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Article de revue

M’agacent...

Pages 7 à 8

1Depuis quelques temps maintenant, je suis quelque peu agacée par certains discours actuels autour de la contention et de l’isolement. À l’heure actuelle, je n’entends (quasiment) nulle part que ces mesures, thérapeutiques rappelons-le, font partie de la palette de soins d’un grand nombre de psychiatres, du moins pour ceux exerçant dans le service public et au contact de patients présentant les pathologies les plus lourdes et les plus invalidantes.

2 Je ne viens aucunement prôner l’utilisation de ces mesures à tout va. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’abus, que le recours trop fréquent à l’isolement et à la contention ne reflète pas, parfois, le manque de moyens humains et de formations dédiées dans les services de secteur, etc., etc. Mais, quoi qu’il en soit, l’utilisation de ces outils thérapeutiques peut s’avérer être indispensable et un prérequis nécessaire chez des patients en grande souffrance avec qui le dialogue n’est pas encore possible, avec qui l’alliance thérapeutique n’est pas encore créée, ou chez qui la pathologie envahit le champ de conscience. Je pense, par exemple, à cette borderline qui s’auto-mutile les seins en permanence et va même jusqu’à s’arracher les fils de suture des plaies précédentes, à ces schizophrènes prêts à s’infliger les pires automutilations pour retirer les micros, caméras et autres puces électroniques qui seraient dans leur corps… Mais je pense aussi à ceux qui demandent à être isolés pour diminuer les stimuli ou la lutte contre des injonctions hallucinatoires agressives, ou à ceux même qui ont pu demander un maillot de contention, parfois seul moyen d’apaiser leurs angoisses de morcellement… Est-ce alors « dégradant », comme le qualifient certains, d’aller dans le sens d’un patient qui demande à « s’isoler » (au sens propre comme au figuré) ou de protéger un autre de sa propre auto-agressivité ? Est-ce là une atteinte à leur « dignité » ?

3Si je peux entendre les craintes que peuvent éveiller ces pratiques quand elles viennent d’associations de familles de patients, je ne peux comprendre qu’elles soient relayées, voire même amplifiées, par des collègues. Effectivement, comment peuvent-ils rassurer leurs patients et leurs proches si eux-mêmes ne sont pas au clair avec leurs pratiques, si eux-mêmes ne sont pas intimement convaincus du bénéfice thérapeutique des mesures qu’ils mettent en place ? Mais, ceux qui se sont fédérés pour lutter contre la stigmatisation de la psychiatrie et de nos patients sont les premiers, aujourd’hui, à stigmatiser notre profession. Ils se posent également en donneurs de leçons, assénant, « [ils le savent] », « que l’on peut faire autrement ». Comment doit-on réagir, nous psychiatres qui prescrivons (oui, prescrivons) des mesures d’isolement et de contention, face à cette vision réductrice et insultante sous-entendant que ceux qui ont recours à ces pratiques ne seraient pas « suffisamment impliqués et engagés dans le désir d’écouter les patients, de parler avec eux, de chercher avec eux les conditions d’un soin possible » ? Expliquez-moi, chers collègues, comment prendre en charge un patient en pleine fureur maniaque ou catatonique, en proie à un grand automatisme mental ou bien présentant un état d’agitation extrême en lien, par exemple, avec une intoxication aiguë ? Concernant ce dernier point, je ne vais bien évidemment pas vous apprendre que la clinique actuelle n’est pas superposable à celles des décennies antérieures et que les tableaux présentés par nos patients consommateurs de cannabis, de crack, de cocaïne et/ou de MDMA diffèrent de ceux observés par nos aînés ?

4 À moins que vous ne preniez pas en charge ce type de patients et que ce ne soit pas vous qui soyez en première ligne ? Parce que vous travaillez en libéral, en clinique privée ou même parce que, bien qu’exerçant en service de secteur, vous faites partie de ceux qui confient leurs patients agités et/ou hospitalisés sous contrainte aux services d’à côté ? À moins que, telle une collègue entendue récemment lors d’un congrès, vous soyez un de ces fervents défenseurs du « c’était mieux avant », encensant le « regretté » Barnétil ou autres molécules du siècle passé, et vilipendant vos « jeunes collègues » en arguant que « maintenant on les attache dès qu’ils se grattent le nez » ? À moins que, comme un autre intervenant invité à se positionner « contre » l’isolement et la contention, vous revendiquiez que « c’est possible de travailler sans contention », tout en expliquant que vous pouviez, aux urgences, demander à des policiers de rester présents lors de votre examen (faisant ainsi fi du secret médical), et en ajoutant que ça ne vous dérangeait pas de les voir, lors dudit examen, mettre à genou votre patient et le menotter. Celui-là même prônera également que, devant toute violence, toute pathologique qu’elle soit, il faut responsabiliser le patient et le mettre face à la justice ; il dira aussi que, pour cette raison, il préfère, face à des patients présentant des actes de violences, intervenir en prison.

5C’est peut-être là que le bât blesse… Je sais que la prison n’est pas un lieu de soins, aussi sécurisé qu’il soit. Je sais qu’un soignant qui contient physiquement un patient n’est pas un surveillant pénitentiaire qui l’immobilise. Je sais qu’un soignant qui contentionne un patient n’est pas un policier qui le menotte. La différence me demanderez-vous ? Le sens thérapeutique et la façon dont on parvient à l’expliquer, le réexpliquer au patient. Pour cela, il ne faut bien évidemment pas avoir honte de ses pratiques et sortir des discours démagogiques. Il faut donc assumer que l’isolement et la contention peuvent être des outils de soins et développer des formations dédiées, tant pour les psychiatres que pour les paramédicaux. Car c’est la non-reconnaissance de ces pratiques, et donc l’absence de formation spécifique, de transmission de savoir, de dialogue et de réflexion autour, qui laissent la porte ouverte à des mesures non adaptées, parfois punitives et traumatiques pour nos patients. Par formation, j’entends permettre d’intervenir de manière mesurée et sécurisée dans les moments de crise, apprendre à contenir un patient sans plus de force que nécessaire, mais aussi les paroles et attitudes pour accompagner le patient, l’apaiser et lui expliciter ce soin, prévenir les complications liées à l’immobilisation, etc. En effet, l’isolement et la contention, que nous pourrions assimiler à des mesures de soins intensifs, devraient systématiquement s’accompagner d’une présence soignante et médicale accrue auprès des patients. Il s’agit là d’être au plus près d’eux dans les moments où ils sont au plus mal. « La sangle », comme certains la nomment, n’est pas antinomique du « lien humain », au contraire : elle est parfois le seul moyen de restaurer ce lien que la violence vient attaquer en permanence. Il n’y aurait que des patients qui auraient vécu la contention comme « un traumatisme à jamais ancré dans leur chair et dans leur cœur »… Sommes-nous si peu nombreux les psychiatres ayant entendu des patients avoir un retour positif sur une prescription d’isolement voire de contention ? Cessons d’ailleurs avec ces effets de manche démagogiques, alarmistes à l’extrême, réducteurs, simplistes et tape à l’œil. À en croire certains, nos services de psychiatrie ne seraient remplis que de patients « ligotés », « attachés » par des « sangles qui font mal, qui font hurler, qui effraient plus que tout », livrés à eux-mêmes, sans aucun soignant qui ne vienne s’occuper d’eux. Encore une fois, il s’agit là de collègues qui véhiculent ce genre de stéréotypes dignes de films d’horreur. Ceux-là mêmes qui se targuent de bien soigner et de rassurer leurs patients véhiculent une image fausse de notre spécialité, alimentant craintes, fantasmes et réactions d’effroi. Ceux-là mêmes qui accusent une certaine classe politique d’alimenter les peurs du grand public avec l’image du « fou dangereux » utilisent les mêmes (grosses) ficelles que les politiques qu’ils dénoncent pour véhiculer le stéréotype du psychiatre et des soignants tortionnaires et déshumanisants. Un tel positionnement pourrait même traduire une certaine ignorance des indications médicales d’isolement et de contention, de la façon dont ces pratiques peuvent être mises en place en y donnant du sens et même, j’ose, de la bienveillance qui peuvent, et doivent, les accompagner.

6Pour finir, chers collègues, ne pensez-vous pas que le débat est ailleurs ? Au lieu de se livrer à un combat fratricide autour de positionnements pseudo-idéologiques, ne devrions-nous pas, tous ensemble, lutter pour plus de moyens humains et financiers dans les services de secteur psychiatrique, tant en intra- qu’en extra-hospitalier ? Ce serait, à mon sens, une mission, certes plus complexe, mais on ne peut plus bénéfique et profitable pour nos patients.

Liens d’intérêts

7 l’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec le texte.

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