Le chiffre du mois
C’est le pourcentage d’internes français envisageant d’exercer la pédopsychiatrie : 13 % à titre exclusif et 18 % en association avec de la psychiatrie adulte.
D’après l’enquête réalisée par l’Affep en 2011-2012 auprès des 1 615 internes inscrits au DES de psychiatrie sur leurs souhaits de pratique après l’internat (taux de participation de 53 %).
Berger-Vergiat A., Chauvelin L., van Effenterre A. Souhaits de pratique des internes de psychiatrie : résultats d’une enquête nationale.
Accepté par l’Encéphale le 15 janvier 2013.
Aux origines de la formation en pédopsychiatrie en France
1Durant l’époque allant du Moyen-Âge au xviiie siècle, l’intérêt porté à la question de l’enfance est extrêmement modeste et ne concerne initialement que les questions d’éducation, le plus souvent abordées sous l’angle religieux [1]. Il faut ainsi attendre le xve siècle pour voir apparaître les premiers écrits de pédiatrie. Au xviie siècle, l’enfant ayant un trouble mental, l’« idiot », est accueilli à l’asile parmi les « fous ». Les premiers changements de paradigme s’observent à partir de 1800 avec notamment l’expérience d’Itard et du sauvage de l’Aveyron, jeune enfant n’ayant pas accès au langage, jugé idiot et incurable par Pinel et ses collaborateurs. Itard, opposé à ces théories et réfutant l’hypothèse d’une étiologie congénitale, entreprend la rééducation de cet enfant. Dans les suites de ce travail, Seguin poursuit la tâche d’éducation des débiles mentaux et publie en 1846 son traité sur « l’Idiotie et son traitement ». Esquirol établit la première distinction entre le débile mental et l’enfant psychotique [2]. À la fin du xixe plusieurs travaux, dont ceux de Binet, viennent modifier la représentation de l’enfant idiot [1]. Par ailleurs, la description clinique des maladies mentales de l’enfant s’affine mais reste majoritairement teintée d’adultomorphisme. La fin du xixe est aussi l’époque où la formation en psychiatrie commence à se structurer avec la création en 1877 de la première Chaire de clinique des maladies mentales et de l’encéphale [3]. Au début du xxe siècle, l’essor de la psychanalyse vient enrichir le regard porté par les psychiatres sur l’enfant. Bien que ne s’étant pas directement occupé d’enfants, Freud entreprend, à partir des récits de patients en cure, une théorie du développement psychoaffectif. Les générations suivantes de psychanalystes, et notamment Anna Freud et Mélanie Klein adapteront les techniques psychanalytiques à l’enfant. À cette époque, une autre problématique, celle de la délinquance, devient source d’intérêt des psychiatres, et notamment de Goerges Heuyer qui réalise sa thèse sur ce sujet. Celui-ci joue un rôle considérable dans le développement de la pédopsychiatrie organisant en collaboration avec Kanner en 1937 le premier congrès international de pédopsychiatrie à Paris.
Enfin la reconnaissance de la neuropsychiatrie et de la pédopsychiatrie
2Il faudra attendre l’année 1949 pour voir la création, d’une part, de la Chaire de psychiatrie de l’enfant dont Heuyer sera le premier titulaire et, d’autre part, du diplôme de neuropsychiatre dans les facultés de médecine. Ce diplôme consiste en une formation de trois années dont la validation repose sur des épreuves théoriques et cliniques comportant l’examen d’un malade de neurologie, de neuropsychiatrie infantile et de psychiatrie [4]. Ainsi, malgré la création de la première Chaire de psychiatrie de l’enfant, la pédopsychiatrie reste une discipline universitaire encore peu individualisée, au carrefour de la pédiatrie, de la psychiatrie et de la neurologie. La création du premier service universitaire de pédopsychiatrie, situé initialement à l’hôpital des Enfants-Malades puis à la Salpêtrière, et dirigé par Heuyer s’est faite avec des médecins qui contribueront par la suite au développement de la pédopsychiatrie tels Lebovici, Diatkine, De Ajuriaguerra et Misès [5].
3En 1953, la création de la Revue de Neuropsychiatrie infantile et d’Hygiène mentale de l’Enfance et de l’Adolescence vient apporter une certaine notoriété à la discipline, mais celle-ci reste cantonnée à la vie universitaire parisienne. Heuyer continue cependant à développer la pédopsychiatrie en accueillant dans son service des médecins en formation et en organisant dès les années 1950 une journée d’étude annuelle sur la Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent [6].
4Dans les années 1960, des modifications importantes vont transformer la formation au métier de psychiatre. En effet, la mise en place de la sectorisation, l’augmentation de l’activité ambulatoire en libéral et son remboursement par l’assurance maladie, ainsi que le développement d’un secteur médico-social imposent une augmentation du nombre de psychiatres. Dans ce contexte, une modification majeure de la formation voit le jour avec le décret du 30 décembre 1968 qui crée le Certificat d’études spéciales (CES) de psychiatrie [7]. La psychiatrie se sépare de la neurologie, qui a elle-même son propre CES ; les deux spécialités deviennent autonomes et sont reconnues comme telles par l’université.
La naissance du secteur de psychiatrie infanto-juvénile
5Parallèlement à la sectorisation et à l’autonomisation de la psychiatrie, la pédopsychiatrie universitaire française, qui n’en était qu’à ses balbutiements avec l’existence d’un seul professeur de psychiatrie jusqu’en 1967 (en l’occurrence Léon Michaux professeur à la Salpêtrière, successeur d’Heuyer) se développe avec la création entre 1967 et 1990 de 29 chaires de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent [1]. Plusieurs pédopsychiatres de renom, tel Roger Misès, défendent la mise en place de secteurs de neuropsychiatrie infantile [8] et d’une formation à la pédopsychiatrie pour tous les psychiatres [9]. Cette expansion au sein de l’université peut sans doute être vue comme le miroir d’une considération plus large de la pédopsychiatrie au sein de la société française [5]. La création du secteur de psychiatrie infanto-juvénile s’appuie sur plusieurs expériences parisiennes dont celles de Lebovici, Misès et Soulé [10]. Plusieurs circulaires, dont celle de 1972 considérée comme l’acte de naissance de la pédopsychiatrie, précisent ainsi l’organisation des intersecteurs de pédopsychiatrie. Cette sectorisation est décrite comme « un moteur de l’émancipation identitaire, idéologique mais également institutionnelle de la pédopsychiatrie » [5].
Un nouveau tournant : le diplôme d’études spécialisées (DES) de psychiatrie et le diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC) de pédopsychiatrie
6Ce n’est qu’en 1984 que s’instaure en France une formation officielle en pédopsychiatrie. En effet, la réforme du troisième cycle des études médicales envisagée en 1982 [11] verra le jour en 1984 lors d’une réforme de l’enseignement supérieur [12]. Celle-ci s’effectue dans un contexte de désir d’harmonisation européenne, de régulation des flux avec l’instauration d’un nombre prédéfini de médecins à former et d’amélioration de la qualité de la formation des médecins spécialistes [13]. L’idée d’améliorer la formation passe par la création d’un internat unique aboutissant, d’une part, à la création du DES de psychiatrie d’une durée de quatre ans, d’autre part, à la création d’une formation complémentaire en pédopsychiatrie avec la création d’un DESC de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent [14].
Quels regards sur la formation en pédopsychiatrie aujourd’hui ?
Le modèle français
7La formation en psychiatrie repose donc sur le DES qui, contrairement à d’autres pays européens, regroupe en une seule et même filière la pédopsychiatrie et la psychiatrie adulte, permettant l’exercice des deux disciplines. Le cursus comporte ainsi une formation obligatoire à la pédopsychiatrie basée sur un minimum de deux semestres à effectuer en pédopsychiatrie et sur la participation à des séminaires. Ce DES n’étant pas national, mais régional et interrégional, le nombre et les thématiques des séminaires varient considérablement en fonction des régions. En 2011, l’Association française fédérative des étudiants en psychiatrie (Affep) a établi un état des lieux des contenus de formation à partir des données recueillies auprès de 25 des 26 référents locaux (la ville de Limoges n’ayant pas répondu à l’enquête) [15]. Des séminaires de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent existent dans toutes les villes, contrairement à la psychiatrie périnatale qui n’est enseignée que dans 11 villes. De même, il existe des stages en psychiatrie de l’enfant et en psychiatrie de l’adolescent dans la totalité des villes mais seules 13 d’entre elles accueillent des internes en unités mère-bébé.
8En complément de la formation à la pédopsychiatrie du DES de psychiatrie, les internes en psychiatrie, comme d’ailleurs ceux de pédiatrie, ont la possibilité de s’inscrire au DESC de pédopsychiatrie. Il s’agit d’une formation facultative dite de type 1, c’est-à-dire apportant une compétence mais ne débouchant pas sur un exercice exclusif et permettant donc d’exercer aussi comme psychiatre d’adulte. Elle débute, en général, en quatrième année d’internat et s’étend sur la première, voire la deuxième année du clinicat ou de l’assistanat. Pour valider le DESC, il s’agit le plus souvent pour les étudiants de la filière psychiatrique de rédiger un mémoire, de valider quatre séminaires de pédopsychiatrie et un de pédiatrie, et d’effectuer un an dans un service de pédopsychiatrie et six mois dans un service de pédiatrie (stage parfois remplacé par la participation à des consultations pédiatriques).
9Dans l’enquête menée en 2012 sur la formation en psychiatrie auprès de 125 PU-PH, 75 de psychiatrie adulte et 40 de pédopsychiatrie, en activité ou retraité, certains items concernaient la pédopsychiatrie [16]. Soixante-dix-neuf PU-PH ont répondu à l’enquête, soit un taux de participation de 63 %. Parmi les répondants, 39 % sont PU-PH de pédopsychiatrie. Une question portait sur l’intérêt pour les séminaires de pédopsychiatrie : aucun des professeurs ne jugeait ces séminaires « peu intéressants », mais ils n’étaient que 86 % à les considérer comme « indispensables », les autres les jugeant seulement « intéressants ». Concernant l’évaluation de la formation théorique en pédopsychiatrie, seuls 72 % des PU-PH étaient satisfaits de la formation dispensée dans leur région. Ce taux de satisfaction était plus élevé chez les PU de pédopsychiatrie (jusqu’à 91 %) que chez ceux de psychiatrie adulte (le taux ne dépassant pas 70 %). En réponse à la question de la création du DES de pédopsychiatrie, 78 % étaient contre dont 85 % des PU-PH de psychiatrie adulte et 68 % de ceux de pédopsychiatrie. Le principal argument est que la formation en psychiatrie adulte est aussi nécessaire pour devenir pédopsychiatre (95 %) que la formation en pédopsychiatrie pour devenir psychiatre d’adulte (84 %). Un quart a mentionné d’autres raisons liées à un souhait d’unité de la discipline : « la psychiatrie est et doit rester “une” », « il n’y a que des inconvénients à scinder notre spécialité ». Les principaux arguments de la minorité qui est en faveur de la création du DES de pédopsychiatrie étaient le souhait d’harmonisation européenne (83 %), le fait que les deux spécialités ont des approches distinctes nécessitant donc des formations distinctes (58 %) et la non-nécessité d’être formé en pédopsychiatrie pour devenir psychiatre d’adulte, et vice versa (25 %) [16].
Quels intérêts des internes pour la pédopsychiatrie ?
10Il n’y a pas d’enquête française récente concernant la satisfaction des internes sur la formation en pédopsychiatrie, ni sur leur souhait d’une éventuelle création d’un DES de pédopsychiatrie (86 % y étaient opposés dans la dernière enquête à ce sujet qui remonte à 1989 [17]). En revanche, en 2011-2012, l’Affep a mené une enquête auprès des 1 615 internes inscrits au DES de psychiatrie sur leurs choix de formation et leurs souhaits de pratique après l’internat [18]. Huit cent cinquante-trois internes ont répondu, soit un taux de participation de 53 %. L’enquête montre un intérêt des internes pour la formation à la pédopsychiatrie avec 29 % des quatrièmes années inscrits au DESC, et pour l’exercice de celle-ci : près d’un tiers envisage d’exercer la pédopsychiatrie, 13 % à titre exclusif et 18 % en association avec de la psychiatrie adulte. Quatre-vingt-onze pour cent de ceux qui se destinent exclusivement à la pédopsychiatrie veulent effectuer le DESC, contre 37 % de ceux qui envisageant un exercice mixte. L’obtention du DESC et donc du diplôme de pédopsychiatrie pose ainsi la question de la construction identitaire du pédopsychiatre. Une recherche qualitative menée en 2012 à partir d’un focus-groupe incluant cinq jeunes pédopsychiatres s’est intéressée à cette question [19]. L’identité de pédopsychiatre est pour certains d’entre eux indépendante du diplôme et exclusivement liée à leur pratique venant signifier que cette identité dépend davantage du « faire » que de l’« être ». Pour les autres, la décision d’entreprendre le DESC était motivée par le désir d’« être » pédopsychiatre, l’obtention du titre étant à leurs yeux une étape indispensable pour acquérir cette identité professionnelle.
En Europe : recommandations et états des lieux
11L’Union européenne des médecins spécialistes (UEMS) recommande un internat de cinq ans, avec une séparation entre les filières de pédopsychiatrie et de psychiatrie adulte. Ces recommandations ne sont suivies que dans certains pays européens [20] en fonction de l’histoire de la spécialité et de l’organisation des soins propre à chaque pays. Plusieurs enquêtes se sont intéressées aux différences de formation à la psychiatrie entre les pays européens [21, 22] dont 1 centrée exclusivement sur la pédopsychiatrie, menée en 2010-2011 par l’European Federation of Psychiatric Trainees (EFPT) auprès de 34 pays [23]. Dans 6 d’entre eux (Biélorussie, Bosnie, Ukraine, Malte, Russie et Espagne), il n’y a pas de cursus de formation à la pédopsychiatrie. Dans 19 pays, il existe un programme de formation spécifique : les formations en pédopsychiatrie et en psychiatrie adulte sont distinctes, les internes doivent choisir l’une ou l’autre dès la fin de leurs études de médecine. Ainsi au Portugal, le cursus de pédopsychiatrie de 5 ans commence par 2 années de pédopsychiatrie ambulatoire avec une activité de garde aux urgences pédiatriques et se poursuit par 1 année en psychiatrie adulte (9 mois de psychiatrie générale et 3 mois d’addictologie). Durant la 4e année, les internes effectuent 6 mois dans un service d’hospitalisation en pédopsychiatrie, puis 3 mois en neuropédiatrie et 3 mois en pédiatrie du développement. Enfin, la 5e année se répartit entre 2 stages de 6 mois, l’un auprès d’enfants de 0 à 3 ans, l’autre auprès d’adolescents. Les 7 autres pays (France, Croatie, Finlande, Irlande, Lettonie, Pays-Bas, Royaume-Uni) ont à l’inverse un tronc commun de psychiatrie générale avant la formation complémentaire en pédopsychiatrie.
Discussion
La pédopsychiatrie : une naissance en réaction à la psychiatrie adulte et liée à la psychanalyse
12Dans sa thèse de médecine soutenue en 2012 intitulée « Histoire de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : témoignages et transmission », Loidreau a mené une enquête qualitative auprès de 18 pédopsychiatres d’horizons divers (secteur médico-social, université, hôpitaux psychiatriques, activité libérale), retraités, anciens acteurs et témoins des modifications de la discipline des années 1950 à nos jours. L’objectif de la recherche était de comprendre l’évolution de la discipline grâce à un recueil de témoignages lors d’un entretien individuel semi-directif qui a été enregistré, retranscris et analysé [5].
13La construction de la discipline dans les années 1950 repose en partie sur une contre-identification à la psychiatrie adulte. Loidreau évoque ainsi le « traumatisme lié à l’asile, un système déshumanisant contre lequel le psychiatre d’enfant reste en lutte (…), lutte se transmettant probablement dans l’inconscient de la collectivité pédopsychiatrique » et la « lutte contre le déni de l’enfance, contre la tendance à l’adultomophisme ». Cette lutte s’est transformée petit à petit en un combat militant contre la psychiatrie adulte, devenant alors un héritage identitaire fondateur [5].
14L’autre dimension structurante, voire fondatrice, de la pédopsychiatrie en France est la psychanalyse. Les psychiatres, qu’ils soient issus de la filière pédiatrique ou psychiatrique, évoquent tous des parcours intimement liés à la psychanalyse. À l’époque, une distinction s’opère entre la formation à la psychiatrie adulte qui est déjà structurée et en partie rattachée à l’Université, et une formation à la pédopsychiatrie s’effectuant principalement en dehors de l’internat et rattachée aux instituts de psychanalyse. La cure analytique est partie intégrante du cursus de pédopsychiatrie [5].
15Si la discipline a pris racine entre autres dans la psychanalyse, les liens entre la formation à la pédopsychiatrie et la psychanalyse ont évolués. En effet, alors qu’une majorité d’internes était en analyse au milieu du xxe siècle, ils sont de nos jours moins d’un quart [24]. L’enquête qualitative par entretiens semi-directifs menée en 2011 auprès d’internes en psychiatrie concernant leurs conceptions et pratiques des psychothérapies montre ainsi que la psychanalyse n’est plus en position hégémonique [25]. En revanche, même si la psychanalyse ne constitue plus l’étalon-or de la pratique psychothérapeutique, ses cadres de pensée demeurent souvent prévalents dans la pratique clinique quotidienne des internes en termes d’élaborations psychopathologiques permettant d’avoir une « compréhension » du patient par delà ses symptômes [25]. Ainsi les internes (qu’ils s’orientent ou non vers la pédopsychiatrie) conservent un lien avec la psychanalyse mais ce lien n’est plus exclusif, les orientations psychothérapeutiques sont diverses, la pluralité des méthodes revendiquée. Par ailleurs, comme le montre l’enquête menée en 2009-2010 sur la formation à la recherche durant l’internat de psychiatrie, la recherche en psychanalyse continue d’intéresser les internes : 30 % expriment le souhait de faire un master dans ce domaine mais seuls 5 % des internes effectuent ce master contre 48 % en neurosciences [26].
La pédopsychiatrie : unicité d’une discipline toujours affiliée à la psychiatrie adulte
16Bien que la pédopsychiatrie se soit donc construite en réaction à l’asile, au déni de l’enfance et à l’adultomorphisme, son appartenance à la psychiatrie n’a pas été remise en cause. Le travail de nos aînés fut ainsi d’œuvrer pour la création de lieux d’accueil spécifiques pour les enfants souffrant de troubles psychiques et pour la mise en place d’une formation à la pédopsychiatrie complémentaire, et non concurrentielle, à celle de la psychiatrie adulte. Sous leur impulsion, la pédopsychiatrie est devenue une discipline identifiée comme telle par la société et reconnue par les autres professionnels de l’enfance tout en restant rattachée à la psychiatrie adulte. Cette affiliation de la pédopsychiatrie à la psychiatrie apparaît aussi dans la recherche qualitative menée en 2012 auprès de jeunes pédopsychiatres [19]. Les participants évoquent différents types d’identité professionnelle : médecin, psychiatre, pédopsychiatre, médecin des maladies mentales, mais insistent tous sur la prépondérance de leur appartenance à la psychiatrie.
17Le souhait de maintenir la pédopsychiatrie au sein de la psychiatrie est également exprimé en matière de formation : dans l’enquête de Gourion datant de 1989 les internes y étaient favorables à 86 % [17] ; dans l’enquête de 2012 les PU-PH le sont à 78 % [16]. Par ailleurs, un quart des internes exprime le souhait d’exercer la double activité de psychiatre d’adulte et de pédopsychiatre, impliquant donc une formation aux deux disciplines [18]. Les psychiatres interrogés par Loidreau, anciens militants de la création de la discipline, expriment eux aussi la volonté de ne pas séparer les deux formations. Leur démarche d’individualisation de la discipline aurait pu se poursuivre par celle de l’individualisation de la formation, étape supplémentaire qui acterait l’autonomisation des deux filières, comme ce fut le cas en 1968 pour la neurologie et la psychiatrie.
18Cependant, poussé à l’extrême, ce raisonnement de séparer la pédopsychiatrie de la psychiatrie pourrait conduire à la création de disciplines de plus en plus spécialisées avec des néonato-psychiatres et des ado-psychiatres intervenant exclusivement auprès d’une catégorie de population définie par leur âge : nourrissons, enfants en bas âge, enfant en période de latence, adolescent. Certes, travailler en unité mère-bébé ou avec des enfants souffrant d’autisme et de troubles des apprentissages ou encore avec des adolescents état-limites sont des pratiques fort différentes, mais cela doit-il impliquer des formations et des diplômes distincts ? La richesse de la discipline ne réside-t-elle pas dans les ponts qui existent, d’une part, entre psychiatrie adulte et pédopsychiatrie, d’autre part, entre la psychiatrie du nourrisson, de l’enfant et de l’adolescent ? Par ailleurs, comment peut-on envisager de penser le fonctionnement psychique de l’adolescent sans s’être intéressé à celui du nourrisson ou de l’enfant ? De même, comment peut-on prendre en charge des enfants sans connaître la psychopathologie et la sémiologie de la psychiatrie adulte ?
Devenir pédopsychiatre
19Au-delà de l’enseignement et des étapes objectives détaillées précédemment telles la réalisation de stages hospitaliers, la participation à des séminaires, voire la validation du DESC de pédopsychiatrie, le processus pour devenir pédopsychiatre comporte une dimension subjective souvent associée à une rencontre déterminante. Plusieurs pédopsychiatres interrogés par Loidreau racontent des souvenirs de rencontres cruciales dans leur choix de la discipline : « Ma rencontre la plus importante ça a été celle de Roger Misès, si je l’avais pas rencontré, je crois que je ne serais pas devenu pédopsychiatre, je ne crois pas. Et après… dans… l’identité, ça a été sûrement, justement, la fréquentation des enfants » [5]. De même les jeunes pédopsychiatres interviewés en 2012 lors du focus-groupe évoquent une rencontre singulière, survenue dans la vie privée ou professionnelle, venue influencer leur choix : rencontre avec un psychiatre, un patient, une maladie [19]. Ce moment, en apparence imprévisible, est défini comme une révélation : devenir pédopsychiatre est soudain une évidence. Cette révélation est la résultante du processus subjectif reliant l’enfance, l’histoire personnelle et la vie actuelle : il s’agit d’une rencontre spécifique survenant à un moment particulier faisant suite à un double cheminement conscient et inconscient. Ce point est bien décrit par l’un d’entre eux qui a effectué un premier stage en pédopsychiatrie durant lequel il a « exclu toute possibilité de devenir pédopsychiatre » et qui a ensuite travaillé dans une autre unité de pédopsychiatrie, avec d’autres médecins, d’autres orientations théoriques et a soudainement expérimenté son « coup de foudre » avec la pédopsychiatrie.
20Faisant suite à cette rencontre déterminante dans le choix de la discipline, d’autres rencontres viennent permettre au futur pédopsychiatre de passer du statut d’étudiant en médecine à celui d’interne en psychiatrie, puis à celui de pédopsychiatre. Ces rencontres sont intimement liées au compagnonnage et à la relation maître-élève avec toute la richesse et la singularité du lien et de la dynamique existant entre celui qui reçoit et celui qui transmet [27].
Conclusion
21Les pédopsychiatres interrogés par Loidreau sont nombreux à pointer une des difficultés majeures de la discipline : celle de l’accompagnement des patients de la pédopsychiatrie vers la psychiatrie adulte. En effet même si la loi fixe à 16 ans la limite inférieure d’accès aux secteurs adultes, aucun texte législatif ne précise clairement l’âge supérieur limite d’accès aux secteurs de pédopsychiatrie. Par ailleurs, il persiste probablement une réticence des pédopsychiatres à envisager que leurs patients rejoignent la psychiatrie adulte, réticence pouvant être liée aux origines de la création de la discipline en réaction à la psychiatrie, à l’asile et au déni de l’enfance évoqués précédemment. Un des psychiatres interrogés par Loidreau explique clairement qu’à l’époque : « Notre but c’était de soigner les enfants de telle sorte qu’ils n’iraient jamais dans les services adultes ». Les choses ont évolué depuis les années 1950 comme en témoigne la création de structures prenant en charge des jeunes majeurs tout en restant rattachés à la pédopsychiatrie. Il serait souhaitable que le maintien d’une seule filière de formation continue à contribuer au développement des liens et des ponts existant entre les structures de pédopsychiatrie et celles de psychiatrie adulte afin de permettre une continuité dans la prise en charge des patients devenus adultes.
Bibliographie
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