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Article de revue

La mise en place du CES de psychiatrie à Lyon : un témoignage

Pages 515 à 520

Préhistoire

1Lorsque la faculté de médecine de Lyon fut créée, en 1877, l’hôpital psychiatrique départemental du Vinatier venait d’être ouvert et les malades mentaux, jusque-là hospitalisés dans un établissement des Hospices civils, l’hôpital de l’Antiquaille, y avaient été transférés. Tout naturellement, c’est dans ce nouvel établissement que fut inaugurée une première chaire de clinique des maladies mentales, confiée à Joseph Arthaud, le promoteur et le premier directeur du Vinatier. Mais, rapidement admis à la retraite à la suite de conflits politiques avec le Conseil général, Arthaud n’eut guère le temps de bâtir un enseignement universitaire. Ses successeurs Auguste Pierret, un élève de Charcot, Jean Lépine puis Jean Dechaume étaient avant tout des neurologues. Au fil de leurs nominations, la chaire, transférée, pour une part importante, aux Hospices civils (c’est-à-dire à l’hôpital général), devenait « clinique des maladies nerveuses » puis « clinique neuropsychiatrique et d’hygiène mentale ». L’intérêt de ces professeurs pour la psychiatrie se manifestait surtout par un souci de construire des lieux d’accueil hospitaliers et, en ce qui concerne Jean Dechaume, par une ouverture sur le développement de la prévention ; mais, sur le plan universitaire, la psychiatrie, absorbée par la neurologie, perdait son identité. L’enseignement clinique restait, pour l’essentiel, l’apanage des médecins des hôpitaux psychiatriques et se pratiquait au lit du malade où, depuis les temps lointains de l’Antiquaille, le savoir continuait à se transmettre dans une relation maître-élève individuelle. Les internats, celui des Hôpitaux de Lyon, celui surtout des hôpitaux psychiatriques étaient la voie royale de la formation des spécialistes, dont un grand nombre empruntait ensuite la carrière de médecin du cadre des hôpitaux psychiatriques. Quelques-uns se dirigeaient vers les cliniques privées. La plupart de ces cliniques appartenaient à des familles où se succédaient, depuis un ou deux siècles, des dynasties de psychiatres. Le nombre de praticiens installés en libéral, tous neuropsychiatres, était limité. En 1951, en particulier sous l’impulsion de Jean Dechaume, un CES national de neuropsychiatrie, sanctionné par un diplôme national, fut mis sur pied. À Lyon, l’enseignement théorique de ce CES de neuropsychiatrie resta limité à quelques cours épisodiques et, pour ceux qui n’étaient pas internes, à des stages cliniques laissés à la discrétion des étudiants. Nombre d’internes ou d’étudiants du CES participaient, par ailleurs, à deux réseaux associatifs : celui des établissements de l’enfance inadaptée, mis en place par Claude Kohler et Line Thévenin, celui des établissements de l’enfance délinquante ou en assistance éducative, mis en place par un psychiatre agrégé de médecine légale, Marcel Colin. Ces deux réseaux jouaient un rôle important dans la formation des psychiatres d’alors, dont plusieurs suivirent l’enseignement du CES de médecine légale et, plus tard, du CES de criminologie clinique. Devant la carence de l’enseignement officiel un certain nombre de petits groupes privés s’étaient constitués, le plus souvent dans une mouvance psychanalytique. Dans les années 1950, les premiers psychanalystes lyonnais, dans leur majorité des médecins psychiatres, avaient pris l’habitude de se réunir et de faire venir des analystes parisiens plus chevronnés pour des supervisions. Dans le cadre de la Société psychanalytique de Paris, ils constituèrent, en 1966, un groupe de psychanalyse qui devait connaître un grand développement, pendant que d’autres écoles psychanalytiques donnaient à leur tour naissance à d’autres groupes locaux ou régionaux, mais cela est une autre histoire.

2Nommé agrégé de neuropsychiatrie, l’un de nous (Jean Guyotat), qui était, par ailleurs psychanalyste et l’un des fondateurs du Groupe lyonnais de psychanalyse, avait développé une série d’expériences en petits groupes intra- ou extra-institutionnels dans le but d’étudier le développement et les aléas de la relation médecin-malade dans différents contextes. Ce travail de recherche en psychologie médicale, un champ alors en pleine extension, avait débouché sur diverses entreprises de formation. Sollicité, au début des années 1960, par un groupe d’internes des Hôpitaux de Lyon qui souhaitaient une supervision pour les entretiens à visée psychothérapique qu’ils expérimentaient avec les patients de leurs services, Jean Guyotat, assisté d’une psychiatre psychanalyste Marie-Pierre Reyss-Brion, conduisit, pendant plusieurs années, un groupe hebdomadaire de formation clinique, sur le modèle des groupes Balint qui commençait à se répandre [1]. Composé d’une dizaine de participants, invités à rapporter régulièrement et à discuter des récits de relations cliniques avec des patients divers, ce groupe n’était pas, au départ, destiné à de futurs psychiatres. L’objectif était plutôt de développer chez les médecins, quelle que soit leur spécialité, un intérêt pour la psychologie médicale et des qualités qu’on appellerait aujourd’hui « empathiques ». Cependant, la majorité des membres du groupe initial, à l’instar de l’autre auteur de cet article (J. Hochmann), choisirent de devenir psychiatres et, en majorité, entreprirent une formation analytique personnelle. Devenus chefs de clinique, ils développèrent, à leur tour, des groupes similaires pour des étudiants de quatrième et cinquième années de médecine, dont plusieurs choisirent aussi la psychiatrie, après avoir réussi à l’internat. C’est parmi ces jeunes médecins, frais émoulus de cette formation en psychologie médicale et eux-mêmes devenus formateurs pour d’autres étudiants, que se recrutèrent les éléments les plus dynamiques de la grande contestation de mai 1968. On sait qu’elle enfanta, entre autres, la séparation de la neurologie et de la psychiatrie.

3Celle-ci avait donc la particularité, à Lyon, d’être préparée par un climat de remise en cause de l’institution universitaire traditionnelle qui avait fleuri, les années précédentes, autour d’une critique du cours magistral et d’une valorisation de la discussion de cas cliniques en petits groupes, de la pédagogie non directive et de la psychanalyse. Ce climat s’était développé d’autant plus facilement que le troisième cycle, celui des études de spécialité, était alors peu investi par la faculté, la plupart des spécialistes se formant sur le terrain, à travers des stages cliniques ou des fonctions de responsabilité d’internes.

Premiers débats

4Préparée par un groupe réuni sous les auspices des deux ministères de la Santé et de l’Éducation nationale autour de Sylvie Faure et de Philippe Paumelle, la séparation de la neurologie et de la psychiatrie, souhaitée depuis longtemps par un grand nombre de psychiatres qui se sentaient en position de colonisés vis-à-vis des neurologues, donna lieu à de nombreux débats. Certains préconisaient la création d’instituts de psychiatrie indépendants de la médecine, où la psychiatrie se serait dissoute dans les sciences humaines, d’autres s’élevaient contre une psychiatrie « sans cervelle ». Les oppositions d’intérêt et de carrière entre universitaires et non-universitaires, provinciaux et parisiens, psychanalystes et non-psychanalystes et, au sein même de la psychanalyse, les combats fratricides entre écoles, créaient des lignes de fracture peu propices à l’établissement d’un enseignement cohérent de la nouvelle spécialité.

5À Lyon, ces luttes restèrent relativement modérées grâce à la position de médiateur occupée par l’un de nous (Jean Guyotat), à la fois psychanalyste et psychiatre psychopharmacologue, universitaire et médecin des hôpitaux psychiatriques, enseignant en médecine et en psychologie. Il était alors, par ailleurs, un des rares sinon le seul chef de service hospitalo-universitaire à s’être engagé activement dans la politique de secteur. Pendant tout l’été 1968, des représentants mandatés par tous les internats des hôpitaux psychiatriques de la région auxquels s’étaient joints un certain nombre d’internes CHU à orientation psychiatrique avaient travaillé à un projet d’Institut universitaire de psychiatrie et proposé un certain nombre d’« options fondamentales ». Ils souhaitaient que l’enseignement soit régional et englobe donc les trois universités de la région (Lyon, Grenoble et Saint-Étienne dont le CHU était en cours de création). La formation pratique devait être assurée par des fonctions de responsabilité dans les équipes soignantes. La formation théorique (terme auquel était préféré celui d’« information » pour bien marquer la primauté de l’expérience clinique) devait se faire, pendant les deux premières années, à travers des petits groupes d’étudiants de même degré de formation, issus d’équipes soignantes différentes, sous la forme de cours-débats et d’échanges, en rupture avec le cours magistral traditionnel (la grande cible de la contestation de mai 1968). Ces cours-débats devaient porter sur la séméiologie, à partir de présentations de malades, la pharmacologie, la psychodynamique et l’histoire de la psychiatrie. Au cours de la deuxième année, l’accent devait être mis particulièrement sur la dimension relationnelle avec proposition d’une supervision de relation thérapeutique. Les deux années suivantes devaient être progressivement orientées vers la recherche personnelle des étudiants et une information spécialisée conforme à leur choix, dans des domaines particuliers : psychiatrie de l’enfant, sociopsychiatrie, ethnopsychiatrie. Cette information spécialisée devait se faire également par petits groupes, constitués en fonction des affinités. Le choix des enseignants était, dans le projet, confié à une commission paritaire enseignants-étudiants. Le projet prévoyait de plus l’organisation de colloques et de séminaires régionaux. Le contrôle des connaissances devait être assuré par la participation aux activités de formation soignante et d’information théorique, par la rédaction de rapports à l’issue des colloques ou séminaires régionaux, par celle d’un mémoire de fin d’études. Toute autre forme d’examen structuré était proscrite. Un certain nombre de ces principes furent repris dans l’organisation définitive promulguée par l’arrêté du 30 décembre 1968, instituant officiellement le CES de psychiatrie.

6Celui-ci prévoyait, en sus, une année probatoire et un enseignement obligatoire de neurologie théorique et pratique. Si le contrôle permanent des connaissances pendant toute la durée de la formation et la production d’un mémoire de fin d’études étaient admis, l’année probatoire devait donner lieu à un contrôle des connaissances spécifique, plus classique. Ainsi se trouvait rétabli, au moins à l’entrée, le modèle de l’examen traditionnel que les étudiants avaient souhaité éliminer. L’arrêté prévoyait des conditions spéciales pour les médecins généralistes ayant cinq ans d’exercice et qui souhaitaient se réorienter vers la psychiatrie. À Lyon, plusieurs d’entre eux, souvent sensibilisés par la pratique du groupe Balint vinrent se joindre aux internes et apportèrent, avec leurs compétences et leur expérience, une teinte originale aux premiers séminaires. Créé de manière expérimentale, dès décembre 1968, avant même la parution de l’arrêté, le nouveau CES ne disposait que d’un corps enseignant statutaire très réduit. Les universitaires de neuropsychiatrie qui avaient choisi la psychiatrie se limitaient alors à deux professeurs lyonnais (Paul Girard et Jean Guyotat) et à quatre chefs de clinique (trois à Lyon, un à Grenoble), certains dans l’attente d’une titularisation comme maîtres de conférences agrégés. Cette attente devait durer quatre ans, les médecins des hôpitaux psychiatriques s’opposant alors à la création d’une agrégation de psychiatrie et réclamant une généralisation à leur cadre tout entier de la fonction enseignante. Le CES s’assura donc, d’emblée, le concours d’un certain nombre de collègues médecins des hôpitaux psychiatriques et de psychanalystes libéraux qui formèrent l’essentiel du corps enseignant. Plusieurs séminaires virent le jour, souvent à l’initiative des étudiants, sans grande coordination. Des collègues neurologues et neurophysiologistes assuraient, quant à eux, l’enseignement requis de l’année probatoire.

La Commission de psychiatrie

7En 1971, un nouveau texte officiel venait donner corps à une instance importante, la Commission de psychiatrie, qui s’était constituée officieusement, sous la présidence de Jean Guyotat, dès la naissance du CES. L’autre professeur de psychiatrie, professeur de clinique neuropsychiatrique d’orientation surtout neurologique, le Professeur Paul Girard, ayant souhaité conserver la responsabilité administrative et donc le budget du CES, la commission officieuse était privée de pouvoir et se contentait d’être un organe de concertation, un lieu de rencontre et de dialogue entre étudiants et formateurs de toute appartenance. Le texte de 1971 mettait en place une commission nationale, dont Jean Guyotat faisait partie, et qui était chargée de donner aux instances ministérielles son avis sur la réglementation des études en psychiatrie. Il instituait la commission régionale dite « auprès des UER » comme un organisme paritaire, composé d’universitaires de psychiatrie, de praticiens de psychiatrie non universitaires, de représentants des sciences fondamentales et cliniques non psychiatriques dont un appartenant à une discipline complémentaire non médicale et d’un nombre au plus égal d’étudiants élus par leurs pairs. Cette commission régionale devait être consultée sur les modalités d’organisation du CES et aussi sur l’organisation de l’enseignement de psychiatrie et de psychologie médicale dans le deuxième cycle. À Lyon, le développement du CES qui atteignit rapidement, pour les quatre années confondues et l’ensemble de la région, près de trois cents étudiants mobilisa les efforts de la commission et lui fit abandonner sa compétence sur le deuxième cycle qui relevait de six UER, au fonctionnement très différent. Devenu maître de conférences agrégé en 1972, l’un de nous (J. Hochmann) fut à la fois chargé par ses collègues de la direction du CES et élu président de la commission. Cette double fonction lui permettait d’associer plus étroitement la commission à la gestion de l’ensemble de l’enseignement de troisième cycle, en l’investissant d’un pouvoir de décision sur le budget. Ce pouvoir de décision, qui fut alors effectivement exercé, faisait de la commission régionale un véritable parlement et donnait au CES un fonctionnement démocratique propice à une créativité pédagogique, manifestée tant par la multiplication et la diversification des séminaires que par de nombreuses invitations, parfois à l’initiative des étudiants, pour des journées de formation, d’intervenants extérieurs souvent prestigieux. Citons Herbert Rosenfeld, célèbre psychanalyste kleinien londonien spécialiste de la psychanalyse des psychoses, Paul-Claude Racamier, le professeur Lamontagne, un comportementaliste de l’université de Montréal, une spécialiste anglaise de l’autisme, Lorna Wing, Roger Misès et Michel Soulé, pionniers français de la pédopsychiatrie, ainsi que, dans le cadre de la formation continue de l’université, René Diatkine et Bruno Bettelheim. Par ailleurs, les étudiants étaient invités à participer (et participaient) soit gratuitement, soit à tarif très réduit, aux nombreuses manifestations scientifiques, organisées par des hôpitaux, par des associations ou par des services, qui émaillaient l’année universitaire. En acquérant son autonomie, la psychiatrie, restée longtemps endormie, faisait en effet preuve d’un dynamisme et d’un besoin de communication qui attirait à elle des jeunes médecins, des psychologues frais émoulus de la faculté, des infirmiers et des infirmières, des éducateurs et des rééducateurs, de plus en plus nombreux. Un climat d’interdisciplinarité à l’origine de nombreuses expériences de psychothérapie institutionnelle se développait. Le CES, branché sur ces expériences tant par ses étudiants que par ses formateurs y participait de manière importante.

8En 1972, un nouveau texte réglementait une « option de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ». Trois semestres au moins devaient être effectués en psychiatrie générale et trois semestres au moins en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Les étudiants devaient en outre suivre, pendant au moins un semestre, un enseignement théorique et pratique en pédiatrie. À Lyon, à la demande de la Commission de psychiatrie et avec l’accord des responsables du CES de pédiatrie, l’enseignement de l’attestation de pédiatrie et diverses modalités (participation à des consultations de pédiatrie générale, stage en PMI ou en médecine scolaire) tinrent lieu de formation théorique et pratique, en dehors des rares cas d’internes ayant effectué un ou plusieurs semestres en pédiatrie.

9Cependant, l’année probatoire était à son tour réglementée, par une circulaire ministérielle de 1973. Le candidat devait effectuer deux semestres dans deux services différents. Le contrôle des connaissances devait, d’une part, reposer sur un examen écrit anonyme portant sur la séméiologie et la nosologie psychiatrique, l’initiation aux thérapeutiques psychiatriques, la neuroanatomie et la neurophysiologie. D’autre part, les deux maîtres de stage et les responsables des séminaires suivis par l’étudiant en probation devaient se réunir en un jury spécial pour évaluer ses qualités personnelles. Ces nouvelles modalités donnèrent lieu à des discussions très vives au sein de la commission. On leur reprochait à la fois le caractère scolaire de l’enseignement, inadapté à une discipline fondée essentiellement sur un apprentissage de la relation thérapeutique, le côté infantilisant de l’examen, mais aussi l’aspect dépistage psychopathologique et sélection professionnelle d’individus « supposés normaux » que pouvait prendre l’entretien avec les maîtres de stage. Quelques rares dérives justifièrent cette dernière appréhension et obligèrent la commission à intervenir pour corriger des prises de position passionnelles. Dans l’ensemble, il fallut se soumettre aux textes et admettre la totalité du dispositif de l’année probatoire (qui n’avait plus de probatoire que le nom et se transformait en une année préparatoire classique). Les chefs de clinique en psychiatrie, dont le nombre s’était accru, furent chargés de l’enseignement par petits groupes en séméiologie et nosologie psychiatrique et de l’initiation aux thérapeutiques psychiatriques, les neurologues et neurophysiologistes poursuivant, sous la forme de conférences, l’enseignement de neurophysiologie et neuroanatomie, qui se transforma progressivement en enseignement polycopié.

10Pour les autres années, contrairement au projet initial, qui souhaitait un large brassage régional, des enseignements locaux s’organisaient sous la forme de séminaires. Chaque établissement (Bassens à Chambéry, Saint-Égrève à Grenoble, le Centre psychothérapique de l’Ain à Bourg, les hôpitaux de Saint-Étienne, Sainte-Marie à Privas, Saint-Vallier et Montéléger dans la Drôme, Saint-Jean-de-Dieu, Le Vinatier puis Saint-Cyr à Lyon) devenait comme une école, avec ses internes, au risque d’un cloisonnement. Une articulation paraissait nécessaire. Elle prit d’abord la forme d’un Bulletin de liaison dont le numéro 1 parut en juin 1975, grâce à l’efficacité et à la diligence de Marie-Christine Kozluk, secrétaire du CES. Ce bulletin, qui reçut plus tard l’appui des laboratoires pour améliorer sa présentation et faciliter sa diffusion, permettait de transmettre à toute la communauté psychiatrique de la région les comptes rendus des réunions régulières de la Commission de psychiatrie, donc de partager les interrogations, les controverses, les réalisations qui animaient une profession jeune en voie d’expansion démographique et en pleine ébullition. Il offrait aux jeunes psychiatres un terrain d’essai pour leurs premières publications et aux plus anciens un lieu pour transmettre leur expérience et leurs réflexions. C’est ainsi que André Requet, un des maîtres de la psychiatrie lyonnaise, à l’origine dans les années 1950, avec Paul Balvet et Maurice Beaujard, de la transformation de l’ancien asile d’aliénés du Vinatier en un hôpital psychiatrique moderne, y publia ses derniers travaux, sur un ton à la fois poétique et philosophique.

11La multiplication des séminaires et leur diversité avaient le grand avantage de maintenir une formation ouverte. L’orientation psychodynamique dominante n’impliquait pas qu’on se prive d’apports techniques précis, par exemple dans le domaine alors nouveau (au moins en France) des thérapies comportementales, ou d’informations sur les progrès de la psychopharmacologie, de la neurobiologie ou des jeunes sciences cognitives. Quand le médecin général Claude Vauterin, ancien interne de Lyon et initiateur du groupe Balint d’internes réuni autour de Jean Guyotat, revint, comme agrégé du Val-de-Grâce, à l’hôpital militaire d’instruction des armées de Lyon, il apporta à l’enseignement la contribution de sa connaissance approfondie de la phénoménologie. Son successeur, spécialiste de l’hypnose eriksonienne, participa également au CES qui accueillit aussi des collègues d’orientation systémique. La psychiatrie, qui occupe toujours historiquement une position paradoxale entre son rôle soignant et sa fonction sociale de maintien de l’ordre, ne peut se passer d’un questionnement à la fois éthique, philosophique et politique, sans lequel elle risque de se fossiliser ou de dévier. Le philosophe Francis Jeanson a ainsi animé pendant des années un séminaire très suivi à Saint-Jean-de-Dieu, dont le souvenir a marqué pour la vie nombre de participants.

12Mais afin d’éviter une effervescence qui aurait pu devenir chaotique, une réflexion d’ensemble devenait nécessaire, d’où l’idée d’organiser des assises de l’enseignement de psychiatrie.

Les assises de psychiatrie

13Les premières se tinrent le 10 janvier 1976, sous l’impulsion de Jean-Luc Graber, alors encore chef de clinique et qui est devenu ensuite le maître en pédopsychiatrie que l’on sait, avant de disparaître très prématurément, fauché en pleine créativité. Elles furent suivies, un an plus tard, par une deuxième session. Partagés en atelier, les participants, psychiatres en formation et psychiatres en exercice, y discutèrent du fonctionnement du CES pendant ses premières années d’existence et firent un certain nombre de suggestions. Un mot revint souvent dans les échanges, celui de loi, avec une question : comment structurer, réglementer un enseignement sans briser la créativité, l’esprit de recherche personnelle et collective ? Le désir d’éviter certaines dérives anarchiques et un laisser-faire généralisé s’accompagnait ainsi d’une crainte de formater l’enseignement et de promouvoir une sorte de caporalisation. Certains proposaient de faire preuve de davantage de rigueur dans l’agrément des terrains de stage en édictant des conditions précises de supervision individuelle du travail clinique et de lieux d’élaboration pour chacun des services agréés. Mais on devait aussi tenir compte des réalités et, en particulier, du fait que la commission n’avait aucun pouvoir sur l’affectation des postes d’internes au niveau des établissements. Fallait-il alors distinguer des postes d’internes qualifiants et d’autres non qualifiants, donner aux psychiatres en formation le pouvoir de se prononcer sur la valeur formatrice d’un service ? À quelques exceptions près, le problème ne fut jamais tranché. Dans la suite des assises, l’enseignement théorique seul fut modifié. Celui de l’année probatoire, prescrit par arrêté, ne pouvait guère être touché. S’appuyant sur un texte qui prévoyait, pour chaque étudiant, un directeur d’étude, la commission dans les débats nourris qui suivirent les assises, décida de proposer à chacun un « référent », choisi par lui sur une liste, qui pourrait l’aider à métaboliser les inquiétudes éventuellement suscitées par le premier contact avec la folie, mais ne jouerait aucun rôle dans sa sélection. Cette proposition, dans les faits, rencontra peu d’écho et progressivement l’institution du référent fut abandonnée. Pour les autres années, il fut décidé que chaque étudiant devrait suivre obligatoirement pendant son cursus trois ordres de séminaires : un groupe de réflexion clinique de trois ans, type groupe Balint évoluant souvent vers un groupe de supervision de psychothérapies, un groupe de réflexion théorique de deux ans laissé au choix de l’étudiant, un groupe centré sur une technique (psychodrame, relaxation, thérapie comportementale, thérapies familiales). Certaines de ces formations spécialisées donnèrent lieu à un diplôme spécifique : attestation de thérapie comportementale, CES de psychologie médicale, CES de criminologie. Pour le reste, la validation des séminaires était laissée à l’appréciation du responsable et se limitait généralement à une vérification de l’assiduité. Au terme de chaque année, l’étudiant rencontrait un jury de deux enseignants (un universitaire et un non universitaire). D’abord simple entretien, cet « examen » évolua vers la discussion d’un « mini-mémoire clinique ». La formation était close par la soutenance d’un mémoire de fin d’études qui devint, par la suite, distinct de la thèse de médecine. Pour tenir compte d’éventuels phénomènes de transfert, il fut convenu que le responsable du groupe de réflexion clinique ne participerait à aucun des jurys concernant l’étudiant. On voit que l’inspiration psychanalytique, même si elle ne fut jamais exclusive, implicitement sous-tendait le modèle de l’enseignement, mais plus encore une conception démocratique, voire libertaire, des rapports humains et un souci de faire de la communauté du CES un lieu d’échanges aussi peu hiérarchisé que possible.

En guise de conclusion

14Bon an mal an, ce dispositif a longtemps subsisté et, jusqu’il y a peu, on pouvait encore en retrouver quelques vestiges dans l’enseignement proposé aux internes. Il avait certes subi de nombreux changements liés tant à la personnalité des responsables successifs qu’à un certain nombre de modifications réglementaires, notamment la fusion des internats et des CES dans les DES et DESC, la disparition de l’internat des hôpitaux psychiatriques et de l’année probatoire. Surtout, la réduction drastique du nombre d’étudiants, des changements tout aussi radicaux dans l’exercice de la psychiatrie, dans la structure et le fonctionnement des établissements, dans la demande sociale vis-à-vis de la psychiatrie, peut-être aussi un contexte socioéconomique différent et une moindre aspiration des étudiants à prendre part activement à la gestion de leur formation expliquent-ils, en partie, ces changements. Certains ont répondu positivement à une ancienne demande qui n’avait alors pu être satisfaite, telle l’ouverture de possibilités de formation extrahospitalière. D’une enfance et d’une adolescence tumultueuse, un autre enseignement, que d’aucuns diront plus adulte et plus conforme aux normes internationales, a émergé, au détriment peut-être de l’atmosphère de jeu créatif qui a caractérisé ses premières années. Mais la nostalgie, si elle peut être un sentiment doux-amer agréable, n’a jamais été un bon guide pour l’action.

15Conflits d’intérêts : aucun.

Référence

  • 1
    Guyotat J. Psychiatrie lyonnaise, fragments d’une histoire vécue, 1950-1995. Paris : Les Empêcheurs de penser en rond, « Bulletin de liaison du CES de psychiatrie de Lyon », 2000.

Mots-clés éditeurs : formation des psychiatres, histoire de la psychiatrie, CES de psychiatrie, internat en psychiatrie

Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.1684/ipe.2012.0953

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