Couverture de INPSY_9108

Article de revue

Le secret médical en prison et ailleurs. Un concept dépassé et ringard ou un désordre des esprits ?

Pages 662 à 670

Notes

  • [1]
    Et phrase que personnellement je poursuis toujours de la manière suivante : « et y compris de travers ».
  • [2]
    Le Conseil d’État ne peut se déjuger puisqu’il a approuvé les textes précédents sur lesquels s’appuie la circulaire.
  • [3]
    Le transfert des moyens du sanitaire vers le médico-social est un des moyens de diminuer ces coûts.
  • [4]
    D’où une tentative dans la réforme pénale, non adoptée finalement, de communiquer des expertises psychiatriques, dans la société civile à la libération de personnes détenues.
  • [5]
    Tout particulièrement dans l’univers carcéral infiltré de « paranoïa » et d’absence d’intimité.
  • [6]
    L’absence de capacité à faire psychiquement des corrélations entre ce qu’expérimente le personnel politique dans sa vie professionnelle et politique et les dispositions qu’il adopte est déroutante : l’intrusion dans la vie privée leur est pourtant plutôt désagréable.
« L’indécence de l’époque ne provient pas d’un excès, mais d’un déficit de frontières. Il n’y a plus de limites à parce qu’il n’y a plus de limites entre. Les affaires publiques et les intérêts privés. Entre le citoyen et l’individu, le nous et le moi-je. Entre l’être et son paraître. Entre la banque et le casino. Entre l’info et la pub. Entre l’école, d’un côté, les croyances et les intérêts, de l’autre. Entre l’État et les lobbies. Le vestiaire et la pelouse. La chambre et le bureau du chef de l’État. Et ainsi de suite. Conflits d’intérêts et liaisons dangereuses résultent d’une confusion des sphères. »
Régis Debray [1]

Préambule

1 Le projet de loi de « modernisation de notre système de santé » propose une modification profonde du secret médical avec une possibilité étendue d’échanges d’information entre personnels sanitaires et non sanitaires. Concernant l’intitulé du projet de loi, il convient de faire les remarques suivantes : le recours au possessif, rare, dans des projets de loi, indique-t-il une appropriation du gouvernement ou du peuple ? Et par ailleurs concernant l’intitulé d’un texte législatif, Légifrance conseille d’éviter les mots qui reflètent un point de vue subjectif comme « modernisation », par exemple [2]…

2 La dilution du secret médical dans le projet de loi entérine la suppression d’une frontière, qui devenait d’ailleurs de plus en plus poreuse ces dernières années. Elle illustre l’évolution contemporaine d’une diffusion des données de toute nature sans limites et sans contrôles. Internet et les réseaux sociaux en sont les principaux vecteurs et posent des problèmes aux pouvoirs publics, notamment quand il s’agit d’assurer la sécurité publique.

3 La dilution des informations, abolissant l’intimité et la confidentialité, accompagne des organisations à venir qui posent également la question des limites. Il en est ainsi de la définition dans le projet de loi des équipes de soins ou de la possibilité de regrouper les hôpitaux (GHT). Les systèmes d’information devront suivre ces regroupements et partager leurs données. Corrélativement, ces regroupements posent la question des différents niveaux de gouvernance administrative, médicale, etc.

4Le secteur se confond avec des territoires aux limites floues, oubliant la définition du secteur psychiatrique comme une unité soignante extra- et intra-hospitalière sur une zone géographique à taille humaine, avec une gouvernance bien identifiée (le chef de secteur). Le concept de pôle rend la gouvernance distante des équipes, à finalité plus économique que porteuse d’une dynamique soignante.

5 Ces évolutions ont le « mérite » de répondre à un objectif managérial. En créant la confusion, la division est permise pour mieux régner. Un règne alors dérisoire. Le roi est nu, car il y a plutôt un désarroi collectif pour financer les dépenses de santé. En ayant le moins d’interlocuteurs possible (un chef, un seul à l’hôpital) ou bien en les multipliant à l’infini sous la bannière de la présumée démocratie sanitaire (par exemple, les conseils locaux de santé mentale) qui permettra de conviviales et interminables discussions, les financeurs auront les mains libres pour distribuer les chiches moyens comme ils le pourront.

6L’abrogation du secret médical qui s’annonce est en phase avec ces évolutions sociétales. Cet écrit témoigne du chant du cygne. Le secret médical pouvait paraître encore relativement protégé en milieu ouvert, mais il est en passe de n’être qu’un souvenir d’abord dans le monde clos et sans intimité de la prison pour disparaître ensuite dans le monde « libre ». Les informations relatives à la santé suivront la logique des marchés et du libre-échange.

L’organisation des soins en prison

7La place du secret médical en prison doit se situer dans l’évolution de l’organisation des soins en prisons qu’il faut rappeler dans ses grandes lignes. La première étape significative est la création du Secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire (SPMP) et de son unité pivot le service médico-psychologique régional (SMPR), légalisé avec les deux autres secteurs par la loi du 31 décembre 1985 et le décret du 14 mars 1986. La psychiatrie est alors rattachée à l’organisation hospitalière tandis que la médecine somatique reste sous la tutelle pénitentiaire qu’elle ne quittera qu’avec la loi du 18 janvier 1994, perdant alors son statut de « médecine de sous-homme » comme le disait Robert Badinter [3]. Les unités de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) sont alors créées et prodiguent les soins somatiques. En l’absence de SMPR (au nombre de 26), la psychiatrie issue du secteur de psychiatrie générale intervient dans les UCSA, mais avec une organisation différenciée et dénommée « dispositif de soins psychiatriques ». Les UCSA sont financées par la TAA et des MIG et la psychiatrie par la DAF. Trois circulaires enrichies de guides méthodologiques ont accompagné ces changements en 1994, 2005 et 2012.

8 L’évolution de 2012 met en place une organisation sur trois niveaux. Les unités sanitaires (avec une volonté d’abandonner progressivement les dénominations d’UCSA, SMPR et DSP et de recourir à un adjectif évoquant l’évacuation de déjections…) de niveau 1 assument les consultations et les activités de type CATTP. Le niveau 2 est vaguement un équivalent d’hôpital de jour (mais sert le plus souvent d’espace de dégagement des importuns dans une enclave de la prison). Le niveau 3 est l’hospitalisation complète en SPDRE dans les hôpitaux psychiatriques ou les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) ou librement consentie en UHSA.

9 Toujours rattachée au système hospitalier, cette organisation est censée en assumer les règles et pourtant le contexte carcéral ne le permet guère. L’intimité est impossible en prison. Toutes les circulations dans les établissements pénitentiaires sont sous l’autorité, le regard, la surveillance et l’organisation fonctionnelle de l’administration pénitentiaire qui a toutes les possibilités de savoir à chaque moment où se rend une personne détenue et notamment dans les unités de soin.

Le secret médical en général

10 Et pourtant, le contexte carcéral va infléchir et pervertir la belle organisation théoriquement égalitaire avec le milieu ordinaire et notamment sur la question du secret médical dont il convient de rappeler les références juridiques essentielles.

11Progressivement, au fur et à mesure de l’évolution de la réglementation, la rigueur du secret médical s’estompe et sa remise en cause est permanente. La complexité du droit, des textes, de la jurisprudence, l’évolution des pratiques professionnelles et des technologies, les exigences de la société s’opposent à l’injonction antique concise et sans ambiguïté rappelée à l’article 4 du Code de déontologie médicale qui impose au médecin de taire « non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu entendu ou compris »  [1].

Encadré 1. Article 378 du Code pénal avant 1994

« Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou profession ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront punis d’un emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de 500 à 15 000 F. »

Encadré 2. Article 226-13 du Code pénal en vigueur

« La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

12La première évolution notable dans le droit français récent relative au secret médical a eu lieu lors de la réforme du Code pénal de 1992. Antérieurement, l’article 378 prenait comme modèle du secret professionnel, le secret médical ( encadré 1).

13Son remplacement par l’article 226-13, très concis, a supprimé la référence paradigmatique médicale ( encadré 2).

14Toutefois, l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique issu de la loi Kouchner du 4 mars 2002 a rappelé avec précision que l’échange d’information nécessaire à la prise en charge sanitaire d’une personne était possible, avec son accord, mais en se cantonnant aux professionnels de santé(encadré 3).

Encadré 3. Article L. 1110-4. Rédaction originelle (loi 4 mars 2002)

« Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
« Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tout professionnel de santé, ainsi qu’à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.
« Deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d’assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible. Lorsque la personne est prise en charge par une équipe de soins dans un établissement de santé, les informations la concernant sont réputées confiées par le malade à l’ensemble de l’équipe. »

Le secret médical en prison

15Comme on l’a vu plus haut, la population pénale et les personnels qui y travaillent sont sous le regard permanent de l’administration pénitentiaire. Outre les entorses à la confidentialité inhérentes à la configuration des lieux, différents textes d’inspiration sécuritaire ou pragmatique (optimiser les organisations) vont œuvrer méthodiquement à abraser le secret médical qui ne sera bientôt plus qu’une peau de chagrin. Le milieu pénitentiaire est d’ailleurs souvent annonciateur de mesures qui vont s’étendre ensuite au milieu ouvert, d’autant plus qu’il ne faut pas s’attendre à ce que la République porte plus d’intérêt aux prisons qu’au milieu ouvert [4].

16La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a rappelé l’importance du secret médical, et même de la consultation (quoiqu’il faille préciser ce que l’on entend par secret de la consultation), après d’ailleurs un combat assidu des médecins pour obtenir les rédactions des articles 45 et surtout 48 ( encadrés 4 et 5 ).

Encadré 4. Article 5 loi pénitentiaire. Secret médical et de la consultation

« L’administration pénitentiaire respecte le droit au secret médical des personnes détenues ainsi que le secret de la consultation, dans le respect des troisième et quatrième alinéas de l’article L. 6141-5 du Code de la santé publique. »

Encadré 5. Article 48 loi pénitentiaire. Exclusivité des actes de soin

« Ne peuvent être demandés aux médecins et aux personnels soignants intervenant en milieu carcéral ni un acte dénué de lien avec les soins ou avec la préservation de la santé des personnes détenues, ni une expertise médicale. »

17Si les grands principes sont rappelés dans la loi, d’autres dispositions réglementaires vont se charger d’instiller le venin de la transparence en créant des organisations voulues « œcuméniques » et œuvrant pour le « bien » des personnes détenues.

18Le décret n̊ 2010-1635 du 23 décembre 2010 portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le Code de procédure pénale ainsi que la circulaire interministérielle n̊ DGS/MC1/DGOS/R4/DAP/DPJJ/2012/94 du 21 juin 2012 instituent la création des commissions pluridisciplinaires uniques (CPU). Les professionnels de santé sont fortement invités à y participer, hors la présence bien entendu des personnes détenues concernées. Les CPU ont pour mission de construire le parcours d’exécution des peines dont on ne voit pas pour quelles raisons les médecins devraient y participer pas plus qu’ils ne demandent aux personnels pénitentiaires de venir élaborer avec eux les parcours de soins au cours des staffs médicaux.

19Le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) a clairement pris position dans son bulletin d’information n̊ 18 de juillet-août 2011 dans un dossier intitulé : « Prisons : menace sur le secret médical » avec notamment cette formulation qui résume toute la problématique : « Non seulement le fait de ne pas respecter le secret médical est contraire au Code de déontologie médicale et à la loi, mais il brise le lien de confiance entre le patient et le médecin » [5]. Il semble que le positionnement actuel du CNOM sur le projet de loi de santé soit malheureusement moins tranché comme on le verra ci-après.

20Ces considérations simples sur le lien entre le secret et la confiance sont en fait bien connues, mais gênantes. Isabelle Rome, magistrate, illustre le problème de la confidentialité : « Si, détenue dans cette prison pour femmes, on commente beaucoup le comportement des autres, si on s’enquiert des raisons de leur incarcération, si, parfois, on les jalouse, il est également fréquent qu’on ne respecte pas leurs secrets. Corinne, directrice pénitentiaire d’insertion et de probation, le regrette, car l’impossibilité d’instaurer une réelle confidentialité empêche la réussite des groupes de paroles, autour de la parentalité, de la récidive ou de la sexualité, dont l’utilité est largement reconnue extra-muros. Craignant que leurs propos ne soient aussitôt divulgués au sein de la prison, les détenues se taisent. Une chape de plomb empêche toute expression sincère et véritable. Lorsqu’une telle expérience a été menée, elle a échoué » [6].

21La section française de l’Observatoire international des prisons a déposé une requête en annulation de la circulaire précitée. Après que le ministère de la Justice a répondu à cette requête (RC 2013-0540), ainsi que le ministère de la Santé (réponse en date du 11 juin 2013), qui tous les deux argumentent pour le rejet de la requête, le Conseil d’État dans sa décision n̊ 362681 rejette (sans surprise)  [2] la requête de l’OIP avec une argumentation juridique qui s’appuie sur une succession de textes (lois ou décrets) qui « permettent un contournement » de l’application stricte du secret professionnel, sans pour autant citer ceux en faveur du secret médical, comme le Code de déontologie médicale.

22Si l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique est réformé dans le sens du projet de loi relatif à la santé, la porte est grande ouverte à une quasi-abrogation du secret médical, avec le risque d’une diffusion de données de santé personnelles aggravée du fait des NTIC, par exemple les logiciels GIDE puis GENESIS et le cahier électronique de liaison (CEL) en milieu pénitentiaire. Le CNOM s’était associé à la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat des avocats de France et l’OIP pour déposer une requête auprès du Conseil d’État pour annuler le décret portant création de GIDE et procéder à la désinstallation du CEL et à la destruction des données qui y avaient été collectées. Le Conseil d’État dans sa décision n̊ 352473 a rejeté ces requêtes toujours en s’appuyant sur la réglementation existante.

23Deux associations de soignants intervenant en prison, l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) et l’Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP) ont rédigé un communiqué le 13 février 2015 interpellant sur les risques du logiciel Genesis [7]. Le CNOM a répondu rapidement le 26 février en signalant qu’il avait déposé un recours devant le Conseil d’État tendant à annuler les dispositions du décret n̊ 2014-558 du 30 mai 2014 instituant GENESIS [8]. Intéressant, mais si l’argumentation du Conseil d’État s’aligne sur celle des recours suivants, alors….

24 Il devient en outre de plus en plus difficile de défendre le respect du secret médical en prison quand les médecins eux-mêmes n’y tiennent plus vraiment. Ainsi Sannier et Manaouil [9] considèrent que le secret médical n’est plus la clé de voûte de l’exercice de la médecine en prison, mais qu’il convient avant tout d’ancrer la pratique sur la qualité des soins et l’indépendance professionnelle des médecins, alors que le secret médical ne serait finalement qu’un enjeu de pouvoir entre santé et justice. Le secret médical et l’indépendance professionnelle sont pourtant intimement liés. On remarquera que ces auteurs retiennent parmi les quatre mots clés de leur publication le terme de « médecine carcérale ». Les choix sémantiques ne sont pas neutres…

25 Les tentatives d’entorses au secret médical en prison ne sont pas qu’une initiative française et toujours pour des raisons sécuritaires. Les Suisses les tentent depuis plusieurs années. Au moment de l’écriture de ces lignes, un nouveau projet de loi y est encore en préparation. En effet, les thérapeutes du système carcéral auraient le « devoir d’informer » l’administration pénitentiaire des « intentions dangereuses » manifestées par les patients. « Menace », « agression imminente ou à venir » et « évasion en préparation » sont les trois situations où le secret médical devra être rompu. Il est bien rare que nos patients soient suffisamment naïfs pour nous confier leurs projets d’évasion ou de toutes autres intentions dangereuses et il suffira de les prévenir que s’ils nous en parlent, on en parlera… On pourrait en rire, tellement la naïveté et le ridicule des politiques sont déconcertants, si ce n’est que les grands principes médicaux sont battus en brèche. Le secret médical, outre les valeurs éthiques et légales, qu’il représente est un outil thérapeutique. L’abroger est l’équivalent pour les soins psychiatriques d’imposer aux chirurgiens d’opérer dans un environnement septique.

Le secret médical et le projet de loi de santé

26Le secret médical en prison, régulièrement malmené, le sera encore plus si les propositions de l’actuel projet de loi relatif à la modernisation de notre système de santé sont adoptées. La nouvelle rédaction de l’article L. 1110-4 énonce qu’un professionnel peut échanger avec un ou plusieurs professionnels s’ils participent tous à la prise en charge de la personne et que ces informations sont nécessaires à la coordination ou la continuité des soins ou de son suivi médico-social et social ( encadré 6 ). En somme, abandon de la référence aux professionnels de santé et extension d’échanges d’information au-delà de la prise en charge sanitaire, mais également pour les suivis médico-sociaux et sociaux.

Encadré 6. Le secret médical dans le projet de loi de santé 2014/2015

« II. — Un professionnel peut échanger avec un ou plusieurs professionnels identifiés des informations relatives à une même personne prise en charge à condition qu’ils participent tous à la prise en charge du patient et que ces informations soient strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico-social et social. »

27Le Conseil national de l’ordre des médecins, dans sa délibération en session exceptionnelle du 6 novembre 2014 relative au projet de loi de santé dans sa considération n̊ 12 (encadré 7) ne s’oppose pas clairement sur cette évolution.

Encadré 7. La position du CNOM sur le secret médical dans le projet de loi

« La qualité de ces services impose que les informations nécessaires à la continuité des parcours de soins, tant dans les secteurs de l’hospitalisation que dans le secteur ambulatoire et entre ces deux secteurs, puissent être échangées ou partagées selon les cas entre les professionnels qui constituent d’une part l’équipe de soins et d’autre part l’équipe médico-sociale lorsque cela est nécessaire.
Ces échanges et ces partages doivent, d’une part, respecter impérativement la volonté librement exprimée du patient et, d’autre part, garantir le caractère secret des informations qui ne doivent pas être accessibles en dehors de ces équipes de professionnels autorisés par le patient. »

28Certes, le CNOM évoque le strict nécessaire ou la volonté librement exprimée du patient, mais définir le « strictement nécessaire » est d’une complexité redoutable et ouvre à toutes les interprétations et tous les malentendus possibles et imaginables. Il en est de même de la volonté librement exprimée du patient. Une personne détenue pourra accepter une large diffusion des données de santé qui la concernera tant que sa liberté est en jeu. Son consentement n’est pas libre et éclairé. Il en est déjà ainsi dans les soins pénalement ordonnés : obligations et injonctions de soins et même dans une certaine mesure dans les programmes de soin de la loi du 5 juillet 2011. Pour pouvoir donner un consentement éclairé, il faut aussi connaître ses droits, ce qui représente une difficulté supplémentaire pour de nombreuses personnes vulnérables.

29Le projet de loi pose le principe d’un échange d’informations, mais quelles seront les conditions et des modalités de mise en œuvre de l’échange et du partage d’informations entre professionnels de santé et non professionnels de santé qui seront prises par un décret en Conseil d’État (art. 25, VI) ? À quoi faut-il s’attendre ? En somme, les parlementaires votent un principe sans connaître précisément la portée de l’échange d’informations ( 3encadré 8 ). Méthode étonnante. Un chèque en blanc.

Encadré 8. Précisons des échanges d’informations prises ultérieurement

« Les conditions et les modalités de mise en œuvre du présent article pour ce qui concerne l’échange et le partage d’informations entre professionnels de santé et non professionnels de santé du champ social et médico-social sont définies par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »

30En outre, que représente un consentement préalable au partage d’informations entre professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins et recueilli de manière dématérialisée ? C’est-à-dire sans relations interpersonnelles, mais uniquement par le biais d’un ordinateur ? Des droits formels satisfaisant les standards européens juridiques, mais d’application quasi impossible et peu contrôlable ( encadré 9 ).

Encadré 9. Recueil du consentement article 25, I. 1, a), IV)

« Le partage, entre des professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins, d’informations nécessaires à la prise en charge d’une personne requiert son consentement préalable, recueilli par tout moyen, y compris de façon dématérialisée dans des conditions définies par décret pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »

31La question du consentement se retrouve aussi dans les modalités d’hébergement auxquelles pourra s’opposer l’usager. Pour des motifs légitimes. Quels sont les motifs légitimes ? Qui en décide la légitimité ? Comment sera-t-il informé ? De manière aussi dématérialisée ? Et dans la complexité de ces situations, qu’en comprendra vraiment l’usager ? Encore de la théorie si éloignée de la vie quotidienne ( encadré 10 )

Encadré 10. L’hébergement des données de santé

« Toute personne qui héberge des données de santé à caractère personnel recueillies à l’occasion d’activités de prévention, de diagnostic ou de soins pour le compte de personnes physiques ou morales à l’origine de la production ou du recueil desdites données ou pour le compte du patient lui-même doit être agréée à cet effet. Cet hébergement, quel qu’en soit le support, papier ou électronique, est réalisé après que la personne concernée en a été dûment informée et sauf opposition pour un motif légitime. »

Les œcuméniques équipes de soins

32La définition de l’équipe de soins est prévue à l’article L. 1110-12. Jusqu’où ira-t-elle ? Et notamment en milieu pénitentiaire. Le texte permet une définition très large (encadré 11). Et de nouveau, un chèque en blanc avec les organisations dont les pratiques seront conformes à un cahier des charges fixé par le ministère de la Santé. Au vu de l’évolution de la situation économique, des projets de transferts de compétence, de la tentation de diminuer les coûts des professionnels, la déqualification est à craindre  [3].

Encadré 11. L’équipe de soins dans le projet de loi de santé 2014/2015 (art. L. 1110-12)

« L’équipe de soins est un ensemble de professionnels qui participent directement au profit d’un même patient à la réalisation d’un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d’autonomie, ou aux actions nécessaires à la coordination de plusieurs de ces actes, et qui :
  1. soit exercent dans le même établissement de santé, ou dans le même établissement ou service social ou médico-social mentionné au I de l’article L. 312-1 du Code de l’action sociale et des familles, ou dans le cadre d’une structure de coopération, d’exercice partagé ou de coordination sanitaire ou médico-sociale figurant sur une liste fixée par décret ;
  2. soit se sont vu reconnaître la qualité de membre de l’équipe de soins par le patient qui s’adresse à eux pour la réalisation des consultations et des actes prescrits par un médecin auquel il a confié sa prise en charge ;
  3. soit exercent dans un ensemble, comprenant au moins un professionnel de santé, présentant une organisation formalisée et des pratiques conformes à un cahier des charges fixé par un arrêté du ministre chargé de la Santé. »

33Ces définitions imprécises et ces possibilités de composition très larges des équipes de soins représentent au mieux le flou qui est en train de se mettre en place dans l’organisation sanitaire du pays.

34 Évidemment, cette extension des partages d’informations en milieu ouvert ne peut qu’inciter les personnels non sanitaires intervenant en prison de considérer que la libre circulation des informations s’impose à tous pour le plus grand bien de la collectivité. En somme, tous contraints. Seule la circulation des informations, dématérialisée de surcroît, peut être « libre » en prison.

Le summum du désordre des esprits serait-il arrivé ?

35Une situation exceptionnelle survenue dans la semaine du 9 au 15 février 2015 illustre parfaitement le positionnement de notre société quant au secret professionnel qui rend les armes face à l’ambiance sécuritaire et l’abandon par la société des valeurs antiques de la médecine, et pourtant encore légales.

36 Un homme d’une vingtaine d’années tue son amie en 1998. Il reconnaît les faits sans pouvoir donner d’explications. Après de nombreuses expertises psychiatriques, il est reconnu irresponsable et fait l’objet d’un non-lieu psychiatrique pour abolition du discernement. Il va passer environ dix ans en hôpital psychiatrique. Puis, un psychiatre impliqué dans la prise en charge thérapeutique du patient a la révélation que le patient ne souffrirait pas de la maladie à l’origine de son irresponsabilité pénale. Il écrit au procureur de la République pour signaler sa conviction en considérant qu’il s’agit d’un fait nouveau pouvant justifier un nouveau procès. La Justice suit l’argument, semblant faire fi du non-respect du secret professionnel par le médecin. Après cinq jours de débats, dont deux heures d’exposé du parcours médical de la personne accusée par le psychiatre, et des dépositions des experts, l’accusé est reconnu coupable. Il est condamné à dix ans de réclusion criminelle tout en considérant que son discernement était profondément altéré, mais pas aboli au moment des faits.

37Outre qu’il semble un exploit de la part de certains experts de pouvoir faire la différence entre une abolition du discernement et une altération profonde 16 ans après les faits, outre qu’il soit aussi étonnant qu’un non-lieu puisse être remis en compte des années plus tard (quelles seront les conséquences de cet arrêt sur d’autres situations similaires ?), il est surtout particulièrement troublant qu’un praticien engagé dans une prise en charge thérapeutique, et non missionné en tant qu’expert, puisse se sentir délié du secret professionnel et que la Justice soutienne cette démarche.

38Au moment de l’écriture de cette ligne, l’affaire vient tout juste d’être jugée. Il est probable et très souhaitable que cet événement médico-judiciaire puisse faire l’objet d’une profonde réflexion professionnelle sur ce qu’elle implique dans la pratique et l’éthique médicales.

39Elle révèle une pusillanimité de la société face au danger, à la prééminence du sécuritaire, à la disparition des valeurs fondamentales de la médecine et à une déliquescence de la psychiatrie qui rejette en prison les malades mentaux d’autant plus facilement que le dispositif sanitaire en milieu pénitentiaire est considéré comme ayant les mêmes performances techniques que celui du milieu ouvert.

Du secret, de la confidentialité, de l’intimité et des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC)

40 La place du secret, de la confidentialité et de l’intimité dans notre société font pourtant partie de l’actualité quasi quotidienne. L’intimité est mise à mal de multiples façons qu’il s’agisse du secret de l’instruction, suspect de transgression par des magistrats ou des policiers aux plus hautes fonctions, de la confidentialité des communications téléphoniques et notamment des relations entre un client et son avocat (personne n’a oublié Paul Bismuth) et de l’intimité de la vie privée des plus hauts responsables de l’État ou des parlementaires (modalités d’accès à la connaissance de leur patrimoine par les citoyens) ou tout simplement des exhibitionnistes des reality shows, de la vie tumultueuse des people sous les feux de la rampe à celle plus redoutée des taulards dans l’ombre du monde [10] qui ne peuvent se cacher du panoptisme pénitentiaire qu’il soit l’œil du surveillant ou le logiciel totalitaire Genesis et enfin de la possibilité d’agréger des données de santé dont on ne sait comment elles pourront rester confidentielles avec les moyens informatiques modernes.

41Les potentialités illimitées de la géolocalisation et des NTIC ne sont méconnues de personne. Elles permettent l’instauration des métadonnées (big data) ce qui devrait nous alerter et inciter à renforcer notre vigilance. Plutôt que de faciliter la transmission d’informations en promulguant des lois impudiques, « incestuelles », les citoyens doivent exiger des pouvoirs publics l’assurance qu’un des premiers articles du Code civil ne devienne plus bientôt qu’un vague souvenir ou une jolie déclaration de principes : « chacun a droit au respect de sa vie privée » (article 9 du Code civil).

Conclusion

42Les frontières se diluent. La confusion va s’installer. Les gouvernances seront impossibles. Il est illusoire, dans le cadre de cet article, de vouloir citer toutes les situations où les dérogations au secret médical se sont étendues : défenseur des droits (art. 20 de la loi du 29 mars 2011), contrôleur général des lieux de privation de liberté (art. 8 de la loi du 30 octobre 2007), art. L. 821-7 du projet de loi relatif au renseignement, art 35 de la loi sur le droit au logement, par exemple. Les informations médicales auront bien du mal à être sanctuarisées et seront aussi peu contrôlables que ne l’est Internet. Face à la complexité de l’organisation globale, les usagers et les professionnels n’auront pas besoin d’un discernement altéré pour ne pas comprendre son fonctionnement. Impossible de consentir suite à une information supposée claire et loyale. Le consentement à la diffusion ou non d’information s’alignera sur le dispositif en place sur Internet : on cochera une case d’acceptation après avoir fait défiler un long texte qui ne sera pas lu.

43Il aurait été intéressant de connaître les lobbies qui ont demandé le partage d’information et quels éléments seraient en déficits de partage. Pour le milieu pénitentiaire, la demande est limpide et sans ambiguïtés. Les informations qui seraient susceptibles d’être partagées entre soignants et justice, largement détaillées dans le guide méthodologique de 2012, cachent les deux seuls points à tonalité divinatoire qui intéressent vraiment la pénitentiaire et la justice : l’individu est-il dangereux ou va-t-il se suicider ? [11]. Dans ce contexte, il est opportun de se demander si la prison est un lieu de soin [12].

44En milieu ouvert, le principe de partage d’information concerne, outre ces deux points  [4], une volonté de rationalisation économique. Il semble attendu d’une meilleure communication entre professionnels (supposée défaillante) qu’elle permette une organisation plus rationnelle et mieux soucieuse des deniers publics.

45 Peu importe le principe obsolète de la confidentialité des informations médicales et du respect de l’intimité. Peu importe le parasitage opéré dans la relation thérapeutique quand la confiance disparaît, le doute s’installe et la méfiance s’instille dans les esprits  [5]. Ces objections ne sont finalement que lubies de psychiatres ou de psychologues idéalistes  [6].

46Les frontières permettent une porosité contrôlée et partiellement contrôlable, avec des échanges réfléchis. L’abolition des frontières peut conduire à reconstruire des murs qui au mieux bloquent les communications ou au pire attisent les conflits. L’abrogation du secret professionnel semble être programmée pour 2015. À quels conflits, confusions et désordres va-t-elle conduire ?

47Quant au Conseil national de l’ordre des médecins, il semble avoir déjà prévu une révision du Code de déontologie médicale, renonçant à des siècles de prestations sacramentelles : « Quoi que je voie ou entende dans la société pendant l’exercice ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas »[13].

48Changement d’époque. La discrétion, un terme obscène et surtout pas pour les « méchants » des prisons [14]. Pourtant, « le secret, dans une société qui évolue et une médecine qui progresse, apparaît alors comme un pilier de la pratique médicale pour qu’elle reste un Art et reste humaine. Pour cela, les médecins, par l’enseignement qu’ils reçoivent et les postures que cela implique, doivent être les garants des valeurs que le secret appelle dans son respect. »[15].

Liens d’intérêt

49l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

Références

  • 1. Debray R.. Éloge des frontières. Paris : Gallimard, 2010 .
  • 2. Légifrance. Intitulé d’un texte. www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Guide-de-legistique/III.-Redaction-des-textes/3.1.-Contexte/3.1.3.-Intitule-d-un-texte..
  • 3. Badinter R.. Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la situation des prisons françaises. Paris : Assemblée nationale, 2000 .
  • 4. Badinter R.. La prison républicaine. Paris : Fayard, 1992 .
  • 5. Conseil national de l’ordre des médecins. Prisons : menace sur le secret médical. Bulletin d’information n̊ 18 de juillet-août 2011..
  • 6. Rome I.. Dans une prison de femmes. Une juge en immersion. Paris : Les Éditions du moment, 2014 .
  • 7. Site du SPH : www.sphweb.info/spip.php?article1032..
  • 8. Site du SPH : www.sphweb.info/spip.php?article1033..
  • 9. Sannier O., Manaouil C.. Est-ce que le secret médical est la clé de voûte du respect de l’éthique médical en prison ?. Éthique et santé 2008  ; 5 : 201-7.
  • 10. Fassin D. L’ombre du monde. Une anthropologie de la condition carcérale. Paris : Seuil 2015, coll. « La couleur des idées »..
  • 11. David M., Paulet C., Laurencin G.. Psychiatrie en milieu pénitentiaire : la loi de 1994 pourrait-elle être remise en cause par l’essor de la préoccupation sécuritaire et de l’évaluation de la dangerosité ?. L’Information psychiatrique 2012  ; 88 : 605-1.
  • 12. Lécu A. La prison, Un lieu de soin ? Paris : Les Belles Lettres, 2012, coll. Médecine & Sciences Humaines..
  • 13. Hippocrate. « Serment ». In : Hippocrate. Œuvres complètes. Traduction Émile Littré. Paris : Baillière, 1851.(Œuvres complètes. Tome II, Association médicale d’action culturelle et artistique, 1983.)..
  • 14. David M. Soigner les méchants ? Éthique du soin psychiatrique en milieu pénitentiaire. Paris : L’Harmattan, 2015, coll. « Psychologiques »..
  • 15. Hervé C. Le secret médical. (Conférence.) Lille, 7 avril 2015. http://culture.univ-lille1.fr/fileadmin/lna/lna69/lna69p04.pdf..

Mots-clés éditeurs : vie privée, psychiatrie pénitentiaire, confidentialité des données, projet de loi, secret professionnel, prison, détenu, droit, secret médical

Date de mise en ligne : 23/10/2015

https://doi.org/10.1684/ipe.2015.1392

Notes

  • [1]
    Et phrase que personnellement je poursuis toujours de la manière suivante : « et y compris de travers ».
  • [2]
    Le Conseil d’État ne peut se déjuger puisqu’il a approuvé les textes précédents sur lesquels s’appuie la circulaire.
  • [3]
    Le transfert des moyens du sanitaire vers le médico-social est un des moyens de diminuer ces coûts.
  • [4]
    D’où une tentative dans la réforme pénale, non adoptée finalement, de communiquer des expertises psychiatriques, dans la société civile à la libération de personnes détenues.
  • [5]
    Tout particulièrement dans l’univers carcéral infiltré de « paranoïa » et d’absence d’intimité.
  • [6]
    L’absence de capacité à faire psychiquement des corrélations entre ce qu’expérimente le personnel politique dans sa vie professionnelle et politique et les dispositions qu’il adopte est déroutante : l’intrusion dans la vie privée leur est pourtant plutôt désagréable.

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