Introduction
1En accord avec les recommandations internationales [1] qui préconisent une prise en charge spécialisée pour les personnes qui voient apparaître des premiers symptômes psychotiques, de nombreux programmes de soins ont été développés à travers le monde. Généralement, ils reposent sur une détection précoce (premier épisode psychotique ou sujet à haut risque de transition vers la psychose) afin de diminuer la durée de psychose non traitée [2] et une prise en charge intensive, pluridisciplinaire et ambulatoire dans les 2 ans qui suivent le premier épisode psychotique (encore nommée période critique [1]), ceci afin de diminuer ses conséquences fonctionnelles et le risque de chronicisation des troubles [3].
2 Dans ce contexte, la France est décrite comme retardataire dans un récent rapport de la London School of Economics [4] étudiant le développement de ces programmes. Cette étude, qui identifie le programme Prépsy, repose uniquement sur l’analyse des articles publiés par les équipes dans des revues scientifiques référencées. Elle ne mentionne donc pas les équipes françaises fonctionnelles qui n’ont pas publié leurs résultats. Quoi qu’il en soit, si de telles initiatives existent, elles sont mal identifiées au sein même du territoire national [5].
3Dans ce contexte, l’objectif principal de cette étude était de dresser un état des lieux le plus exhaustif possible des structures de prise en charge précoce des troubles psychotiques existantes ou en projet en France en 2017, et de décrire leur fonctionnement.
Méthode
4Cet état des lieux a privilégié une approche méthodologique au plus près du « terrain » en multipliant les contacts sur l’ensemble du territoire français (outre-mer compris), auprès de médecins ou structures susceptibles d’offrir une prise en charge précoce des troubles psychotiques. Cette approche a combiné une première phase de définition du périmètre de l’étude et de construction du questionnaire de l’enquête, puis une seconde phase d’identification et de recensement des structures existantes suivie d’une dernière phase de description des structures identifiées.
Définition du périmètre de l’étude
5Une intervention précoce pour des personnes présentant un premier épisode psychotique comporte souvent deux familles d’actions fournies par le même service :
- le dépistage précoce pendant la phase prodromique (période d’une maladie pendant laquelle un ensemble de symptômes avant-coureurs, généralement bénins, annoncent la survenue de la phase principale de cette maladie) ;
- la prise en charge précoce afin d’intervenir dès le premier épisode de psychose identifiable, visant à réduire la durée de psychose non traitée ; réduisant ainsi potentiellement la gravité et l’impact de la maladie et de ses comorbidités et améliorant le pronostic à long terme.
6Ce type d’intervention nécessite le développement d’actions spécifiquement adaptées à cette phase précoce. Il est en effet primordial de travailler intensément à l’engagement dans les soins, d’adapter les traitements, de délivrer une information adéquate sur la pathologie à l’aide d’outils adaptés, de proposer des approches ambitieuses, mêlant optimisme, autodétermination (empowerment) et réalisme en visant le retour rapide à l’emploi, l’accès au logement autonome et le rétablissement.
7C’est pourquoi, ces programmes spécialisés dans la détection précoce doivent pouvoir s’appuyer sur des équipes dont l’objectif est de faciliter l’engagement des patients, de les fidéliser et de répondre à leurs besoins exprimés et non-exprimés.
8 Afin d’identifier les initiatives relevant effectivement de l’intervention précoce des premiers épisodes psychotiques (PEP) et des patients à haut risque de transition psychotique, les consultations spécialisées recherchées ont été définies comme des programmes centrés autour d’une prise en charge :
- pluridisciplinaire (psychiatres, psychologues, infirmiers, travailleurs sociaux, case managers…) ;
- intensive (suivi intensif pendant une période d’au moins 2 ans [6]) ;
- précoce (réactivité pour diminuer la durée de psychose non traitée) ;
- basée sur au moins 0,5 ETP (équivalent temps plein), tous professionnels confondus, dédié à cette activité ;
- et le plus souvent ambulatoire (dans le milieu de vie de l’individu, en dehors de l’hôpital) (critère secondaire retenu dans notre état des lieux).
Phase d’identification et de recensement des structures existantes
9L’approche méthodologique qui a été privilégiée pour cet état des lieux était une approche exploratoire, car il s’agissait d’identifier, sur le terrain, les différents types de professionnels de santé susceptibles de réaliser une prise en charge précoce des troubles psychotiques ou de connaître ce type de prise en charge. Pour cela, et afin d’être le plus exhaustif possible, de nombreux contacts ont été établis sur tout le territoire français (DOM-TOM compris) auprès de professionnels de santé et de structures diversifiés. Dans un premier temps, un échantillon de psychiatres hospitaliers, quel que soit leur lieu d’exercice (CHU, CH et cliniques privées) a été sollicité.
10L’échantillon de psychiatres hospitaliers sollicités a été un échantillon par réseaux, dit « boule de neige » [7], constitué à partir d’un petit nombre de psychiatres répondant à des caractéristiques définies. Par la suite d’autres professionnels ou structures ont été ajoutés à partir de recommandations faites par les premiers contacts et ont été contactées à leur tour.
11Cet échantillon a été complété par d’autres professionnels de santé susceptibles de connaître des structures spécialisées dans la prise en charge précoce des troubles psychotiques.
12Il s’agissait de structures susceptibles d’intervenir en amont de la prise en charge (maisons des adolescents [MDA], bureaux d’aide psychologique universitaire [BAPU] et services interuniversitaires de médecine préventive et de promotion de la santé [Siumpps]), d’institutions (agences régionales de santé [ARS]), d’organismes « ressources » dans le domaine du handicap psychique (CReHPsy) et d’organismes philanthropiques (Fondation de France).
13Pour finir, l’ensemble des anciens élèves du diplôme universitaire (DU) « Détection et intervention précoces des pathologies psychiatriques du jeune adulte et de l’adolescent » (DIPPPEJAAD) Paris V et SHU Sainte-Anne des deux dernières promotions (2015 et 2016) ont également été contactés, ayant intégrés possiblement, pour certains d’entre eux, depuis leur diplôme, une consultation dédiée.
14Ainsi, un total de 174 structures/professionnels différents ont été sollicités dans le cadre de ce recensement dont 82 psychiatres hospitaliers, 38 responsables de MDA, 10 représentants d’ARS, et 41 anciens élèves du DU.
15 Le tableau 1 répertorie l’ensemble des professionnels de santé et structures sollicités pour réaliser cet état des lieux.
Tableau 1
Tableau 1
Professionnels de santé et structures sollicités lors du recensement.Figure 1
Figure 1
Cartographie des programmes spécialisés dans la prise en charge précoce des troubles psychotiques (recensées entre le 01/03/2017 et le 17/07/2017).16 En raison de leur diversité, les structures et projets recensés ont été nommés « initiatives » dans ce document.
Description et analyses
Enquête par questionnaire en ligne
17Un lien vers un questionnaire en ligne, actif de mars à juillet 2017, a été envoyé à tous les professionnels préalablement identifiés lors de la phase de recensement.
18Le questionnaire destiné aux structures identifiées a été structuré en 4 parties en fonction du niveau d’avancement de l’initiative à la date de réponse. Les professionnels interrogés avaient à classer leur structure parmi 4 cas de figures : l’activité d’intervention précoce est fonctionnelle, le projet est en cours de création, le projet est en cours de réflexion/discussion ou il n’existe pas de projet de ce type.
19 Pour les initiatives fonctionnelles et en cours de création, le questionnaire permettait ensuite aux professionnels de décrire leur activité : type de structure, équipe dédiée, financement, bassin de population couvert, population ciblée par le programme, activité en 2016, partenaires de l’initiative, difficultés rencontrées et perspectives.
20 Pour les initiatives en réflexion, les professionnels devaient décrire succinctement leur projet.
21 Afin d’augmenter le taux de réponse à l’enquête, des relances ont été réalisées pour les centres qui n’avaient pas répondu dans le temps imparti (relances par courrier électronique et relances téléphoniques).
Analyses statistiques
22Les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel SAS 9.3. Une analyse descriptive a été réalisée et a décrit l’ensemble des items du questionnaire.
23L’effectif et la fréquence de chaque modalité sont décrits pour les variables qualitatives et ordinales. Pour les variables quantitatives, le nombre de réponses, la moyenne, l’écart type, le minimum, le maximum, la médiane sur l’ensemble des données renseignées sont présentées. Quand les résultats portent sur de petits effectifs, a été privilégié soit la médiane, soit l’effectif brut de répondants. Les résultats sont présentés selon le niveau d’avancement de l’initiative/structure : initiative fonctionnelle, en cours de création, en réflexion.
Résultats
Résultats du recensement
24Au total, 174 structures ou professionnels de santé différents ont été sollicités lors de la phase de recensement, permettant d’identifier 123 médecins et/ou directeurs d’établissements susceptibles d’offrir une prise en charge précoce des troubles psychotiques.
25Sur ces 123 professionnels, 58 ont répondu à l’enquête en ligne, soit un taux de réponse de 47,2 %. Vingt et un répondants mentionnaient l’absence de structures spécialisées dans la prise en charge précoce des troubles psychotiques sur leur centre. Les 37 autres répondaient positivement et parmi eux 18 se déclaraient structures spécialisées fonctionnelles dans la prise en charge précoce des troubles psychotiques, 8 en cours de création et 11 en projet (avec un niveau de réflexion variable selon les centres), figure 1.
Principales caractéristiques des structures fonctionnelles
Type de structure
26Dix-huit initiatives fonctionnelles ont été recensées sur le territoire français, dont 7 sont situées en Île-de-France. Hormis un programme, créé en 2003, précurseur de ce type de prise en charge en France, tous les autres ont été conçus bien plus récemment (9 entre 2014 et 2016 et 8 entre 2008 et 2013), figure 2.
Figure 2
Figure 2
Année de démarrage des programmes spécialisés dans la prise en charge précoce des troubles psychotiques.27Les initiatives fonctionnelles recensées disposaient en moyenne d’un total de 4,3 ETP (écart-type : 3,5), allant de 0,5 à 15 ETP selon les structures.
28 Les répondants avaient à décrire le type de structure dans laquelle s’inscrivait la prise en charge dédiée à l’émergence des troubles psychotiques. Plusieurs réponses étaient possibles.
29 Les deux tiers des initiatives (12/18) étaient des unités fonctionnelles de centres hospitaliers et/ou des équipes mobiles, seules ou en association avec d’autres types de structure. Trois initiatives associaient plusieurs types de structure : unité fonctionnelle-équipe mobile-consultation (2/3) et unité fonctionnelle-hôpital de jour (1/3), figure 3.
Figure 3
Figure 3
Statut des programmes spécialisés dans la prise en charge précoce des troubles psychotiques.Samsah : Service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés.
30 Deux tiers des initiatives fonctionnelles organisaient leur activité autour d’un case-manager (12/18) [8]. Parmi les 6 initiatives ne disposant pas d’un case-manager, 5 souhaiteraient appuyer leur activité sur ce modèle de prise en charge et autant auraient besoin d’une formation en case-management
31 La majorité des structures étaient intersectorielles (15/18) avec un bassin de population couvert très variable selon les régions, allant de 90 000 à 2 230 000 habitants (région parisienne). La moitié des structures couvraient une zone d’au moins 300 000 habitants.
Financement
32Plus de 60 % (11/18) des structures fonctionnaient à moyens constants, sans financement dédié, 4 disposaient d’un financement dédié total et 1 d’un financement dédié partiel. Trois structures bénéficiaient d’autres types de financements : un crédit de recherche et deux financements provenant de structures privées.
Population prise en charge
33Les initiatives recensées ciblaient les adolescents et jeunes adultes entre 15 et 35 ans. Les tranches d’âge les plus fréquentes ciblées par ces services étaient 15-25 ans (5/18) et 18-25 ans (3/18).
34 Toutes les initiatives intervenaient lors du PEP mais seules 5 équipes prenaient en charge uniquement ce stade (figure 4). Huit intervenaient en amont de cette phase, auprès des sujets à haut risque de transition et 8 intervenaient au-delà, auprès des jeunes ayant développé une pathologie chronique. Quatre structures prenaient en charge les 3 stades.
Figure 4
Figure 4
Population prise en charge par les initiatives (non précisé = 1).Composition des équipes
35Dix-sept structures ont renseigné la composition de leur équipe (tableau 2). Toutes disposaient d’au moins un psychiatre et d’un infirmier. Les psychiatres et infirmiers étaient respectivement au nombre de 1,8 et 3,5 en moyenne dans l’équipe pour un temps dédié moyen de 0,8 et 1,8 ETP. Un psychologue était également présent dans la quasi-totalité des équipes (16/17) avec un temps dédié moyen de 0,7 ETP. Les autres professionnels (éducateur spécialisé, aide-soignant, ergothérapeute…) étaient peu présents et leur temps dédié est très faible (0,1 à 0,2 ETP en moyenne).
Tableau 2
Tableau 2
Composition des équipes et temps dédié à la prise en charge précoce (non précisé = 1).Lieu principal de prise en charge et durée d’intervention après un PEP
36Les lieux de prise en charge étaient variés mais la majorité privilégiait un lieu en-dehors du cadre hospitalier classique. Ainsi la prise en charge avait lieu (renseignée pour 15 programmes) principalement dans les locaux de l’hôpital de jour pour 4 initiatives, au sein du centre hospitalier (mais dans la partie ambulatoire) pour 4 autres, au sein du CMP pour 3 autres, au domicile pour 3 autres et en consultations externes pour la dernière.
37 La durée moyenne d’intervention après un PEP était de 38 mois (soit 3 ans). Pour la moitié des initiatives, la durée était de deux ans (médiane) et cinq initiatives intervenaient jusqu’à 48 mois et plus (plus de 4 ans) après le PEP.
Activité en 2016
38 Il était demandé aux équipes de renseigner leur file active de patients en 2016 au titre de cette spécialité. À noter que pour certaines, cette information n’était pas disponible en raison d’autres activités afférentes (autres pathologies ciblées par la structure) ou d’un manque de recul pour les structures les plus récentes.
39 La file active moyenne, en 2016, était de 42 patients, variant de 10 à 80 patients selon les centres (médiane : 37) ( tableau 3). Au total, cela représentait 588 patients pris en charge par ces 14 équipes, dont 61,7 % qui bénéficiaient d’une prise en charge organisée autour d’un case manager.
Tableau 3
Tableau 3
Activité dédiée à la prise en charge précoce des troubles psychotiques en 2016.40Pour les structures disposant d’un case manager, le nombre médian de patients pris en charge par celui-ci était de 8, variant de 4 à 22 patients selon les centres.
41 Le nombre de demandes de prise en charge pour l’année 2016 était estimé à 60 demandes en moyenne (médiane : 31), allant jusqu’à 160 demandes pour un même centre. Ces demandes ne sont pas toutes honorées puisque le nombre de patients réellement pris en charge était inférieur : 25 en moyenne (médiane : 20) (55 patients maximum).
42 Quel que soit le nombre de patients pris en charge, toutes les initiatives ont décrit leur activité comme étant en augmentation constante.
Professionnels qui orientent vers la structure
43 Une grande diversité de professionnels de santé a orienté les patients vers la consultation spécialisée d’intervention précoce. Il s’agissait en premier lieu des professionnels de santé libéraux (31,5 % des orientations dont 13,7 % des orientations réalisées par les psychiatres libéraux, 11,5 % par les médecins généralistes et 5,8 % par les psychologues libéraux), puis des professionnels hospitaliers (26,5 % des orientations faites par les professionnels des autres services et les psychiatres des autres secteurs), puis par les associations d’usagers (12,7 %) et des familles (7,2 %).
44 Une faible proportion de patients a été orientée par les services de médecine scolaire ou universitaire (7,5 %), par les maisons des adolescents (8,2 %) et par d’autres professionnels (Maison département des personnes handicapées [MDPH], organismes sociaux, missions locales…) (6,5%), figure 5.
Figure 5
Figure 5
Les professionnels qui orientent les patients vers une équipe spécialisée dans la prise en charge précoce.Difficultés rencontrées par les équipes et perspectives
45Les équipes interrogées ont déclaré avoir rencontré des difficultés dans la mise en place et la pérennisation de cette activité dédiée. Elles ont évoqué plusieurs types de difficultés telles qu’une insuffisance en ressources humaines et matérielles du fait de moyens financiers contraints.
46 Elles ont évoqué des réticences à l’adressage de patients de la part de collègues d’autres secteurs qui remettaient en cause la pertinence d’une prise en charge précoce spécifique mais également des problèmes de lisibilité et de compréhension de l’activité de la part des partenaires extérieurs qui aboutissent à des demandes inadaptées, ou à de mauvaises orientations.
47 Pour finir, elles ont déploré l’absence d’une réelle communication entre les différents promoteurs de ces initiatives, certainement par un manque d’harmonisation des pratiques en l’absence de recommandations nationales.
48 Malgré les difficultés citées, toutes les équipes s’accordent sur la diffusionde ce type de prise en charge par une augmentation significative du temps dédié à cette activité (notamment le temps infirmier de coordination), par le développement de la formation des professionnels de santé, par l’harmonisation d’outils spécifiques de prise en charge, par un meilleur repérage des troubles psychotiques par les professionnels de santé de premiers recours.
Description des initiatives en cours de création
49Entre mars et juillet 2017, 8 projets de prise en charge précoce des troubles psychotiques recensés étaient en cours de création. Pour sept d’entre eux, l’ouverture était prévue avant la fin de l’année 2017 et pour la huitième, en 2018.
50L’activité dédiée à la prise en charge précoce des troubles psychotiques représentera au moins ½ ETP pour toutes les initiatives, avec en moyenne 3,6 ETP (médiane : 3,2). Cette activité de prise en charge précoce des troubles psychotiques sera organisée autour d’un case manager dans 6 cas sur 8.
51Sur les 8 projets, 6 seront des équipes mobiles, 5 des unités fonctionnelles (UF), 4 des consultations et 2 des hôpitaux de jour (HDJ). Mais les structures pourront être multiformes réunissant différents statuts. Sept structures sur 8 seront intersectorielles.
52Sur les 8 initiatives, 3 avaient obtenu un financement dédié partiel et les 5 autres initiatives seront financées à moyens constants.
53 Les initiatives en cours de création prendront en charge les mêmes tranches d’âge que les initiatives fonctionnelles, soit les adolescents et jeunes adultes. Toutes interviendront lors du premier épisode psychotique. Trois interviendront également auprès des sujets à haut risque de transition. Aucune ne prévoit de continuer la prise en charge une fois la chronicité établie.
54 Le lieu principal de prise en charge différait selon les projets : 3 interviendront dans le cadre d’un hôpital de jour, 2 au sein d’une CMP, 2 au sein d’une maison des adolescents. Tous favoriseront un environnement extrahospitalier. La majorité des projets souhaitait intervenir jusqu’à 24 mois après un premier épisode psychotique (6/8).
Description des initiatives en réflexion
55À la date de clôture de l’enquête, une réflexion était entamée pour la mise en place d’un programme de prise en charge précoce des troubles psychotiques au sein de 11 centres (dont 2 dans la région Grand Est, 2 en Île-de-France…).
56Le niveau de réflexion était plus ou moins avancé selon les centres. Dans certains cas, le projet commençait tout juste à être discuté, les psychiatres se disaient intéressés par ces questions et avaient pour projet de se réunir prochainement, alors que dans d’autres, la réflexion était beaucoup plus avancée, avec des modalités de prise en charge déjà bien définies. Dans certains centres, le volet « diagnostic précoce » était déjà en place et c’est la partie « prise en charge » qui restait à développer.
Discussion
Un retard relatif
57On pouvait s’alarmer du retard pris par la France dans le développement des structures de prise en charge précoce des personnes présentant un premier épisode psychotique. Les résultats présentés ici montrent pourtant que 18 programmes sont déjà fonctionnels (dont certains depuis plus de 10 ans), 8 sont en cours de création et 11 en projet. La répartition sur le territoire est relativement déséquilibrée avec une surreprésentation de ces programmes en région parisienne et une sous-représentation dans un grand quart sud-ouest de la France (figure 1). On compte une grande majorité d’équipes pluridisciplinaires permettant de fournir des soins intensifs pendant en moyenne 3 ans et ambulatoires puisque plus de 2/3 des équipes s’organisent selon le modèle du case manager. Bien que la prise en charge précoce des épisodes psychotiques existe donc bel et bien en France, les répondants soulignent cependant l’absence de réseau entre les différents acteurs et un manque d’harmonisation des pratiques en l’absence de recommandations nationales.
58En revanche, les données de cette étude montrent que la moitié des programmes ne sont pas spécifiques des phases précoces (sujet à haut risque ou premier épisode psychotique) mais étendent également leurs actions aux personnes souffrant de pathologies psychotiques chroniques. Ces résultats interrogent donc le caractère spécifiquement précoce des interventions dispensées et pourraient également refléter la durée des soins que reçoivent les patients (continuant au-delà du diagnostic de pathologie chronique) ou le caractère tardif de l’intervention (longue durée de psychose non traitée, non premier épisode psychotique…). Le caractère ambulatoire peut également être questionné puisqu’un nombre important d’équipes proposent des interventions sur les lieux de soins (HDJ, CMP ou hôpital) ou au domicile des patients, ce qui ne s’accorde pas avec les travaux [9] qui invitent à des soins dans le milieu de vie des personnes (mais sans que cela soit la règle partout [10]).
59Malgré un intérêt grandissant pour ce type de programmes (8 nouveaux projets devraient être ouverts au moment où paraîtra cet article) et l’augmentation constante d’activité décrite par toutes les initiatives, au moins deux facteurs recensés par cette étude pourraient ralentir, voire empêcher le développement de l’intervention précoce en France :
601) le référencement des patients : les patients ciblés par l’intervention précoce sont principalement jeunes en âge (de 14 à 30 ans). Or, le référencement par les services de pédopsychiatrie, les maisons des adolescents, les médecines scolaires et universitaires reste limité d’après les réponses recueillies dans cette étude. Ces résultats soulignent un nécessaire décloisonnement entre psychiatrie pour enfants, adolescents et adultes d’une part, et secteurs sanitaire et social d’autre part. À cet égard, parmi les difficultés de mise en œuvre relatées par les répondants, on note des réticences à l’adressage de patients de la part de collègues d’autres secteurs qui remettent en cause la pertinence d’une prise en charge spécifique du jeune ;
612) le financement : plus de 60 % des équipes fonctionnent à moyens constants alors que seules 4 ont un financement dédié total. Ces résultats font écho à l’insuffisance en ressources humaines et matérielles du fait de moyens financiers contraints soulignée par les répondants.
Limites
62Ce premier recensement des initiatives d’intervention précoce des troubles psychotiques en France ne concernait que la prise en charge de ces patients. Or, les activités de détection et de prise en charge précoce sont souvent liées. Dans une deuxième phase de recensement des initiatives et de leur activité en 2017, ces deux aspects seront abordés.
63Afin de ne pas négliger d’initiatives aux moyens limités, nous avons opté dans le questionnaire pour un critère de sélection des initiatives concernant les ETP très bas (au moins 0,5 ETP, tous professionnels confondus, dédié à cette activité). Ce seuil bas pouvait faire craindre a posteriori l’identification d’initiatives volontaires pour mettre en place l’intervention précoce, sans cependant posséder un nombre de soignants suffisant pour mener à bien une prise en charge qui se veut intensive. Au contraire, les résultats rapportent un effectif moyen de 4,3 ETP pour les initiatives fonctionnelles, ce qui suggère une constitution déjà réelle de celles-ci.
64Enfin, l’approche déclarative que nous avons privilégiée ne nous permet pas d’affirmer que toutes les initiatives françaises ont été identifiées, puisque seules les déclarations des initiatives qui ont bien voulu répondre ont été analysées.
Conclusion
65Cet état des lieux des initiatives de prise en charge précoce des troubles psychotiques a permis d’identifier une vingtaine de structures fonctionnelles et une vingtaine de structures en cours de création ou en projet en France et en outre-mer en 2017.
66 Il pose la question de la démarche d’optimisation des ressources humaines et matérielles utiles à une intervention précoce de qualité, tant en gain de qualité de vie que sur la réduction des coûts sociétaux, en particulier par la reprise de l’activité professionnelle.
Liens d’intérêts
67 les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêts en rapport avec cet article.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : jeunes adultes, schizophrénie débutante, case management, psychose émergente, adolescents
Mise en ligne 28/05/2018
https://doi.org/10.1684/ipe.2018.1815