Bref historique et exposé de la problématique
1Le mouvement de désinstitutionnalisation qui s’est développé à la fin du siècle dernier, d’abord en Amérique puis dans les autres pays occidentaux, a répondu à un vaste mouvement marqué par les théories antipsychiatriques américaines, anglaises, italiennes, etc., lesquelles – bien que n’étant pas semblables quant à leurs fondements théoriques – relevaient toutes de la meilleure connaissance des facteurs iatrogéniques des hospitalisations prolongées en psychiatrie, jugées responsables de la chronicisation des malades. C’est-à-dire que ceux-ci – atteints d’affections chroniques – risquaient de finir par s’adapter aux lieux institutionnels où ils allaient se « coller » et dont ils s’avéraient totalement dépendants [1]. C’est ainsi qu’émerge, en France, dans les années 1980, l’urgence de développer des prises en charge partielles et subséquemment la nécessité de séparer les lieux de vie des lieux de soins afin d’introduire des discontinuités dans les prises en charge des patients. Il s’est agit désormais de se battre contre l’hospitalisme (davantage que contre l’hôpital) : l’hospitalisation psychiatrique devant s’avérer aussi longue que nécessaire mais aussi courte que possible [2]...
2La déshospitalisation a fait surgir de nouvelles questions : nos usagers ont-ils la capacité de s’intégrer dans la communauté ? La communauté peut-elle intégrer les malades mentaux ? Andréoli [3] souligne la distension des liens sociaux dans notre société qui s’avère peu supportive à la détresse de nos malades ; Bachrach [4] n’hésite pas à réclamer « un retour à l’asile » pour stigmatiser les situations d’abandon social dans lesquelles se retrouvent de nombreux malades. Dans le même temps, des études portant sur la qualité de vie des patients objectivent qu’ils sont, plus que quiconque, confrontés à de nombreuses difficultés : ils sont plus exposés et plus réactifs au stress, demeurent la plupart du temps solitaires et isolés, sans loisir, désœuvrés. La misère sociale est leur pain quotidien, ils vivent souvent de façon misérable (logement, revenus) et sont particulièrement exposés sur le plan de leur sécurité ; ils rencontrent des problèmes de santé, ont une alimentation de mauvaise qualité, se retrouvent souvent dans des lieux non adaptés (hôpital général, hospice, prison, ou à la rue…) et rencontrent des problèmes manifestes dans leur gestion administrative ou budgétaire [5]. Les soins dans la communauté ne peuvent se limiter à des interventions codifiées : il faut également s’assurer que la personne évolue dans un environnement qu’elle a choisi et où elle se sent en sécurité, qu’elle peut être accueillie près de son domicile pour des soins ou un accueil (à tout moment et même lors de l’urgence), qu’elle est inscrite dans un projet de réhabilitation qui lui convient et qu’elle a facilement à sa disposition des aidants atteignables.
3En France, c’est dans ce contexte qu’apparaissent dans les années 1980-1990 les premiers appartements thérapeutiques associatifs, particulièrement dans le sillage du mouvement des Structures intermédiaires prôné par l’Asepsi [6] et de l’Association française pour les foyers, appartements et logements associatifs (Asffalta) [7]. Ces appartements associatifs, à l’interface du social et du sanitaire, vont réaliser autant de petites unités de réhabilitation inédites dans lesquelles les patients vont avoir la possibilité d’élaborer leur projet individuel de vie. Ils dépendent d’associations, Loi 1901, la plupart du temps reliées aux équipes de secteur dans un cadre purement bénévole. Ces appartements associatifs prendront des noms divers en fonction des expériences : appartements « relais », « satellites », « protégés », etc. Depuis la Loi Kouchner de 2002, une foule d’autres structures assez semblables se mettent en place dans le médicosocial ou dans le social et répondent aux besoins d’hébergement protégé des malades.
4Malheureusement, force est de constater la pénurie de publications sur cette activité thérapeutique originale – purement franco-française – dans les journaux scientifiques internationaux, de même que l’absence de toute évaluation sérieuse de cette nouvelle modalité de soins favorisant l’intégration sociale.
5Dans le même temps, en Amérique du Nord (États-Unis et Canada), des études contrôlées ont été menées pour lutter contre le « sans-abrisme » chez des sujets atteints de troubles psychiatriques sévères. Deux modèles ont été expérimentés : le « treatment first model » [8] et le « housing first model » [9]. Ces deux modèles reposent sur des postulats différents et opposés (voir ci-dessous). Les études ont montré que la mise à disposition d’un logement à des personnes sans-abri, atteintes de troubles psychiatriques, pouvait s’accompagner d’une réduction des hospitalisations et des visites aux urgences, d’une diminution des durées moyennes de séjour et des coûts hospitaliers et de prise en charge [10-13], d’une amélioration de la qualité de vie et de l’état clinique du patient [13, 14]. De même, la mise à disposition d’un logement avait été associée à une diminution de l’utilisation de substances psychoactives [12, 15, 16]. Enfin, l’engagement du patient dans sa prise en charge s’accompagnait d’une meilleure observance aux traitements et d’une diminution des rechutes [17, 18].
6On ne peut que regretter l’absence de travaux français sur les appartements associatifs qui auraient sans doute enregistré des résultats semblables… et se féliciter de la recherche entreprise sous nos climats sur le housing first, en espérant que, par contre-coup, l’intérêt déclinant pour les appartements associatifs s’en trouve stimulé.
De l’utopie réaliste au passage du droit formel au droit effectif : le programme expérimental « Un chez soi d’abord »
Un programme public expérimental
7Le programme expérimental « Un chez soi d’abord » a été lancé en 2011 en France suite au rapport intitulé les gens sans chez soi [19], déposé en janvier 2010 auprès de Roselyne Bachelot, Ministre de la santé par le docteur Vincent Girard, psychiatre à Assistance publique des Hôpitaux de Marseille, le docteur Pascale Estecahandy, médecin généraliste responsable d’un service de lits-haltes-soins-santé à l’hôpital de La-Grave à Toulouse et le docteur Pierre Chauvin.
8En priorisant « Un chez soi d’abord », ce programme impose une inversion des logiques institutionnelles en priorisant les besoins des personnes sans chez soi vis-à-vis des besoins des institutions.
9Ce programme s’adresse à un public caractérisé par des troubles psychiques sévères, tels la schizophrénie, les troubles bipolaires, avec ou sans addiction, à la rue, isolé, en règle sur le territoire pouvant, ainsi suivant son type de ressources financières, salaire ou différentes prestations sociales comme l’AAH, le RSA ou du pôle emploi, remplir les conditions requises pour signer un bail de sous-location glissant dans la perspective de devenir locataire en titre ultérieurement suivant sa solvabilité et les conditions dans lesquelles il s’acquitte régulièrement de sa charge locative.
10« Un chez soi d’abord » prend en compte le public remplissant les critères de recevabilité pour ce qu’il est, et non pour ce que les institutions souhaiteraient qu’il soit. Ainsi, chaque personne est considérée dans sa singularité avec tout ce qui la caractérise avec la possibilité d’obtenir un logement sans clause restrictive et non avec certains renoncements vis-à-vis de consommations ou de comportements.
11En échange, les règles régissant les immeubles d’habitation doivent être respectées, il est ainsi proposé par le logement une socialisation via une habitation ordinaire respectueuse de l’ensemble de ses locataires.
12Programme expérimental relié à une recherche médicale placé sous la responsabilité du professeur Pascal Auquier de l’Inserm de Marseille [20], qui doit mesurer en termes de santé, quelles seraient les réductions des inégalités sociales en intégrant aussi bien une réduction des hospitalisations et une diminution de la durée des séjours, une diminution des risques, de visites aux services des urgences, d’une amélioration de la qualité de vie et de l’état clinique de chacune des personnes, ainsi que la diminution des consommations de substances psychoactives.
13Cette recherche s’effectue sur une population de 800 personnes vivant à la rue suivant les critères de l’OMS et les syndromes déjà précisés sur la base de deux cohortes, une cohorte de 400 personnes bénéficiant d’un logement avec le statut de sous-locataire et une cohorte de 400 personnes restant dans le dispositif des offres habituelles des prestations sociales et de soins.
14Dans chacune des villes identifiées – Lille, Marseille, Toulouse et Paris – la recherche s’adresse à 200 personnes, 100 personnes logées bénéficiant des prestations d’une équipe pluridisciplinaire et de 100 personnes bénéficiant des prestations habituelles.
15La mise en place d’un tel programme nous impose une réflexion autour des déterminantes santé en santé publique, tel que le logement, le revenu, l’emploi, l’intégration sociale, le bien-être, l’éducation, etc.
16Ce programme repose sur un décloisonnement des professionnalismes avec une adaptation aux besoins de la personne logée et aussi considère le logement comme un outil d’insertion. Cela impose aux différents acteurs de travailler avec toutes les formes de résistances aux changements issues des pratiques antérieures.
Le rétablissement
17Ce programme vise au rétablissement du public admis, rétablissement qui ne correspond pas à un retour à un état antérieur, mais à un cheminement personnel partant de son ou ses traumatismes en composant avec les divers éléments constitutifs de la société, c’est-à-dire cette distanciation entre sa responsabilité et celles des autres [21].
18Ce qui rejoint certaines affirmations, comme celles de Lucien Bonnafe [22] précisant que le sujet n’est jamais extérieur à ce qui lui arrive, ce n’est pas la guérison. Il s’agit d’un exercice de composition personnel respectueux du rythme du locataire entre le réel et la réalité de chacun. Mais guérit-on d’une psychose ? On peut vivre avec comme élément de la personnalité.
19Le sujet psychotique n’est pas que ses symptômes, il est avant tout une personne et non une maladie. Le rétablissement nécessite de l’espoir et de croire que le changement est possible. Pour cela le sujet doit devenir acteur de ses propres changements.
Financement du programme
20Le financement de ce programme provient en totalité de l’État via les Agences régionales de santé et les Directions déconcentrées de cohésion sociale, la DRIHL, pour le programme parisien. Les ARS financent l’ensemble des postes budgétaires, les DDCS financent les postes de capteur de logement, celui de l’homme d’entretien des logements ainsi que la gestion des logements via l’Intermédiation locative (Loi Molle 2009-323 du 25 mars 2009).
21Le budget en année pleine pour le suivi de 100 personnes est de 1 700 000 € avec une équipe dédiée de 11 équivalents temps pleins.
Identification du public et entrée dans la recherche
22Le repérage du public s’effectue avec l’ensemble des équipes de maraudes sociales et les diagnostics psychiatriques sont posés par des psychiatres des Équipe mobile psychiatrie précarité. Une fois diagnostiqué, un dossier dans lequel figure les critères d’éligibilité est adressé à l’équipe de recherche qui, après vérification des critères remplis, rencontre les personnes leur précisant l’objet de la recherche avec les deux cohortes en leur demandant de réfléchir si elles acceptent de rentrer dans ce protocole de recherche.
23Un délai de quelques jours est proposé pour réfléchir avant un rendez-vous avec un médecin investigateur agréé afin de recueillir le consentement éclairé actant la volonté de rentrer dans le protocole de recherche.
24À cette étape, un tirage au sort avec ses aléas est effectué dans quelle cohorte la personne rentre : logée ou non logée. Quel que soit le résultat de ce tirage au sort, toute personne ayant donné son consentement pour entrer dans cette recherche sera rencontrée par l’équipe de recherche tous les six mois pendant deux ans, soit cinq rencontres qui permettront de vérifier s’il y a une réduction des inégalités sociales en termes de santé entre les personnes non logées et celles devenues sous-locataires.
25Les personnes non logées suivent le parcours habituel des personnes sans chez soi dans la perspective d’être admis suivant les offres habituelles, rue, CHU, centre de stabilisation, CHRS, etc. Elles suivent ce fameux escalier inscrit dans la chaîne de l’habitat qui renforce les processus de l’exclusion.
26« Un chez soi d’abord » s’inscrit dans une inversion de cette logique qui propose avant tout un chez soi d’abord à partir duquel sont organisés toutes prestations ou accompagnements priorisant avant tout les besoins des personnes sans chez soi par rapport aux offres habituelles hébergement/logement et leurs processus institutionnels.
27Chaque personne rentrant dans la cohorte des personnes logées est rencontrée dans un délai court, deux à trois jours par des membres de l’équipe pluridisciplinaire, dénommée équipe dédiée, qui après avoir rappelé les attendus du programme et de son protocole, bénéficie d’un logement avec le statut de sous-locataire.
28Les futurs locataires ont le choix entre trois logements dans des quartiers différents avec des loyers mensuels avec charges se situant entre 220,00 à 450,00 €, cela en fonction des surfaces qui oscillent entre 16 à 32 m2.
29Chaque logement dispose d’un ameublement temporaire permettant à tout locataire de vivre immédiatement dans son logement.
Équipe pluridisciplinaire
30Cette équipe pluridisciplinaire constituée d’un psychiatre, d’un médecin généraliste addictologue, des travailleurs sociaux divers, de formations diverses, ayant des compétences dans les domaines des addictions et de l’emploi, d’infirmières et aussi des médiateurs santé pairs ayant une expérience dans ce qui singularise le public identifié.
31À cela, il convient d’ajouter, un capteur de logement, une secrétaire, un homme d’entretien pour les logements, tous ces postes sont à temps partiels, mi-temps en général.
32Le travail de l’équipe dédiée repose essentiellement sur de l’empathie [23] qui ne saurait se confondre avec une quelconque compassion.
33L’équipe se réunit chaque matin sur une courte période en tout début de journée afin d’organiser le travail de sa journée suivant les événements de la veille et des planifications déjà arrêtées, accompagnements dans des démarches, synthèses avec des partenaires dans lesquelles les locataires participent et sont même appelés à les animer puisqu’il s’agit d’eux-mêmes.
34Afin de viser la satisfaction des besoins identifiés des locataires, est déterminée dans le cadre d’une création singulière la mise en place d’un réseau de services (sociaux, sanitaires) qui servira de guide à tous dans l’organisation des démarches et de leurs temporalités.
35Les bénéfices d’un travail en pluridisciplinarité sont des apports indispensables pour la prise en compte des besoins identifiés des locataires. Les médiateurs santé pairs sont une aide tant pour les locataires que pour leurs collègues. Pour les locataires, ils peuvent être des images identificatoires au niveau du rétablissement.
36Le travail en VAD, à raison de deux à trois par semaine, s’effectue en binôme, ce ne sont pas toujours les mêmes personnes qui effectuent les VAD chez les mêmes locataires. Tous les membres participent à ce type de prise en compte.
37Chaque VAD a au moins un objectif suivant ce qui a été convenu lors de la dernière rencontre. Elles ne sauraient se résumer à un échange dans la forme d’entretien très régulier à caractère thérapeutique ou social, mais sont centrées autour de certains éléments d’insertion par le logement :
- changement des adresses administratives ;
- démarches vis-à-vis de la gratuité des transports suivant les critères définis par la ville de Paris ;
- l’ameublement durable du logement avec choix sur un catalogue ou dans un magasin avant de procéder aux achats ;
- coordination de soins tant somatiques que psychiatriques ;
- identifications de certains services dans le quartier, bureau de poste, mairie, commissariat, moyenne surface alimentaire, centre culturel, pharmacie, bus, métro, etc. ;
- accompagnements dans certains gestes quotidiens, comme la mise en place d’achats des nécessités du quotidiens, produits alimentaires, d’hygiène, divers achats ;
- organisation des journées, soit dans le cadre de démarches ou d’activités ;
- mise en place de rencontres de types synthèses partenariales avec les locataires dont ils peuvent être les animateurs ;
- reprise de contacts vis-à-vis de liens familiaux distendus en regard de leur errance.
Statut en regard du logement
38Les locataires signent un bail de sous-location à leur entrée dans la perspective du glissement de ce bail à leur nom. Le choix arrêté à Paris pour prospecter des logements a été de nous rapprocher des bailleurs sociaux en leur proposant de s’investir dans cette recherche.
39Il s’agit d’un bail simple qui n’est d’aucune façon relié à un contrat thérapeutique. Ainsi, chaque locataire à comme seule obligation de respecter les règles liées à la contractualisation.
40Chaque locataire est chez lui, il est à même de recevoir qui il veut. La seule condition est de ne pas troubler la quiétude qui doit régner dans tout immeuble d’habitation.
41Chaque locataire s’acquitte mensuellement de son loyer différentiel après perception de l’allocation logement. À son entrée, il doit s’acquitter d’un dépôt de garantie, du paiement du loyer à terme à échoir et de la souscription d’une assurance habitation.
42Des modalités d’étalement de paiement peuvent être déterminées en fonction des situations présentées par chacun (étalements qui ne changent en rien aux obligations locatives en termes de gestions des logements).
43L’inconditionnalité de l’accueil permet de rentrer dans le programme sans renoncer à diverses consommations. Celles-ci feront partie de la prise en compte des difficultés des locataires. Cette inconditionnalité est totale puisque l’équipe dédiée n’est pas impliquée dans la sélection des personnes logées.
Captations des logements
44Antérieurement au lancement de ce programme « Un chez soi d’abord » en 2011, des rencontres organisées par le mouvement HLM avaient traité des difficultés à intégrer dans des logements sociaux des personnes présentant des symptomatologies psychiatriques, ou présentant des troubles du comportement sans un accompagnement social adapté.
45Difficultés qui pouvaient s’entendre, mais la mise en place d’une équipe dédiée conséquente rassure les bailleurs.
46De plus, au niveau de l’équipe dédiée est mis en place une astreinte H 24, chaque jour de l’année, ce qui permet aux bailleurs suivant leurs organisations en interne de joindre à tout moment une personne de l’équipe qui est à même de se déplacer si les circonstances l’exigent.
47« Un chez soi d’abord » repose d’abord sur le logement et rejoint ainsi le droit au logement pour tous. C’est à partir de ce lieu que tout va être organisé avec les membres de l’équipe dédiée.
48Lors de son entrée dans son logement, est remis à tous nouveaux locataires outre un guide de l’occupant qui précise sous forme de dessins en couleurs ce qui ressort de la responsabilité du bailleur et de ce qui ressort de la responsabilité de l’occupant, un kit d’entrée qui est constitué de vaisselles, de produits alimentaires obtenus grâce à un partenariat avec la banque alimentaire, ainsi que des produits d’hygiène et d’entretien.
49Dans « Un chez soi d’abord », le logement est considéré comme un des outils d’insertion comme le sont l’emploi, la culture, la santé, la formation et les locataires ne sont pas considérés comme des malades ou des patients, mais comme des êtres sociaux, ils ne sont pas que leurs symptômes ou leurs syndromes, ils sont avant tout considérés comme des membres à part entière de la communauté humaine.
50À compter de cette entrée, les prises en compte des besoins après avoir été identifiés de façon partagée vont donner lieu à une priorisation.
51Cette expérimentation s’effectue par une métamorphose de la culture dans le travail aussi bien sanitaire, social que médicosocial.
52L’heure n’est pas encore au bilan, puisque cette expérimentation ne fait de débuter, août 2011 à Marseille et août 2012 à Paris. Néanmoins, pour les 170 personnes logées dans le programme sur les quatre sites, des améliorations de leurs différents états sont constatés, tous parlent plus de leurs devenirs que de livrer des pans entiers de leurs passés douloureux ou de la rue.
Discussion et tentative de théorisation
Le modèle housing first
53Il relève clairement, pour sa philosophie, des apports du grand courant de Réhabilitation psychosociale, particulièrement développé en Amérique du Nord. Il engage les aidants des personnes vulnérables à les aider à développer leurs capacités persistantes plutôt qu’à stigmatiser leurs incompétences ; il s’agit formellement de s’appuyer sur les potentialités de la personne – la partie « saine » – afin de leur permettre de se gérer eux-mêmes, de développer des activités sociales et de vivre selon leurs goûts. Le concept de recovery (rétablissement) s’appuie sur une abondante littérature portant l’accent sur l’amélioration que rencontrent certains malades considérés comme rétablis : en rémission symptomatique et/ou fonctionnelle. Le mouvement, surtout porté par des usagers (Survivors, Schizophrenia anonymous, etc.) considère le recovery comme un processus d’épanouissement et de développement personnel (et non pas comme une étape définitive) centré par la responsabilité retrouvée de l’usager face à la maladie (« le rétablissement n’est pas un cadeau octroyé par les médecins mais la responsabilité de chacun d’entre nous ») qui vise à une adaptation positive aux effets de la maladie avec reprise d’un contrôle sur sa vie. Ce modèle, qui sous-entend que « l’on va apprendre à vivre avec sa maladie », valorise le point de vue de l’usager « qui sait mieux que quiconque ce qu’il doit faire pour se rétablir » [24].
54En découle forcément une sorte de redéfinition des rôles. Les soignants habitués à décider et à protéger les patients sont invités à les laisser choisir ce qui leur paraît bon pour eux. De plus, l’accompagnement, indispensable tout au long des étapes du rétablissement, doit être médical mais surtout social, ce qui est le propre du Mouvement de réhabilitation psychosociale dont les actions débutent dans le Sanitaire (incapacités) pour se poursuivre dans le Social (désavantages) [2].
55Cependant, il est évident que dans le housing first il n’y a pas que de l’appui social : une action thérapeutique s’opère également. Les données relevées dans la pratique de l’hébergement thérapeutique peuvent nous aider à en connaître les mécanismes.
La théorisation de l’action thérapeutique dans les appartements thérapeutiques associatifs
56Plus de 20 ans de pratique nous ont permis de déterminer qu’ils s’adressent principalement, sous nos climats, aux personnes qui, du fait de leur pathologie, s’avèrent incapables de vivre seules et ont besoin du soutien d’un milieu institutionnel, ne serait-il qu’en partie protégé. Ils concernent ces patients qui sont stabilisés en milieu institutionnel et qui décompensent dès qu’ils sont livrés à eux-mêmes. Malgré la variété des modèles développés ici ou là, leurs concepts sont souvent identiques, avec une même philosophie des soins, une même organisation pratique et des mêmes fonctions, plus ou moins modulées. On retrouve habituellement un contrat de sous-location ainsi qu’un règlement intérieur qui engagent les résidants à respecter des règles de vie définies et à poursuivre les soins auprès de l’équipe de suivi. Surtout, explicite ou implicite, c’est le contrat thérapeutique passé avec l’équipe qui constitue l’élément essentiel de ces prises en charge : il vient authentifier l’engagement du patient à continuer à se soigner et des soignants à suivre le patient. C’est le contrat thérapeutique qui réalise l’action thérapeutique dans les appartements qui, en eux-mêmes, n’ont pas à proprement parler d’action soignante. La poursuite des soins y est très clairement définie : consultations, activités dans les centres de jour, activités dans les Ésat, etc. L’équipe de soins y est précisée : référents infirmiers qui continuent à suivre les patients en allant les rencontrer, etc. Les bases théoriques du fonctionnement des appartements associatifs peuvent être distinguées en : fonction éducative ou réadaptative, fonction d’hébergement, fonction de transition (ou pas), enfin, fonction psychothérapique [25].
L’hébergement
57La fonction première des appartements associatifs est bien sûr l’hébergement, qui représente une condition fondamentale pour la réhabilitation psychosociale : habiter quelque part c’est déjà « s’habiter soi-même ». Souvent en raison de leur pathologie ou de leur instabilité, les patients n’ont jamais pu vivre seuls : ils sont passés d’institution en institution avec parfois un hébergement provisoire dans le milieu familial. Procurer à ces patients un logement stable réalise souvent une première occasion de se stabiliser également dans les soins et d’investir durablement leur prise en charge. Dans l’appartement, ils occupent une chambre individuelle qu’ils peuvent personnaliser ; ils choisissent leur nourriture, leurs objets personnels, le linge qu’ils portent… ils expriment d’ailleurs régulièrement leur satisfaction et il est exceptionnel que l’un d’entre eux se plaigne de la vie dans les appartements associatifs.
Fonction éducative
58La fonction éducative ou réadaptative des appartements est essentielle : l’équipe soignante va encadrer et accompagner le patient dans son travail d’autonomisation qui constitue l’un des buts recherchés par les séjours en appartement, il faudra souvent le stimuler dans les domaines aussi variés que : l’aide à la gestion de l’argent, de l’espace, l’aide à la gestion du temps, à l’organisation de la vie quotidienne (courses, préparation des repas) et surtout, aide à la réalité sociale (voisinage, sorties et loisirs).
Fonction de transition
59Les séjours en appartement associatif instaurent une solution intermédiaire. C’est dans cet espace protégé où l’angoisse peut être contrôlée, à travers cette sollicitation des capacités d’autonomie, dans cette mise en tension à travers des crises que pourra apparaître un mouvement de mobilisation, une véritable relance du traitement.
Fonction psychothérapeutique
60La présence discontinue de l’équipe soignante dans les appartements associatifs entraîne une alternance présence/absence qui amène des moments de rupture et va permettre au patient d’élaborer l’absence et le manque. La relation de dépendance de ces sujets, habituellement psychotiques, va ainsi trouver à s’aménager en leur donnant la possibilité de se maintenir en l’absence de l’autre et de sauvegarder leur sécurité existentielle au cœur même de cette absence.
61Nous avons décrit le phénomène de la satellisation [26] développé par les patients marqués par un long passé institutionnel qui auront tendance à se satelliser autour des lieux de soins psychiatriques. Cette relation de satellisation consiste en « l’établissement d’une relation de demi-assistance à une institution comportant des mesures dégressives de rattachement avec les lieux de soins ». Pour certains patients très régressés qui sont dans une grande dépendance par rapport aux soignants, il est impératif de les aider à maintenir ces liens de dépendance, si besoin en les organisant afin de leur permettre d’aménager leur vie sociale. Ainsi, construire dans la cité un réseau d’accueil et de soin (foyer, CATTP, hôpital de jour, centre de crise ouvert 24 heures sur 24, etc.) permet à ces patients de se maintenir dans la communauté en sécurité. Les possibilités d’accueil et de soins de ce réseau vont être utilisées diversement par eux qui pourront ainsi aménager, selon leurs besoins individuels, leur relation de dépendance vis-à-vis de l’institution. D’ailleurs, le simple fait de savoir qu’à tout moment ils peuvent se réfugier quelque part dans un lieu proche de leur domicile et où ils pourront être entendus suffit habituellement à les rassurer. Les bases théoriques de la satellisation se fondent sur la permanence des liens transférentiels et institutionnels et sur le travail de restauration de l’autonomie psychique. L’accueil, les différentes activités et les soins proposés dans les différents lieux d’accueil sectoriels vont servir de support à des réseaux d’échanges interpersonnels. Les situations matérielles, les objets concrets ainsi que les personnes intermédiaires vont jouer un rôle médiateur ; en même temps, la situation institutionnelle va offrir différents supports au transfert chaotique des malades et permettre un éparpillement de ces transferts : le travail de l’équipe psychiatrique consistant à rassembler la totalité de ces fragments et investissements diffusés grâce aux diverses réunions et à la cohésion des membres de l’équipe. La relation de satellisation se fonde sur la permanence des réseaux institutionnels et des liens transférentiels institutionnels tout en articulant de façon dialectique le social et le soin.
Discussion et conclusion
62On l’aura compris, instruits par l’expérience française de l’hébergement thérapeutique, nous ne doutons pas de la réussite du programme de recherche « Un chez soi d’abord », dont il n’est pas faux de souligner les ressemblances : c’est surtout le soutien au niveau du logement par une équipe pluridisciplinaire qui apparaît l’élément primordial. Parmi les différences, signalons l’absence de contrat thérapeutique formel qui pourrait inquiéter : les personnes logées pouvant à tout moment couper les liens avec l’équipe de recherche. Toutefois, il semble que prévaut fortement l’engagement implicite, de part et d’autre, ce qui explique probablement le faible taux de perdus de vue dans les études anglo-saxonnes et dans les cas déjà introduits dans l’étude française au moment où nous écrivons ces lignes. Sur ce point, dans le modèle housing first, les choses sont claires : l’expérience tient sur le soutien intensif au domicile sans aucune obligation (« The provider is obligated to bring robust support services to the housing. These services are predicated on assertive engagement, no coercion » [27]). Cela met sans doute en lumière que c’est davantage l’engagement des accompagnants qui compte le plus, ceux-ci ne pouvant relâcher leur implication dans le projet.
63Conflits d’intérêts : aucun.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : hébergement thérapeutique, satellisation, un logement chez soi d'abord, contrat thérapeutique
Mise en ligne 18/04/2013
https://doi.org/10.1684/ipe.2013.1043