Notes
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[1]
Postdoctorant, Université de Picardie Jules-Verne, laboratoire CHSSC, Institut faire faces, chemin du Thil, 80025 Amiens Cedex 1, France
<sdemazeux@gmail.com> -
[2]
Le psychiatre Kenneth Kendler a caractérisé la stratégie adoptée par le DSM, que je résume ici par le principe d’innovation, sous la forme d’un « modèle d’itération épistémique » (voir Kendler et Parnas, 2012 [20], mais aussi Demazeux, 2013 [9]).
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[3]
En 2012, Cosgrove et Krimsky [5] ont démontré que l’étendue des liens entre les membres du DSM-5 et l’industrie pharmaceutique s’est pour autant aggravée depuis le DSM-IV, puisque 69 % des membres du groupe de travail (contre 57 % pour le DSM-IV) entretiennent des liens avec l’industrie pharmaceutique.
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[4]
Certains auteurs ont pu s’interroger sur les motivations profondes d’Allen Frances devant ses critiques systématiques et acharnées contre le DSM-5. S’agit-il vraiment d’un cri d’alarme d’un acteur qui connaît, pour les avoir vécus de l’intérieur, les multiples dangers que fait courir une attitude trop réformatrice ? Doit-on y voir, comme certains l’ont soupçonné, une forme de ressentiment d’un acteur qui a été écarté de la direction du groupe de révision, voire une rancune aux motifs bassement pécuniaires ?
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[5]
Les pétitions de différentes associations de professionnels de la santé se multiplient sur le web, à l’instar de cette « Lettre ouverte au DSM-5 », initiée en octobre 2011 par des membres de l’APA, et qui recueille plus de 13 000 signatures en quelques mois, ou encore d’autres lettres rédigées ou de pétitions mises en place par l’American Counseling Association, la British Psychological Society, The Association for Women in Psychology, The Society for Humanistic Psychology, etc. Certaines de ces associations, du reste, se sont alliées dans une forme de « coalition » contre le DSM-5.
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[6]
Fred R. Volkmar, un spécialiste de l’autisme, se retire en 2011, au moment où les craintes se multiplient autour de la redéfinition du spectre autistique et du risque d’exclure certaines formes d’autisme de haut niveau. En avril 2012, c’est au tour de John Livesley et de Roel Verheul de claquer bruyamment la porte du groupe de travail en protestant contre cette usine à gaz qu’est à leurs yeux le système mi-catégoriel mi-dimensionnel des troubles de la personnalité [8].
1Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), depuis les années 1980, sert de référence en recherche et dans la pratique clinique dans de nombreux pays du monde. La seule classification qui lui fasse concurrence, sur le plan international, est la Classification internationale des maladies (CIM en français, ICD en anglais) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Du reste, les deux classifications se recoupent en grande partie et les divergences au niveau des étiquettes comme au niveau des critères cliniques sont devenues, au fil des révisions, de plus en plus rares.
2Même si elle est loin d’être considérée comme parfaite, la classification américaine a acquis depuis sa troisième édition publiée en 1980 une position d’hégémonie dans le domaine de la recherche. La confiance que les scientifiques lui accordent tient à son caractère parfaitement standardisé, grâce à l’adoption de définitions opérationnelles pour chaque catégorie clinique. Cette standardisation clinique facilite l’établissement des essais cliniques en épidémiologie et des protocoles expérimentaux dans les laboratoires de recherche, et elle améliore la comparaison des études sur le plan international. Loin de prétendre constituer une simple classification de consensus, la grande originalité du DSM-III a été de se fixer comme objectif prioritaire de constituer une classification qui soit informée par les meilleures données cliniques, au risque que le résultat bouscule les habitudes des cliniciens dans leur pratique ordinaire. Le consensus et l’utilité clinique ont été considérés, certes, comme des éléments importants du processus de révision de la classification, mais l’audace du DSM-III a été de les reléguer au second plan, après ce que j’appelle dans cet article un principe d’innovation.
3Or ce principe d’innovation adopté par le DSM-III est battu en brèche dès la parution du DSM-IV en 1994 par l’introduction rivale et perturbatrice d’un principe que j’appelle le principe de conservatisme. Les concepteurs du DSM-IV, pour différentes raisons théoriques ou pratiques, ont été amenés à ralentir le rythme et l’étendu des innovations susceptibles d’être introduites dans la classification, le plus souvent contre leur gré. Dès lors, ce qui faisait l’originalité du DSM depuis les années 1980 – et pour tout dire son caractère iconoclaste – est remplacé par une attitude beaucoup plus conciliatrice sur le plan clinique, que certains considèrent comme plus sage quand d’autres y voient désormais un manque d’audace scientifique.
4La publication du DSM-5, prévue officiellement en mai 2013, illustre la prédominance nette du principe de conservatisme sur le principe d’innovation. Tandis que le projet de révision laissait envisager, au début des années 2000, un ensemble très important de modifications et d’innovations, et même laisser augurer d’un véritable « changement de paradigme » nosologique, la montagne aura finalement accouché d’une souris : avant même que la nouvelle classification soit publiée, les nombreuses controverses qui ont entouré son développement ont eu raison de la révolution qui était annoncée.
Le principe d’innovation du DSM-III
5Le projet du DSM-III, qui se dessine autour des années 1974-1975, est clairement tourné vers l’innovation scientifique. Aux classifications de consensus qui réglaient jusqu’alors, sans grande autorité, la pratique institutionnelle des psychiatres, Robert Spitzer et ses collègues veulent substituer une classification précise, détaillée, transparente, dont les propositions soient informées par les données les plus récentes et les plus concluantes de la recherche clinique. Si les motivations institutionnelles ou idéologiques derrière cette orientation nouvelle sont nombreuses, le projet épistémologique des Néokraepeliniens [21] à l’origine du DSM-III apparaît avant tout comme la réponse à une crise de légitimité profonde que connaît la psychiatrie américaine des années 1970 [28]. Celle-ci est profondément divisée sur le plan théorique entre les partisans d’une approche biologique, les partisans d’une approche psychodynamique, mais aussi les tenants d’une approche psychosociale ou communautaire [35]. Les critiques violentes adressées par les antipsychiatres [29] et les sociologues [30] aggravent l’image publique déjà détériorée d’une psychiatrie asilaire perçue comme uniquement répressive. La querelle de l’homosexualité [3], l’affaire Rosenhan [27], mais aussi les enquêtes empiriques qui mettent en évidence la grande inconsistance des diagnostics psychiatriques, tout semble mettre en cause le caractère pseudo-scientifique de la psychopathologie clinique [9].
6La revalorisation du modèle médical dont le DSM-III va porter haut l’étendard s’est traduite par un ensemble d’innovations importantes au sein de la classification :
- une réforme du vocabulaire clinique qui expurge les termes théoriques ou hautement inférentiels ;
- l’introduction systématique de critères opérationnels pour définir chaque trouble mental ;
- la construction d’un système multiaxial, etc.
7Le DSM-III, élaboré pendant six ans par un groupe de travail composé d’une centaine d’experts, a été la première classification de l’histoire de la psychiatrie à être aussi soucieuse de prendre en compte les données disponibles de la littérature scientifique. Au « meilleur jugement clinique » qui prévalait, sous la forme du consensus entre experts, dans les DSM-I et DSM-II, ce sont les données issues d’études cliniques aux protocoles rigoureux qui, dans la mesure du possible, justifient chaque décision nosologique. Ce changement de perspective est crucial : il déplace le poids de l’autorité épistémique de la personne de l’expert aux résultats analysés et consignés dans la littérature scientifique. Les articles de référence valent comme des arguments, et surtout, l’avis individuel d’un expert psychiatre, aussi prestigieux soit-il, ne compte plus. C’est en ce sens qu’on peut dire que le DSM-III a été guidé par un principe d’innovation.
8Par principe d’innovation, je désigne dans cet article une certaine modalité de révision de la classification qui correspond à une forme d’optimisme réformateur sur le plan de la clinique psychiatrique [2]. On pourrait résumer ce principe sous la forme d’une maxime d’action : « À chaque fois que cela est justifié par les meilleures données scientifiques disponibles, modifions les critères cliniques de la nosologie en vigueur, quand bien même cette modification risque de perturber les habitudes cliniques de la majorité des cliniciens ». Bien avant l’émergence de l’evidence-based medicine (ou médecine fondée sur les preuves) dans les années 1990, les Néokraepeliniens se sont appuyés sur les données de la littérature spécialisée comme support rationnel de leurs décisions. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls, puisque à partir des années 1960, on observe un bouleversement profond des modalités de la production scientifique en psychiatrie. Dans les journaux de référence, comme par exemple The American Journal of Psychiatry, les récits de cas cliniques tendent à disparaître et sont remplacés par des études statistiques, plus austères, moins colorées, qui portent sur des groupes de patients constitués de manière homogène à partir de critères standardisés. Quand en 1982 on interroge Robert Spitzer, qui a dirigé le groupe de travail du DSM-III, sur ses orientations théoriques, il répond en deux mots : il est « data-oriented », il ne fait confiance qu’aux données issues de la littérature scientifique [32].
9L’opposition, qui est présupposée dans ce que j’appelle le principe d’innovation, entre les résultats de la littérature scientifique, d’une part, et le consensus clinique dans la communauté des cliniciens, de l’autre, est évidemment schématique. Elle a seulement pour fonction de souligner l’ambition fondamentale du DSM-III, qui a été de vouloir constituer une classification à la pointe de la recherche psychiatrique mais applicable à la clinique ordinaire. Or cette ambition réformatrice pouvait s’imposer d’en haut aux États-Unis avec d’autant moins de résistances que l’« art clinique », hérité des maîtres anciens, n’a jamais eu le prestige disciplinaire qu’il a eu en Europe, en particulier dans la psychiatrie française et allemande, et qu’il n’a jamais fortement contribué à asseoir l’autorité scientifique et institutionnelle des psychiatres (contrairement à ce qui s’est passé en France, je renvoie sur ce point au livre Consoler et classifier, l’essor de la psychiatrie française de l’historienne Jan Goldstein [19]).
10Par ailleurs, il est important de préciser le point suivant : reconnaître l’importance inédite qu’ont eue les données issues de la littérature scientifique dans le processus d’élaboration du DSM-III ne signifie pas qu’il faille relativiser le poids des facteurs extrascientifiques en présence, ni même le caractère souvent bricolé (faute de données concluantes) de la plupart des décisions qui furent prises. L’existence de groupes de pressions (comme les anciens combattants pour la reconnaissance de l’état de stress post-traumatique [38]), la nécessité de prendre en compte des enjeux financiers et administratifs (pour une analyse fine et nuancée de ces enjeux, voir Cooper, 2005 [4]), mais aussi la volonté de concilier les avis divergents à l’intérieur comme à l’extérieur du groupe de travail, tout cela a clairement pesé dans la fabrication du DSM-III.
11Mais il n’empêche : le DSM-III donne plus de poids explicite aux résultats issus de la recherche clinique qu’à l’expérience des experts ou à l’autorité de la tradition clinique. Cette nouveauté radicale d’attitude est parfaitement résumée dans un article où Williams et Spitzer [37] comparent les critères du DSM-III et les critères diagnostiques pour la recherche. L’article se conclut sur la formulation d’une bonne et d’une mauvaise nouvelle : « La bonne nouvelle est qu’avec l’introduction de critères diagnostiques spécifiques, depuis les années 1970, les chercheurs ont pour la première fois une certaine assurance que tous ceux qui utilisent ces critères se réfèrent à la même chose » ([37], p. 1289). Mais les auteurs poursuivent : « La mauvaise nouvelle, c’est que ces nouveaux critères du DSM-III ont, pour la plus grande part, été pris à partir de connaissances limitées. Inévitablement, de nouveaux jeux de critères diagnostiques apparaîtront avec davantage d’expérience et d’études de validité. D’ailleurs, des modifications éventuelles des critères fraîchement développés du DSM-III sont déjà à l’étude. Tel est le prix du progrès ! » (ibid.).
12Quand on lit cette conclusion d’un article qui date de 1982, soit deux ans seulement après la parution du DSM-III, on comprend que, loin de la réputation de triomphalisme scientiste qui a parfois collé au manuel américain, deux de ses promoteurs les plus importants reconnaissent que leur classification a été bâtie sur des bases fragiles qu’ils espèrent consolider progressivement. Les auteurs du DSM-III n’ont jamais été présomptueux du progrès scientifique qu’ils avaient accompli ; en revanche, on peut dire qu’ils étaient très optimistes dans le progrès que leur démarche réformatrice pouvait accomplir.
13Ce « prix du progrès », conçu comme une obligation constante à rénover, est clairement à l’œuvre dans la première révision du DSM-III, proposée en 1987. Le DSM-III-R (édition « révisée » du DSM-III) conduit à de nombreuses modifications de détail et à l’ajout de près d’une trentaine de nouvelles catégories diagnostiques. Il a été élaboré à partir des données plus fines de la littérature qui ont été rendues possibles par le DSM-III, même si la majorité des modifications répondent à des besoins de clarification, de précision et d’amélioration de l’utilité clinique – mais aussi, préoccupation désormais présente, la volonté de dissiper par avance toute controverse possible, un « comité ad hoc » étant même prévu à cet effet au sein du groupe de travail. Quoi qu’il en soit, le principe qui guide les révisions reste le même : améliorer la validité des étiquettes diagnostiques suivant les meilleures données disponibles.
Les DSM-IV et -IV-TR, ou l’affirmation du principe de conservatisme
14Le DSM-IV, qui paraît en 1994, marque un point de rupture paradoxal dans l’histoire du DSM : jamais la classification américaine n’a été aussi attentive aux résultats issus de la littérature scientifique, soigneusement épluchés, analysés et discutés au sein des différents comités d’experts du groupe de travail. Mais, jamais non plus elle n’a revendiqué aussi explicitement, à l’origine même de son projet, la nécessité d’adopter un nouveau principe, antagoniste au principe d’innovation, que j’appelle le principe de conservatisme.
15La nomination d’Allen Frances à la tête du groupe de travail indique à elle seule l’importance de ce changement de perspective : ce psychiatre beaucoup plus prudent et consensuel que Robert Spitzer s’empresse de souligner que l’originalité du DSM-IV sera dans sa méthode de révision plutôt que dans l’ampleur des changements qu’on doit en attendre. Il l’écrit dès 1989 : « L’innovation majeure du DSM-IV ne consistera pas dans la présentation d’un contenu nouveau ou surprenant, mais elle résidera plutôt dans la méthode systématique et explicite d’après laquelle le DSM-IV sera construit et documenté » ([12], p. 375). De prime abord, on assiste donc à un renforcement du principe d’innovation au sens où chaque modification introduite devra être faite sur la base exclusive d’arguments solidement établis à partir de la littérature scientifique : « Nous avons pris un certain nombre de précautions pour nous assurer que les recommandations des groupes de travail se concrétisaient par des avis reflétant une connaissance la plus extensive possible, et ne se limitaient pas simplement à l’opinion personnelle de chaque membre » (introduction du DSM-IV [1]). Toutefois, en rehaussant le niveau de preuve exigé pour introduire une modification, les auteurs du manuel mettent en réalité un frein au principe d’innovation.
16Plusieurs raisons expliquent la nécessité d’adopter cette attitude plus conservatrice. La première raison est d’ordre pratique autant qu’épistémologique : à adopter un rythme de révision trop soutenu, on risque de ne pas laisser le temps aux critères adoptés dans l’édition précédente de démontrer leur validité. Plus grave, on risque aussi d’adopter de manière précipitée des réformes qui n’ont pas prouvé suffisamment leur nécessité, ou d’introduire des catégories qui n’ont pas fait l’épreuve du temps. C’est pourquoi le rythme de révision de la classification doit être ralenti. Tandis que 16 ans séparaient le DSM-I du DSM-II, que 12 ans séparaient le DSM-II du DSM-III, le DSM-III-R n’est publié que sept ans après le DSM-III, ce qui est très peu au regard des nombreuses modifications introduites. Les cliniciens, mais aussi les cadres administratifs, les statisticiens et les assureurs doivent s’adapter à toutes ces modifications de détail de la classification de référence. Quant aux chercheurs, la révision précoce du DSM-III complique évidemment leur travail : les protocoles d’expérience doivent être modifiés, l’interprétation des résultats et les comparaisons avec les études antérieures deviennent malaisées. Pour toutes ces raisons, le DSM ne peut plus être conçu comme une révolution permanente.
17La classification a donc besoin de gagner en stabilité, et pour cela, une solution consiste à augmenter le seuil d’évidence scientifique requis pour apporter une modification des critères : « Le seuil de révision pour le DSM-IV a été plus élevé que pour le DSM-III et le DSM-III-R », est-il écrit dès l’introduction du DSM-IV [1]. Avec l’accroissement inexorable de la publication scientifique et l’internationalisation des données de recherche, l’examen attentif des données de la littérature scientifique constitue désormais un travail à part entière. C’est d’ailleurs la première tâche que se propose le comité de révision du DSM-IV. Une méthodologie précise est mise en place pour constituer des revues de littérature extrêmement détaillées et couvrant tous les domaines de la classification. Les sources, les méthodes et les conclusions de chaque étude sont consignées dans trois imposants volumes, les DSM-IV sourcebook. Au besoin, les membres du DSM-IV peuvent commander de nouvelles études quand celles qui sont disponibles ne sont pas susceptibles de fournir un « support rationnel et empirique » satisfaisant à l’examen des différentes options. Mais à cette attitude nouvelle sur le plan méthodologique, concomitante du développement dans toutes les branches de la médecine des méta-analyses et des revues systématiques de type Cochrane dans les années 1990, on assiste sous l’impulsion de Frances à une ouverture et une démocratisation du processus de révision du DSM : une attention plus grande est donnée à l’utilité clinique de la classification, ainsi qu’aux revendications des associations de patients. Le DSM-IV cherche davantage le consensus que les deux éditions précédentes.
18Une troisième contrainte tient à la nécessité de se conformer à la CIM. Les États-Unis, qui sont bien évidemment des membres de l’OMS, sont contraints par là-même de se référer à sa classification de référence. Même s’ils sont autorisés à aménager la CIM pour répondre à certaines particularités cliniques ou administratives, les psychiatres et les psychologues américains sont censés adopter la section consacrée aux troubles mentaux de la CIM-10. Dès lors, l’alignement du DSM sur la CIM constitue une nécessité de plus en plus impérieuse (au risque pour la classification américaine de se trouver marginalisée sur le plan clinique et administratif ; au risque aussi pour le DSM, si elle ne cultive pas une certaine différence, de perdre son identité et donc son intérêt). Tandis que la version de la CIM-10 adaptée aux usages américains, l’ICD-10-CM (« CM » pour clinical modification), a longtemps été retardée, sa mise en circulation sur le territoire américain en 2014 risque de faire concurrence au DSM-5 [26].
19La dernière motivation, enfin, du principe de conservatisme est d’ordre prudentiel. Dès le milieu des années 1980, les acteurs historiques du DSM-III sont prêts à reconnaître que certaines critiques récurrentes qui sont adressées à l’encontre de la classification américaine ne sont pas dénuées de fondement. Le succès éditorial du DSM-III s’est traduit par ce que la psychiatre Nancy Andreasen a caractérisé comme un certain nombre de « conséquences inattendues » [2]. De nombreux commentateurs accusent le DSM d’être responsable d’une surmédicalisation de la souffrance mentale [11, 24], et ils en tiennent pour preuve le nombre toujours plus grand des maladies mentales officiellement reconnues (voir le tableau graphique élaboré par Follette et Houts en 1996, p. 1125 [11] et la défense du DSM par Jerome Wakefield [36]). Face à ces accusations, les dirigeants de l’Association psychiatrique américaine (APA) décident d’adopter une approche plus prudente à l’égard des réformes. Et cela d’autant plus qu’en 1997, une décision politique aux enjeux financiers lourds va jouer un rôle considérable sur le développement du DSM : la Food and Drug Administration (FDA) autorise la publicité directe aux consommateurs pour les psychotropes, ce qui signifie que l’industrie pharmaceutique peut désormais vanter au grand public les intérêts de leur médicaments, quitte à susciter la demande en détaillant les critères du DSM (même si seuls les médecins sont habilités à prescrire des psychotropes). Allen Frances, le président du groupe de travail du DSM-IV, reconnaîtra après coup l’influence néfaste que cette mesure a eue. Selon lui, trois « fausses épidémies » se sont développées à la fin des années 1990 due au marketing de l’industrie pharmaceutique, au lobbying de certaines associations de parents et aussi au peu de prévoyance de certains experts impliqués dans le DSM-IV : les troubles de l’attention [15], l’autisme [16], le trouble bipolaire chez l’enfant [17].
20La révision intermédiaire du DSM-IV, le DSM-IV-TR publié en 2004, est une illustration parfaite de ce que j’appelle le principe de conservatisme. Derrière la différence subtile de sigle, qui passerait presque inaperçue, entre le DSM-III-R et le DSM-IV-TR (le sigle « TR », text revised, signifie que seul le « texte » qui accompagne les descriptions cliniques est modifié et non l’édition en général), c’est un bouleversement profond des modalités de révision du DSM qui est engagé. La course effrénée à l’innovation nosologique a laissé place à la nécessité de stabiliser une classification de référence, en se contentant de maintenir à jour les données cliniques générales (prévalence, antécédents, pronostic, etc.). Les modifications critériologiques sont exceptionnelles et elles ne concernent que quelques étiquettes diagnostiques. Les concepteurs du DSM veulent se donner du temps avant d’entreprendre la prochaine grande modification nosologique.
L’aporie du DSM-5
21À la fin des années 1990, les spéculations autour de ce que devrait être le futur DSM-V (la décision de basculer en numérotation arabe ne sera prise qu’en 2008, notamment pour homogénéiser les usages avec la CIM) vont bon train. Le coup de pioche inaugural du chantier du DSM-V est donné avec la publication d’un ouvrage collectif intitulé Research agenda for DSM-V, qui paraît en 2002 sous la direction de David Kupfer, Michael First et Darrel Regier. Loin de constituer une première ébauche du futur manuel, l’ouvrage, établi à la suite d’une série de conférences lancées par l’APA et le National Institute of Mental Health (NIMH) en 1999, s’est fixé pour but de dresser un état des lieux des problèmes nosologiques et des solutions envisagées à court et à moyen termes. Or, il apparaît que les problèmes sont nombreux. Le recueil s’ouvre sur le constat général d’un échec de la stratégie entreprise par le DSM-III :
22« Il y a plus de 30 ans que les critères de Feighner – qui allaient jeter les bases du DSM-III – ont été introduits [en psychiatrie] par Robins et Guze, et pourtant les tentatives de prouver la validité de ces syndromes comme de découvrir des étiologies courantes sont restées infructueuses » ([22], p. xviii).
23Et les auteurs de souligner les nombreuses difficultés que soulève le DSM :
- aucun biomarqueur n’a été découvert pour n’importe quel syndrome du DSM ;
- la comorbidité est extrêmement haute entre les troubles mentaux ;
- les diagnostics sont instables dans le temps ; ils ne répondent pas spécifiquement aux traitements disponibles, etc.
24Pourtant, quand le chantier du DSM-V commence véritablement, en 2006, avec la nomination de David Kupfer comme président et de Darrel Regier comme vice-président du groupe de travail, personne ne sait quelles seront les orientations précises du futur Manuel, tant sur le plan du contenu que celui de la méthode. Treize groupes de travail sont constitués. Si le choix des experts est déterminant au sens où leur nomination laisse généralement présager certaines orientations fondamentales, il obéit aussi à de nombreux impératifs plus ou moins avouables (comme la notoriété de l’expert, mais aussi sa disponibilité et ses capacités de négociation, sans parler des enjeux en termes de représentation des femmes et des minorités, des enjeux en termes de représentation internationale, etc.). Parmi tous ces impératifs avec lesquels Kupfer et Regier doivent composer, un critère va retenir l’attention plus que les autres : l’absence de conflits d’intérêts. En 2006 précisément, Lisa Cosgrove et ses collègues ont publié un article qui fait grand bruit dans le milieu académique. Les auteurs soulignent le peu de transparence qui entoure, en psychiatrie tout particulièrement, les liens existants entre les experts impliqués dans les révisions nosologiques et l’industrie pharmaceutique [6]. Or, ces liens sont devenus particulièrement importants à la fin des années 1980, à l’occasion de la révision du DSM-III en DSM-III-R. À l’invitation de clarifier leur politique de gestion des conflits d’intérêts, l’APA répond en exigeant de chaque membre du groupe de travail qu’il rende publique une déclaration d’intérêts : aucun expert impliqué ne doit recevoir des revenus supérieurs à de 10 000 dollars par an provenant de l’industrie pharmaceutique, et il ne doit pas disposer de plus de 50 000 dollars en actions dans une entreprise pharmaceutique [3]. Mais ce que cette anecdote illustre, derrière les montants faramineux qui sont en jeu, c’est que toute velléité d’innovation est désormais perçue comme suspicieuse et que le fait de s’appuyer sur les données issues de la littérature scientifique n’est plus un gage de neutralité et d’objectivité (les résultats des études cliniques étant malheureusement trop souvent corrélés à leurs sources de financement, ce que les Anglo-Saxons appellent le funding effect).
25Mais une autre décision du groupe de travail déconcerte : si le recrutement des experts devient un peu plus transparent (le processus de développement le « plus transparent dans les 60 ans de l’histoire du DSM », se félicitent Kupfer et Regier [23]), le processus de révision lui-même devient étonnamment opaque. Le développement du DSM-5, tel qu’on dénomme la classification désormais, ne repose sur aucune méthodologie prédéfinie. Surtout, il est rendu en grande partie secret, les membres du groupe de travail étant tenus à une « clause de confidentialité » destinée à éviter de rendre publique toute forme de conclusion trop hâtive. Robert Spitzer, dans une lettre envoyée à Psychiatric News en juillet 2008, s’indigne de ce retournement historique dans les méthodes de révision du DSM qui transgresse le principe fondamental de publicité du travail scientifique [33].
26L’année 2009 est une année noire pour le DSM-5. Jane Costello quitte le groupe de travail sur les troubles de l’enfance et de l’adolescence. Elle s’en explique le 27 mars dans une lettre rendue publique où elle trouve inconsidérée la volonté de changer de paradigme sans aucune base empirique et sans pouvoir en mesurer toutes les conséquences [7]. Spitzer, le même mois, réitère ses critiques [34], tandis qu’Allen Frances met en cause la faible méthodologie du processus de révision [13, 14] [4]. Le 7 juillet, Spitzer et Frances cosignent une lettre destinée au Board of Trustees où ils en appellent à la responsabilité de l’APA [18]. La crise nosologique qui agite les psychiatres gagne alors la place publique, et devant une image qui se dégrade rapidement, les dirigeants de l’APA ne trouvent pas mieux que de répliquer à ce qu’ils considèrent comme une campagne de désinformation en créant un site Internet : www.dsmfacts.org. Beaucoup d’auteurs reprochent notamment au DSM-5 de vouloir promouvoir de manière précipitée une approche dimensionnelle en psychopathologie ou d’introduire de nouvelles entités (comme le syndrome de risque psychotique) dont la validité est loin d’avoir été établie. Kupfer et Regier sont amenés à mettre de l’eau dans leur vin : ils assurent la communauté psychiatrique que le modèle dimensionnel qui sera introduit coexistera avec le modèle classique de type catégoriel, et qu’aucun décision concernant les nouvelles étiquettes envisagées n’a encore été prise. En décembre 2009, ils annoncent par ailleurs que la publication officielle du DSM-5 est reportée à 2013.
27La première ébauche du DSM-5 (first draft), rendue publique entre janvier et avril 2010, attirent des dizaines de milliers de commentaires sur le site officiel de l’APA. Le système hybride mi-catégoriel mi-dimensionnel proposé en remplacement des troubles de l’axe II de la classification, extrêmement compliqué, ne convainc personne. Les deuxième (second draft) et troisième (third draft) versions de travail, présentées respectivement en mai 2011 et mai 2012, tentent de faire machine arrière en proposant un système plus simple et en prenant en compte les nombreuses objections soulevées. Tandis que les critiques publiques [5] et les démissions se multiplient [6], la validation un peu précipitée du futur texte du DSM-5 par le Board of Trustees de l’APA en décembre 2012 donne le coup de grâce aux velléités de rénovation profonde de la classification : les innovations les moins consensuelles sont refusées et le système mi-catégoriel mi-dimensionnel est relégué dans une section à part, en marge de la classification officielle. David Kupfer tentera de sauver les apparences en affirmant : « Nous avons cherché à adopter une approche très conservatrice dans notre révision du DSM [25] ».
Conclusion
28Peut-on conclure que le DSM-5 est un échec, avant même sa sortie ? Toute la difficulté de parler d’échec concernant une classification nosologique de référence est de s’entendre précisément sur les termes. Parle-t-on d’un échec scientifique, au sens où le découpage nosologique, les critères utilisés pour décrire les entités morbides ou la méthode employée pour organiser la classification auraient conduit à une impasse ? Parle-t-on d’un échec institutionnel, disciplinaire, voire moral, au sens d’une faillite de la tâche essentielle d’une classification psychiatrique ou d’un dévoiement de la pratique clinique ?
29L’argument que je défends en conclusion de cet article est limité et précis : on peut d’ores et déjà parler d’un échec du DSM-5 au sens où la nouvelle édition du manuel américain a échoué à renouer avec le principe d’innovation qui avait fait l’originalité du DSM-III, et qu’elle prétendait continuer d’adopter. Malgré les insuffisances profondes que soulève le DSM dans sa forme actuelle, c’est l’approche conservatrice qui s’est imposée. Dès lors, au lieu d’une classification qui était résolument tournée vers l’innovation (au risque parfois de jouer les apprentis sorciers), le DSM est devenu une classification de consensus, prudente ou pusillanime, suivant les points de vue, devant le poids de la responsabilité institutionnelle et sociale qui lui incombe. Le retournement ironique de l’histoire pourrait être le suivant : après avoir servi de modèle à l’élaboration de la CIM-10, il n’est pas interdit de penser que ce sera bientôt la CIM-11, prévue en 2015, qui exercera une forme d’autorité sur les modifications futures du DSM. On promet en effet de nombreuses rénovations (et en particulier une réduction spectaculaire du nombre de troubles mentaux). À moins que cette volonté, elle aussi, ne s’épuise dans les effets d’annonce.
30Conflits d’intérêts : aucun.
Bibliographie
Références
- 1American Psychiatric Association. DSM-IV : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Paris : Masson, 1997.
- 2Andreasen N. DSM and the death of phenomenology in America: an example of unintended consequences. Schizophr Bull 2007 ; 33 : 108-17.
- 3Bayer R. Homosexuality and American psychiatry: the politics of diagnosis. New York : Basic Books, 1981.
- 4Cooper R. Classifying madness; a philosophical examination of the diagnostic and statistical manual of mental disorders. Dordrecht : Springer, 2005.
- 5Cosgrove L, Krimsky S. A comparison of DSM-IV and DSM-5 panel members’ financial associations with industry: a pernicious problem persists. PLoS Med 2012 ; 9 : e1001190.
- 6Cosgrove L, Krimsky S, Vijayaraghavan M, Schneider L. Financial ties between DSM-IV panel members and the pharmaceutical industry. Psychother Psychosom 2006 ; 75 : 154-60.
- 7Costello J. Jane Costello resignation letter from DSM-V task force to Danny Pine March 27, 2009.
- 8Demazeux S. Les troubles de la personnalité dans le DSM : les raisons d’une crise nosologique. Rev Topique 2013 ; 123 (à paraître).
- 9Demazeux S. Qu’est-ce que le DSM ? Genèse et transformations de la bible américaine de la psychiatrie. Paris : Ithaque, 2013.
- 10Feighner J, Robins E, Guze SB, Woodruff RA, Winokur G, Muñoz R. Diagnostic criteria for use in psychiatric research. Arch Gen Psychiatry 1972 ; 26 : 57-63.
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Mots-clés éditeurs : échec, DSM-5, diagnostic médical, DSM, psychiatrie, nosologie
Date de mise en ligne : 24/05/2013.
https://doi.org/10.1684/ipe.2013.1055Notes
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[1]
Postdoctorant, Université de Picardie Jules-Verne, laboratoire CHSSC, Institut faire faces, chemin du Thil, 80025 Amiens Cedex 1, France
<sdemazeux@gmail.com> -
[2]
Le psychiatre Kenneth Kendler a caractérisé la stratégie adoptée par le DSM, que je résume ici par le principe d’innovation, sous la forme d’un « modèle d’itération épistémique » (voir Kendler et Parnas, 2012 [20], mais aussi Demazeux, 2013 [9]).
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[3]
En 2012, Cosgrove et Krimsky [5] ont démontré que l’étendue des liens entre les membres du DSM-5 et l’industrie pharmaceutique s’est pour autant aggravée depuis le DSM-IV, puisque 69 % des membres du groupe de travail (contre 57 % pour le DSM-IV) entretiennent des liens avec l’industrie pharmaceutique.
-
[4]
Certains auteurs ont pu s’interroger sur les motivations profondes d’Allen Frances devant ses critiques systématiques et acharnées contre le DSM-5. S’agit-il vraiment d’un cri d’alarme d’un acteur qui connaît, pour les avoir vécus de l’intérieur, les multiples dangers que fait courir une attitude trop réformatrice ? Doit-on y voir, comme certains l’ont soupçonné, une forme de ressentiment d’un acteur qui a été écarté de la direction du groupe de révision, voire une rancune aux motifs bassement pécuniaires ?
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[5]
Les pétitions de différentes associations de professionnels de la santé se multiplient sur le web, à l’instar de cette « Lettre ouverte au DSM-5 », initiée en octobre 2011 par des membres de l’APA, et qui recueille plus de 13 000 signatures en quelques mois, ou encore d’autres lettres rédigées ou de pétitions mises en place par l’American Counseling Association, la British Psychological Society, The Association for Women in Psychology, The Society for Humanistic Psychology, etc. Certaines de ces associations, du reste, se sont alliées dans une forme de « coalition » contre le DSM-5.
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[6]
Fred R. Volkmar, un spécialiste de l’autisme, se retire en 2011, au moment où les craintes se multiplient autour de la redéfinition du spectre autistique et du risque d’exclure certaines formes d’autisme de haut niveau. En avril 2012, c’est au tour de John Livesley et de Roel Verheul de claquer bruyamment la porte du groupe de travail en protestant contre cette usine à gaz qu’est à leurs yeux le système mi-catégoriel mi-dimensionnel des troubles de la personnalité [8].