Couverture de INPSY_9001

Article de revue

Adolescents et jeunes adultes

Pages 11 à 19

Introduction et aspects épidémiologiques

1La puberté a longtemps marqué le début de l’adolescence et même le passage à l’âge adulte. Possible frontière entre l’enfance et l’adolescence, la puberté survient à des moments très différents chez les filles et les garçons et pour chaque personne de même sexe. Les données montrent que la puberté commence plus tôt qu’autrefois, en moyenne de 3 ans [29].

2Dans certaines sociétés, le passage de l’enfance à l’âge adulte est accompagné d’un rite de passage. Jadis, la communion dans la culture catholique, la bar-mitsvah dans la culture juive, ou encore le service militaire ou le baccalauréat jouaient ce rôle. Marcel Gauchet a beaucoup insisté sur l’importance de reconnaître une différence essentielle entre les sociétés qui accordent une place prépondérante à la détermination des phases du cycle de vie et celles qui, comme la nôtre, la font passer au second plan. Dans les sociétés dites primitives, « les liens du sang sont ce qui est réputé tenir la société ensemble, la différenciation des âges leur est communément associée ». Il note que dans un certain nombre de sociétés, en Afrique notamment, il existe des organisations dites « à classe d’âge », où le groupement des personnes selon leur appartenance temporelle joue un rôle fondamental dans le fonctionnement du système social. « Ces sociétés […] se définissent expressément autour de leur reproduction biologique et sociale » [15]. Dans notre société, il semble en aller autrement, avec « le déclin des liens de parenté et le relâchement de l’organisation en âges en tant qu’armatures explicites de la société » [15] et « nous sommes témoins de la consommation de leur remplacement dans cette fonction par les liens politiques, juridiques et économiques spécifiquement construits par la modernité » [15].

3Pendant longtemps, à quelques exceptions près, la spécificité de l’adolescence avait pour ainsi dire disparu derrière l’importance accordée à l’étude des premières années de l’enfant.

4Cependant quand Evelyne Kestemberg écrit : « tout se joue dans l’enfance, se noue dans la période œdipienne et se rejoue à l’adolescence » [24], elle a raison, y compris au niveau synaptique et cellulaire [5].

5La fin de l’enfance se confond parfois avec le début de l’accès à des activités que l’on nomme « d’adultes » : la consommation d’alcool ou de tabac, la conduite automobile, le droit de vote, le mariage, etc. Cependant, l’âge de la majorité semble davantage un facteur confondant, qu’un facteur venant signifier la fin de l’enfance. Cette définition de la majorité permet finalement de constituer un vide entre l’enfance et le statut d’adulte, ne laissant que peu de place à l’adolescence qui devient alors finalement un temps non défini dans la temporalité mais offrant l’accès aux excès et à l’interdit. Certaines conduites des adolescents pourraient finalement leur permettre de se définir et de définir également, ce que nous avons, adultes, tant de mal à faire.

6Beaucoup d’entre eux vont mal, pas autant que la société ou les médias veulent bien le dire, mais la souffrance est là ! En témoigne 400 % d’augmentation de la consommation de cannabis entre 1970 et nos jours. Le constat est sans appel, cette tranche d’âge est exposée à des situations graves comme psychoses émergentes, conduites d’automutilations, tentatives de suicide, conduites à risque et accidents, troubles de conduites alimentaires et obésité, abus d’alcool, toxicomanie et addictions diverses, pathologies narcissiques, grossesses adolescentes, violences, etc., fixant cette période comme finalement l’âge des possibles, en bien comme en mal [20, 21, 22].

7L’adolescence s’avère donc un âge de reconnaissance complexe. Le jeune veut à la fois se démarquer et appartenir au groupe. Il est entre enfance et âge adulte, pris dans les incertitudes de ce dernier, lui disant « tu seras un homme, mon fils », sans toutefois l’amener à entrevoir ce que contient un seul de ces if ou « si » de Kipling. Si « Tanguy » il y a, c’est également parce que l’adolescence représente pour certains adultes un trou. La nouvelle génération, elle-même, ne souhaite pas ressembler à ses pères, avec davantage d’intérêt pour les métrosexuels, les Ashton Kutcher, les Harry Potter, que pour ce que les adultes proposent.

8De fait, la société occidentale actuelle s’organise de plus en plus à partir d’un modèle adolescent, « l’adolescence d’ailleurs est en inflation dans le sens où elle est désirée et vécue comme un état dont on ne veut pas sortir, qu’il y a plutôt une répugnance, à se savoir, à se dire adulte » [17]. Certains sociologues parlent même de « génération unique » [14]. Le monde dans lequel les adolescents vivront un jour dépendra autant de ceux qui en hériteront que de ceux qui le leur auront légué [30]. L’adolescence, âge de toutes les fragilités, doit également être l’âge de tous les possibles.

9Ainsi j’oserai demander comme l’avait fait cette jeune femme, à Bonn, en 2009, lors d’une consultation des Nations Unies sur le changement climatique : « Quel âge aurez-vous en 2050 ? » mais ne me répondez pas en 2050 nous serons tous morts !

Quelques chiffres

10Pubmed rapporte 1 568 802 articles relatifs à l’adolescence dont seulement 26 393 concernent la psychothérapie et 7 808 la psychopathologie, peut-être en lien avec la neurobiologie [16] ?

11Selon le rapport de l’Unicef [30], près de 20 % des adolescents dans le monde sont confrontés à un problème de santé mentale ou de comportement.

12Ainsi, environ 71 000 adolescents se suicideraient chaque année, avec un nombre de tentatives de suicide (TS) 40 fois plus élevé (1 000 décès/80 000 TS en France, 40 % des décès de cette classe d’âge et 40 enfants). Longtemps méconnus dans leurs formes précoces, près de la moitié des troubles mentaux se manifestent avant l’âge de 14 ans, et 70 % avant 25 ans. Depuis dix ans, dans notre pays, les tendances sont à un accroissement considérable de la consommation de cannabis, une stabilité de la consommation d’alcool, et une augmentation de la consommation de tabac [31]. Entre 14 et 17 ans, la consommation régulière d’alcool passe de 3 à 11 %, celle de tabac de 1 à 14-30 % et celle de cannabis de 1 à 10 %. Les garçons sont plus enclins à une consommation régulière de substances psycho-actives, ils sont également plus nombreux à avoir expérimenté l’ecstasy, la cocaïne, l’héroïne ou les produits à inhaler. La prise de médicaments psychotropes est plus typiquement féminine. Dans les deux cas nous dépassons de loin nos voisins européens [31]. Les comportements violents sont relativement banalisés mais concernent plus d’un élève sur cinq. 21 % des garçons et 12 % des filles déclarent avoir abîmé un bien public ou privé et 15 % des garçons et 6 % des filles avoir volé un objet dont la valeur dépasse 15 euros.

13La prévalence des troubles mentaux chez les adolescents a augmenté au cours des 20-30 dernières années. Peut-être sont-ils mieux dépistés ou reconnus ? Les problèmes de santé mentale chez les adolescents non pris en charge ont des conséquences multiples : difficultés scolaires, comportement à risque, hétéro-agressivité, auto-agressivité. Vingt-et-un pour cent des enfants et adolescents accueillis dans les établissements et services médicosociaux ont pour déficience principale un trouble psychique [9]. Les filles sont donc plus nombreuses à être suivies après 15 ans que les garçons mais ceux-ci restent davantage représentés dans les prises en charge les plus « lourdes » [4, 7, 19] – selon le rapport de la Dress 2012, les troubles de la personnalité représentent 22 % chez les garçons contre 13 % chez les filles, les psychoses 13 % chez les garçons contre 10 % chez les filles.

14Des mesures de prévention et des interventions précoces sont donc nécessaires afin de dépister pour mieux traiter. La protection de la santé mentale des adolescents commence avec le travail auprès des parents, de la famille, de l’école, du social. Pour le soin, il est nécessaire de renforcer les équipes, réduire les délais d’attente, créer des bureaux de consultation itinérants, des équipes mobiles, des SESSAD (Service d’éducation spéciale et de soins à domicile), d’augmenter les places de jour, de CATTP (Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel) et de crise : la créativité en partenariat avec les différents intervenants est la clef de l’efficacité et permet d’être réactif et adaptable.

L’adolescence existe-t’elle ?

15L’adolescence est l’âge de l’incertain et du paradoxe. On ne peut pas dire avec certitude quand elle commence, d’autant que cela varie bien évidemment d’un jeune à l’autre, mais on peut dire avec encore moins de certitude quand elle finit et parfois même se demander si elle a une fin dans notre société. Il est donc important de se (re)poser les questions : qu’est-ce qu’un adulte ? Qu’est-ce qu’un enfant ? Qu’est-ce qu’un jeune ? « Qu’est-ce que les âges de la vie ? La notion est à la fois triviale, floue et peu considérée. Les sciences sociales ne la regardent pas comme un outil d’analyse pertinent. Aucun théoricien notable ne s’y est attardé » [15]

16L’entrée dans la vie adulte n’est plus un changement brutal d’état. Il est, au contraire, étalé sur plusieurs années entre 21 ans en moyenne pour le départ de chez les parents à 28,6 ans pour le premier enfant, alors que l’accès au logement autonome se fait à 22,5 ans et la vie professionnelle stable à 23,4 ans [17]. Certains ont parlé de processus de « maturescence ». Mais les frontières de l’adolescence sont floues. Pour P. Huerre et al. c’est « un concept, un artifice » [17].

17Marcel Gauchet [15], quant à lui, voit la transformation du statut social des « jeunes » comme prise dans une redéfinition plus large des âges de la vie. De ce fait, « c’est cette recomposition de l’enfance et de la jeunesse qui secoue le système éducatif […] modifie le sens de l’enseignement dans le regard de ceux qui en bénéficient. Elle change leur identité en même temps que leurs perspectives existentielles ». De plus il semble que pour lui, une mutation essentielle s’est opérée, à l’origine du regard nouveau porté sur la jeunesse et donc l’adolescence : le désir des parents à avoir ces enfants, suite au « bouleversement des conditions de procréation intervenu ses trente dernières années ». En effet il note que « les enfants du désir, puisque tel est le nom qui leur convient, représentent une rupture dans l’histoire de l’espèce humaine dont la mesure est à prendre. Ce n’est pas seulement qu’ils font l’objet d’un investissement parental d’une teneur et d’une intensité inédites, avec les conséquences qui s’ensuivent sur les demandes en matière d’éducation et, plus largement, sur l’articulation de la sphère sociale et de la sphère familiale. C’est que ce “désir” – lequel ? – qui préside à leur venue au monde intervient dans la formation de l’identité des êtres, à un niveau qu’on n’avait pas eu l’occasion d’envisager jusque-là. S’il s’est produit un changement invisible, mais décisif, du côté du psychisme humain au cours de la période récente, certainement approchons-nous ici de ses racines »[15].

18Ainsi chacun donne une définition de l’adolescence selon son vécu, ce qui la rend parfois insaisissable, tant pour les jeunes que pour les adultes. La notion d’adolescence, elle, varie selon les époques et reste toujours susceptible d’évoluer car elle est véhiculée par une société changeante. Seule la puberté serait un invariant comme le passage de l’enfance à l’âge adulte et affecte tous les enfants du monde depuis l’aube de l’humanité [10]. « Voici revenu en dépit des apparences comme le soulignent P. Huerre et al [17] le temps de l’indifférenciation Enfants-Adultes », que l’indépendance adolescente est plus tardive, que les adultes doivent rester « up to date » et ne point vieillir, que tout le monde est sacrifié au culte du nouveau « veau d’or » de la performance, sans espoir légitime de place sociale garantie. Il faut bien que certains s’occupent de la souffrance psychique secondaire. Ainsi l’Organisation mondiale de la santé (OMS), inclut les 11-24 ans bien qu’entre 11 et 24 ans, la situation sociale, scolaire, familiale et relationnelle se modifie beaucoup.

19Dans notre tour d’horizon de ce jour, il pourra apparaitre que nous nous limitions aux 11-18 ans eu égard à la richesse de la littérature. Il est vrai que c’est un groupe d’âge qui semble plus homogène, même si les restrictions énoncées restent pertinentes. Ces jeunes sont majoritairement scolarisés dans le second degré (plus de 90 % d’entre eux sont au collège ou au lycée) et vivent au foyer familial (plus de 90 % vivent avec leurs parents, ensemble ou séparés).

20De ce qui vient d’être dit, il apparait difficile de s’occuper d’adolescents, si l’on n’est pas au fait du développement psychique du nourrisson et de l’enfant, d’avoir une vision correcte du phénomène si l’on n’est pas un familier des enjeux pubertaires, de pouvoir les accompagner efficacement dans leur trajectoire de soins en ignorant la continuité avec la psychiatrie d’adultes [21]. De même, il est nécessaire d’avoir une ouverture relationnelle orientée vers sa famille et le champ social en général. Tout ceci est bien résumé par Peter Blos : « Il n’existe toujours pas dans la société occidentale de convention sociale quant à l’âge auquel un individu cesse d’être un enfant, ou cesse d’être un adolescent pour devenir un adulte. La définition de la maturité en termes d’âge a varié selon les époques et varie encore aujourd’hui selon les lieux... L’adolescence est comprise ici comme la somme résultante de toutes les tentatives d’accommodation à l’état de puberté, au nouvel ensemble de conditions internes et externes, endogènes et exogènes, qui s’imposent à l’individu. » [3].

Rappel historique

21Les sociétés modernes ont vécu une véritable mutation démographique. Ainsi, l’espérance de vie était de 43 ans en France en 1900, elle est de 84 ans en 2013. Comment ne pas avoir de bouleversement des âges ? [11] « Auparavant, l’enfance était l’antichambre de la vie, la vieillesse, l’antichambre de la mort, entre les deux, l’âge adulte incarnait l’existence authentique » [11]. L’adulte se sent aujourd’hui cerné par une jeunesse qui s’éternise et par un troisième âge actif où on peut enfin vivre et s’épanouir. L’âge adulte n’est plus celui des libertés mais celui de la construction et concrétisation du projet de vie : « si tu n’as pas de Rolex à 50 ans tu as raté ta vie ». C’est le temps des soucis et des responsabilités. L’adolescent se demande si ça le tente.

22Pourtant il faut bien reconnaître que pendant bien longtemps, la question de l’adolescence n’a guère intéressé quiconque et l’adolescence restait dans le champ du développement et désignait plutôt un âge de la vie, parfois une crise [17]. Notre notion actuelle et occidentale de l’adolescence n’est apparue que vers le milieu du xixe siècle. Qu’est ce qui a pu conditionner son émergence en tant qu’entité indiscutable ?

23Éric Deschavanne et Pierre-Henri Tavoillot soulignent le rôle décisif joué par Rousseau dans la déconstruction des âges [11]. « Pour l’auteur d’Emile, il ne peut y avoir de hiérarchie des âges ; l’enfance, l’adolescence, l’adulte et le vieux participent de la même humanité. Rousseau est le philosophe qui a hissé l’enfance au même niveau que l’adulte. Il a contribué, d’une certaine façon à l’ébranlement de la figure adulte, à l’aspiration frénétique de l’éternelle jeunesse et au règne de l’enfant roi qui caractérisent notre époque » [11]. Au xixe c’est une « classe dangereuse », une classe d’âge, comme nous le dit Christian Colbeaux, « qui remet en cause le leadership des lois patriarcales dont ils se sentent non redevables ». Durkheim va plus loin, en affirmant que les jeunes sont des facteurs de désintégration de la société disant que « l’adolescent a le goût du viol et du sang ». Pourtant, c’est cette jeunesse angoissante qui se fera étriller lors de la Première Guerre mondiale et qui aura le courage qui manquera à beaucoup de ses aînés pendant la Seconde. Ainsi pour Philippe Ariès et Michel Foucault, l’adolescence comme entité distincte de l’enfance et de l’âge adulte naît de la prolongation de la scolarité et de la conscription.

24Devant la délinquance qui émerge avec la naissance et croissance des grandes métropoles et de leurs banlieues suite à la révolution industrielle, la société a cherché des éléments de réponses et des théories. De fait des néo-spécialistes sont apparus. Les premiers écrits qui s’ensuivirent furent éducatifs et pédagogiques, moralistes voire moralisateurs. Un des premiers à s’occuper des enfants et de leurs pathologies notamment traumatiques fut Eugène Minkowski avec l’OSE, on l’a peut-être un peu oublié. Puis, après la Seconde Guerre mondiale, des prises en charge spécifiques institutionnelles ont été mises en place sous l’impulsion de Serge Lebovici puis de Roger Misès, lequel vient de nous quitter et pour qui nous avons une pensée émue tant il fut notre père fondateur, si présent et actif au sein de l’information psychiatrique comme membre du comité scientifique et véritable créateur de la pédopsychiatrie publique : « Nous sommes bien d’accord n’est-ce pas ? » [6].

25Mais ils ne furent pas les seuls. Pourtant ce n’était pas très bien engagé. Sigmund Freud, ne s’intéressait pas plus aux adolescents qu’à l’adolescence même si ses positions développées dans Trois essais sur la sexualité infantile furent essentielles à son développement théorique [13]. S’il s’est dans sa recherche intéressé à l’infantile, c’était chez l’adulte et plus encore dans sa mémoire. Mémoire dont François Truffaut se méfiait arguant que « l’adolescence ne laisse un bon souvenir qu’à des adultes ayant mauvaise mémoire ».

26Il faudra donc attendre le début du xxe siècle pour qu’explicitement, Ernest Jones [23], psychiatre et psychanalyste aux États-Unis et Maurice Debesse [8], professeur de psychologie et de Sciences de l’éducation, en France y réfléchissent et que leurs travaux préfigurent, avec l’individualisation de la crise d’originalité juvénile, une véritable psychologie différentielle de l’adolescent [17]. Aischhorn ou Bernfeld, à partir de leur rencontre avec les délinquants juvéniles en feront de même. Par la suite, Anna Freud soulignant que l’adolescence était « la Cendrillon de la psychanalyse », apportera une pierre essentielle en démontrant que la problématique adolescente ne peut se comprendre que dans l’articulation des champs sociologique, économique, politique et anthropologique [12].

27Donald Woods Winnicott, en 1962, remarquant que pour la première fois dans l’histoire européenne, une jeunesse peut vivre une adolescence en dehors de toute menace directe, même au prix d’un équilibre de la terreur atomique, pourra dire : « l’adolescence est obligée de se contenir de nos jours bien plus qu’autrefois, pourtant, en soi, c’est quelque chose de violent, assez analogue à l’inconscient refoulé de l’individu, souvent pas très beau, quand on le découvre à l’air libre » [33]. Elle doit s’inventer d’autres repères et se révolte contre certaines valeurs notamment l’autorité. « Tout le climat de l’adolescence a changé » ajoute-t-il, nous exhortant à voir dans l’adolescence un processus naturel, un signe de bonne santé, auquel il s’agit de « faire face » plutôt que de tenter d’y remédier.

28Pierre Mâle insistera sur la nécessité d’un tiers entre ce qu’il appelle l’extérieur, le social, l’école ou la famille ; et l’intérieur, c’est-à-dire le fonctionnement psychique propre de l’adolescent [28]. « Cette crise de l’adolescence fait émerger le sujet, à travers des difficultés variables, du monde de l’enfance » dit-il, préconisant comme Evelyne Kestemberg [25] et Philippe Jammet [20] une psychothérapie d’inspiration psychanalytique qui permette tant que faire se peut, de rattraper les ratés de l’enfance ; même si « nous avons à recevoir de l’adolescent lui-même, le sens qu’il prête aux mots ». Il insiste sur la « magie relationnelle » de la rencontre avec l’adolescent et défend l’idée d’une « psychothérapie vivante », et de « vivre le conflit avec l’adolescent ».

29Évelyne Kestemberg, Hubert Flavigny, Annie Birraux aborderont plus spécifiquement les questions adolescentes et les modes de compréhension théorique du fonctionnement de cette période [2, 19, 23, 24]. L’adolescence devient alors « un processus psychique » qui participe au développement de l’homme qui selon Raymond Cahn participe de façon essentielle au « processus de subjectivation » fondement des réflexions futures [29].

30La plupart des auteurs se sont opposés au glissement d’assimiler l’adolescence à une pathologie. C’est avec lucidité qu’ils auront la volonté de comprendre, et conduiront à élaborer des méthodes pour ouvrir un dialogue réputé difficile pour faire face aux avatars médico-psychologiques de la puberté.

Les institutions

31Pendant longtemps les seules institutions qui géraient les adolescents furent celles de la justice. La jeunesse pouvait être et était délinquante, dangereuse. Sa misère sociale et affective n’avait que peu d’intérêt. Victor Hugo et sa fameuse citation : « Ouvrez une école et vous fermerez une prison » a eu un impact important. De cette utopie naquit un espoir insensé qu’une éducation disciplinée permette au plus grand nombre d’accéder à une tête bien faite et bien pleine,comme le souhaitait Montaigne, capable de raisonner mieux que ses aïeux, et que la jeunesse soit moins délinquante. Les lois sociales allaient suivre et porter un regard nouveau sur l’enfant et l’adolescent. On leur reconnaitrait une différence d’avec l’adulte, lequel aurait des devoirs envers eux car ils sont en « devenir ».

32Le xixe siècle est, en effet, l’époque de l’affrontement entre deux logiques institutionnelles, celle de l’enfermement, revendiquée par l’administration pénitentiaire, et celle de l’éducation, mise en avant par le ministère chargé de l’Instruction publique [32]. La loi de Jules Ferry du 28 mars 1882, sur l’obligation scolaire, va entraîner tout un cortège protecteur dont les classes de perfectionnement en 1909.

33La justice aussi va progresser en substituant l’approche répressive calquée sur le modèle adulte par une conception éducative. Elle opère l’infléchissement progressif du traitement de la déviance des jeunes dans un cadre presque exclusivement pénitentiaire (adossé à un important texte de 1850) qui trouvera son acmé avec les ordonnances de 1945 et 1958. Les premiers textes importants sont deux lois de 1906 et 1912. La première porte la majorité pénale à 18 ans (la majorité civile était alors de 21 ans). La seconde institue la présomption d’irresponsabilité des mineurs de 13 ans, les tribunaux pour enfants et le régime de la liberté surveillée (inspiré de la « probation » anglo-saxonne). Le législateur instaurait ainsi un régime spécial pour les mineurs, dérogatoire à celui des majeurs sur des points importants.

34Avant la Première Guerre mondiale, plusieurs phénomènes vont effectivement influer sur l’évolution du cadre juridique. Le premier, comme l’a montré J.-M. Renouard, est la disparition progressive de la notion d’enfant coupable et l’émergence de celle d’enfant victime. Selon cette approche, ce qui importe, alors, n’est pas tant la stigmatisation de l’enfant dangereux, considéré isolément en tant qu’individu, que celle de sa famille, vécue et décrite comme source de la déviance dont le mineur est porteur. Cela va justifier la mise en place de systèmes de redressement et conduire à l’adoption de la loi de 1889 sur la protection des enfants maltraités et moralement délaissés. Le deuxième est le développement des sociétés de patronage, vaste réseau associatif dont certains dirigeants seront à l’origine de l’ordonnance de 1945. L’exposé des motifs de cette ordonnance est devenu un classique du genre : « la France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger ce qui peut en faire des êtres sains. […] Le gouvernement de la République française entend protéger efficacement les mineurs et plus particulièrement les mineurs délinquants. »

35En 1958, le législateur adopte une ordonnance relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger, qui donne au juge des enfants une compétence civile exclusivement axée sur la protection, par la création des mesures d’assistance éducative. Ce juge spécialisé dispose de deux compétences complémentaires : la protection de l’enfance en danger (articles 375 et suivants du Code civil) et la prise en charge de l’enfance délinquante (ordonnance de 1945), l’idée étant qu’« un mineur dangereux est avant tout un mineur en danger ».

36Au cours des vingt années qui vont suivre, le juge des enfants et tous ses satellites (principalement les services de l’Éducation surveillée qui deviendra la Protection judiciaire de la jeunesse [PJJ]) vont axer leur rôle essentiellement sur la protection. Le juge des enfants se voit assigner un rôle non de substitut parental, mais d’aide et de soutien à des parents défaillants qui doivent cependant rester au cœur de son intervention. Mais quid du soin ?

37Beaucoup plus à la traîne il faut bien le reconnaitre. Pour que la prise en compte des conditions environnementales dans la genèse de certains troubles soit effective, il faudra, à quelques exceptions, près d’un demi-siècle depuis la prise de conscience des besoins et originalité de l’adolescence. C’est l’ouverture en 1946 des premiers CMPP, les premiers établissements de la fondation des étudiants de France en 1956 ou les premiers hôpitaux de jours en 1960 qui ne sont pas entièrement dédiés aux adolescents. Puis il y eut la loi de sectorisation de 1960 mais beaucoup de secteurs infanto-juvéniles ne verront le jour que lors du milieu des années 70, après la circulaire du 26 mars 1972 qui doit beaucoup au combat et à l’opiniâtreté de Roger Misès. En même temps – est-ce un hasard ? –, il y aura l’émergence de la loi sur le handicap et la réforme des annexes XXIV en 1975.

38Les adolescents ayant besoin de soins ne se sentaient pas à leur place dans des dispositifs pour enfants qu’ils désertaient souvent, ni dans des services pour adultes, encore moins adaptés et où les particularités de leur fonctionnement n’étaient pas toujours bien prises en compte. Les premières créations réellement dédiées aux adolescents seront le fait de personnalités créatives (Georges Heuyer, Serge Lebovici, Hubert Flavigny, Philippe Jeammet, Henri Danon-Boileau, Victor Courtecuisse, Yves Jacquet à Cholet, Philippe Bonnet à Vannes, Wilkins à Montréal, etc.). Que de chemin parcouru en 70 ans !

39Après la Deuxième Guerre mondiale, la nouvelle organisation des Nations Unies a concentré ses efforts sur la reconnaissance des droits de l’enfant et des adolescents. Mais il faut attendre 1959 pour la rédaction de la Déclaration relative aux droits de l’enfant, avec un intérêt primordial pour le bien-être des enfants.

40En 1985, se constituait la première Année internationale de la jeunesse et en 1989, la Convention des droits de l’enfant qui concerne aussi les adolescents. En France, la circulaire du 11 décembre 1992 sur la santé mentale des enfants et adolescents vit le jour, toujours et encore due à R. Misès, puis la loi du 4 mars 2002 sur les droits du patient et concomitamment, la réforme de l’autorité parentale. En 2003, l’adolescence est devenue une priorité de santé publique.

41La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance s’inscrit dans le cadre des lois internationales déjà définies dans le passé. Depuis, le plan santé jeunes du gouvernement de 2008 a souhaité que chaque département soit doté d’une maison d’adolescents, le Morbihan en a deux, mais l’objectif n’est pas totalement atteint au niveau national. La loi du 5 juillet 2011 ne les concerne toujours que pour le SPDRE (soins psychiatrique à la demande du représentant de l’état) et l’arbitraire de l’hospitalisation faute de mieux est encore possible. Pourvu que l’on se souvienne encore longtemps de la circulaire de 1961 interdisant l’internement des mineurs – encore et toujours maître Misès…

Adolescence et soins

42La sémiologie à l’adolescence permet-elle une nosographie stable et indiscutable pour cet âge ? L’adolescent ne serait-il pas par définition le prototype de l’état limite ? On retrouve bien chez lui la porosité des limites du moi, le narcissisme avec cette émancipation du je, la fragilité associée des identifications et un investissement objectal changeant et peu sécurisant, le besoin d’indépendance et la dépendance réelle, l’investissement paradoxal des parents autant investis que rejetés, la sensibilité extrême. Et oui, la problématique de l’adolescence est avant tout celle des limites qu’il faut savoir reconnaître d’abord pour les occuper ensuite.

43Ainsi, les besoins que manifestent les adolescents sont « d’éviter la solution fausse de se sentir réel ou accepter de ne rien sentir du tout, d’avoir une attitude de défi dans une situation où la dépendance est satisfaite ou ne manquera pas de l’être, du fait que les parents restent généralement protecteurs, de provoquer sans cesse la société afin que l’antagonisme de cette société se manifeste et qu’on puisse y répondre par de l’antagonisme » [14]. En d’autres termes, l’adolescent devient d’autant plus dépendant qu’il revendique son autonomie et vice versa. Il faut alors considérer les changements d’attitude de l’adolescent comme un phénomène d’extériorisation des tensions et des exigences de travail et de transformation qui mobilisent l’appareil psychique.

44Donc, l’adolescent qui n’est plus un enfant mais pas encore un adulte, ce qu’il deviendra surement, va au travers d’un schéma complexe de mécanismes défensifs : « devenir ». Ce que Winnicott résume : « Il n’existe qu’un remède à l’adolescence et un seul et il ne peut intéresser le garçon ou la fille qui est dans l’angoisse. Le remède, c’est le temps qui passe et les processus de maturation graduels qui aboutissent finalement à l’apparition de la personne adulte » [33]. « Il n’y a pas souvent derrière le besoin ou la tendance, une pulsion suffisamment forte pour que le symptôme se constitue vraiment de façon suffisamment gênante pour obliger la société à intervenir par le recours au psychiatre ou à la justice » [33]. « L’adolescence est quelque chose qui ne meurt jamais en nous mais il ne faut quand même pas oublier que tout adolescent devient en quelques années un adulte » [33].

45Mais l’adolescent, aujourd’hui plus qu’autrefois, est soumis à la contrainte paradoxale d’avoir à conquérir une autonomie et une individuation toujours plus poussées, tout en restant, par la force des choses, plus longtemps et plus lourdement dépendant de ses parents, ce qui suffit à justifier que soit apparue cette condition inédite qu’on désigne aujourd’hui sous l’appellation de « post-adolescence » [26, 27].

Quel rôle devons-nous tenir ?

46Comment dès lors être un interlocuteur aidant dans cet équilibre instable ? Cinq pour cent des adolescents nécessitent des soins plus intensifs et une meilleure répartition des moyens, une plus grande information des familles et des adolescents au sein d’une politique de prévention structurée dans la durée ainsi qu’une meilleure organisation de l’offre de soins pouvant permettre de mieux y répondre [30].

47Mais même si les adolescents fascinent autant qu’ils effraient, il ne faut pas tomber dans le piège d’évaluer la situation globale de leur santé sur les symptômes les plus criants comme le suicide, la crise ou les troubles des conduites [1, 18]. Ils ne s’y trompent d’ailleurs pas puisque lorsqu’on les interroge sur les qualités du médecin qui peut les prendre en charge, leur réponse est clairement : « compétence, confidentialité, conseils avisés mais par-dessus tout qu’il s’intéresse aussi à eux en tant que personne avec humanité ». Le « psy » là-dedans a bien sûr une place mais elle n’est en rien hégémonique et ils ne sont pas les seuls spécialistes, s’il en existe, de l’adolescence. La preuve est que la plupart des adolescents ne rencontreront jamais au cours de leur parcours de vie un professionnel en santé dite mentale. Mais ils rencontreront à coup sûr des professionnels de santé et avant tout leur généraliste.

48Cependant la prise en charge de l’adolescent ne s’improvise pas. D’ailleurs aucun des 26 plans régionaux de santé (PRS) validés par les ARS n’a fait l’impasse sur le thème de la prise en charge de la santé mentale des enfants et adolescents, certains y consacrant même une large part de leur volet psychiatrie, voire un programme spécifique. Tout le monde pense donc que beaucoup reste à faire en ce domaine.

49Au-delà des particularités propres à chacune des régions concernées, on s’accorde sur la nécessité de développer la prévention, et de décloisonner et dépasser les limites entre les différents intervenants (sanitaire, médicosocial, éducatif, judiciaire,...) avec un questionnement sur les modes d’accueil et la mise en place d’alternatives à l’hospitalisation (psychiatrie de liaison, CJC, équipes mobiles), même si des besoins en lits et places persistent, notamment pour les situations de crise.

50La modernité a inventé la jeunesse, ce temps de préparation à la vie adulte. La jeunesse est le temps de la formation, non de la reconduction de l’identique. L’éducation des individus est le moyen d’accéder à la possibilité d’échapper à un avenir tracé d’avance, celui du l’identique de génération en génération. Eric Dechavane et Pierre-Henri Tavoillot insistent, sur le fait que rien n’est plus difficile que de devenir un individu, c’est-à-dire un adulte : « on mesure encore mal l’extrême exigence de ce mode d’être, la rigueur des obligations qu’il requiert. La jeunesse permet de se familiariser avec ces nouvelles exigences dans un contexte relativement sécurisé » [11]. « Seul l’usage de la liberté immature peut conduire à surmonter l’immaturité » [11]. L’adolescence étant de fait un processus de séparation-individuation, de socialisation et d’identification. Comment leur apporter les interdits, les limites et les repères dont ils ont un besoin crucial ?

51La jeunesse est en effet un puissant révélateur de nos failles, elle nous force à voir nos égarements et il ne faut pas la refouler, même si elle nous dérange et bouleverse les sens de nos valeurs supposées acquises ad vitam aeternam, et encore moins la voir comme une maladie.

52Si la société considère que ce rôle d’accompagnement est dévolu à des « professionnels » alors ces derniers doivent avec cohérence affirmer leurs croyances en des repères clairs et définis et invariants. Nous partageons le point de vue du Pr Jousselme, « les professionnels sont là pour réanimer la pensée, la créativité et l’imagination des adolescents, seul moyen pour eux de devenir des adultes avec leur propre individualité. […] Dans cette optique un travail sur la parentalité est indispensable ». Ce modèle de la parentalité, de l’expérience parentale repose sur l’idée d’une relation non réciproque. S’il y a une supériorité de l’adulte sur le jeune, ce ne peut être une supériorité de domination mais de sollicitude. La responsabilité serait donc la capacité à aimer sans égocentrisme et de pouvoir assumer la responsabilité pour autrui. Et comme le dit si bien Emmanuel Lévinas : « Le moi devant autrui, est infiniment responsable » ; encore plus pour les siens devrions-nous dire. Sinon, lorsque les adultes sont défaillants, ils produisent des imagos qui usurpent les images nécessaires à la pensée organisée et cela ne peut qu’avoir des conséquences.

53Essayons donc ensemble de trouver la juste mesure pour qu’ils mènent à bien leur émancipation. En cette période difficile de crise, semble revenu le temps, vous l’avez compris, de l’indifférenciation enfants-adultes [17], les enfants n’en finissent plus de vivre une adolescence interminable et les adultes veulent rester enfants. Ce mécanisme rend flou le passage à la maturité, ce qui en laissent beaucoup vivre une adolescence minable. Les adolescents semblent aujourd’hui plus qu’hier, en cette période d’incertitudes avoir besoin d’adultes qui tiennent le coup face à leurs doutes, leurs silences, leurs attaques et leurs demandes. L’adolescence est l’affaire de tous et l’accompagnement par les mots et le langage ainsi que l’exemple de fiabilité permet de réduire considérablement les impacts et les dangers de ce parcours initiatique.

54Donc, accompagner la période d’adolescence est indispensable pour qu’elle soit source de promesse et non de destruction.

Conclusion

55Cette délicate transition qu’est l’adolescence nécessite l’apport et l’accompagnement des adultes. Même si elle ébranle les assurances de toutes sortes, il est de notre responsabilité de permettre au plus grand nombre de franchir ce cap difficile et de venir en aide aux plus vulnérables. Échanger sur nos théories et pratiques, penser notre clinique dans une perspective évolutive et travailler sur certains moyens de parvenir à de meilleures modalités de collaboration avec la famille, le scolaire, le social et le judiciaire, voilà notre quête et objectif. Espérons que cette réflexion sera source d’avancée dans les perceptions et les stratégies d’action.

56Mais surtout, pour aider ces « grives adolescentes » il faut garder la fraicheur du souvenir « des merles » que nous fûmes.

57Liens d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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Mots-clés éditeurs : psychiatrie, post-adolescence, soins, adolescence

Mise en ligne 18/02/2014

https://doi.org/10.1684/ipe.2013.1141

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