devient la préface de leur délire actuel » [7].
Interprétations de l’interprétation délirante
12Lacan donne, dans sa thèse, « les caractères propres à l’interprétation délirante », et met l’accent sur un point essentiel qu’il reprendra à de nombreuses reprises au cours de son enseignement, et spécialement dans son séminaire sur les psychoses dans les années cinquante. Dans sa thèse, donc, l’interprétation délirante présente en premier lieu « un caractère d’électivité très spéciale. Elle se produit à propos d’une conjoncture tout à fait particulière. Elle se présente en outre comme une expérience saisissante, comme une illumination spécifique, caractère que les anciens auteurs [...] avaient en vue, quand ils désignaient ce symptôme du terme excellent de phénomène de “signification personnelle” ». C’est un point – c’est le point – majeur lorsqu’on évoque l’interprétation délirante, et donc le délire d’interprétation. Sur ce dernier, Lacan ajoute un peu plus loin ces mots souvent repris depuis : « le délire d’interprétation est un délire du palier, de la rue, du forum » [8]. Ce point, Lacan n’est certes pas le premier à le mettre en valeur. Les classiques l’avaient bien repéré, et Freud lui-même, dès 1901 dans sa Psychopathologie de la vie quotidienne, notait que « les paranoïaques présentent dans leur attitude ce trait frappant et généralement connu, qu’ils attachent la plus grande importance aux détails les plus insignifiants [...] qu’ils observent dans la conduite des autres : ils interprètent ces détails et en tirent des conclusions d’une vaste portée [...]. Le paranoïaque refuse aux manifestations d’autrui tout élément accidentel. Tout ce qu’il observe sur les autres est significatif, donc susceptible d’interprétation » [27]. Lacan, dans sa thèse, avait relevé la « clarté significative » du délire d’interprétation paranoïaque, et il avançait ce point nouveau et essentiel : « le délire est par lui-même une activité interprétative de l’inconscient [9]. C’est là un sens tout nouveau qui s’offre au terme de “délire d’interprétation” » [3].
13En 1935 P. Schiff, qui mentionne Lacan à plusieurs reprises dans son rapport sur « Les paranoïas et la psychanalyse » [28], voit dans le point de départ du délire d’interprétation une « donnée élémentaire de conscience issue d’un travail inconscient ». Il considère que le vrai progrès, la vraie nouveauté en matière de paranoïa comme dans les autres chapitres de la psychiatrie, « consiste à faire intervenir de façon fondamentale [...] les processus inconscients ». Il y a donc pour lui, à la base du délire d’interprétation, « un lent travail inconscient, une cristallisation affective ». Dans son étude, il insiste sur ce point que « le sens de l’idée d’interprétation c’est l’idée de persécution. Ces malades n’interprètent pas à vide [...], l’interprétation n’a de valeur que pour appuyer le sentiment de persécution ». La même année P. Janet [21] va mettre l’accent, lui, sur cette question souvent débattue : interprétation versus hallucination. On sait que cette question a nourri de nombreux débats et que les points de vue étaient partagés, sinon tout à fait opposés : les délires basés sur des interprétations doivent-ils être radicalement séparés des délires basés sur des hallucinations ? Janet donne son point de vue : il rappelle que pour certains le délire construit sur des interprétations « était très différent du délire construit sur des hallucinations, car on considérait celles-ci comme des phénomènes fort différents des interprétations. Cette doctrine est aujourd’hui un peu démodée, car les études sur l’hallucination du paranoïaque ont montré que cette différence avait été très exagérée ». Pour Janet, l’interprétation est « le point de départ de l’hallucination et d’une grande partie du délire » (nous aurons l’occasion tout à l’heure de revenir sur cette question avec H. Ey). En 1946, Lacan suggère de ne pas se focaliser, de ne pas s’arrêter aux questions de sensorialité éprouvée par le sujet, ou à la croyance attachée à cette dite sensorialité (voir le cas de l’hallucination par exemple), même si ce sont des aspects importants à prendre en considération. Lacan met la focale bien davantage sur un autre aspect. En effet, les phénomènes psychotiques, « quels qu’ils soient, hallucinations, interprétations, intuitions [...], ces phénomènes le [le sujet] visent personnellement [...]. Il les identifie, les interroge, les provoque et les déchiffre [...]. La folie est vécue toute dans le registre du sens » [29]. Si le sujet les « déchiffre », s’il y met du sens, on doit en conclure que « le phénomène de la folie n’est pas séparable du problème de la signification pour l’être en général, c’est-à-dire du langage pour l’homme » [29]. Ces phénomènes – hallucinations et interprétations essentiellement – vont être de nouveau questionnés dans le texte « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la Verneinung de Freud » [4] (1954). Le point de vue de Lacan ici est que « l’hallucination se différencie radicalement du phénomène interprétatif ». En effet dans le premier cas le sujet est passif, disons qu’il est l’« objet » de l’hallucination qui s’impose à lui, elle revient de « l’extérieur », hors du sujet, alors que dans le second cas, celui de l’interprétation, le sujet est « aux commandes », il est actif. C’est un point qui sera souligné ultérieurement par J.-A. Miller, qui toutefois précise que malgré ces différences évidentes du point de vue phénoménologique, ces phénomènes relèvent de la structure de langage, et que dans le fond « la différence importe peu puisqu’elles relèvent de la même structure [...]. Il y a lieu de distinguer deux niveaux. D’un côté hallucination et interprétation s’opposent, de l’autre elles ont même structure » [30]. Au cours de l’année 1955-56, dans son séminaire III sur Les psychoses[31], Lacan avance que « le phénomène élémentaire, irréductible, est au niveau de l’interprétation », que le phénomène de l’interprétation dans la psychose « s’articule au rapport du moi et de l’autre » (rapport duel), et qu’il y a, fondamentalement, dans les phénomènes élémentaires, une question de l’ordre du : « qui parle ? ». Cette question « doit dominer toute la question de la paranoïa », précise Lacan. Sur le délire de persécution, Lacan souligne qu’il « se manifeste par des intuitions interprétatives dans le réel », une forme donc de retour dans le réel de ce qui a été forclos dans le symbolique (la certitude qui accompagne l’interprétation délirante est bien l’un des signes de ce retour dans le réel). La surinterprétation dans la paranoïa, là où tout fait signe, là où le hasard, le fortuit n’existent pas, là où le sujet se sent constamment visé, concerné, au centre de toute chose, fait dire à Lacan, au sujet de Schreber, que « les choses vont si loin que le monde entier est pris dans ce délire de signification ». Dans le fond d’ailleurs, le délire d’interprétation de Sérieux et Capgras pourrait tout aussi bien porter le nom de « délire de signification ». C. Soler, en ce sens, proposait de définir le délire – tâche bien ardue [32] – comme « un procès de significantisation » [33], de significantisation de la jouissance en excès. Avec l’avènement de la psychanalyse, avec Freud, puis avec Lacan notamment, le psychotique est donc « doté » d’un inconscient. L’inconscient y est à l’œuvre, les manifestations psychotiques ne sont donc plus nécessairement ramenées à un quelconque déficit, à un dysfonctionnement, ou à une quelconque « constitution » ou prédisposition. Lacan dit ceci explicitement dans ce séminaire : « notre point de départ est le suivant : l’inconscient est là, présent dans la psychose [...]. L’inconscient est là, mais ça ne fonctionne pas », le délire « relève de l’inconscient », et « l’analyse du délire nous livre le rapport fondamental du sujet au registre dans lequel s’organisent et se déploient toutes les manifestations de l’inconscient » [31]. Cet inconscient qui ne « fonctionne » pas dans la psychose, avec ses conséquences multiples, fait écho à ce que Lacan dira un peu plus tard dans le séminaire V sur Les formations de l’inconscient[34] : chez le sujet psychotique « la parole de l’autre ne passe nullement dans son inconscient, mais l’autre en tant que lieu de la parole lui parle sans cesse. Cela ne veut pas dire forcément vous ou moi, mais à peu près la somme de ce qui lui est offert comme champ de perception [...]. La couleur rouge d’une auto peut vouloir dire pour le sujet délirant qu’il est immortel. Tout lui parle parce que rien de l’organisation symbolique destinée à renvoyer l’autre là où il doit être, c’est-à-dire dans son inconscient, n’est réalisé de cet ordre [...]. C’est pourquoi tout se sonorise et que le ça parle qui est dans l’inconscient pour le sujet névrotique, est au-dehors pour le sujet psychotique ». On retrouve bien ici ce que nous avons pu voir concernant l’interprétation délirante comme réponse possible au hors-sens dû à la forclusion, au « rejet de l’inconscient », comme effet du retour dans le réel de ce qui n’a pas été symbolisé.
14Enfin, en 1973, H. Ey revient longuement sur la question de l’interprétation délirante. Mais ce qui l’intéresse davantage est plus spécifiquement cette opposition classique – qui a fait couler beaucoup d’encre – entre interprétation et hallucination, opposition sur laquelle on peut dire qu’il n’y a pas de réel consensus. Dans son Traité des Hallucinations[6] il consacre ainsi plusieurs pages à cette question. Il critique – comme il l’a toujours fait – les théories françaises des « mécanismes générateurs du délire » (délires basés sur les hallucinations, sur les interprétations, sur l’imagination ou sur l’intuition) : il n’y a pas de mécanismes uniques générateurs d’un délire. Et pour ce qui concerne l’interprétation délirante au regard de l’hallucination, il écrit : « la spontanéité et l’immédiateté de la formation interprétative et symbolique sont bien un analogon de l’hallucination. Elle est, si l’on veut, une hallucination démultipliée qui [...] s’offre comme un entrelacement de sens qui n’est pas moins évident dans son irruption que la donnée irrécusable des sens qu’il invoque. La coalescence de l’interprétation symbolique et de l’hallucination est d’autant plus grande que le travail du délire s’exerce sur le plan proprement verbal [...]. Le délire à mécanisme d’interprétation n’apparaît comme délire qu’à la condition de rapprocher l’interprétation de l’hallucination, c’est-à-dire de contraindre le clinicien à les considérer l’une comme l’autre comme les effets du délire et non pas comme des mécanismes générateurs du délire ». Un peu plus loin il définit l’interprétation délirante comme un élément, comme un « instrument » ou un « chaînon intermédiaire » permettant la systématisation du délire. Rappelant que pour Sérieux et Capgras il n’y avait pas d’hallucinations dans les délires d’interprétation, H. Ey constate quant à lui que « même si l’hallucination n’est pas présente [...] elle est à l’arrière-plan, à l’horizon de l’existence [...]. Disons que si l’hallucination ne se présente pas dans le tableau clinique, l’interprétation des choses, des mots et des gens est comme une hallucination à la deuxième puissance [...] ; le délire interprétatif est hallucinatoire au deuxième degré (celui d’un possible, d’un caché, d’un symbole ou d’un faux souvenir) ».
Interprétation et psychose : perspectives lacaniennes
15Il va de soi que tout le monde, que tout sujet interprète. Car tout sujet en tant que vivant dans un bain de langage, est « doté » d’un inconscient, « à ciel ouvert » – cas de la psychose – ou non. Mais l’interprétation ne suit pas le même circuit lorsqu’elle est corrélée au refoulement, ou lorsqu’elle est corrélée à la forclusion. Dans la psychose, pour rappeler les mots de Lacan en 1932 cités plus haut : « le délire est par lui-même une activité interprétative de l’inconscient ». E. Laurent disait en ce sens qu’« interpréter la psychose, c’est reconnaître l’inconscient “à ciel ouvert” comme un dispositif interprétatif, comme un travail permanent où l’inconscient se retraduit sans cesse » [35]. Si, comme nous l’avons dit, la certitude qui accompagne l’interprétation délirante est bien un indice, un signe de la forclusion, il convient d’ajouter également que du fait de la forclusion, du fait de l’absence du « point de capiton », le sens fuit. Cette fuite du sens désigne bien le caractère sans fin, illimité des interprétations délirantes. Lorsque le paranoïaque élabore son délire, dit Lacan, « à mesure que son monde se reconstruit sur le plan imaginaire, le sens se recule à d’autres places » [31]. Le sens fuit mais vient nourrir le délire : la « migration du sens », sa « dérobade », se fait « dans un plan que le sujet est amené à situer comme un arrière-plan » [31]. Et cette migration du sens se fait jusqu’à ce qu’un équilibre soit trouvé entre signifiant et signifié (stabilisation opérée grâce à ce que Lacan a appelé « métaphore délirante », en lieu et place de la métaphore paternelle). Pour saisir ce qui se passe dans les cas de psychoses, la théorie structurale du langage selon Lacan peut nous servir de boussole. Un signifiant tout seul, par exemple, reste énigmatique, puisque – hors cas de psychoses – les signifiants font chaîne, font discours, en s’articulant les uns aux autres. Dans la psychose, il arrive que certains signifiants restent isolés, hors chaîne, surgissent dans le réel, hors symbolisation, avec leur caractère énigmatique et angoissant. Un signifiant tout seul, dit J.-A. Miller, « est en manque d’interprétation. Cette interprétation nécessite l’implication d’un autre signifiant, d’où émerge un sens nouveau » [43]. Pas de signification possible, donc, sans un autre signifiant. Pas de sens sans point de capiton. Les phénomènes élémentaires, s’ils restent isolés, s’ils ne sont pas articulés à d’autres signifiants, restent hors sens. Ainsi, l’impossibilité de boucler la signification semble être au principe de l’interprétation délirante et de sa pulvérulence. Le délire construit, échafaudé, est la solution signifiante pour donner sens aux phénomènes élémentaires, et donc aux multiples interprétations délirantes. Cela participe au « mieux vivre » du sujet, à ce qu’il puisse vivre de façon un peu plus pacifiée, et l’on citera ici le beau titre de P. Aulagnier qui pourrait désigner justement ce sujet psychotique comme « Un interprète en quête de sens » [37]). C’est bien ce que disait Lacan en 1954 : les phénomènes élémentaires sont « seulement pré-signifiants », et « ils n’atteignent [...] cet univers toujours partiel qu’on appelle un délire » qu’après « une organisation discursive longue et pénible à établir » [4]. Le phénomène élémentaire psychotique, selon Miller, « met en évidence d’une manière particulièrement pure la présence du signifiant tout seul, en souffrance – en attente de l’autre signifiant qui lui donnerait un sens – et, dans la règle, il apparaît le signifiant binaire du savoir qui ne cache pas en l’occurrence sa nature de délire. On dit très bien : le délire d’interprétation » [36]. Sans point de capiton – qui par définition fait halte – pas de sens établi, pas de sens stable, pas de sens qui tienne. Sans le délire, le sens fuit, les interprétations peuvent se succéder indéfiniment sans parvenir à se coaguler, à s’organiser pour faire un ensemble plus ou moins cohérent.
Conclusion : du déchiffrage et de la production de savoir
16Dans le délire d’interprétation, si tout fait signe, si tout est à déchiffrer, c’est bien parce qu’il y a pour le sujet une vérité qui le concerne, une vérité chiffrée, cachée derrière les choses, les mots, les événements. Le monde apparaît au sujet comme un livre énigmatique à lire, un livre crypté, qui doit être déchiffré pour prendre sens. Il est donc ici question à la fois de lecture, d’écriture (le monde est écriture à lire et à déchiffrer) et de production de savoir. J. Allouch disait que « lorsqu’on qualifie de “délirante” une interprétation ou une intuition, on veut dire par là qu’est en jeu, pour le sujet, une littéralité [...]. L’interprétation délirante est une lecture qui prend appui sur l’homophonie ; c’est qu’elle doit être d’autant plus nettement littérale [...] qu’il s’agit d’y fonder la certitude qu’il n’y a pas autre chose dans ce qui surgit comme signifiant au lieu de l’autre, que ce qui est lu. Cette littéralité révèle ainsi qu’il n’est de persécution que du signifiant [...] », elle révèle « ce qu’a de persécutif la présence du signifiant dans l’autre » [38]. Sur ce point d’ailleurs on pourra lire avec intérêt un article de P. Chaslin daté de 1890. En fin clinicien, celui-ci notait en effet au sujet du délire de persécution (type Lasègue-Falret), que pour le sujet « peu lui importe la personne qu’il croit avoir prononcé un mot injurieux : c’est ce mot seul qu’il retient, c’est sur lui seul qu’il concentre son attention, c’est lui seul qui représente la persécution dans son esprit. C’est par lui seul qu’il comprend et interprète les gestes ou les actes qu’il voit se produire devant lui » [39]. Le mot, donc – mais pas seulement le mot – le signifiant, persécute. Chaslin avait particulièrement bien repéré la dimension persécutrice du signifiant, et il n’est pas loin de la formulation de J. Allouch citée plus haut comme quoi « il n’est de persécution que du signifiant ». J. Allouch note par ailleurs que l’interprétation délirante « n’invente un savoir que réactivement à une interpellation originée dans l’autre » [40]. L’interprétation délirante en effet – et davantage encore le « délire d’interprétation » – est une élaboration de savoir. Là où résidait l’énigme, l’interprétation vient donner sens à la série des signes. Les signes, qui viennent de l’autre, font série via le sens qui les organise afin d’élaborer un savoir sur le monde. Cette question du savoir dans la psychose est importante car elle est en un sens directement connectée à la question des phénomènes élémentaires. En effet comme le dit M. Silvestre « la confrontation du psychotique au phénomène élémentaire est l’affrontement à un réel sans médiation, et en particulier sans la médiation d’un savoir. Et c’est justement parce que le psychotique s’efforce de s’y retrouver dans ces phénomènes – de les apprivoiser -, soit lorsqu’il s’efforce de leur donner une signification, qu’il cherche un savoir pour opérer cette médiation » [41]. En cela nous pouvons penser le délire d’interprétation comme une lecture particulière du monde, comme le déchiffrage de ce qui est venu faire signe au sujet sous forme d’intentions plus ou moins hostiles, comme une élaboration de savoir dont la fonction consisterait dans le domptage puis dans l’éclairage du réel énigmatique qui s’est imposé au sujet.
Liens d’intérêts
17l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Bibliographie
Références
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Notes
-
[1]
T. Haustgen souligne que « dès le début du xxe siècle, la nouvelle entité [délire d’interprétation] figure dans tous les traités de psychiatrie » [2].
-
[2]
Voir à ce sujet l’article de D.F. Allen et C. Mariotti : « Les “incohérents” et les “arrangeurs” de François Leuret. Éléments pour une histoire du délire d’interprétation » [7]. Le travail de F. Leuret constitue pour les auteurs le « point de départ de toute compréhension du délire d’interprétation » ; ils soulignent « l’importance primordiale du travail de F. Leuret sur le délire d’interprétation ».
-
[3]
C’est nous qui soulignons.
-
[4]
Sérieux et Capgras vont d’ailleurs en donner une longue synthèse (50 pages) en 1911 dans le tome 2 du Traité international de psychologie pathologique dirigé par A. Marie [11].
-
[5]
Cette définition sera également reprise plus tard par P. Janet, mais aussi reformulée en ces termes : « l’interprétation pathologique est la substitution au récit ordinaire de l’événement perçu d’un autre récit plus personnel, plus conforme à l’état sentimental du sujet pour en faciliter la réalisation » [21].
-
[6]
Dromard considère comme équivalents paranoïa et délire d’interprétation.
-
[7]
C’est nous qui soulignons. Pour G. Lantéri-Laura et R. Tevissen, l’interprétation délirante rétrospective est quasi pathognomonique : « très typique de ce délire est le fait suivant, de grande valeur diagnostique : lorsqu’il revient sur son passé, il explique que pendant un certain temps il n’a pas saisi le sens de ce qui lui arrivait, qu’il a ensuite admis que cela avait un sens, qui d’ailleurs lui échappait, mais qu’à un certain moment, souvent datable avec précision, il a compris la signification non seulement de mille événements en apparence fortuits, mais encore de toute son existence » [25].
-
[8]
C’est ce qu’il écrivait précisément dans son article sur la « Structure des psychoses paranoïaques » (1931) : « Le délire d’interprétation est un délire du palier, de la rue, du forum. Ces interprétations sont multiples, extensives, répétées. Tous les incidents quotidiens et les événements publics peuvent en venir à s’y rapporter (…). Quelle que soit l’étendue de ces interprétations, elles sont centripètes, étroitement polarisées sur le sujet » [26].
-
[9]
C’est nous qui soulignons.