Préambule du psychiatre
1La loi du 4 mars 2002 a modifié les relations entre médecins et « usagers du système de santé », ce qui a fait dire à de nombreux commentateurs que l’époque du paternalisme médical était passée. L’usager (pour ne pas dire patient, présumé stigmate de ce passé de dépendance) devient codécideur de son traitement avec le médecin (article L. 1111-4 du code de la santé publique) : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé » tout en gardant la possibilité de décliner le traitement proposé « Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement ». Pour pouvoir décider, accepter ou refuser un traitement, c’est-à-dire y consentir, il est bien entendu nécessaire de disposer de toutes ses facultés intellectuelles : « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ». La psychiatrie présente une exception puisque la loi permet sous certaines conditions les soins sans consentement.
2Or une ordonnance récente du Conseil d’État du 26 juillet 2017 apporte une lecture intéressante sur la notion de décision et de choix du traitement et sur le rôle du juge. Il s’agissait d’une situation où des parents exigeaient pour leur enfant un traitement spécifique qui avait été écarté avec une argumentation détaillée de la part des équipes médicales. Le Conseil d’État considère que toute personne n’a pas le droit de choisir son traitement et que « dès lors qu’une prise en charge thérapeutique est assurée par l’hôpital, il n’appartient pas au juge des référés de prescrire à l’équipe médicale que soit administré un autre traitement que celui qu’elle a choisi de pratiquer à l’issue du bilan qu’il lui appartient d’effectuer ».
3Deux questions découlent de ces constatations.
Première question du psychiatre
4Les récentes dispositions légales et les recommandations de bonnes pratiques sur l’isolement et la contention imposent que la personne soit sous le régime légal de soins sous contraintes (SPDT, SPDRE), ou en service libre, mais pour une durée limitée. Qu’en est-il de la personne en service libre qui demande à être isolée et dont le discernement ne semble pas altéré, mais qui souhaite pour des raisons qui lui sont propres et partagées avec le psychiatre à être isolé (j’ai même rencontré deux fois cette situation pour la contention). Si la codécision convient aux deux protagonistes, pourquoi transformer le régime légal ? Évidemment, il ne faut pas que la personne demande à être isolée ou contentionnée, sans que l’avis du psychiatre soit demandé, puisqu’il s’agit d’une codécision, pour un acte qui ne doit être que thérapeutique, avec une balance bénéfices/risques bien évaluée (acte nécessaire, adapté et proportionné).
5Peut-on dans ce cas avec une traçabilité sans faille, argumenter la mesure et rester en service libre ?
Réponse du juriste
6Pour répondre précisément à votre question, il faut rapidement rappeler le dispositif législatif afin de limiter au maximum le risque juridique qu’une telle « décision » pourrait générer. L’intervention du législateur sur la question de l’isolement et du consentement avait principalement pour objet d’imposer une certaine transparence quant à l’usage de ces deux pratiques afin de permettre au directeur de l’établissement d’accueil d’agir en toute connaissance de cause. La loi impose en effet d’inscrire sur un registre administratif distinct du dossier médical du patient chaque décision individuelle de recourir à un placement en chambre d’isolement (espace dédié dont le patient ne peut sortir librement) ou d’user de moyens de contention limitant la liberté de mouvement du patient. On peut bien sûr s’étonner de la suspicion dont fait part le Parlement vis-à-vis du fonctionnement interne des services de psychiatrie et de l’obligation qui est faite d’alerter l’administration de la décision individuelle prise par le psychiatre à l’égard d’un patient afin de « prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui » (article L. 3222-5-1 du code de la santé publique).
7On imagine en effet mal qu’une autre loi agisse de la sorte dans d’autres domaines de la santé sans que les professionnels de santé concernés s’émeuvent d’un tel procédé. Étant dans un État de droit, chaque établissement de santé habilité à accueillir des patients sous contrainte est donc tenu de concevoir et de remplir au jour le jour un registre répondant aux exigences législatives : « le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillé. » (Même article).
8Une récente instruction du ministère des Affaires sociales et de la Santé (n̊ DGOS/R4/DGS/SP4/2017/109 du 29 mars 2017 relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie et désignés par le directeur général de l’agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement) adressée aux préfets de régions et aux directeurs généraux d’Agence régionale de santé vient proposer une grille de présentation desdits registres afin de tendre vers un contenu minimal commun à chaque établissement. Sur ce point, l’instruction propose d’inscrire dans ce document non pas le nom, mais l’identifiant du patient. Cette préconisation est opportune, car elle préserve l’identité de la personne vis-à-vis des tiers tout en permettant au directeur de réagir lorsque la personne concernée est admise en soins libres et non en soins sous contrainte. Si tel est le cas comme dans l’exemple que vous donnez, il conviendra de s’interroger très rapidement sur la nécessité de la transformation du mode d’hospitalisation et de peser le risque juridique à ne pas y procéder. Sur ce point, il est remarquable de noter que dans la même instruction il est proposé en annexe de prévoir au sein dudit registre cinq types de situations distinctes : « isolement dans un espace dédié conformément aux recommandations de bonne pratique ; isolement en dehors d’un espace dédié ; contention mécanique dans le cadre d’une mesure d’isolement conformément aux recommandations de bonne pratique ; contention mécanique en dehors d’un espace d’isolement et en dehors des cas d’exceptions prévues par les recommandations de bonne pratique ; contention mécanique en dehors d’un espace d’isolement conformément aux exceptions prévues par les recommandations de bonne pratique ». L’identification par l’instruction de ces cinq cas de figure montre bien que le ministère a parfaitement conscience de la difficulté de la prise en charge des patients dans les services de psychiatrie et qu’il admet l’idée que chaque patient nécessite des ajustements différenciés en fonction des moments et de son état. Si le placement en « chambre d’isolement » doit être une décision de dernier recours, il faut laisser au psychiatre la possibilité d’organiser des mesures moins contraignantes et plus adaptées à l’état du patient, comme par exemple décider de l’isoler dans « sa chambre ». La condition est alors toujours la même à savoir que cela doit être « nécessaire, adapté et proportionné » à l’état du patient et pris dans une optique soignante. Ce sur quoi insistent tous les textes est qu’il convient d’être particulièrement attentif lorsque la décision conduit à réduire la liberté de mouvement du patient. Notons ici que l’instruction n’empêche d’ailleurs absolument pas les directeurs d’établissement de santé de prévoir un registre plus complet, voire de mettre en place un registre recensant les décisions d’usage de la contrainte dans d’autres disciplines ou services (urgences, gériatrie, neurologie).
9Par conséquent, si comme vous l’évoquez, un patient sollicite le psychiatre pour être placé momentanément en chambre d’isolement et que le psychiatre considère qu’un tel séjour est opportun compte tenu son état de santé, il conviendra d’inscrire cette « codécision » dans le registre. Juridiquement, comme le rappelle le Conseil d’État, ce n’est jamais le patient qui décide seul, y compris en soins libres. Il ne choisit pas son traitement, il ne peut que l’accepter ou le refuser. La particularité psychiatrique fait qu’à la différence d’une prise de médicament, y compris par voie d’injection, l’isolement et la contention font l’objet d’un « signalement administratif ». La lecture de l’instruction est sur ce point encore intéressante, car il n’est pas prévu que le motif ou la motivation de la décision y soient inscrits. La suspicion du législateur ne va pas jusque-là, le motif médical est implicitement admis. Cependant, il importe au psychiatre de prendre soin de le rappeler dans le dossier médical du patient. L’instruction est claire sur ce point : « La mesure d’isolement ou de contention sur décision d’un psychiatre ne peut être prise que sur les éléments cliniques d’un examen médical. Elle doit être motivée au sein du dossier médical du patient afin d’en justifier le caractère adapté, nécessaire et proportionné à l’état clinique du patient. Elle comprend des éléments permettant de décrire la prévention d’un dommage imminent ou immédiat. La motivation doit notamment faire apparaître les mesures mises en œuvre au préalable sans succès afin d’établir qu’elle est réellement prise en dernier recours ». Le fait que le patient consente à une telle décision devra être mentionné et explicité. Cela permettra par exemple de ne pas solliciter la transformation de la mesure comme cela pourra être le cas d’un patient hétéroagressif pour lequel la transformation en SDRE s’imposerait ou un patient autoagressif justifiant le basculement en SDTU ou en péril imminent.
10En définitive, l’inscription de la décision dans le registre obligera essentiellement à se poser la question d’une modification de son statut administratif.
Deuxième question du psychiatre
11Le Conseil d’État écrit dans son ordonnance que le juge des référés ne peut « prescrire » (heureusement, car si le juge prescrit et le médecin décide, la confusion des rôles est à son comble...) à l’équipe médicale un autre traitement. Pourtant le juge des libertés et de la détention termine souvent son ordonnance de mainlevée en évoquant l’instauration dans les 24 heures d’un programme de soins. N’est-ce pas un « abus » du JLD, même s’il est prévu par la loi (article L3211-12). D’autant plus que la question de la responsabilité revient souvent parmi les psychiatres et les administratifs hospitaliers : que se passerait-il si du fait de la sortie imposée par le juge et non voulue par le médecin, un préjudice était causé pour le patient ou pour des tiers
12Qui serait responsable du préjudice ? La loi est-elle bien rédigée sur ce point ?
Réponse du juriste
13Encore une fois, il faut revenir à l’esprit du texte pour en comprendre le sens et aux contraintes juridiques découlant du contrôle de la légalité des décisions individuelles de placement en soins sous contrainte. L’article L. 3211-12 du code de la santé publique est rédigé de la manière suivante : « Lorsqu’il ordonne cette mainlevée, il peut, au vu des éléments du dossier et par décision motivée, décider que la mainlevée prend effet dans un délai maximal de vingt-quatre heures afin qu’un programme de soins puisse, le cas échéant, être établi en application de l’article L. 3211-2-1. Dès l’établissement de ce programme ou à l’issue du délai mentionné à la phrase précédente, la mesure d’hospitalisation complète prend fin. »
14 Cette rédaction est assez maladroite, c’est le moins que l’on puisse dire. On peut néanmoins l’expliquer de la manière suivante. Le juge des libertés et de la détention est amené à faire un « procès à l’acte », c’est-à-dire relativement à la décision individuelle d’admettre un patient en hospitalisation complète sous contrainte. Dans le cadre en particulier d’une saisine automatique, donc sans recours formulé par le patient, il devra vérifier que toutes les conditions de légalité sont bien respectées. Il contrôlera alors quatre grandes questions :
- Respect des règles de compétence ;
- Suivi de la procédure ;
- Éventuel détournement de pouvoir ;
- Respect de la règle de droit.
15 Cette dernière question porte sur le « bien-fondé » de la mesure à propos de laquelle la Cour de cassation vient de rendre une importante décision (Cass., 27 septembre 2017, n̊ 16-22544 que nous commenterons dans un prochain numéro). Lorsqu’il constate que la décision individuelle d’hospitalisation complète est illégale, le juge judiciaire n’a d’autre choix que d’ordonner la cessation de la privation de liberté, d’où la mainlevée de la mesure. Pourtant, le législateur a immédiatement eu conscience qu’une telle décision de justice risquait d’être inopportune, voire dangereuse. Il a donc prévu la possibilité pour le juge des libertés et de la détention de différer de 24 heures la fin de l’hospitalisation complète sous contrainte. Concrètement, cela revient à avertir l’hôpital et donc l’équipe soignante que la privation de liberté ne peut être maintenue, car elle a débuté sur une base illégale (légalité externe de l’acte). Le juge ne remet pas en cause la nécessité du soin ou la réalité de la pathologie, mais uniquement la décision de contrainte. Durant ces 24 heures, l’équipe soignante devra s’interroger sur l’état du patient et sur les risques d’une sortie immédiate et éventuellement envisager d’enclencher une nouvelle mesure. Il me semble extrêmement discutable de mettre en place un programme de soins durant cette très courte période. En effet, ce qui peut justifier une telle préconisation par le psychiatre est une évolution de l’état de santé du patient et non la levée de l’hospitalisation complète. Et surtout, si l’hospitalisation initiale est illégale, sa transformation en programme de soins sera aussi illégale, car il s’agit juridiquement de la même mesure de soins qui change simplement de nature.
16Si l’on devait grossir le trait, ce type d’ordonnance du juge à effet différé revient à dire : « Je dois lever la contrainte en cours, vous avez 24 heures pour trouver une solution pour ce patient qui est manifestement malade. La solution pourrait être un programme de soins, mais, moi, juge, je ne suis pas psychiatre ». Concrètement, cela vous laisse 24 heures pour évaluer l’état du patient et avertir l’autorité administrative si vous estimez qu’il doit rester hospitalisé. Le service public de la justice ne peut être tenu responsable des conséquences d’une mainlevée sauf en théorie s’il a commis une faute lourde en la prononçant. Par contre, l’hôpital peut être reconnu responsable pour avoir laissé sortir un patient alors que son état de santé ne le permettait pas.
Liens d’intérêts
17les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.