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Article de revue

Les outils d'évaluation du risque de violence : avantages et limites

Pages 431 à 437

« Les prévisions sont difficiles, surtout quand elles concernent l’avenir. »
(Pierre Dac)

Introduction

1L’évaluation du risque de violence des malades mentaux a déjà fait l’objet de plusieurs publications. Elle est au cœur même de la psychiatrie quotidienne et en a été l’un des éléments fondateurs. Nous rappellerons que dans les années 1970 et 1980 il était beaucoup question de prédiction de la violence et que devant l’impossibilité de pouvoir faire des prédictions assez fiables en dehors du très court terme, les chercheurs et les cliniciens se sont tournés vers la notion d’évaluation du risque (cf. plus loin).

2Le texte pour lequel nous avons été sollicités sera axé sur la place et le rôle des outils d’évaluation du risque et l’utilisation qui en est faite au Canada et de façon plus particulière à l’institut Pinel de Montréal.

3Nous articulerons ainsi certains éléments de publications antérieures sur ce sujet [25-27].

4On devra avoir à l’esprit que la validation des outils est bien souvent restreinte à des populations spécifiques (adultes, hommes, femmes, canadiens, etc.) et que leur utilisation en recherche, mais aussi en clinique, doit être faite en toute connaissance de cause.

5Les outils utilisés en clinique pour évaluer le risque de violence associé aux troubles mentaux graves sont les mêmes que ceux utilisés en criminologie dans un contexte d’expertise ou d’évaluation du risque de récidive d’un délit violent au terme d’une incarcération. Les buts poursuivis sont bien différents même s’ils peuvent être complémentaires. D’un côté, le souci de soigner et de modifier le niveau de risque par des interventions appropriées sont à l’avant-plan alors que de l’autre prédomine celui de la protection du public, voire du contrôle social. Dans tous les cas, il est important de garder à l’esprit que les instruments utilisés s’appuient sur des conceptions différentes de la nature de la science. De façon sommaire, en reprenant la grille paradigmatique développée par Burrell et Morgan [3], on peut identifier deux approches conceptuelles : l’approche objectiviste et l’approche subjectiviste.

6L’approche objectiviste considère la réalité comme étant observable, mesurable et vérifiable. D’un point de vue épistémologique, le savoir se base sur l’observation de la régularité de certains phénomènes à partir de laquelle des lois peuvent être émises à titre d’hypothèses, puis vérifiées dans une entreprise visant la prédiction des phénomènes humains. Au plan méthodologique, l’approche objectiviste se base sur des protocoles de recherche et des techniques nomothétiques dérivées des sciences physiques et statistiques. Cette première stratégie d’évaluation dite actuarielle vise à prédire les comportements violents sur une base purement probabiliste, sans chercher à comprendre pourquoi les facteurs sont liés à ces comportements. Le Violence Risk Appraisal Guide (VRAG) [37], développé au Penetanguishene Mental Health Centre près de Toronto, est un exemple d’instrument que l’on peut inclure dans ce type d’approche.

7L’approche subjectiviste considère plutôt la réalité comme étant dépendante de la conscience humaine. Dans ce courant d’idées, l’épistémologie réfère à la réflexion du sujet observateur : la nature des sciences est une construction faite à partir d’idées et de concepts utilisés afin de décrire la réalité. La nature de l’homme repose, ici, sur la notion de libre arbitre. La conception de la recherche s’avère également idéographique : centrée sur l’importance de refléter le point de vue unique du répondant. Cette conception caractérise l’approche clinique et qualitative, basée sur le jugement de l’évaluateur et liée à la prévision des risques de violence pour un individu particulier. À titre d’exemple, le test du Rorschach (1921) s’inscrit dans la ligne de pensée de cette seconde stratégie d’évaluation.

Perspectives historiques et critiques

8Même si la dangerosité du malade mental a présidé aux fondements de la psychiatrie, elle ne reprend le devant de la scène que vers la fin des années 1970. À cette époque se pose, particulièrement en Amérique du Nord, la question de la capacité de prédiction de la violence par les cliniciens, basée sur le seul jugement clinique. Plusieurs études montrent alors une incapacité presque totale des cliniciens à prédire la violence [6, 38] et on se tourne de nouveau vers les approches actuarielles, s’appuyant sur les prémisses de la prédiction criminologique des années 1930, reprises par Meehl [24] dans les années 1950, qui nous indique que « une fois rassemblées les données […], la prédiction elle-même pouvait être confiée à un employé de bureau ». Au début des années 1990 cependant, les études citées précédemment sont critiquées sur le plan méthodologique et la capacité de prédiction de la violence à court terme par les cliniciens est reconnue [20, 21, 32, 33]. On se rend bien compte, en revanche, que de façon plus générale le désir de prédire l’avenir dépasse largement le seul désir des cliniciens et est profondément ancré dans le discours sociopolitique. On s’avoue (enfin !) que la prédiction du comportement humain est bien trop complexe pour être totalement fiable et que la perspective d’erreurs aux conséquences possiblement dramatiques rend vaine cette position. Aucun outil d’évaluation, actuariel ou clinique, aucun jugement clinique seul ou étayé par des outils systématisés ne peut apporter de certitude dans ce domaine. La prédiction pure est donc abandonnée au profit de l’évaluation du risque de violence. Il s’agit de tenter de donner une réponse probabiliste à cette question de la prédiction et non plus catégorique. Les décisions prises dans ce contexte s’appuient donc sur l’identification des facteurs de risque de violence, leur mode d’expression, la présence de facteurs de protection, la nature du dommage pressenti. Il s’agit aussi de définir chaque fois ce qui peut être un risque acceptable… L’avancée des connaissances permet une approche plus rigoureuse mais ne diminue pas pour autant la difficulté des évaluations et surtout des décisions à prendre. C’est pourquoi on s’intéresse de plus en plus à l’articulation de ces évaluations avec la prise en charge ou les soins optimaux nécessaires pour cette population.

9En tenant compte de ce bref rappel, les dates d’apparition des outils d’évaluation leur donnent une coloration plus particulière. Les outils les plus récents tiennent compte des corrélations établies entre certains facteurs de risque et la violence. Le Short-Term Assessment Risk and Treatability (START) [40, 41] inclut la notion de facteurs de protection. La tendance actuelle privilégie le jugement clinique structuré, à l’aide d’outils comme l’échelle Historical, Clinical Risk (HCR)-20 [43]. Cependant, d’autres outils actuariels, comme le VRAG [37], ont les faveurs de certains milieux carcéraux canadiens. Outre des positions théoriques différentes, tel que discuté un peu plus haut, beaucoup d’autres facteurs nous semblent intervenir dans le choix des outils d’évaluation et leur utilisation : le type de population évaluée, les ressources du milieu, le type d’organisation du milieu (clinique versus carcéral), le mandat social donné, etc. On doit aussi souligner la spécificité de certains instruments destinés aux délinquants sexuels comme le SVR-20 [1] ou la PCL-R [16] destinée à l’évaluation de la psychopathie et qui possède de fortes corrélations avec la récidive criminelle, la violence et la violence sexuelle. On peut mentionner également le SARA [19], centré sur la violence conjugale. Dans l’esprit d’aider le clinicien à systématiser son jugement et à le guider dans son raisonnement, Monahan et son équipe [30] ont créé un arbre décisionnel informatisé (Iterative Classification Tree [ICT]) qui tente d’intégrer les connaissances actuelles et les situations cliniques habituelles en rapport avec les problèmes d’évaluation de dangerosité.

10Les outils plus anciens élaborés à des fins diagnostiques et pour préciser plus particulièrement les profils de personnalité avec leurs différentes composantes, sont aussi utilisés de façon courante. On citera les trois principaux : le MMPI, le Rorschach et le Millon.

11En outre, il n’existe pas encore d’outil d’évaluation de la violence spécifiquement développé pour les femmes (NB : une équipe hollandaise travaille actuellement à l’élaboration d’un instrument de ce type) et il a fallu attendre l’année 2000 avant qu’un instrument destiné aux mineurs n’apparaisse (SAVRY) [2]. Enfin, l’Overt Agression Scale (OAS) vise plus particulièrement l’évaluation de la violence en milieu hospitalier. Cet outil documente d’une façon standardisée les épisodes de violence mais cependant ne les prédit pas. En revanche, le DASA [35] permet l’évaluation du risque pour les 24 heures qui suivent. Une équipe de Montréal travaille actuellement à la validation de la version française [10].

12La question de la validité de ces outils est tout à fait centrale aux plans scientifiques et cliniques. En effet, les critiques les plus virulentes sur certains outils de mesure ont trait à la notion de validité. Un bref rappel de cette notion nous paraît nécessaire avant d’aller plus loin. La notion de validité porte sur la nature même de l’objet de recherche ; par conséquent les chercheurs et les cliniciens veulent savoir si ces outils mesurent la bonne chose. Il existe plusieurs types de validité : la validité de construit, la validité de contenu, la validité concomitante et la validité prédictive. Tous les outils mentionnés ne possèdent pas les mêmes niveaux de validation.

13Les populations qui ont servi à la validation de la plupart de ces instruments ont des caractéristiques particulières (contexte culturel, milieu spécifique, etc.) et la rigueur devrait inciter à la prudence quant à leur utilisation large. Les traductions et par conséquent l’usage de ces instruments à d’autres populations devraient entraîner un second processus de validation. Plusieurs instruments sont de conception anglo-saxonne, validés avec une population anglo-saxonne et ne sont pas a priori transférables à d’autres populations. Certains problèmes de traduction peuvent également survenir. Ce point est martelé par Cloutier [5] dans un article sur le MMPI.

14Les postulats fondamentaux qui sous-tendent la conception même des outils sont souvent ignorés par la suite mais ils n’en teintent pas moins l’interprétation et l’usage, et peuvent être lourds de conséquence. Ainsi, la PCL-R, que l’on considère comme le meilleur outil de prédiction de récidive criminelle, est construit dans un esprit taxonomique, catégoriel ; sur une cote maximale de 40, un point de coupure à 30 est reconnu comme discriminant. Les sujets ayant 30 ou plus sont considérés comme étant psychopathes, alors qu’un score de 19 et moins pointe vers l’absence de psychopathie ; on peut parfois considérer que ceux cotant entre 20 et 29 peuvent avoir une tendance ou des traits psychopathiques. Ce point de coupure de 30 n’est cependant pas unanimement partagé, puisqu’en Belgique il est de 25 [36]. Quoi qu’il en soit, au-delà des questions politico-éthiques que cela peut soulever, la vision catégorielle est aux antipodes d’une conception de l’individu basée sur la notion de continuum, de variabilité et de changement possible.

15La cotation chiffrée de certains instruments est le plus souvent une possibilité et peut devenir une tentation dangereuse pour le clinicien peu expérimenté. Cette cotation peut avoir un grand intérêt, par exemple, pour des recherches quantitatives, avec des objectifs catégoriels. Sur le plan clinique, il peut être préférable de ne pas chiffrer certaines grilles, comme le suggère Webster pour le HCR-20. Outre la difficulté d’interpréter un chiffre brut, le même nombre peut revêtir des significations bien différentes. Les facteurs de risque peuvent tous être dans la section historique pour un sujet et avec le même score tous être dans les indices cliniques actuels ou ceux associés au contexte futur pour un autre.

16Cet outil, pris en exemple, nous semble avoir valeur générale quant à l’utilisation des outils d’évaluation du risque de violence. Chacun doit donc être utilisé avant tout comme un aide mémoire, qui nous aide à structurer notre pensée à partir d’une collecte rigoureuse et systématisée d’une information spécifique. Ce ne peut-être que le point de départ du travail de réflexion que doivent mener les cliniciens.

17Les préoccupations actuelles sont également centrées sur le désir de proposer les meilleurs soins possibles et de gérer le risque en fonction d’éléments cliniques que les traitements peuvent modifier [18, 31]. La notion de facteurs protecteurs est aussi apparue, et on sait très bien que certains facteurs de protection peuvent faire contrepoids à certains facteurs de risque. Ils interviennent donc grandement dans ce que l’on peut appeler le risque assumable. Soulignons à ce propos que l’absence de facteur de risque ne le transforme pas pour autant automatiquement en facteur de protection. Par exemple, l’observance au traitement peut être considérée autant comme facteur de risque que comme facteur de protection, mais l’état mental ne peut être considéré que comme facteur de risque ; en effet, un état mental non perturbé n’est pas une protection par rapport à la population générale et par rapport à un sujet malade mental donné c’est l’observance au traitement et l’autocritique qui sont les principaux facteurs de protection (puisque ce sont ces facteurs qui permettront la stabilité de l’état mental). C’est dans cet esprit qu’a été conçu le START et l’auteur nous en précise bien, par ailleurs, les objectifs, les contextes visés par l’outil, ce à quoi il peut ou ne peut pas servir. Il est décrit comme un complément au HCR-20. L’outil est donc plus intégré à la clinique, mais aussi plus complexe. Il intègre également la notion de risque spécifique, contre soi ou contre autrui.

18La passation des outils est presque toujours réservée à certains corps professionnels (psychiatres, psychologues) identifiés, comme les cliniciens ou les chercheurs, et nécessite une formation spécifique.

19On se doit de constater que les outils d’évaluation souffrent de multiples biais et lacunes et qu’il faut les utiliser en toute connaissance de cause. Ils n’en sont pas pour autant inutiles, loin de là, et doivent faire partie de l’arsenal évaluatif et thérapeutique. Ils aident à systématiser la pensée, à organiser les connaissances scientifiques et sont de ce fait en constante évolution.

Outils actuariels

20Rappelons que les facteurs de risque sont des facteurs associés à la violence. Il y a corrélation mais pas de relation causale et leur présence ne permet pas de prédire la survenue d’un passage à l’acte [4]. La relation entre maladie mentale et crime violent est complexe et ne peut se réduire à un simple lien de causalité [12]. On doit donc être vigilant quant aux glissements conceptuels entre facteurs de risque et prédiction. Par ailleurs, dans les années 2000 apparaît la préoccupation de la gestion du risque, en rapport avec les traitements offerts par les cliniciens [14, 18, 28, 29]. Cette dimension réintroduit l’étude des processus, et « il est difficile, voire impossible, d’en rester à l’étude des régularités lorsque les variables dynamiques sont prises en compte » [14]. Cela a des conséquences pratiques importantes comme nous le verrons plus loin.

21Les instruments actuariels attribuent une pondération statistique spécifique aux différentes variables de risque. L’objectif prioritaire étant la prédiction de violence la plus précise possible, il est alors essentiel de situer l’individu par rapport à un groupe comparable dont on connaît l’évolution au cours du temps. C’est le principe utilisé par les compagnies d’assurances pour évaluer le risque et déterminer les montants des primes.

22La prédiction actuarielle repose principalement sur trois outils : l’échelle de psychopathie de Hare révisée (PCL-R) [16], le VRAG [37] et l’ICT [30]. La PCL-R possède de fortes corrélations avec la récidive criminelle, la violence et la violence sexuelle. Elle semble être le meilleur prédicteur de violence [7, 9] et évalue mieux le risque à long terme que le risque immédiat [34] ; elle participe de façon significative à la validité prédictive du VRAG et du HCR-20 [7]. Présenté par ses auteurs comme nettement supérieur au jugement clinique [17], le VRAG ne fait pas l’unanimité [15, 22]. L’ICT n’a pas fait l’objet de publication depuis sa parution. Notons aussi que ces outils actuariels ne précisent pas le type de violence à venir. Plusieurs limites sont associées à ces instruments sur les plans méthodologique et épistémologique [14], mais aussi éthique [11, 14, 31] puisque l’évaluation du risque devrait être motivée avant tout par le désir de proposer les meilleurs soins, de gérer le risque en fonction d’éléments cliniques que les traitements peuvent modifier. La question des « faux positifs » est aussi soulevée [13, 39]. On se tourne donc de plus en plus vers l’utilisation du jugement clinique structuré (à l’aide d’outils comme le HCR-20) pour évaluer la dangerosité psychiatrique [8, 15, 23, 26, 28].

Outils de jugement clinique structuré

23À l’inverse des outils actuariels et de l’approche objectiviste, les outils de jugement clinique structuré se centrent sur l’individu, avec ses caractéristiques propres, dans un environnement particulier et prennent en compte le fait que les connaissances des facteurs de risque ont évolué au fil du temps et obligent à une certaine souplesse conceptuelle.

24Le HCR-20, bien que souvent présenté comme outil actuariel, est un instrument de jugement clinique semi-structuré, avec dix facteurs historiques, cinq cliniques et cinq de gestion du risque. Son auteur insiste d’ailleurs, lors de situations d’évaluation de fin d’hospitalisation, sur l’utilisation de l’outil dans un contexte global, qui tient compte du jugement clinique, du cadre légal, des étapes à considérer pour réduire le risque, etc. [42].

25Bien que la préoccupation soit centrée sur l’identification de facteurs de risque, cela ne doit pas faire oublier l’existence de facteurs de protection qui peuvent contrebalancer les risques ou tout au moins les atténuer (par exemple, un patient fidèle à son traitement). Nous soulignerons que de nombreux facteurs de risque peuvent se transformer en facteurs de protection en cours de traitement et réciproquement (par exemple : la présence ou l’absence de symptômes, de l’autocritique, d’un réseau social, etc.). Un outil comme le START vise à intégrer facteurs de protection et facteurs de risque. Les décisions de privation de liberté doivent alors être prises en tenant compte des deux aspects et reposent alors sur le jugement de l’examinateur et s’appuient sur la notion de risque acceptable. Nous revenons ultimement à des considérations cliniques et éthiques.

26De façon pratique, à l’institut Philippe-Pinel de Montréal, nous nous sommes donnés pour mandat d’utiliser certains outils afin d’améliorer la qualité de nos évaluations et de nos interventions. Si l’on exclut les outils réservés aux délinquants sexuels, les tests psychologiques (MMPI, Rorschach) et neuropsychologiques qui précisent les profils de personnalité avec leurs différentes composantes, deux instruments plus spécifiquement destinés à l’évaluation et à la documentation de la dangerosité sont systématiquement utilisés dans l’hôpital : le HCR-20 et l’OAS [44]. Ils ont des fonctions complémentaires à l’évaluation clinique globale, ils ciblent des aspects différents, mais contribuent tous les deux à une meilleure évaluation du risque de violence et à la mise en place des mesures thérapeutiques.

27Le HCR-20 est un outil réservé aux psychiatres, psychologues et criminologues.

28Nous avons indiqué plus haut ses principales caractéristiques. Il a le mérite d’améliorer la rigueur de l’évaluation de par son aspect systématique. Il nécessite, cependant, une formation spécifique (et idéalement des vérifications régulières de l’accord interjuge de tous les évaluateurs) et une bonne expérience clinique pour coter les différents items. L’item PCL-R rend son utilisation exigeante en termes de temps. Une version simplifiée serait nécessaire pour des populations de psychotiques chez lesquels nous n’avons pas d’indice de psychopathie. Enfin, nous avons choisi de ne pas indiquer de cotation chiffrée de cette échelle dans les dossiers, mais plutôt d’en donner une analyse qualitative et nuancée, comme le recommande son auteur. Ainsi, au terme de cette analyse, les cliniciens doivent exercer leur jugement clinique et se prononcer sur le niveau (faible, modéré ou élevé) et la qualité du risque présenté par le patient évalué en fonction des antécédents de celui-ci, de son état clinique actuel, de son projet de vie et du réalisme du plan de soins mis en place pour réduire le risque appréhendé. Afin de demeurer valide, cette évaluation doit être refaite régulièrement en fonction des événements.

29L’OAS est utilisé en pratique quotidienne. C’est un outil utilisé par l’équipe de soins (infirmières, éducateurs) qui documente les épisodes de violence en les décrivant, mais qui consigne aussi les interventions qui ont été pratiquées et avec quel succès. Le nombre d’OAS, leur fréquence et leur qualité sont de bons indicateurs cliniques de l’évolution du patient dans le contexte hospitalier en rapport avec les comportements agressifs et violents. Il s’agit d’un outil que notre centre de recherche a informatisé.

30Soulignons que l’utilisation de ces outils peut être perçue à certains moments comme fastidieuse ou comme un surplus de travail. Cela nécessite pour l’ensemble de l’équipe de bien en saisir la pertinence et qu’un ou plusieurs membres soient les porteurs du projet. L’aspect imposé d’outils dans un milieu peut entraîner des réactions adverses.

Avantages

31Les outils d’évaluation permettent au clinicien d’intégrer à sa pratique les données de la recherche et de sélectionner l’information la plus pertinente pour une évaluation rigoureuse du risque de violence.

32Les outils actuariels donnent une idée générale et non spécifique du niveau de risque à plus long terme auquel appartient le patient en fonction de caractéristiques peu modifiables qu’il ne faut cependant pas négliger en clinique.

33Les outils reposant sur le jugement clinique structuré permettent une évaluation plus personnalisée du niveau de risque de violence au cours des prochains mois en tenant compte de facteurs sur lesquels il est possible d’agir.

Limites

34Les limites des outils d’évaluation sont les suivantes :

  • ils nécessitent une formation avant d’être utilisés ;
  • ils ne permettent pas de prédire l’occurrence d’un passage à l’acte ;
  • ils ne permettent pas de cerner la nature ni la gravité du prochain passage à l’acte.

Conclusion

35Le sens clinique, la rigueur sémiologique et la prise en compte de la complexité systémique doivent être assistés par des outils d’évaluation divers en fonction des circonstances et des besoins, mais ne pas en être les prisonniers.

36Il s’agit ici, comme dans bien d’autres domaines de la médecine, d’évaluer la présence d’un risque et de le gérer d’une façon pragmatique, tout en usant de prudence en raison des conséquences importantes de ce type d’actes professionnels tant pour les personnes concernées que pour la société. Faute d’indicateur absolu de la violence, tout clinicien devrait recourir au jugement clinique structuré en s’appuyant sur des outils d’évaluation qui intègrent à la fois les données de la recherche scientifique, les connaissances cliniques et les risques appréhendés en fonction des projets de vie du patient. L’interaction entre les différentes variables est ici fondamentale. Ce n’est qu’en présence d’autres facteurs, qu’une variable devient importante ou au contraire plus ou moins neutralisée. Un tel modèle ne peut être figé dans le temps. Pour en préserver la validité, il est primordial de répéter l’évaluation tout au long du suivi.

37Enfin, la complexité de la clinique du passage à l’acte renvoie aussi le clinicien à la nécessité de composer avec l’incertitude. Prétendre effacer cette dimension serait certes rassurant mais constituerait aussi un mensonge dangereux menant à un arbitraire violent et à la perte du visage humain de la psychiatrie.

38Conflits d’intérêts: aucun.

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Mots-clés éditeurs : pays étranger, violence, malade mental, échelle VRAG, échelle d'évaluation, échelle HCR-20, facteur de risque, Canada, historique, échelle Short-Term Assessment Risk and Treatability

Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.1684/ipe.2012.0938

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