12012 est l’année où pour la première fois en France tous les postes d’internes en psychiatrie offerts aux épreuves classantes nationales (ECN) n’ont pas été choisis. Sur les 7 502 postes d’internes proposés, 499 étaient réservés à la psychiatrie, et le rang du dernier interne à choisir cette spécialité était 7 656 (le rang est plus élevé que le nombre de places car certains étudiants ne choisissent pas de poste pour redoubler) (figure 1). Cela signifie-t-il que les étudiants en médecine se détournent de la psychiatrie ? Nous allons proposer quelques hypothèses explicatives à ce phénomène et en déduire des pistes pour essayer d’éviter une crise des vocations.
D’après les chiffres publiés par le Centre national de gestion, www.remede.org.
Vers un désamour de la psychiatrie ?
2Si le phénomène semble nouveau en France, il est cependant bien connu à l’étranger. L’Organisation mondiale de la santé a en effet identifié en 2008 un déficit en psychiatres au niveau mondial [1]. Des pays comme le Royaume-Uni ou la Suisse connaissent également des difficultés de recrutement et tentent d’attirer les étudiants en médecine vers la psychiatrie.
3L’apparente désaffection pour la psychiatrie est cependant à relativiser car le nombre de postes d’internes en psychiatrie a augmenté ces dernières années plus rapidement que le nombre total de postes d’internes (toutes spécialités confondues) : la psychiatrie est passée de 5,0 % des postes d’internes en 2004 (200 postes de psychiatrie pour 3 988 postes totaux), à 6,7 % en 2012 (499 postes de psychiatrie pour 7 502 postes totaux).
4Néanmoins, il est clair que d’autres spécialités comme l’ophtalmologie n’ont pas de mal à recruter de futurs praticiens. Rappelons également que le nombre annuel de psychiatres en formation était de 1 212 en 1991, dernière année du certificat d’études spécialisées (CES), qui permettait de devenir spécialiste sans passer le concours d’internat qui était alors une filière d’excellence [2].
5Certains autres pays européens, y compris ceux ayant des difficultés à recruter, ont une densité de jeunes psychiatres (internes et praticiens exerçant depuis moins de quatre ans après l’obtention de leur diplôme) bien supérieure à la France : l’Allemagne compte 15,9 jeunes psychiatres pour 100 000 habitants, le Danemark 19,7, et la Norvège 27,3, alors que la France se situe entre la République Tchèque et la Slovaquie, avec 3,3 jeunes psychiatres pour 100 000 habitants (source : European Psychiatric Association, Early Career Psychiatrists Committee, Task Force on Research, enquête 2012 sur les jeunes psychiatres en Europe). Cela est d’autant plus inquiétant que notre pays est de longue date reconnu comme ayant une densité de psychiatres élevée : environ 22 pour 100 000 habitants [3]. L’avenir serait donc sombre, d’autant qu’il existe déjà un important déficit de psychiatres : jusqu’à 20 % de postes seraient vacants dans la psychiatrie publique [4].
6Il semblerait donc que pour la première fois depuis bien longtemps, la psychiatrie ne fasse plus recette auprès des étudiants en médecine français.
Un malaise ressenti par les étudiants ?
7Pourquoi ce désamour ? Les réponses sont complexes car les multiples facteurs influençant le choix de carrière d’un étudiant en médecine sont intriqués.
8On ne peut nier que le malaise grandissant au sein de la profession depuis plusieurs années influence nos plus jeunes collègues. La société a connu d’importants changements au cours des dernières décennies influençant grandement nombre de ses aspects : les moyens de communication, les questions éthiques, politiques, économiques et de santé, et par conséquent de santé mentale [5]. Les attentes de la société vis-à-vis des professionnels de la psychiatrie ont donc changé. Le rôle du médecin ne se cantonne plus à la délivrance de soins de qualité aux patients. Un médecin hospitalier doit désormais jouer un grand nombre de rôles. Clinicien et prescripteur, il doit aussi avoir des qualités de communication, de travail en équipe, de manageur, de mentor, d’enseignant et de chercheur. Les praticiens libéraux sont moins pris dans ces nouvelles contraintes, mais ils sont également confrontés au passage de la « psychiatrie classique » au concept de « santé mentale » qui a étendu les missions de la spécialité, rendant ses contours plus flous : accompagnement d’une tristesse non pathologique, intervention devant des difficultés sociales, etc. L’image de la psychiatrie se trouble, et les étudiants s’y perdent.
Choix de carrière, choix de vie
9Le choix de carrière n’est pas une mince affaire, notamment parce que savoir ce que l’on veut faire dans la vie implique d’avoir une idée de qui l’on est et de qui l’on veut devenir. Sans compter ce que les amis, la famille ou le conjoint veulent pour l’étudiant. Entre autres, cela implique de déterminer ses priorités. Blum et Florillo proposent une liste de questions pour aider l’étudiant à déterminer s’il souhaite faire une carrière de psychiatre et si oui, sous quel mode d’exercice (annexe 1) [6].
10Bien que de nombreux progrès aient été réalisés ces dernières années en termes d’harmonisation et d’amélioration de la qualité de l’enseignement en France et en Europe [8, 9], de nombreux aspects de la formation ne sont pas encore satisfaisants [10]. Il peut donc arriver que les internes rapportent un sentiment d’incompétence et d’inadaptation au travail, associés à des niveaux élevés de stress [11]. Cela est particulièrement vrai au cours des premières années après l’internat, alors que les jeunes psychiatres perdent le soutien de leurs co-internes, et que les attentes de leurs collègues augmentent grandement. Cela peut expliquer le succès du post-internat (assistanat ou clinicat) : une enquête menée auprès des internes en psychiatrie en 2011–2012 montre que 76 % d’entre eux souhaitent avoir accès à ce statut [12]. Le post-internat est l’occasion d’effectuer une transition entre le statut d’interne et de sénior, qui permet de compléter sa formation tout en prenant des responsabilités plus importantes. La qualité de vie et les conditions de travail des jeunes psychiatres peuvent donc influencer ceux qui auraient pu s’intéresser à la spécialité.
Encourager les étudiants en médecine à choisir une carrière en psychiatrie ?
11Au vu de ces constatations, nous avons mené une enquête en ligne auprès de 430 étudiants en sixième année de médecine dans les facultés de Dijon et Besançon, avant le début de leur internat [13]. Notre objectif était de comparer les facteurs influençant le choix de spécialité à l’internat entre des étudiants se destinant à la psychiatrie et des étudiants se destinant à d’autres spécialités. En identifiant des facteurs associés au choix de carrière en psychiatrie, un recrutement plus efficace des étudiants pourrait avoir lieu à travers des mesures concrètes au sein des facultés de médecine.
12Cent quarante-cinq étudiants ont répondu complètement au questionnaire, soit un taux de réponse de 34 %. Parmi ces étudiants, 23 % se destinaient à une carrière en psychiatrie. Il y a donc dans notre échantillon une surreprésentation de futurs psychiatres. Cela peut s’expliquer par le fait que les sujets étaient recrutés par un e-mail qui stipulait clairement qu’il s’agissait d’une étude en ligne cherchant à étudier les facteurs influençant le choix de carrière vers la psychiatrie. Les étudiants intéressés par cette spécialité se sont donc probablement sentis plus concernés que les autres. Il est important de noter que 29 % des étudiants savaient dès le début de leurs études de médecine la spécialité qu’ils souhaitaient choisir après les ECN, et que ce chiffre est identique entre les étudiants choisissant la psychiatrie et les autres. Ainsi, une large majorité des étudiants choisissent leur spécialité au cours de leur cursus de formation à la faculté.
Facteurs avant la faculté de médecine
13Les étudiants qui se destinaient à une carrière en psychiatrie avaient plus souvent eu une expérience familiale ou personnelle de maladie mentale que les étudiants que la psychiatrie n’intéresse pas. Il est intéressant de noter que les étudiants choisissant la psychiatrie n’avaient pas eu de parcours scolaire ni d’option au bac particulière (en particulier, pas plus de sciences humaines).
Facteurs pendant la faculté de médecine
14Pendant leurs études de médecine, les étudiants se destinant à la psychiatrie ont eu plus de semaines de cours et de stages obligatoires en psychiatrie, ils évaluaient la qualité de ces cours et stages plus favorablement. À nouveau, ces étudiants n’avaient pas choisi plus de modules optionnels en lien avec les sciences humaines (sociologie, éthique, philosophie, etc.).
15Au cours des stages, les étudiants considérant sérieusement s’orienter vers la psychiatrie ont rencontré plus souvent des patients en rémission ou en demande de soin, et le niveau de responsabilité de ces étudiants était plus élevé.
Facteurs environnementaux et psychologiques
16Les étudiants se destinant à la psychiatrie valorisaient davantage un meilleur équilibre vie/travail, par rapport à d’autres facteurs comme le niveau de revenu ou le prestige lié à l’emploi. Enfin, leurs préjugés vis-à-vis de la psychiatrie étaient plus positifs que les autres étudiants. Les perspectives d’emploi, d’opportunités universitaires, ou des horaires de travail flexibles n’influençaient pas les étudiants dans leur choix. Il n’existait pas de différence de personnalité (selon le modèle dimensionnel à 5 facteurs) entre les étudiants se destinant à la psychiatrie et leurs collègues.
Interprétation de ces résultats
17Ces résultats nous rappellent l’importance du compagnonnage des étudiants en médecine et de la disponibilité des aînés dans les facultés de médecine et les terrains de stage, puisque la quantité et la qualité des cours et des stages sont un facteur majeur associé au choix de carrière en psychiatrie. Un cours aux externes n’est sans doute pas autant valorisé qu’une publication mais il est pourtant déterminant de communiquer aux étudiants la passion de notre métier, éveiller leur curiosité à la discipline, et bien les former, quelle que soit le choix de spécialité qu’ils feront. Les jeunes psychiatres, auxquels on peut penser que les étudiants s’identifient plus facilement, doivent d’autant plus s’impliquer dans ce travail de formation, puisque les étudiants insistaient sur l’influence sur leur choix de carrière de rencontres avec des internes et jeunes praticiens.
18Des contacts de qualité entre étudiants et psychiatres sont également capitaux pour aider à déstigmatiser la spécialité. En effet, les étudiants qui étaient, entre autres, en contact avec des patients en rémission ou en demande de soins ont plus souvent choisi la psychiatrie. On peut penser que la rencontre avec la réalité de la psychiatrie et des patients qui souffrent de troubles mentaux permet aux étudiants de voir que les prises en charge ont une efficacité thérapeutique. De plus, il semble que les étudiants futurs psychiatres n’aient pas un neuroticisme (tendance persistante à ressentir des émotions négatives) ou une extraversion plus élevés que les autres étudiants. Les psychiatres ne seraient donc pas plus fous que les autres médecins ? Il est important d’entendre les craintes des étudiants vis-à-vis de la psychiatrie et de pouvoir y répondre. Cela est d’autant plus nécessaire que d’autres collègues, les familles, les amis, à l’image de la société dans son ensemble, peuvent avoir des préjugés négatifs envers la psychiatrie. Si l’on peut se désoler d’une telle situation, on peut aussi se questionner sur nos moyens d’action, et il est de notre responsabilité de dialoguer avec nos confrères afin de les convaincre que notre spécialité a un impact thérapeutique et que le choix d’une carrière en psychiatrie n’est pas réservé aux étudiants fragiles ou qui redoutent de toucher un patient !
19On peut tout de même se questionner sur la pertinence d’encourager les étudiants en médecine à s’orienter vers la psychiatrie. Il s’agit avant tout de permettre aux étudiants de faire un choix éclairé qui s’appuie sur une expérience acquise au cours de leur formation théorique et pratique, et non sur des préjugés. Il faut donc également exposer les difficultés et les limites de la spécialité, afin que le choix des étudiants soit basé sur la réalité quotidienne du travail en psychiatrie plutôt que sur des fantasmes. Plus généralement, on conviendra qu’il ne peut être que positif de faire découvrir plus en détail la psychiatrie aux étudiants : 15 à 20 % des consultants en médecine générale souffrent de troubles psychopathologiques, et des futurs médecins qui ont un intérêt et un regard positif sur la psychiatrie seront donc plus ouverts à ces questions et mieux à même de prendre en charge leurs patients.
Pour un enthousiasme retrouvé des étudiants envers la psychiatrie
20Prosélytisme ? Non, mais preuve d’un enthousiasme contagieux ? Oui ! Augmenter la quantité et la qualité du recrutement des internes en psychiatrie fait aussi partie des nouvelles missions des psychiatres. Il nous revient donc de faire découvrir la richesse et l’intérêt de la spécialité à des étudiants qui sont le plus souvent ouverts à l’idée de s’occuper du psychisme des patients. Même s’ils ne choisissent pas notre spécialité, ils auront pu se décider en connaissance de cause. Les psychiatres s’attèlent déjà au quotidien dans les facultés et les hôpitaux français à ce travail d’information auprès des étudiants, mais il faut régulièrement repenser nos pratiques, y compris celles qui touchent à la formation [14]. Comme l’écrivait Lucien Israël il y a déjà quelques décennies à propos du choix de carrière en psychiatrie : « À part quelques exceptions, de gens qui sont vraiment “faits pour ça”, et d’autres exceptions, un peu moins rares, de gens qui ne sont absolument “bons à rien”, pratiquement tout le monde peut faire n’importe quoi. Il ne faut que l’occasion » [15].
21Conflits d’intérêts : aucun.
Questionnaire d’évaluation par Blum et Fiorillo, adapté de Harrison [7]
Le chiffre du mois : 25 %
C’est aussi le pourcentage d’internes de 4e année se formant aux psychothérapies en parallèle de leur DES (associations de formation et instituts privés).
D’après une enquête réalisée par l’AFFEP auprès des internes inscrits au DES de psychiatrie pour l’année universitaire 2009 à 2010, Van Effenterre A, Azoulay M, Champion F, Briffault X. La formation aux psychothérapies des internes de psychiatrie en France : résultats d’une enquête nationale. Accepté par L’Encéphale le 15 septembre 2012.
Références
- 1WHO. mhGAP : mental health gap action programme : scaling up care for mental, neurological and substance use disorders, 2008, http://www.who.int/mental_health/mhgap_final_english.pdf.
- 2Observatoire national de démographie des professionnels de santé. Psychiatre. In : Le rapport annuel de l’ONDPS, Tome 3. Paris : ONDPS, 2005, p. 119-24.
- 3Cases C, Salines E. Statistiques en psychiatrie en France : données de cadrage. Rev Fr Aff Soc 2004 ; 1 : 181-204.
- 4Cour des comptes. L’organisation des soins psychiatriques : les effets du plan. « Psychiatrie et santé mentale » 2005-2010. Rapport public thématique. Paris : La cour des comptes, 2011.
- 5McKinlay JB, Marceau LD. The end of the golden age of doctoring. Int J Health Serv 2002 ; 32 : 379-416.
- 6Blum J, Fiorillo A. Choosing a career in psychiatry and setting priorities. In : Fiorillo A, Calliess I, Sass H, éds. How to succeed in psychiatry : a guide to training and practice ? Chichester, UK : John Wiley & Sons, 2012, p. 197-210.
- 7Harisson A. How to love your job ? Practice Link 2011 ; 21 : 69-71.
- 8UEMS-Section for psychiatry-European board of psychiatry. The profile of a psychiatrist, 2005.
- 9UEMS-Section for psychiatry-European board of psychiatry. Charter on training of medical specialists in the EU – requirements for the specialty of psychiatry. Berlin, 2005. Consultable en ligne sur : http://www.uemspsychiatry.org/board/reports/Chapter6-11.10.03.pdf
- 10Rouillon F. Perspectives d’évolution de la formation des psychiatres. Inf Psychiatr 2012 ; 88 : 511-3.
- 11Jovanovic N, et al. Burnout among psychiatry residents. Die Psychiatrie 2009 ; 9 : 75-9.
- 12Berger-Vergiat A, Chauvelin L, Van Effenterre A. Souhaits de pratique des internes de psychiatrie : résultats d’une enquête nationale. Chichester, UK. L’encéphale, 2012. (In review).
- 13Andlauer O, et al. Factors influencing french medical students towards a career in psychiatry. Psychiatr Danub 2012 ; 24 (Suppl. 1) : S185-90.
- 14Van Effenterre A. Spécificités de la formation en psychiatrie. Inf Psychiatr 2013 (sous presse, doi :10.1684/ipe.2013.1012).
- 15Israël L. Initiation à la psychiatrie. Paris : Masson, 1984.
Mots-clés éditeurs : stigmatisation, enquête, interne hospitalier, formation médicale, carrière, psychiatrie
Date de mise en ligne : 28/03/2013
https://doi.org/10.1684/ipe.2013.1030