1 Cet article porte sur le dispositif d’hospitalisation séquentielle qui existe depuis 14 ans au sein des unités d’hospitalisation médico-psychologique pour adolescents du CHU de Saint-Etienne. Les deux services accueillent des adolescents âgés de 12 à 18 ans (12-15 ans pour l’unité des pré-adolescents, 15-18 ans pour l’unité des adolescents) présentant des troubles psychopathologiques nécessitant une hospitalisation en post-urgence ou une hospitalisation programmée.
Base historique du dispositif séquentiel
2L’apparition de dispositifs tels que l’hospitalisation séquentielle, tournés vers une prise en charge qui ne serait pas exclusivement réalisée à l’intérieur de l’hôpital, a lieu dans les années 1960. Cette conception du soin fait suite à des mouvements historiques tels que la psychothérapie institutionnelle, le mouvement d’antipsychiatrie et la création du secteur de psychiatrie publique. Ce dernier mouvement émerge en France dans les années 60 et il vise à « transférer le centre de gravité du dispositif institutionnel de l’asile à la communauté » [4]. C’est à la fin des années 50 et au début des années 60 que naissent les premières formes de soins psychiatriques alternatives à l’hospitalisation complète, qu’il s’agisse de soins ambulatoires ou à domicile, d’hôpital de jour ou d’hôpital de nuit, fruits de réflexion autour du secteur public de psychiatrie. Pour ce qui est de l’hospitalisation séquentielle, elle est décrite par L. Dreyfuss en 1968 comme « une fragilisation à bon escient du cordon ombilical » [11] : la modification de l’hospitalisation pour un patient chronique est une opportunité pour la modification du système relationnel. Il souligne aussi que l’hospitalisation partielle « facilite le relâchement du lien au gré du soigné entre lui et l’institution soignante ». Du côté de la pédopsychiatrie, l’hospitalisation séquentielle est rapidement utilisée dans les soins ; en témoignent notamment les propos de R. Diaktine qui estime que « le temps partiel répond à la nécessité pour le thérapeute de ne pas être dans une ambition de possession totalitaire. L’emprise sur le patient n’est que la répétition d’attitudes parentales archaïques ne laissant aucun espace libre à l’enfant. » [10]
3 Concernant les théories de l’attachement, elles sont présentées par J. Bowlby en 1958 [8] après un rapport qu’il a réalisé sur demande de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au sujet des enfants sans famille après la Seconde Guerre mondiale [7]. À la fin des années 60 et pendant les années 70, M. Ainsworth travaille dans le champ des théories de l’attachement et propose notamment un schéma de développement de l’attachement et des travaux sur les effets de la séparation précoce prolongée [2]. Depuis 1996, le DSM-4 (et le DSM-5 actuellement) reconnait l’existence de « troubles réactionnels de l’attachement » [3].
4 Ainsi, cet article présente le dispositif séquentiel du service d’hospitalisation des préadolescents du CHU de Saint-Étienne et en montre l’intérêt thérapeutique, notamment en ce qui concerne la prise en charge des troubles de l’attachement à la période de l’adolescence, période marquée par la nécessité d’individuation et de séparation.
5En effet, il a nous a semblé pertinent pour certains des adolescents hospitalisés en temps complet, au vu du lien créé avec l’équipe soignante et par certains aspects de leurs cliniques relevant de troubles de l’attachement, de proposer ce dispositif d’hospitalisation séquentielle. Ce dispositif a pour objectif de poursuivre le soin débuté en hospitalisation complète tout en intégrant la prise en compte et le travail sur les troubles de l’attachement de l’adolescent. De ce fait, nous estimons que cela participe à l’amélioration de la symptomatologie clinique de l’adolescent et permet aussi de maintenir cette amélioration dans le temps.
Le temps de l’hospitalisation complète
6Le temps d’hospitalisation complète précédant l’intégration au dispositif d’hospitalisation séquentielle est primordial. L’unité est composée de 7 chambres individuelles et de différentes pièces ayant des fonctions bien définies, par exemple : activités manuelles (dessins, peintures, créations diverses), lecture, ordinateur, télévision, salle à manger. Au niveau du personnel soignant, l’équipe est composée d’un médecin référent de l’unité, d’un interne, d’une psychologue, d’un cadre infirmier et d’infirmiers. Lorsque l’hospitalisation est programmée à l’avance, un entretien de pré-hospitalisation est réalisé dans les deux semaines précédant la date d’entrée dans l’unité. Au cours de cet entretien ou à l’arrivée dans le service en post-urgence, il sera présenté à l’adolescent l’unité (avec visite) et son fonctionnement. L’organisation des entretiens médicaux est expliquée : chaque semaine compte un entretien individuel, un entretien familial et/ou médico-éducatif avec les éducateurs, en cas de placement, et un entretien hebdomadaire est organisé avec la psychologue. Sur la semaine, des médiations sont proposées aux adolescents : des médiations groupales hebdomadaires nécessitant une inscription au préalable (piscine ou relaxation par exemple), des médiations individuelles, et des activités que les adolescents ou les infirmiers proposent spontanément en fonction des disponibilités et possibilités de chacun. Il existe des temps libres sur lesquels les adolescents peuvent ressentir différents sentiments ou émotions : vécu d’abandon, de solitude voire d’esseulement. Certains parviennent alors à mettre en place des stratégies, des occupations pour empêcher que leurs émotions ne les débordent, d’autres auront besoin des infirmiers dans un premier temps pour y parvenir. Le rythme de vie au sein de l’unité est cadré avec des heures fixes et invariables de lever, repas, coucher mais aussi pour l’utilisation des consoles ou d’accès à la télévision. Pour les repas, ils sont pris en collectivité si la clinique de l’adolescent le permet. Les adolescents peuvent aussi avoir un cadre imposant des temps en chambre tous les jours sur une semaine (exemple : de 11 h à 12 h), permettant de se préserver de l’excitation groupale du service et que les infirmiers puissent les rencontrer sur des temps plus individuels. Ces temps en chambre sont discutés et réévalués chaque semaine lors de l’entretien médical individuel avec l’adolescent. Enfin, les adolescents ont droit à des permissions (sauf la première semaine d’hospitalisation), principalement sur le week-end du samedi matin au dimanche soir, avec leur famille biologique ou les intervenants éducatifs si ils sont placés.
7 En ce qui concerne le lien avec l’équipe soignante, trois infirmiers référents de l’adolescent sont désignés au début de l’hospitalisation. Pour les entretiens, l’un d’entre eux est présent, que ce soit un entretien individuel, un entretien familial ou un entretien médico-éducatif. Ils seront présents aux concertations et seront des interlocuteurs privilégiés des parents et des intervenants extérieurs concernant la prise en charge de l’adolescent. Au sein du service, en plus des médiations groupales, des médiations dites individuelles incluant l’adolescent et l’infirmier référent ont lieu chaque semaine. Le contenu de la médiation sera élaboré par l’adolescent et l’infirmier référent.
De la création d’une base de sécurité
Pour l’adolescent
8L’accueil en hospitalisation complète puis en séquentielle vise à restituer à l’adolescent un espace psychique autonome. Pour cela, il faut lui offrir une base de sécurité c’est-à-dire un cadre contenant, afin de faire naître ou renforcer le sentiment de sécurité par un environnement prévisible sur lequel il peut s’appuyer. Il s’agira déjà d’établir une routine et des rituels pour se repérer dans le temps et dans l’espace. Ainsi, dès l’arrivée dans le service, un emploi du temps écrit est transmis à l’adolescent : il comprend les dates de rendez-vous médicaux et médico-éducatifs, les dates des médiations et des permissions. Le rendez-vous avec la psychologue est transmis rapidement par cette dernière, puis d’une semaine à l’autre. L’heure des repas, du coucher, des possibilités d’activités hebdomadaires sur inscription sont affichées dans le service et ne varient pas.
9Grâce à une mémorisation du dispositif thérapeutique dans ses composantes spatio-temporelles, l’adolescent peut relancer un travail de représentation. En effet, la contenance de l’unité d’hospitalisation, de par ses aménagements cadrés dans le temps et la répétitivité des séquences et interactions, permet un apaisement de l’agitation psychique et motrice des adolescents accueillis par la représentation qu’ils peuvent se faire du quotidien : le cadre de l’hospitalisation faisant office de pare-excitation chez ces adolescents en manque de contenance psychique, la représentation de la temporalité et de l’espace permet de faire naître, ou renforcer chez eux un sentiment d’existence de soi au sein d’un environnement stable et prévisible, sentiment aussi porté par l’équipe infirmière sur les moments d’échanges. Les adolescents expérimentent donc une continuité spatio-temporelle induite par le cadre et une rythmicité prévisibles et envisageables des activités et interactions, ce qui permet un meilleur investissement de ces moments qui seront pensés à l’avance par l’adolescent et l’équipe soignante; le tout soutenant finalement une dynamique de mise en représentation, nécessaire au travail avec ces adolescents, chez qui elle est défaillante, et essentielle dans la constitution d’une base de sécurité.
Pour les caregivers
10En s’appuyant sur les conceptions de Bowlby et ses successeurs, qui conçoivent le cadre du traitement comme devant être une base de sécurité construite par le clinicien et pouvant permettre aux caregivers l’engagement dans un travail durable et en profondeur, l’hospitalisation complète et la séquentielle visent aussi à aider les parents, les familles d’accueil ou les foyers accueillant ces adolescents. Ainsi, le clinicien doit permettre aux caregivers de retrouver, d’utiliser ou rendre plus efficaces leurs capacités de protection et de soutien auprès de l’adolescent [15]. Ceci ne peut se faire que sur la base d’une relation thérapeutique sécure, qui est en soi un véritable vecteur de changement.
11L’alliance thérapeutique implique qu’ils aient confiance dans notre préoccupation thérapeutique et notre capacité à les aider, et qu’ils adhèrent au projet de soin. Elle repose sur des modalités de soin spécifique et sur l’attitude de l’équipe de soin disponible, empathique et sensible. Ainsi, le cadre d’hospitalisation prévoit que les caregivers (parents et/ou éducateurs) puissent appeler dans le service pour demander des nouvelles de leur enfant et soient reçus une fois par semaine en entretien médical. En effet, dans le cas des adolescents résidant chez leurs parents, c’est en contribuant à changer, dans la relation psychothérapeutique, la vision des parents du lien à leur enfant qu’on peut espérer un changement dans la relation parents-enfant. Le thérapeute encourage la communication sur les émotions entre les caregivers et l’adolescent, même si elles sont négatives, il invite à communiquer ses propres attentes et son empathie pour les besoins de l’adolescent. Les parents doivent exprimer leurs propres préoccupations et reconnaitre celles de l’autre ; ils doivent établir une relation d’échange dans les situations impliquant les conflits. Chaque partenaire est soutenu dans un travail permettant de reconnaitre ses propres positions, d’avoir accès à leur évaluation, et de les soumettre à une réévaluation. Les attributions négatives à l’égard de l’autre peuvent être repérées et travaillées chez les deux protagonistes [17].
La création d’un lien d’attachement
12On retrouve dans l’histoire des adolescents accueillis le fait que le premier caregiver rencontré (leurs parents principalement) n’a pas assuré son rôle, a défailli dans la protection de l’enfant par son absence ou bien par sa relation à l’enfant marqué par la violence des échanges ou leur caractère inadapté, en inadéquation avec leurs émotions, leurs demandes, leurs vécus. En tous les cas, ces caregivers ont été insuffisamment sécurisant pour permettre à l’enfant de grandir dans un contexte propice à un développement satisfaisant, notamment sur le plan de la conception et de la mentalisation du vécu et de l’affect de chacun, y compris le leur.
13Dans l’unité, les adolescents sont dans une phase développementale marquée par la nécessité de réaménager les liens aux figures d’attachement, sous-tendue par leurs nouveaux besoins d’autonomisation. Ce processus influence donc les capacités de l’adolescent à réévaluer et réaménager ses relations d’attachement avec ses parents, son foyer ou sa famille d’accueil. Cette réévaluation des relations d’attachement peut permettre de surmonter certaines des difficultés dans les relations et donc de développer les possibilités d’autonomisation. C’est aussi une période propice à la diversification des relations d’attachement notamment avec les pairs [12]. On peut imaginer que le personnel soignant peut participer à cette diversification des relations d’attachement en aidant à trouver une autre voie de régulation interpersonnelle des sentiments de détresse, ouvrir la voie de l’apprentissage dans les relations d’attachement où chacun apporte et reçoit, trouver des moyens d’assurer un sentiment de sécurité. Tous ces apports vont dans le sens d’une individuation et d’une séparation [6].
14Pendant l’hospitalisation, après que l’adolescent ait pu repérer le dispositif d’hospitalisation comme pouvant constituer une base de sécurité, la fonction d’infirmier référent permet de prendre soin de l’adolescent physiquement et émotionnellement, de constituer une présence régulière dans la vie de l’adolescent et d’ouvrir à un investissement émotionnel. Ces trois critères sont décrits par C. Howes en 1999 pour définir une figure d’attachement [13], et c’est bien un des buts du temps d’hospitalisation complète. Le statut d’infirmier référent, avec ce qu’il implique comme interactions et échanges récurrents dans un travail de quotidienneté, va augmenter les chances de nouer un lien d’attachement entre l’adulte et l’adolescent grâce à un nombre de caregivers potentiels restreints, engagés dans les soins de manière régulière, prévisible et cohérent, tant matériellement et qu’émotionnellement. Cette conception du soin et de la création d’un lien d’attachement au sein de l’unité est basée initialement sur les réflexions de M. Ainsworth : elle conclut que « sera susceptible de devenir une figure d’attachement tout adulte (dans les conditions normales) qui s’engage dans une interaction sociale et durable animé avec le bébé, et qui répondra facilement à ses signaux et à ses approches » [2]. En 1991, elle poursuit son analyse de l’attachement en définissant un lien affectif comme un lien durable avec un partenaire qui prend une importance particulière du fait qu’il devient unique et non interchangeable. Elle observe aussi que les enfants ont des stratégies primaires (innées) et secondaires dans leurs comportements d’attachement et qu’elles permettent de promouvoir au mieux leur sécurité. Les stratégies secondaires se développent plus tard dans la vie et s’adaptent en fonction des chances de gagner ou regagner le contact [1]. Ce sont ces stratégies dites secondaires que l’hospitalisation va utiliser pour tenter de créer un lien d’attachement sécure entre l’adolescent et l’équipe soignante. Parallèlement, J. Bowlby estime que la relation d’attachement se développe en fonction de la force du sentiment que lui apporte chaque relation avec ceux qui s’occupent de lui (en l’occurrence l’équipe soignante dans ce dispositif) [8]. La qualité de ce lien permettra de jouer un rôle dans le sentiment de protection ressenti par l’adolescent et permettra alors de développer les capacités de régulation psychologiques et de mentalisation, notamment en l’accompagnant dans les situations où le système d’attachement est activé (danger, stress). Dans ces situations d’accompagnement, il faut tout de même pour les soignants, être vigilant dans la verbalisation à l’adolescent de progrès constatés : impression qu’il fait plus confiance à l’adulte, est plus en lien, parvient à mieux maitriser ses émotions telles que l’angoisse ou la colère. Effectivement, il faut veiller à doser les encouragements et les compliments envers l’adolescent car il risque de ne pas pouvoir les accepter, et par la suite attaquer le lien d’attachement par une réaccutisation symptomatique. En effet, les adolescents accueillis dans le dispositif ont souvent eu de mauvaises expériences de vie dans leur enfance s’apparentant à de véritables traumatismes avec des caregivers décevants car insuffisamment sécurisants. Ces adolescents sont donc méfiants vis-à-vis des personnes qui sont comme « trop bonnes » ou qui les investissent dans la relation et les échanges. Ainsi, il faut préserver une distance relationnelle adéquate avec l’adolescent : dans un premier temps, ne pas se fixer l’objectif immédiat de créer un lien d’attachement avec l’adolescent, ni qu’il fasse des progrès fulgurants (cela évite les déceptions ou le sentiment d’impuissance du soignant et de l’adolescent) [20]. Il faut plutôt débuter par évaluer quelles sont les attentes de l’adolescent sur la disponibilité du caregiver, ses stratégies organisées pour maintenir la relation, ses capacités à obtenir du soutien et à réussir dans les défis de la vie quotidienne, donner un sens à son comportement et le comprendre pour le travailler avec lui. Pour cela on peut se positionner en tant que miroir pour l’adolescent (mirroring) et dans un accordage affectif pour l’aider à comprendre et à identifier ce qui se passe en lui afin aussi d’établir le sens d’une intersubjectivité primaire (impliquant donc une prise de conscience de l’autre et la possibilité d’un accordage dans les échanges). C’est avec la répétition de cette séquence que l’adolescent va prendre à son compte le contrôle de la proximité par rapport à ses figures d’attachement et créer un lien d’attachement. En effet, les expériences positives partagées tels que la joie et le plaisir, tout comme le mirroring des émotions négatives, confirment à l’adolescent qu’il occupe une place spéciale pour l’équipe de soin, même dans des états difficiles à vivre pour un adolescent insécure ou désorganisé, et qu’il reste toujours en sécurité. L’équipe encourage la dimension verbale de leurs échanges par un travail sur les représentations et les émotions attribuées à l’adolescent. Les deux partenaires, adolescent et équipe, partagent ainsi une nouvelle expérience, prémices pour l’adolescent de la co-création et représentation d’une nouvelle autobiographie, d’une histoire propre, mise en narration de façon plus cohérente et continue. En effet, le récit autobiographique est construit et enraciné sur un arrière fond de connexion émotionnelle et d’accordage émotionnel avec le thérapeute [14].
15Une fois un lien créé et toujours avec la répétition de ces séquences, c’est l’éprouvé même que l’adolescent a d’un lien d’attachement qui peut être remaniée. Aussi, le travail de l’hospitalisation séquentielle porte sur les modèles internes opérants (MIO), qui sont perturbés chez ces adolescents : les MIO résultent des schèmes cognitifs construits à partir de l’intériorisation de ces séquences interactives avec les figures d’attachement et en particulier des réponses les plus saillantes et les plus fréquentes de la figure d’attachement. Ils incluent des attentes concernant le soi et les autres dans les relations proches, et jouent un rôle dans les compétences sociales et la régulation individuelle des émotions [12]. Chez ces adolescents avec des interactions précoces dysfonctionnelles, les MIO initialement basés sur ces relations, entraînent une impossibilité d’accordage dans la relation avec quelconque figure d’attachement potentiel. C’est la répétition de la cohérence du discours et des réponses dans la réalité à propos des affects et des expériences communes, tenus par l’équipe de soin en position de figures d’attachement secondaires, qui permet que les MIO soient traités dans les relations avec l’équipe de soin puis éventuellement les pairs de manière plus souple et cohérente [5].
16Dans cette recherche de souplesse dans la relation, l’hospitalisation séquentielle s’appuiera aussi sur « la notion de partenariat corrigé quant au but » qui est active dans les situations de séparation ou de conflit [8]. L’enjeu est que l’enfant se rende compte d’un but commun en adaptant son comportement et ses intentions grâce à la reconnaissance de son état émotionnel, sa capacité à distinguer son point de vue de celui de l’autre, sa possibilité d’organiser des stratégies logiques pour atteindre un but, et la capacité de l’enfant et de l’autre à pouvoir tenir compte du point de vue de chacun. L’équipe de soin doit encourager l’adolescent à examiner comment ses perceptions et ses attentes résultent de ses interactions avec ses figures d’attachement, l’aider à changer les aspects contraignants de ses patterns relationnels.
L’hospitalisation séquentielle dans les troubles de l’attachement
17Le dispositif des hospitalisations séquentielles existe sous deux formes : l’une avec une semaine d’hospitalisation toutes les trois semaines (soit une semaine par mois), l’autre avec trois semaines d’hospitalisation tous les trois mois (qu’on appelle aussi « saisonnières »). Le dispositif fonctionne par cycle avec six récurrences pour les séquentielles et quatre récurrences pour les saisonnières. À la fin du cycle, l’intérêt de réengager l’adolescent dans un nouveau cycle est réévalué en concertation médicale réunissant le médecin de l’unité d’hospitalisation complète, le médecin référent de l’adolescent en ambulatoire ainsi que les infirmiers référents de l’adolescent en hospitalisation complète et en ambulatoire.
18À l’entrée dans le dispositif, le planning des dates d’hospitalisation séquentielle pour le cycle à venir est communiqué à l’adolescent et aux personnes l’accueillant. Ensuite, dès l’arrivée dans le service pour la (les) semaine(s) d’hospitalisation séquentielle, un emploi du temps écrit est transmis à l’adolescent. Il comprend, tout comme en hospitalisation complète, les dates des différents entretiens et médiations. Les modalités plus fines d’organisation de soins séquentiels en fonction de l’adolescent sont ajustées au fur et à mesure, comme par exemple des temps d’accompagnement scolaire ou sur des temps de permission. Pour résumer, l’équipe sera attentive aux moyens d’accompagner et soutenir l’adolescent dans la régulation de ses émotions et comportements dans les différents champs d’investissement nécessaires à son développement.
Indications d’une hospitalisation séquentielle
19La présence ou la possibilité de nouer un lien d’attachement avec l’équipe, facilitant alors la possibilité d’un travail de type psychothérapie institutionnelle, en référence à la relation soignant-soigné, à la participation à la trame institutionnelle avec l’ensemble des individus, intégrant les contrats et les règles qui régissent les échanges, est une condition nécessaire pour proposer une entrée dans le dispositif séquentiel. C’est au cours du temps d’hospitalisation complète que sera évalué ce lien d’attachement à l’équipe. En effet, il s’agit véritablement de créer une alliance thérapeutique avec l’adolescent en considérant comme base de sécurité l’hôpital : on suppose que la qualité de cette alliance est prédictive de l’adhésion à la prise en charge médicale, de l’amélioration de l’état de santé et de la qualité de vie de ces adolescents et de leur environnement. Il s’agit donc de la co-construction avec l’adolescent d’un lien moins marqué par le type de lien pathologique de l’adolescent, associé à la recherche d’un accord sur les objectifs et les moyens pour y parvenir. Les modalités du dispositif (une semaine par mois ou trois semaines tous les trois mois) sont définies en fonction de ce que l’on perçoit des besoins de l’adolescent en terme de rythmicité et durée nécessaire pour une mise au travail des liens d’attachement tissés avec l’équipe de soin.
Intérêt de l’hospitalisation séquentielle
20L’hospitalisation séquentielle est un dispositif que l’on peut qualifier de lacunaire car il alterne période d’hospitalisation et période où l’adolescent est dans son environnement quotidien, ce qui comporte plusieurs intérêts au niveau du soin. Déjà, le dispositif séquentiel écarte la tentation d’emprise sur le sujet, ce n’est pas une institution totalitaire, possessive du soin. Il respecte ses besoins d’explorer et de s’éloigner de l’hôpital, assurant à l’adolescent que ce dernier joue bien un rôle de base de sécurité, ce qui l’autorise à se lancer dans les défis de l’exploration et à développer ses ressources propres [9]. Le retour à l’hôpital permet de faire diminuer un état d’angoisse potentiel, justement survenu sur ces phases d’exploration qui peuvent aussi être éprouvantes psychiquement pour ces adolescents dont les capacités pour réguler et contenir l’angoisse sont faibles. En effet à son retour en séquentielle, l’adolescent retrouve une base de sécurité constituée par l’expérience commune partagée et acquise lors de l’hospitalisation complète où il a déjà pu explorer les limites et les contours de l’hospitalisation, du cadre et des modalités de liens interpersonnels avec les membres de l’équipe de soin engagés auprès de lui. Ainsi, le dispositif par sa régularité spatio-temporelle, la présence de figures d’attachement et la qualité éprouvée de l’hôpital comme base de sécurité, offre un espace contenant et apaisant à l’adolescent dans le fait de prendre soin de lui (caregiving). C’est donc aussi un moyen de travailler dans le temps et avec la répétition de ce type d’accueil le moyen pour l’adolescent de développer une capacité d’apaisement retrouvée pendant l’hospitalisation puis par la perspective de l’hospitalisation à venir, c’est-à-dire une capacité de trouver à s’apaiser par une représentation qui prend progressivement la place d’une réponse dans la réalité. Il s’agit finalement de construire une base de sécurité à l’hôpital mais aussi à l’extérieur en repérant les endroits ou les événements donnant lieu à un excès de stimulation. Cela permet à l’adolescent de garder un état organisé de protection des dangers et donc de renforcer ses capacités d’explorer.
21L’hospitalisation séquentielle donne aussi à l’adolescent l’occasion de développer une expérience d’attachement moins insécure à l’hôpital et en dehors de l’hôpital par le travail d’articulation régulier avec ses caregiver et de soutien constitués aussi pour eux par ce dispositif, ce qui l’aide à reconsidérer ses expériences antérieures d’attachement [9]. À son retour en hospitalisation séquentielle, en cas de difficulté relationnelle survenue en dehors de l’hôpital, on peut l’aider à réaliser dans quelle mesure il a pu percevoir et surtout interpréter le comportement de ses figures d’attachement de façon erronée, et imaginer d’autres interprétations possibles. Ceci participe à la réorganisation à l’adolescence des MIO et peut être à l’origine de l’acquisition de ce que l’on nomme chez l’adulte, la « sécurité gagnée » (adultes ayant des relations d’attachement sécure avec les autres) [18]. La réalité externe et les expériences vécues en dehors de l’hôpital peuvent être reprises au cours de l’accueil en séquentielle. Cela permet ensuite de faire des liens avec le monde interne de l’adolescent et présente un levier thérapeutique essentiel pour permettre le changement des MIO. L’utilisation de ces « interruptions » de prise en charge, permet d’observer comment l’adolescent les interprète et y répond, de l’aider à prendre conscience de ces interprétations et ces réactions, et à les comprendre. Il s’agit ici du travail régulier de séparation et de retrouvailles. Cette alternance amène un démenti régulier aux MIO marqués par la conviction de la disparition des figures d’attachement lors de la séparation ou encore lorsqu’elles sont comme trop attaquées et à risque d’avoir été détruites. En effet, l’accueil dans le dispositif persiste et reste, quelles que soient les difficultés éprouvées pendant l’hospitalisation.
Travail avec les caregivers : parents et éducateurs
22Les caregivers sont reçus avec l’adolescent en entretien médical d’accueil à l’arrivée en séquentielle et une fois par semaine en entretien médical au cours de cette séquentielle.
23Au cours de l’entretien d’accueil, les caregivers viennent raconter le déroulement de la période entre les deux séquentielles en évoquant notamment les difficultés mais aussi les changements ou améliorations dans le comportement chez l’adolescent.
24Le dispositif séquentiel vise aussi à fournir aux parents une base de sécurité avec une modalité de soin constante que ce soit au niveau de la régularité des hospitalisations et du cadre d’hospitalisation, mais aussi de la disponibilité de l’équipe soignante sur laquelle les parents peuvent s’appuyer lors de l’hospitalisation et qui les guide afin qu’ils soient eux-mêmes disponibles pour soutenir l’adolescent [16].
25Au cours des entretiens médicaux, il leur sera expliqué et ils pourront percevoir, à travers les modalités de lien avec l’adolescent, le travail fait avec ce dernier, afin qu’ils puissent élaborer et ajuster progressivement une représentation à la fois plus diversifiée, plus modulée et plus cohérente de l’adolescent.
Penser la sortie du dispositif séquentiel
26Il est important de se questionner régulièrement sur la sortie du dispositif séquentiel pour éviter l’effet paradoxal de renforcer les mouvements de dépendance, et en même temps de renforcer la mobilisation des défenses de ces patients contre ces mouvements qu’ils redoutent spécialement [19]. Ainsi, l’accueil en séquentiel au rythme d’une semaine par mois est questionné tous les six mois, et l’accueil de trois semaines tous les trois mois est questionné tous les ans. Ce questionnement se fait au cours d’une concertation avec l’équipe de soins de l’unité et l’équipe de suivi l’ambulatoire (incluant les médecins et les infirmiers référents de chacun des dispositifs).
27Il nous semble que penser une sortie du dispositif séquentiel pour un adolescent doit s’appuyer sur plusieurs constats.
28Tout d’abord, on s’intéresse à la possibilité d’une modulation des MIO pathologiques de l’adolescent : ce constat peut être fait lorsque l’adolescent parvient mieux à se représenter lui-même et l’autre, dans une relation plus adaptée et accordée. De même, il est important que l’adolescent soit parvenu, à l’extérieur de l’hôpital, à nouer des liens d’attachement moins insécures avec les intervenants/caregivers s’occupant de lui. Ainsi, la gestion des émotions faisant aussi partie du travail au sein de l’hôpital, il faut aussi que l’adolescent soit en capacité de pouvoir mieux les reconnaitre, les gérer et les contenir seul ou avec l’aide de ses caregivers, ou encore avec l’aide du dispositif de soin relais mis en place.
29De plus, il est nécessaire que l’adolescent puisse s’appuyer sur une base de sécurité autre que celle proposée par l’hospitalisation séquentielle où il peut se représenter son environnement quotidien et y vivre (notion de phase d’exploration) sans se sentir trop en insécurité.
30 Les sorties du dispositif séquentiel sont annoncés au patient plusieurs mois à l’avance, toujours dans un souci de soutenir le travail de représentation pour l’adolescent et le travail de séparation pour investir d’autres figures d’attachement (dispositif de soin relais, lieu d’accueil, famille). La sortie peut se faire progressivement avec un espacement des accueils séquentiels ou elle peut aussi être faite sous forme de relais vers un autre dispositif de prise en charge institutionnelle lacunaire poursuivant de proposer une base de sécurité et d’accompagnement de l’adolescent et de son environnement de caregivers.
Liens d’intérêts
31les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : prise en charge, trouble de l’attachement, unité de soin, hospitalisation à temps partiel, adolescent, cadre thérapeutique
Mise en ligne 02/06/2015
https://doi.org/10.1684/ipe.2015.1319