Couverture de INPSY_9309

Article de revue

Ouvrons la porte des cabinets de ville

Pages 727 à 728

Notes

  • [1]
    Paul Hoch P, Polatin P. Pseudoneurotic forms of schizophrenia. Psychiatric Quarterly 1949; 23 : 248-76.

1Pourquoi un dossier sur la psychiatrie libérale dans l’Information Psychiatrique – revue des psychiatres des hôpitaux, comme on le sait ? Quelle actualité dans cette modalité d’exercice de la profession ou dans les liens avec les praticiens des hôpitaux justifie cet espace d’information et de réflexion que la revue lui consacre dans ce numéro ?

2 En acceptant cette proposition, le comité de rédaction ratifiait à nouveau l’ouverture à tous les champs de la discipline et à tous les courants de pensée et de théorisations clinique et thérapeutique qui caractérisent la ligne éditoriale de la revue.

3 Malgré cet accueil tout à fait favorable, la question demeurait quant aux intérêts et la portée d’un tel thème : pourquoi un dossier sur la psychiatrie libérale ?

4 Pourquoi pas, fut la réponse la plus honnête et spontanée autour de nous. Ce qui n’est pas peu quand on pense aux clivages – idéologiques et de pratiques – qui ont pu donner forme à des méconnaissances mutuelles, avec la constitution inévitable de préjugés, voire de positions de non-reconnaissance (« on ne fait pas le même métier »).

5La psychiatrie tendrait à cliver et à s’enfermer derrière des modèles passionnés – répéteront certains d’une manière bien motivée ; d’autres verront, en revanche, dans la dépendance extrême à ces cadres de travail, dans la délimitation zélée de ces champs opérationnels, une nécessité essentielle pour construire la clinique de la souffrance psychique et sa thérapeutique. En effet, plus que pour toute autre spécialité médicale, la clinique psychiatrique trouve ses fondements (et se fonde !) en un cadre présupposé devant d’abord la contenir, la figurer, pour lui permettre de déployer son épistémè. On a l’impression que la méthode précède l’objet de sa science. En réalité, le préconçoit. C’est pourquoi, nous le pensons, il est non seulement des diversités de pratiques… mais, plusieurs « psychiatries » !

6Comme corollaire, nous pouvons affirmer, à un autre niveau, que les psychiatres savent finalement adapter leur pratique aux besoins, aux demandes et aux réalités dans lesquels ils doivent insérer l’exercice de leur art ! Osons l’optimisme.

7Pourtant, malgré ces ductilités de cadres et de savoirs, une inquiétude générale demeure entre les artisans d’un bord par rapport à leurs voisins de l’autre. Dans cette culture, de fausses idées germent et s’entretiennent concernant la nature, les fonctions, la praxis, les honoraires, les privilèges et nantissements ainsi que les « immunités » de chaque groupe professionnel par rapport à l’autre.

8Nous pensions aussi en réalisant ce dossier que nos jeunes collègues préféraient la voie de l’exercice privé ; que les psychiatres de cabinet (même ceux du secteur I) gagnaient mieux leur vie que les homologues salariés ; qu’en cabinet de ville on choisissait sa « clientèle » et que les malades soignés souffraient des pathologies « moins graves » que ceux rencontrés à l’hôpital… et bien d’autres préjugés mettant en doute le niveau d’actualisation des connaissances, l’exigence de formation continue, le maintien de la compétence de prescription médicamenteuse chez ces psychiatres bien trop affairés à assurer leurs consultations successives.

9 Et pourtant, rien de plus chronophage que d’avoir à construire l’alliance thérapeutique et son maintien au long court dans un contexte « persécuteur » en soi de par son haut niveau d’intimité (l’exercice ici est « privé » dans les deux sens du terme) ; rien de plus compliqué que d’avoir à composer avec la meilleure adéquation risque/bénéfice des traitements psychotropes à long terme dans une population ambulatoire, insérée dans des engagements socio-professionnels personnels. Et que dire de l’observance de ce traitement, n’ayant que la parole de l’usager pour en attester.

10 En ville l’interdisciplinarité et le travail en équipe sont par ailleurs plus délicats à développer qu’en institution. Mais la solitude de ces actions ne prend sa vraie dimension que mesurée à la seule responsabilité civile et pénale qu’elle invoque pour le praticien face à son patient devenu partenaire par contrat.

11 Contractuel ? Certes, le patient ambulatoire soigné en cabinet de ville nécessite de disposer de moyens cognitifs et émotionnels suffisants pour assurer cette démarche engageant son motu proprio et ce profil est probablement le plus représenté ; mais est-ce toujours le cas ? Oublions-nous les injonctions thérapeutiques judiciaires ? Seraient-elles si exceptionnelles ces situations familiales extrêmement complexes soumises au psychiatre libéral (parfois via des liens privilégiés par la coordination des soins avec les médecins traitants) dans lesquelles le déni de soin défie puissamment la prise de contact et l’établissement d’une alliance thérapeutique ?

12Ouvrons la porte de ces cabinets de ville, approchons un peu de cette réalité à « huis clos ». Nous aurons tous de quoi nourrir notre réflexion sur nos pratiques de soin quel que soit notre lieu d’exercice.

13Car, à l’inéluctable diversité clinique et thérapeutique dont nous parlions précédemment, s’ajoute un intérêt certain à croiser ces différents regards. On oublie souvent que les premières descriptions des « pseudo-névroses » – observations cliniques qui ont ouvert ce vaste champ d’études sur les structures de personnalités « limites » et le spectre des psychoses – émanèrent des cabinets de psychiatres-psychanalystes américains perplexes de ne pas voir se déployer les « névroses de transfert » sur leur divan. C’est d’ailleurs avec ce célèbre article [1] de P. Hoch et P. Polatin publié en 1949 qu’une nouvelle ère commençait ne cessant d’interroger l’énigme de la coexistence chez un même patient de niveaux d’aliénation d’un côté, d’adhésion aux soins psychiques de l’autre et de leur articulation. On le sait, la folie est tout aussi bien publique que privée !

14 L’échange entre praticiens de bord différent, la mise en évidence des points communs rencontrés et des différences constatées sont une source cruciale de l’avancement scientifique de notre discipline.

15 Ainsi, nous avons eu grand plaisir à organiser ce dossier. La première difficulté fut d’affronter l’immense diversité de configurations professionnelles en milieu libéral. Nous nous sommes concentrés pour ce numéro sur la pratique du cabinet de ville, en nous promettant un prochain numéro consacré aux cliniques et aux hôpitaux privés.

16 Nous remercions vivement les confrères qui ont bien voulu nous ouvrir la porte de leur cabinet et nous suivre dans notre « enquête » livrant ici leur précieuse contribution.

Liens d’intérêts

17 les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet éditorial.


Date de mise en ligne : 30/11/2017

https://doi.org/10.1684/ipe.2017.1699

Notes

  • [1]
    Paul Hoch P, Polatin P. Pseudoneurotic forms of schizophrenia. Psychiatric Quarterly 1949; 23 : 248-76.

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