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Article de revue

Autisme : convergences et divergences. Lecture de deux modalités de prise en charge

Pages 41 à 46

Introduction

1 Le traitement de l’autisme est un thème controversé depuis environ quatre décennies. La première description formelle de l’autisme par Leo Kanner dans les années 1940, puisqu’elle consistait en une présentation nosologique qui n’avait pas été reconnue avant lui, mettait l’accent notamment sur l’évolution d’un trouble neurodéveloppemental assez homogène et n’évoquait même pas la possibilité d’un traitement (de la même manière qu’on ne traitait pas un syndrome de Down). L’existence d’une sorte de calendrier autistique, qui suit de manière inexorable des étapes certaines ne permet d’envisager que quelques stratégies qui tendraient à diminuer les aspects les plus difficiles de la vie des enfants et adultes avec un autisme.

2 Depuis lors, les perspectives ont changé. En France, mais surtout aux États-Unis, un consensus tend à régner autour de la prise en charge de l’autisme, visant surtout à un traitement le plus précoce possible, rendu à son tour envisageable grâce à un dépistage le plus précoce possible. Intensité et précocité [1] semblent être les deux mots d’ordre d’une politique de santé publique qui mise sur des résultats adaptatifs dans l’évolution de ce trouble. En effet, la précocité du diagnostic va de pair avec l’intensité de la prise en charge : celle-ci doit l’être afin de modifier son évolution neurodéveloppementale. La Haute Autorité de santé en France préconise, à l’unisson de la tendance internationale, un traitement précoce par le biais notamment de l’Analysis Behaviour Therapy (ABA), traitement intensif qui parvient parfois à modifier certains comportements des enfants atteints d’autisme. D’autres interventions sont aussi considérées, comme par exemple les méthodes de type Teacch, et également les modes de communication facilités et le PECS. Le rapport de la HAS a été construit à partir des études de la littérature concernant l’autisme et a classé les travaux scientifiques publiés selon qu’ils soient scientifiquement prouvés ou qu’ils soient uniquement l’opinion d’un groupe de thérapeutes, non validés scientifiquement, comme c’est le cas de la psychanalyse. Mais en fait, ni ABA, ni Teacch, ni Denver, pourtant recommandés, ne sont pas « scientifiquement prouvés » selon la HAS.

3 Depuis plus de dix ans, le groupe de recherche sur l’autisme de Montréal, et notamment le psychiatre franco-canadien Laurent Mottron, prônent un type d’approche thérapeutique différent, déduit particulièrement de leurs propres travaux scientifiques qui prennent en compte un type de cognition particulière caractéristique des individus avec autisme [2].

Traitement fondé sur les « propres forces »

4 Le chef de file de ce groupe de recherche, en plus d’avoir publié dans des revues scientifiques spécialisées les conclusions de leurs études, a également publié avec dix ans d’intervalle deux sortes de manuels consacrés à l’autisme : L’autisme : une autre intelligence[2] en 2004 et L’intervention précoce pour enfants autistes en 2016 [1, 7]. L’argument de ces deux textes peut se résumer comme suit : étant donné que l’autisme a une modalité cognitive particulière, toute approche de cette cognition ne pourra et ne devrait suivre que les possibilités cognitives qui sont déjà opérantes chez l’autiste. Toute autre approche, notamment inspirées de la méthode ABA, ne fera que : 1) méconnaître la cognition et l’intelligence particulière de l’autisme ; et 2) forcer l’individu à suivre des voies pour lesquelles il n’est pas préparé, de telle sorte que non seulement on exercera une violence contre l’enfant autiste mais, en plus, les résultats seront faussés par ce forçage. Le traitement de type ABA, par exemple, comparé aux dressages des animaux par Mottron, ne ferait que méconnaître l’intelligence, les possibilités réelles ainsi que les forces, les « pic d’habilités » de l’autisme [1, 2].

5 Il vaut la peine de préciser les vues de Mottron quant à l’approche de l’autisme, approche que l’auteur qualifie d’éducative, pour la simple raison que l’autisme n’est pas pour lui une maladie à soigner. Il faudrait préciser ce que Mottron entend traiter, car de cela dépend, selon lui, la validité de son approche. Dans son dernier livre sur la prise en charge de l’autisme [1], toute la clinique de l’autisme se trouve renversée quand l’auteur distingue une forme d’autisme, de sous-type autistique, qu’il nomme « autisme prototypique » et auquel il dédie la prise en charge qu’il propose, afin de le différencier d’un autisme syndromique, à savoir les manifestations autistiques d’autres maladies. En effet, la multiplication DSMiste des cas d’autisme est due, en partie, à une confusion entre ces formes. L’autisme prototypique définit un ensemble très important d’enfants autistes qui ressembleraient à la première description de L. Kanner. Ce groupe comporte peu de variabilité dans le nombre de copies génétiques, une morphotypie caractérisée (périmètre crânien à la naissance normal ou macrocéphale, pas de dysmorphie faciale), âge de marche dans la limite de la normale, une performance bonne ou très bonne dans un des domaines évalués au plan cognitif ou perceptif, une saccade oculaire vive, un langage qui évolue aussi de manière caractérisée, suivant des étapes distinctes dans l’acquisition du langage, etc.

6 Quant à l’approche de type ABA, il serait relativement facile de le critiquer: une fois considérés comme déficitaires certains domaines qui caractérisent l’autisme (sociabilité, communication), l’effort consistera à rendre positif ces aspects déficitaires. On apprendra à l’enfant très petit, par le biais d’une prise en charge très intensive de plusieurs heures par jour, à communiquer par des biais alternatifs (type PECS), mais aussi à baliser la journée par des horaires et des routines répétitives, tout en séparant l’enfant de ses intérêts et comportements restreints, ce point est essentiel (tablettes digitales, écrans divers, objets sans fonctionnalité auxquels l’enfant est très attaché, etc.). On force d’une part à améliorer ce qui manque et on prive d’autre part, ce qu’il y a en trop, car l’excès, l’hyperfonctionnement de certains domaines (perceptifs ou langagiers) est un des trait caractéristiques de l’autisme, plus que l’aspect déficitaire. Mottron pratique une critique systématique de tous les modèles d’intervention de type béhavioriste, en reprenant l’un après l’autre les items ciblés par lesdites « marques », comme il les appelle. Bien entendu, l’auteur canadien n’épargne pas la psychanalyse, qu’il accuse d’avoir négligé et déformé la particularité clinique de l’autisme, tout autant que les courants comportementaux, à ceci près que la psychanalyse est directement exclue comme éventuel traitement et n’occupe que quelques paragraphes de l’ouvrage de Mottron.

7 Mais revenons à l’analyse des modes d’intervention que l’auteur nomme les ICIP (« interventions comportementales intensives précoces »), méthodes qui n’ont rien d’autre à proposer qu’une compensation des aspects déficitaires et une privation des composantes considérées comme handicapantes (comportements répétitifs et intérêts restreints). En ce qui concerne la socialisation, dont l’altération définit l’autisme, les ICIP veulent la normaliser, mais selon les paramètres sociaux des non-autistes. Cela va à l’encontre de la nature même de l’autisme, dans lequel la socialisation n’est pas absente mais diffère des codes sociaux habituels. Quant aux comportements répétitifs, selon Mottron, ils sont souvent causés par une exploration et une recherche sensorielle typiques de l’autisme, de telle sorte que dans une grande partie de ces comportements (à l’exception des comportements dangereux) nous voyons se déployer l’intelligence et la perception propres à l’enfant autiste et non pas une anomalie comme telle qui devrait être évitée. Mottron est catégorique : il est préférable non seulement de ne pas empêcher ces comportements répétitifs, mais aussi de les encourager. L’auteur décompose, analyse et critique les modalités des ICIP selon : 1) leur « intensité » : il n’est pas certain que plus une thérapie est intensive, plus elle sera efficace. ; 2) leur « précocité » : à savoir l’idée selon laquelle plus un traitement est précoce, plus il est efficace. Cette notion provient de l’hypothèse d’une « plasticité cérébrale » dont « on ne précise jamais les limites et les contraintes, dans le cadre d’une altération génétique […] ou d’un calendrier développemental. » [1]. Or, aucune étude ne montre la modification définitive du cerveau grâce aux traitements comportementaux. Si changement il y a, il n’est vérifiable qu’à travers des échelles qui ne mesurent l’autisme qu’en tant que déficit (socialisation, comportements non fonctionnels, etc.). D’une manière générale, Mottron indique que tous les « renforçateurs » utilisés par les ICIP n’ont pas lieu d’être et ne font que dévier le développement psychologique de l’enfant dans ce qu’il a de positif et d’unique. Pour finir, quand bien même les ICIP parviendraient à modifier de manière parcellaire certains comportements (l’enfant apprend à faire bye-bye avec sa main), rien n’assure que ce changement puisse se généraliser et s’étendre à d’autres attitudes sociales et encore moins qu’il serve à l’apaisement et au bien-être de l’enfant.

8 Mottron entend donc refonder la compréhension de l’autisme [5]. Ainsi, il propose de détecter le type d’intelligence autistique pour éduquer et suivre l’enfant selon ses « propres forces », à savoir l’intérêt restreint, la séquence particulière de l’acquisition du langage (qui est strictement inverse à celle des enfants typiques), et de valoriser les intérêts et les modes perceptifs de l’enfant. De cette idée se dégage un type d’attitude bien différent, que les thérapeutes et la famille devraient adopter face au trouble. D’une part, il convient de distinguer à l’intérieur même de la clinique autistique les comportements nocifs (dangereux) de ceux qui correspondent à une augmentation de l’information emmagasinée chez l’enfant ; d’autre part, il faut pratiquer une « tutelle parallèle » sur l’enfant, radicalement différente du « face à face » classique des méthodes ABA. Il s’agit ainsi de ne pas être « intrusif » avec l’enfant et de noter que beaucoup de progrès se font « au détour d’une activité ou d’une circonstance incidente » [1]. Quant aux gains, il faut s’attendre à des « boucles de retombée » de l’intervention « à long terme » et « indirectes », plutôt que des bénéfices directs et immédiats, ce qui implique que l’on travaille « pour un temps, à perte », en misant sur des résultats décalés. Mottron s’explique aussi quant à la nécessité d’une socialisation de type autistique, différente de la socialisation ordinaire. Les apprentissages se feront dans le sens de l’organisation autistique de l’enfant (alignements ou créations d’ensembles d’objets, intérêt par les images, en privilégiant la mémorisation, etc.) en augmentant progressivement leur niveau de complexification, toujours par le biais d’une « tutelle latérale ». Quant au langage, il faut privilégier, notamment pendant la période non verbale, des modes de traitement non verbaux : « on enrichira et complexifiera les talents non verbaux où l’enfant s’est montré spontanément habile. » [1]. L’écrit permet ainsi une intervention précoce, bien avant l’acquisition complexe du langage oral. Et concernant celui-ci, l’auteur préconise encore de « paraphraser une action » plutôt que de s’adresser directement à l’enfant. Plus concrètement encore, concernant le matériel didactique avec lequel on approche l’enfant, il sera « en nombre pair : un pour l’enfant, un pour l’adulte. L’intérêt étant de ne pas maintenir l’enfant dans un cadre où il ne pourra agir qu’en imitation directe de l’adulte, lors d’une intervention de tutelle où chacun agit tour à tour avec le même objet. », Mottron propose ainsi de respecter l’intérêt de l’enfant pour ses « objets ».

La prise en charge qui suit le fonctionnement et les propositions des autistes

9 Avant la publication du dernier livre de Mottron en 2016, un article du psychanalyste Jean-Claude Maleval de 2014 [2], reprenant plusieurs propositions déjà faites en 2009 dans L’autiste et sa voix[8] et en 2008 [9], rendait compte des particularités du fonctionnement autistique et préconisait, à l’instar de Mottron, une prise en charge qui suivrait le fonctionnement propre de l’enfant et de l’adulte autiste, en s’appuyant aussi bien sur la clinique observée dans des institutions que sur des textes rendus publics par des adultes, présentant une histoire d’autisme. La particularité donc de la démarche de Maleval est de s’enseigner des intéressés plus que des experts en autisme ou, ce qui revient au même, à considérer que les autistes eux-mêmes sont des vrais experts. Ainsi, Maleval tient un propos pour le moins étonnant concernant l’approche thérapeutique qu’il propose pour les autistes : « Aucune cure psychanalytique n’y est appliquée ». Il s’inspire en cela des préconisations de la pratique à plusieurs faites par d’autres auteurs. En quoi consistent donc les propositions de Maleval et celles des auteurs dont il s’inspire ? Nous avons dit que, d’une part, il lit les propositions faites par certains de ses collègues (les textes cités remontent à 2006) et par lui-même à partir de leur pratique avec des enfants et adultes autistes en institution et, d’autre part, l’auteur s’intéresse de près aux témoignages des autistes qui rendent publiques leurs expériences. Voici comment Maleval résume ces vues sur l’approche thérapeutique de l’autisme : « Accrochage à un double, recherche d’un refuge, quête de régularités, élection d’un objet privilégié, apprentissages passant spontanément par des objets, attrait pour la musique, et socialisation dérivée de leur intérêt spécifique. Quand ils ne sont pas entravés dans leurs efforts, quand ils sont sollicités par un doux forçage, prenant appui sur leurs initiatives, et sur la dynamique de la perte, les autistes mobilisent leur énergie pour complexifier un bord protecteur qui peut parfois permettre l’émergence d’une compétence sociale. »

10 Maleval donne de l’importance aux faits suivants qui caractérisent le fonctionnement autistique :

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  1. Tout d’abord, il différencie l’autisme de la psychose infantile, en estimant qu’il s’agit d’une structure subjective particulière, à part entière, dont la nature est spécifique et ne vaut que pour l’autisme.
  2. « L’étayage sur un double » : ce double peut être la mère, ce qui est souvent le cas, un éducateur, mais aussi un frère, un animal ou une poupée de Charlotte aux fraises. Ce qui compte est que l’enfant se trouve rassuré par la présence et l’âme qu’il semble prêter à ce double. Il y aurait ainsi une sorte de transitivisme, mais aussi de fusion, au moins pendant une période de l’enfance, et parfois bien au-delà, chez l’autiste dans son rapport avec son double. Celui-ci lui sert d’étayage, de plateforme, il vit à sa place en quelque sorte. En tout cas, il ne semble pas être vécu comme un personnage intrusif, le face à face avec la personne ou l’objet est non seulement bien toléré mais même nécessaire. Maleval souligne également que cet étayage risque souvent d’être trop « fusionnel », ce qui nous mettrait en garde sur la nécessité de s’en émanciper.
  3. « Il ne faut pas être intrusif » : « plus le soignant se montre insistant, plus l’autiste initialement cherche à l’ignorer. Un animal ou un objet ne présente pas cet inconvénient. »
  4. S’intéresser aux sujets qui intéressent spontanément l’enfant : « Nous partons de l’enfant tel qu’il est, affirme-t-on en ces lieux, avec ses potentialités et ses incapacités, mais aussi avec son objet privilégié – cela peut être un bâton, une ficelle, un circuit, Walt Disney, etc. – et nous inventons des outils, des stratégies pour étendre, déplacer généraliser ce centre d’intérêt privilégié et amener progressivement l’enfant vers un processus d’apprentissage. De ce fait, l’attention et l’intérêt de l’enfant sont suscités par le travail demandé, qui devient donc motivant en soi et source de satisfactions » [6].
  5. Respecter l’ambiance posée par l’autiste : selon Maleval il ne faut pas chercher à briser les barrières posées par l’autiste.
  6. « Posture en parallèle » : « beaucoup de soignants ont empiriquement saisi que faire le double en adoptant une posture en parallèle, avec reprise allusive des comportements, est une manière d’entrer en contact avec les autistes les plus sévères ». Maleval précise : « côte à côte », dirait Deligny, « plutôt que face à face ».
  7. Maleval propose de parler « à la cantonade », sans s’adresser directement à l’enfant, ce qui est à la fois une manière de ne pas être intrusif et de parler « en parallèle » à propos d’une personne ou d’une action.
  8. Maleval propose « une invitation implicite », soit une « « pratique en ricochets », décrite par Fustier, où l’éducateur s’occupe lui-même en évitant de s’occuper de l’autre (…) cette indifférence apparente (…) suscitant la curiosité ». Maleval consent au fait que le risque de cette stratégie est que l’enfant ne suive pas l’éducateur, le soignant.
  9. Maleval se positionne contre toute approche psychanalytique au sens ordinaire: interprétations, association libre, etc., qui inhibent et angoissent l’autiste.
  10. Refuge apaisant : recherche de calme sensoriel. Maleval constate que, très souvent, il faut céder aux demandes de l’autiste, parfois étranges, sans vouloir les modifier car « la cognition de l’autiste n’est pas indépendante de sa vie affective, de sorte que tempérer l’angoisse améliore les apprentissages ».
  11. « Un doux forçage s’avère nécessaire » souligne Maleval en s’appuyant sur un texte de Di Ciaccia publié en 2010 [3]. En quoi consiste-t-il ? Il dépasse la dimension des apprentissages, et traduit le fait qu’une initiative doit venir de l’autre (soignants, parents, éducateurs) afin de « sortir » l’autiste de son espace subjectif intime. Maleval thématise ce qu’il nomme le « bord », à savoir le bord pulsionnel mais aussi symbolique que l’autiste met en place pour vivre dans ce monde (rétention de selles, construction de limites symboliques).
  12. La nécessité d’une certaine immuabilité, à l’instar de ce que fait l’autiste lui-même spontanément. Ceci est nécessaire, comme on le pratique déjà dans la plupart des institutions, afin de rendre l’environnement rassurant pour l’autiste. Dans ce cadre, il est fondamental aussi de discerner les régularités afin d’isoler les paramètres qui doivent se répéter pour structurer la vie du sujet.
  13. La prégnance des objets : ici aussi il s’agirait de respecter la tendance de l’enfant à garder ces objets investis psychologiquement. Maleval cite le propos de K. Barnett : « La plupart des éducateurs, relate-t-elle, avaient tendance à retirer un jouet préféré ou un puzzle de la table pour que l’enfant puisse se concentrer sur leurs objectifs de thérapie. Certains allaient jusqu’à les cacher. » ; Maleval précise : « Or elle avait assisté à d’innombrables séances pendant lesquelles son enfant était trop distrait par la privation d’un de ses objets autistiques pour faire le moindre progrès. Elle prit un autre parti : celui de ne pas se concentrer sur ses faiblesses, comme le font les techniques d’apprentissage, mais d’exploiter ses passions. ».
  14. Maleval, à l’encontre presque de ce qui est prôné explicitement par l’approche psychodynamique, propose de prendre en compte les intuitions de la mère de l’enfant et de l’impliquer dans la prise en charge (il donne à nouveau comme exemple le témoignage de K. Barnett à propos de son fils). Cela aurait des implications considérables si l’on pense que les familles, notamment les parents, doivent faire partie des soins de l’enfant autiste, ce qui est rarement pris en compte et par les psychanalystes, mais parfois aussi par les approches comportementales.

Discussion

12 Il serait aisé de démontrer que la plupart des points évoqués par Mottron dans son dernier ouvrage consacré à la prise en charge de l’autisme sont présents dans les propositions de Maleval, à ceci près que le texte de ce dernier le précède chronologiquement, de même que les sources bibliographiques sur lesquelles il s’appuie. Pourtant, les positions théoriques, cliniques, ainsi que le type d’activité universitaire de ces chercheurs sont bien différentes. Malgré leur différence théorique, il y a des points de convergence importants, mais également des points de divergence. Passons-les en revue :

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  1. Points de convergence : les deux auteurs se positionnent contre la version déficitaire de l’autisme, point de départ à partir duquel ils déduisent leurs propositions de prise en charge. D’une part, ils critiquent les traitements de type comportemental, comme l’ABA et, d’autre part, ils proposent de s’appuyer sur le mode cognitif des autistes, privilégiant l’écrit et le visuel, selon Mottron, ainsi que la sériation, le besoin d’isolement et des objets particuliers, selon Maleval. Maleval s’appuie sur les témoignages des autistes adultes ainsi que de leur entourage proche, mais Mottron aussi, puisqu’il dit sa dette envers une chercheuse autiste, sa collaboratrice, Michelle Dawson. Maleval propose une « posture en parallèle », Mottron une « tutelle parallèle » ; Maleval propose de s’adresser à l’enfant « à la cantonade », Mottron indique qu’il faut « paraphraser » une action que l’intervenant pratique ; Maleval insiste sur le fait de ne pas être intrusif et éviter le « face à face », même proposition chez Mottron dans son ouvrage de 2016 ; Maleval suggère un « doux forçage », Mottron propose d’enrichir progressivement les activités choisies par l’enfant ; Maleval pointe la « nécessité d’une certaine immuabilité », Mottron estime qu’il faut détecter les centres d’intérêt de l’enfant et les respecter, en les approfondissant ; Maleval demande à respecter la « prégnance des objets », source d’apaisement, Mottron indique qu’il ne faut pas empêcher certains comportements et intérêts répétitifs, à moins qu’ils deviennent « problématiques » (dangereux) ; Maleval défend le rôle de la mère, à partir des différents témoignages, Mottron demande à impliquer les parents des enfants autistes (« guidance parentale »), à l’instar de ce que le PACT développe déjà au Royaume-Uni [4] ; Maleval prône la nécessité d’une « pratique à plusieurs », de même que Mottron qui évoque la nécessité d’une équipe pluridisciplinaire, en évitant qu’un seul praticien, le psychiatre par exemple, soit le seul interlocuteur de l’enfant et la famille ; pour finir, Maleval se positionne contre l’intervention psychanalytique chez l’autiste si l’on entend par psychanalyse « l’interprétation et l’association libre », quant à Mottron, on connaît sa position concernant la psychanalyse.
  2. Points de divergence : malgré ces propositions qui se recouvrent parfaitement, les deux auteurs ont des intérêts et des pratiques très différents. Maleval estime que « ce ne sont pas leurs déficits cognitifs qu’ils [les autistes] s’efforcent de prime abord à compenser, le plus urgent pour eux est de tempérer l’angoisse. » ; Mottron aussi attire l’attention en prônant d’éviter les moments d’anxiété marquée, où le sujet est comme un « animal en cage », mais le point central chez l’autiste, dans sa vision, est d’améliorer son information. C’est la privation d’information qui engendre l’angoisse et non l’inverse. Maleval écrit : « certains pensent qu’en intervenant sur les processus cognitifs, il serait possible d’atténuer [l’angoisse]. Ce n’est pas l’opinion des principaux intéressés, ils savent que les moyens qui doivent être mis en œuvre pour contrer sur l’angoisse sont d’un autre ordre que l’amélioration du cognitif. ». En lisant Mottron, on arrive rapidement à la conclusion que pour lui, l’anxiété de l’autiste est principalement causée par le manque d’information. Cette déduction n’est naturellement pas sans pertinence, si l’on pense que souvent, quand on apporte une information, l’autiste s’apaise, mais nous avons tous fait l’expérience que, parfois, le fait d’apporter une information ne change pas, par exemple, le questionnement anxieux de l’enfant. D’une manière générale, Maleval considère que l’autiste a un inconscient, manifesté notamment par l’existence d’un corps libidinal et d’un « bord » pulsionnel, tandis que Mottron semblerait concevoir l’autisme comme une cognition différente, une intelligence singulière, en tenant moins en compte le monde affectif de l’autiste.

Conclusion

14 L’autisme est un trouble neurodéveloppemental qui est devenu un des soucis premiers des politiques de santé mentale dans le monde. En ce sens, la recherche ne cesse de se développer en psychiatrie et en neurosciences afin de définir l’autisme (par exemple, en cherchant à déterminer des « sous-groupes »), mais aussi et surtout afin d’obtenir un consensus en matière de prise en charge et de diagnostic. Laurent Mottron est un chercheur de première ligne, travaillant dans un hôpital universitaire qui fait de la recherche clinique : ses propositions au sujet de la reconnaissance de l’autisme en tant que « variante de l’humain » et non pas comme une pathologie psychiatrique, ainsi que les modalités de prise en charge et éducatives qui en découlent, sont d’une grande originalité. Qui plus est, sa recherche allant dans le sens de distinguer à l’intérieur de l’autisme un type clinique particulier, qu’il nomme « autisme prototypique », et qui n’aurait rien à voir avec l’autisme « syndromique », tend à reconnaître la « variante de l’humain » que nous avons évoquée (autrement dit, si variante il y a, elle ne concerne que ledit « autisme prototypique » et non l’autisme syndromique). Maleval, quant à lui, sans avoir les outils de recherche clinique dont compte Mottron, et depuis la psychanalyse et l’approche psychodynamique, prône la reconnaissance de l’autisme comme structure subjective unique très différente d’autres troubles psychiatriques (la psychose notamment). Il ne distingue pas un autisme « prototypique », mais ses vues sur la prise en charge sont tellement proches de celles de Mottron, qu’on a le droit de se demander s’il ne parle pas du même autisme auquel ce dernier dédie son ouvrage et sa recherche, à savoir l’autisme tel qu’il a été décrit par le travail princeps de Leo Kanner. Avec un léger décalage chronologique, Maleval et les auteurs qu’il prend en compte, précèdent le récent ouvrage de Mottron : les deux auteurs ont des points de convergence théoriques et cliniques alors que leur point de départ semble être strictement à l’opposé. Il reste à savoir dans quelle mesure ces propositions thérapeutiques sont mises en place dans les institutions et les suivis réguliers des enfants atteints d’autisme afin d’aider à leur développement et à leur participation dans notre société.

Liens d’intérêts

15 les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

Bibliographie

Références

  • 1. Mottron L. L’intervention précoce pour enfants autistes 2016 Mardaga Bruxelles
  • 2. Mottron L. L’autisme : une autre intelligence 2004 Mardaga Bruxelles
  • 3. Maleval J.C. S’orienter du fonctionnement et des dires de l’autisteQuarto108 2014 10 21
  • 4. Barnett K. L’étincelle. La victoire d’une mère contre l’autisme 2013 Fleuve noir Paris
  • 5. Mottron L. Should we change targets and models or early intervention in autism, in favor of a strengths-based education ?Eur Chuild Adolesc Psychiatry26 2017 815 825 (consulté le 13/10/2017) https://link.springer.com/content/pdf/10.1007%2Fs00787-017-0955-5.pdf
  • 6. Antenne 110. Un programme ? Pas sans le sujet. PréliminairesPublication du champ freudien en Belgique16 2006
  • 7. Lucchelli J.P. Laurent Mottron : L’intervention précoce pour enfants autistesL’Information psychiatrique93 2017 441 442
  • 8. Maleval J.C. L’autiste et la voix 2009 Seuil Paris
  • 9. Maleval J.C. Quel traitement pour le sujet autiste ?Les feuillets du Courtil29 2008 29 76

Mots-clés éditeurs : étude comparative, prise en charge, autisme, Jean-Claude Maleval, méthode Teacch, méthode Aba, psychanalyse, traitement, Laurent Mottron

Mise en ligne 14/02/2018

https://doi.org/10.1684/ipe.2018.1739

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