Couverture de INPSY_9308

Article de revue

Utilisation des objets connectés dans le trouble d’adaptation

Pages 669 à 675

Notes

  • [1]
    L’entreprise française Withings, créée en 2008, a été rachetée en 2016 par Nokia qui a développé un département santé, Nokia Health.

Introduction

1Tenir une comptabilité des objets connectés à destination de santé (OCDS) s’avère vite laborieux tant le marché évolue constamment et tant les développeurs privés peuvent être des entreprises à forte visibilité comme des start-up plus confidentielles disséminées sur la planète. Certaines mutuelles offrent le service de tester des produits et mettent en ligne un guide de la santé connectée [1]. On y retrouve une petite cinquantaine d’OCDS au premier rang de laquelle caracole une vingtaine de bracelets connectés, tous capables d’enregistrer les pas de la journée et les mouvements au cours des phases de sommeil. Pour les plus avancés (Withings, devenue depuis Nokia Health  [1]), les algorithmes savent maintenant reconnaître différentes activités physiques vous incitant ainsi à améliorer vos performances. Moitié moins nombreux, les balances et brassards à tension ont le mérite d’enregistrer les données au fil du temps pour voir évoluer la santé selon les modifications de traitements ou d’habitudes alimentaires. À noter que la plupart de ces OCDS permettent d’adresser les données graphiques au médecin de son choix. Nous percevons là une première limite car chacun sait que la tension artérielle, comme le poids, doit être prise dans des conditions comparables rarement obtenues à domicile. Plus rares sont les thermomètres connectés, les glucomètres, oxymètres, appareils à ECG, appareils d’électrostimulations pour le contrôle de la douleur ou encore les capteurs posturaux pour le lombalgique. Nous retiendrons aussi l’apparition de plusieurs capteurs de matelas (Aura, HugOne...). Ils permettent une analyse du sommeil plus fine et surtout celle des conditions d’environnement sonore et lumineux de la chambre. Ils sont ou non couplés à un réveil progressif lumineux avec radioréveil et programme d’aide à l’endormissement.

2 Dans notre recherche personnelle nous avons trouvé plus de 90 OCDS actuellement en vente, certains sont trop récents pour avoir déjà été testés. Nous porterons une attention particulière à Spire [2] dédié à la gestion du stress. Non commercialisé en France, il s’agit d’un capteur placé entre la ceinture et l’abdomen ; il enregistre en continu les pressions à chaque mouvement respiratoire et permet de reconnaître quatre situations émotionnelles selon la ventilation : activité physique, concentration, stress, détente. Enfin citons Dodow, métronome « semi-connecté » qui aiderait à l’endormissement par un exercice respiratoire, et MyBiobody qui utilise l’impédancemétrie. Les équipes médicales ne sont pas non plus de reste et portent une attention particulière aux nouveaux systèmes d’aide à la décision médicale (SADM), notamment sur le trouble bipolaire comme le rappelle le Dr. Bourla (hôpital Saint-Antoine, Paris) [3].

3 Cette pléthore d’OCDS grand public peut bousculer le psychiatre, pris entre vertige et déception de constater qu’aucun de ces objets n’est finalement dédié à la maladie mentale. De plus, le flou entre bien-être et santé peut dérouter plus d’un médecin. Aussi, il nous a fallu créer les ponts entre une pathologie que nous étudions depuis plus de 20 ans et les possibilités actuelles des OCDS. Nous avons nommé cette approche DEED. Plus qu’une méthode de soins, DEED est une façon d’envisager la lecture diagnostique et le traitement de nos patients basés sur les évidences, c’est-à-dire sur des données objectives. Ce développement a engendré un protocole de recherche en même temps qu’il fournissait nombre de renseignements individuels judicieusement observés par les équipes de soins. L’ensemble ouvre une discussion sur l’apport des OCDS dans les pathologies du stress tant à court qu’à moyen terme, tant en hospitalisation complète qu’en ambulatoire dans les conditions réelles de vie.

Le choix des marqueurs de stress chroniques

4Le stress en tant que tel n’est pas reconnu comme une pathologie dans les classifications diagnostiques comme le DSM-5 ou la CIM-10. La cause en est probablement le flou qui entoure sa définition, désignant tout à la fois la contrainte à subir que la réaction de l’organisme à cette contrainte comme l’a voulue Selye depuis 1936. Pour autant, le monde scientifique et médical sait parfaitement depuis plus de 20 ans que le stress aigu se définit comme une cascade d’événements neurophysiologiques dont les conséquences neurovégétatives immédiates puis neuroendocriniennes à peine plus tardives concernent l’organisme tout entier [4, 5]. On sait également que la répétition des stress génère des pathologies stress-induites coronariennes [6], digestives [7], endocriniennes [8] avec anomalie du cycle du cortisol, de la douleur [9], immunologiques [10], cancéreuses [11] et psychiatriques [12]. Le clinicien trouvera plusieurs cotations en diagnostic principal pour les différentes situations d’épuisement psychiques, F430 pour les stress aigus, F431 pour les stress post-traumatiques et F432 pour les troubles de l’adaptation. Il cotera aussi en diagnostic associé les facteurs de stress professionnels Z56, conjugaux Z63, familiaux Z60, juridiques Z65, financiers Z59, etc.

5Cette énumération laisse aux scientifiques un large choix de marqueurs mais dans la pratique clinique quotidienne il n’en est rien. Outre les marqueurs biologiques dont seul le cortisol semble fiable [12], toute la difficulté pour aborder les pathologies stress induites – c’est-à-dire observer les mécanismes de l’adaptation à la vie courante – revient à disposer de données objectives et continues sur plusieurs semaines donc non invasives. Les différentes échelles de cotations depuis Holmes et Rahe en 1967 jusqu’à l’échelle d’évaluation des événements de vie (ALES) de Fergusson en 1999, en incluant l’échelle de stress perçu (PSS) de Cohen en 1983, sans omettre les observations du psychiatre Claude Veil dès 1959 sur l’épuisement professionnel reprises par Christina Maslach et l’échelle éponyme sont toujours teintées d’une double subjectivité, celle du patient et celle du cotateur. Ces échelles n’offrent qu’un instantané de la situation et ne tracent pas de cinétique du comportement au cours des semaines précédentes ou à venir, dans les conditions réelles de vie, ni l’impact direct d’un traitement médicamenteux.

6 Notre première contrainte était de mesurer des signaux infracliniques que le patient ou le médecin ne puissent influencer. La deuxième était économique ; il s’agit alors d’utiliser du matériel grand public peu onéreux, intuitif et disponible en grand nombre. La troisième inhérente à la seconde, fut de pouvoir disposer de données chiffrées importables informatiquement ; le caractère « grand public » de l’OCDS est synonyme de convivialité, d’interactivité, de design et non pas de calcul, statistique, importation des données. Il nous importait d’extraire des données médicalement utilisables à partir d’un simple gadget tendance. Enfin, il fallait pouvoir conserver la confidentialité des données médicales et être en accord avec les normes qualité régissant le dossier patient dans les différentes strates des certifications successives.

7Parmi les quatre grands symptômes psychiatriques des troubles liés à l’épuisement (exhaution induced disorders, EID) nommons-les ainsi, nous retenons les troubles du sommeil, les troubles de l’humeur, l’anxiété et les troubles du comportement. Par trouble du comportement nous entendons le comportement locomoteur et non pas sexuel ou alimentaire, aujourd’hui impossibles à mesurer objectivement sans influencer le sujet. On sait aussi que les stress de l’enfance modifient chez l’adulte la méthylation du gène codant les récepteurs au cortisol [13]. Les bracelets connectés permettent de mesurer en continu deux de ces quatre symptômes justement influencés par le cortisol, à savoir le sommeil et l’activité de jour. Ils ont tout naturellement été choisis en première intention. Parmi les marques commercialisées une seule s’est imposée car elle permet de synchroniser plusieurs bracelets à partir d’un même compte ce qui garantit la confidentialité des données et qu’elle permet également l’importation des données chiffrées sur un tableur. Nous avons donc choisi Withings Pulse Ox de Nokia Health, puis la version plus récente, Nokia Go, du même fabriquant.

Usages des bracelets connectés et capteurs de matelas

8Au sein de l’établissement, nous avons déployé les OCDS en plusieurs temps. Le premier est une étude menée avec la rigueur scientifique. Elle utilise les bracelets connectés au cours des troubles de l’adaptation qui permettent l’actimétrie, c’est-à-dire la mesure continue et non invasive de l’activité de jour comme de nuit pendant la durée des soins. Le deuxième est l’extension transversale à toutes les unités de soins par les équipes soignantes. Le troisième concerne les patients en ambulatoire.

Étude scientifique à court terme

9Dans un premier travail [14], nous avons mesuré systématiquement pendant deux ans le cycle du cortisol et le syndrome métabolique pour tous patients hospitalisés à la clinique Lyon-Champvert pour troubles de l’adaptation F4322 du CIM-10. Au cours des six derniers mois, nous avons enregistré pendant les huit premiers jours de l’hospitalisation l’actimétrie diurne et nocturne par les bracelets connectés. Ce fut un travail tout à fait excitant à la mano sur un petit groupe de patients, pour tester la faisabilité et l’intérêt d’un tel procédé. Soixante-six pour cent des patients souffrant cliniquement de troubles de l’adaptation avaient une anomalie biologique du cycle du cortisol. Dans ce cas, il existait différentes corrélations entre les paramètres métaboliques, corrélations qui n’étaient pas présentes dans le groupe de patients sans anomalie du cycle du cortisol. De plus, dans ce groupe nous observions un couplage inverse des activités nocturnes et diurnes pendant cette première semaine d’hospitalisation. L’ensemble pose la question de l’existence d’un marqueur de trait ou d’un marqueur d’état des pathologies liées aux stress chroniques. L’utilisation des bracelets connectés dans cette étude observationnelle a permis de différencier deux sous-groupes au sein des troubles de l’adaptation, sous-groupes qui diffèrent tant sur le plan biologique que comportemental. La mesure continue, objective et non invasive du comportement a permis la découverte d’un couplage inverse statistiquement significatif entre les comportements de jour et de nuit dans ces pathologies de stress chronique. Les conséquences thérapeutiques sont immédiates dans la mesure où les activités thérapeutiques non médicamenteuses sont prescrites selon l’appartenance à l’un ou à l’autre des sous-groupes.

La généralisation à l’ensemble des patients de l’établissement fut une étape incontournable qui apportait une dimension médicale à l’utilisation des OCDS

10Il fut nécessaire d’obtenir la validation du projet auprès des différentes instances, comité médical, département qualité, comité de lutte contre les infections nosocomiales, commission des usagers et comité du médicament et des dispositifs médicaux. Nous avons dû également former les soignants à l’utilisation de ces étranges objets, et définir un Centre d’évaluation et de traitement des stratégies de l’adaptation (Cetsa). Finalement nous avons opté pour une équipe transversale plutôt qu’un personnel référent au sein de chaque unité de soins. En effet, il est apparu important d’avoir un regard global sur l’ensemble du parc des OCDS pour une meilleure répartition selon les besoins des unités de soins. La première contrainte était d’établir pour chaque usager un rapport hebdomadaire d’actimétrie qui pouvait figurer dans le dossier patient après synchronisation des données auprès du patient et leur importation pour la rédaction de ce rapport. Chaque médecin en charge du patient signe ce rapport selon l’état clinique observé et assure ainsi la cohérence entre la mesure objective et la clinique.

L’utilisation des capteurs de matelas

11Le comité médical a émis le souhait d’avoir des mesures plus précises pour les troubles du sommeil. Le modèle choisi, Withings Aura, est un capteur connecté glissé sous le matelas relié à une lampe posée sur la table de chevet. Ce capteur enregistre l’ensemble des mouvements du sujet y compris la fréquence cardiaque dès lors qu’il est allongé sur son lit, de jour comme de nuit. Comme le bracelet connecté il renseigne sur les phases de sommeil avec et sans mouvements, mais aussi sur les périodes de sommeil paradoxal détectées grâce à la variation de la fréquence cardiaque. De plus, la lampe annexée enregistre l’ambiance sonore, lumineuse et la température de la chambre donnant ainsi de précieux renseignements sur les conditions de sommeil.

Intérêts scientifiques et cliniques

Étude à moyen terme

12Pour répondre à la question posée dans l’article [11], (voir ci-dessus le § « Étude scientifique à court terme »), nous avons refait les mesures d’actimétrie selon le même protocole mais sur des échantillons plus importants de patients, à savoir 15 patients souffrants de troubles de l’adaptation avec composante somatique nommés F432 soma+ – c’est-à-dire anomalie du cycle du cortisol – versus 13 patients ayant le même diagnostic sans cette anomalie somatique, nommés F432 psy. Nous avons poussé l’observation sur une durée trois fois plus longue à savoir 25 jours. Les résultats présentés dans les figures 1 et 2montrent plusieurs découvertes. Tout d’abord, les durées des phases de sommeil avec et sans mouvements se repartissent environ à parts égales, 50/50, dans chacun des deux groupes, comme c’est le cas chez le sujet sain (cf. infra). Ensuite, qu’il existe une reprise progressive et constante de l’activité de jour au fil de l’hospitalisation dans chacun des deux groupes. Cette reprise d’activité diurne est plus marquée en début de séjour pour le groupe F432 soma+, mais plus nette en fin de séjour pour le groupe F432 psy, montrant là encore des différences dans la cinétique d’amélioration clinique entre les deux sous-groupes. Plus surprenante est la confirmation du couplage inverse entre activité de jour et de nuit seulement dans le groupe F432 soma+. Ce couplage inverse intéresse seulement la durée totale de sommeil calme. La durée totale de sommeil avec mouvements n’est pas affectée par l’activité diurne tout au long du séjour, dans aucun des deux groupes. L’ensemble serait en faveur d’un marqueur de trait si l’on pouvait confirmer que l’anomalie du cycle du cortisol disparaît en fin d’hospitalisation quand l’état clinique est restauré. La discussion portera sur la persistance ou non de cette anomalie neuroendocrinienne au-delà du constat clinique. Comme pour la précédente étude, il n’y a pas de différence significative en genre, âge et traitement entre les deux groupes.

Figures 1 et 2. Cinétiques de 25 jours de l’activité diurne (millier de pas/J, trait bleu foncé), de la durée de sommeil sans mouvement (heures/j, trait bleu clair) chez 15 patients F432 soma+, comparativement à 13 patients F432 Psy. J0 est le jour d’admission.

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Figures 1 et 2. Cinétiques de 25 jours de l’activité diurne (millier de pas/J, trait bleu foncé), de la durée de sommeil sans mouvement (heures/j, trait bleu clair) chez 15 patients F432 soma+, comparativement à 13 patients F432 Psy. J0 est le jour d’admission.

13 Cette nouvelle étude observationnelle en intention de traiter sur le moyen terme, montre l’utilité de la mesure du rythme veille/sommeil comme système d’aide à la décision médicale (SADM) au cours des EID. En effet, l’activité physique comme traitement non médicamenteux, à juste titre conseillée par nos confrères cardiologues, pneumologues, cancérologues, et reprise dans les médias, est ici clairement contre-indiquée dans ce groupe F432 soma+ car elle représente un stress supplémentaire pour l’organisme dans une période où le soma montre des signes de souffrance métabolique. De plus, dans le groupe sans souffrance somatique objectivable on voit que la reprise de l’activité diurne ne modifie pas les durées de sommeil qu’il soit sans ou avec mouvements.

14 À ce propos, nous présentons ici une observation cas unique, sur sujet dit sain de 53 ans. Sur une période d’enregistrement de 5 semaines consécutives, nous montrons qu’une augmentation de 2,5 fois de l’activité physique ne modifie pas significativement les durées totales des différentes phases de sommeil ( figure 3 ), alors que la fréquence cardiaque au réveil diminue de 10 % sur la période (70 bpm versus 63 bpm).

Figure 3

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Figure 3

Évolution sur 5 semaines consécutives des moyennes journalières de l’activité de jours (pas/j, points bleus), de la durée de sommeil avec mouvements (secondes/j, bleu clair), et de la durée de sommeil sans mouvement (secondes/j, bleu foncé). La première semaine (activité courante) est celle d’un travail sédentaire, la deuxième semaine (ski) est passée à plus de 2000 m d’altitude, les troisième et quatrième semaines (10K) correspondent à 10 000 pas chaque jour, le cinquième semaine (retour à l’activité courante) et la reprise de la même activité professionnelle sédentaire.

15 Ainsi, chez le sujet anxiodépressif stress-induit comme chez le sujet dit sain l’augmentation de l’activité physique n’augmente pas la durée totale des sommeils.

Observations des équipes de soins en hospitalisation complète

16 Nous disposons d’un parc de 35 bracelets connectés et de 15 capteurs de matelas. Entre février 2016 et avril 2017 plus de 440 patients ont pu bénéficier de cette nouvelle technologie.

17 Nous avons été agréablement surpris de la facilité d’intégration des OCDS dans les programmes de soin. Tout d’abord par les soignants qui ont su ne pas stigmatiser les bracelets connectés comme gênants le dialogue soignant soigné. Bien au contraire, les mesures objectives ont permis de trouver facilement des terrains d’entente autour des troubles du sommeil.

18 Citons le cas clinique d’une patiente adressée par son médecin traitant via les urgences pour insomnie résistante à l’association d’hypnotiques. Dès les premières mesures du cycle veille sommeil est apparue une durée totale de sommeil de plus de 9 h par nuit ! Pourtant la plainte de la patiente restait bruyante. L’interrogatoire ciblé et appuyé par les données objectives a mis en évidence une lutte antidépressive secondaire à la perte récente d’un enfant que la patiente avait occulté à cause de la douleur ; le couple venait d’ailleurs de se séparer, fait justifiant à lui seul l’insomnie déclarée.

19 Citons cet autre cas de M. R. admis pour sevrage alcool. L’utilisation de Aura a révélé en quelques nuits un bruit nocturne ambiant, constant, sinusoïdal qui n’était pas expliqué par une TV restée allumée (le bruit ambiant affiche alors une fréquence bien plus élevée), ni par la climatisation arrêtée la nuit comme le montrait la variation de température de la pièce. Nous avons pensé aux ronflements, ce que le patient confirmait en avouant souffrir d’apnées du sommeil, être appareillé mais ne pouvant pas utiliser son masque mal ajusté. Le dialogue a permis de reprendre l’utilisation de l’appareil respiratoire, de le régler, de réduire considérablement les benzodiazépines (BDZ) jusque-là tenaces.

20 Citons enfin Mme D., 80 ans, hospitalisée avec 160 mg/j d’oxazépam pour insomnie. L’utilisation d’Aura a rapidement montré que la patiente passait 20 h/jour allongée sur son lit ! Elle dormait souvent y compris en sommeil paradoxal ce qu’elle reconnaissait mal. La mise au fauteuil puis à la marche a permis d’arrêter les BDZ.

21 Il y aurait tellement d’autres cas à énumérer, ce journaliste qui inversait son cycle jour nuit à vouloir suivre les informations toute la nuit, ce patient aux jambes sans repos, les mictions nocturnes qui révèlent un diabète, les siestes de deux heures qui entament le sommeil de nuit, les activités de jour très faibles des mélancoliques, les 17 km/j de ce patient maniaque dans le parc qui échappait ainsi à l’observation de l’équipe, etc.

22 Très agréablement surpris également du respect que portent les patients sur ce matériel mis à leur disposition, des échanges qu’ils font entre eux, des questions qu’ils viennent poser aux soignants sur leurs cycles, de l’auto-mesure encadrée qui les motive ou les réconforte dans leurs efforts de soin. Depuis plus de 2 ans que nous utilisons les objets connectés, nous n’avons eu aucune plainte concernant une quelconque surveillance persécutoire, aucun vol de matériel. Pour les patients, il semble que ces OCDS soient acceptés comme l’est un appareil à tension, une balance ou un glucometer. À l’inverse, nous n’avons pas eu le sentiment qu’ils comprenaient l’utilisation des OCDS en psychiatrie comme une innovation sans précédent. Et c’est bien ainsi.

Des observations en ambulatoire

23 Nous avons externalisé le processus d’abord aux patients ambulatoires suivis en hôpital de jour puis aux patients de consultations dans les conditions réelles de vie. Cette nouvelle étape ne sollicite pas les ressources intra. Donnons deux exemples.

24 Mme V., 74 ans, est suivie depuis plus de 30 ans pour trouble bipolaire. Elle vit avec son mari en Ehpad et porte un bracelet connecté depuis le début 2017. Outre les consultations semestrielles nous suivons son actimétrie à distance et adaptons le traitement en coopération avec son mari proche aidant. Le médecin de l’Ehpad peut consulter lui-même les graphiques sur la tablette tactile sur place et les échanges téléphoniques s’appuient sur des données objectives partagées. Les cinétiques ( figure 4 ) montrent que la patiente se déplace très peu à cause d’une gonarthrose bilatérale sévère, moins de 500 pas/j en moyenne, cette activité de jour est stable et n’est pas discriminante selon les phases d’agitation ou de dépression. Par contre le sommeil sans mouvement (AK) affiche une oscillation nette comme le montre la courbe de tendance polynomiale de degré 4, avec un cycle d’environ 100 jours. Il n’y a pas de variation de la structure du sommeil sur cette période de 4 mois puisque le rapport K/AK entre les phases avec mouvement (K) et AK reste stable tout comme le traitement médicamenteux. Ces données sont confirmées cliniquement par le mari.

Figure 4

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Figure 4

Cinétique long terme de la durée de sommeil sans mouvement (AK), et du nombre de milliers de pas/j chez une patiente de 74 ans, bipolaire sous thymorégulateur. Les données manquantes sont inhérentes aux conditions réelles de vie.

25 M. E., 35 ans, aux antécédents d’épisode dépressif résistant il y a 15 ans arrive à la consultation avec une agitation anxieuse et insomnie sévère. La cinétique de pas montre que le traitement par antipsychotique atypique (APA) apporte un apaisement de l’agitation motrice en 20 jours avec une durée de AK de 6 h/nuit en moyenne ( figure 5 ). Après 6 semaines d’amélioration clinique nette, le traitement est réduit. La cinétique du rapport K/AK montre alors une reprise du sommeil agité ( figure 6 ) invitant à maintenir le traitement en coopération avec le patient. Le suivi à distance a permis de rassurer le patient par téléphone entre les consultations.

Figure 5

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Figure 5

Cinétiques de l’activité de jour et du sommeil calme chez un patient de 35 ans dépressif sévère récidivant.

Figure 6

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Figure 6

Cinétique chez ce même patient, du rapport K/AK, montrant un sommeil artificiellement calme sous traitement APA (K/AK < 1) de début octobre à début décembre, devenant plus agité après la baisse du traitement à partir du 10 décembre.

Discussion et perspectives

26 Pour le psychiatre, l’utilisation des OCDS est une révolution. Pour la première fois dans l’histoire de cette spécialité nous disposons de données objectives, continues et non invasives. Elles apportent des renseignements uniques sur le comportement du patient dans ses conditions réelles de vie. Au prix d’une manipulation préalable dont nous espérons être soulagés par les systèmes de l’information, ces données sont faciles à interpréter pour qui sait extraire la donnée pertinente dans la masse d’informations déversées. Certes, il semble encore nécessaire d’associer des compétences médicales et neuroscientifiques pour l’interprétation des données. Peut-être faudrait-il prendre le train en marche et apporter aux acteurs privés fournisseurs des OCDS une traduction médicale avec rigueur scientifique ?

27 Nos résultats montrent la possibilité de différenciations diagnostiques infra-cliniques, de validations ou d’invalidations par des professionnels de santé d’informations répandues dans le grand public, de suivis de patients à distance avec aide à la décision thérapeutique, et enfin la possibilité d’actions simultanées avec les proches aidants ou les confrères. Ainsi les OCDS deviennent des SADM, ce qui ouvre un débat législatif et économique. En effet, les OCDS conservent leur dynamique d’innovation tant qu’ils ne sont pas soumis à la législation des dispositifs médicaux, dont pourtant ils ont aujourd’hui toutes les caractéristiques. Nous avons eu l’honneur de participer à l’élaboration du guide de bonnes pratiques des Apps et objets connectés mis à disposition sur le site de l’HAS qui encadre l’utilisation de ces objets.

28 Pour le patient et le collectif, le bénéfice est multiple. Les données objectives permettent un ajustement des traitements plus rapide (cf. supra). Notre expérience montre que l’auto-mesure opère comme un entraînement et amène le patient à modifier son comportement bien plus efficacement que l’injonction médicale. L’auto-mesure encadrée par un médecin expert lui permet d’établir un partenariat de soin sur des données qu’il va fournir de son propre chef car il comprend qu’elles le personnalisent et qu’il attend un programme de soins au plus près de lui-même. La responsabilisation et l’éducation du patient augmentent considérablement l’adhésion au parcours de soins. Elles peuvent lui donner un statut de patient expert ou de patient ressource. À notre sens, ce partenariat de soin par l’auto-mesure encadrée (Psame) est la condition sine qua non d’une réduction des coûts de santé, car il résout la question des déserts médicaux, réduit le délai d’attente, permet et redéfinit les parcours de soins, améliore la fluidité des informations de santé, et il est adapté à la prévention et à l’éducation sanitaire. En somme Psame améliore l’accès aux soins. Ces techniques innovantes ont un coût initial et faisons le vœu fraternel qu’elles soient accessibles à chacun au-delà des frontières.

29 Les perspectives sont à l’enthousiasme et nous espérons rapidement une automatisation paramétrable des variables comportementales. Nous attendons avec impatience l’alliance des smartphones avec la microfluidique depuis la création de l’Institut Pierre-Gilles de Gennes ou comme l’annonce Emmanuel Delamarche du centre de recherche d’IBM à Zurich [15]. Est-ce vraiment rêver que de suivre le cortisol ou l’amylase salivaire au lit du patient, chez lui et de repérer l’évolution du stress à l’échelle planétaire ?

Liens d’intérêts

30 les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

Références

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Mots-clés éditeurs : dépression, prise en charge, e-santé, accompagnement thérapeutique, évaluation, objet connecté, technologie de l’information et de la communication, stress, sommeil

Date de mise en ligne : 27/10/2017

https://doi.org/10.1684/ipe.2017.1690

Notes

  • [1]
    L’entreprise française Withings, créée en 2008, a été rachetée en 2016 par Nokia qui a développé un département santé, Nokia Health.

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