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Article de revue

Il y a cent ans : la psychose hallucinatoire chronique

Pages 253 à 255

1Dans un article paru en 2007, le psychiatre T. Haustgen se demandait si la PHC devait disparaître [8] ? Évidemment non, répondait-il, car, sinon, comment rendre visible ce qui ne peut se confondre avec la schizophrénie sur son versant paranoïaque, ni avec la paranoïa elle-même ? Ici, c’est bien la clinique, plus que le vœu de conserver une particularité nationale, qui guide la construction nosographique : quand un sujet d’âge mûr (féminin le plus souvent) présente brutalement des hallucinations diverses (point important), des thématiques délirantes d’influence, assez vagues et n’ayant pas les caractéristiques d’un délire structuré, s’il n’y a pas de détérioration mentale ni de cassure massive avec la réalité, alors on est dans cet entre-deux – entre schizophrénie et paranoïa – qui justifie qu’une certaine tradition française de la psychopathologie continue à utiliser ou à illustrer l’intérêt de la psychose hallucinatoire chronique [5] ? Pour l’illustration, l’exemple en fut récemment donné par Jean Garrabé à l’occasion d’un symposium franco-mexicain consacré à cette pathologie [7]. Quant à son utilisation diagnostique, bien que la PHC ait pu être considérée comme rare dans sa forme pure, il n’est pas exceptionnel et il est même récurrent de la rencontrer en clinique adulte dès que l’hallucination domine le tableau sans qu’on puisse encore détecter un système délirant persécutif derrière les plaintes cénesthésiques. Mais, c’est peut-être qu’on ne le cherche pas ou qu’on ne le déduit pas. Nous retrouvons ici la diatribe d’Henri Ey à l’encontre de la PHC : « illusion nosographique », « cadre nosographique... artificiel, superflu et même dangereux » [6] ! C’est que, pour Henri Ey, il n’y a pas d’hallucination sans délire : il faut, écrivait-il encore en 1973, « réintégrer l’Hallucination dans le Délire à sa place, non pas à la base mais dans sa masse » [ibid]. L’hallucination est dès lors l’effet du délire et non sa cause. Voilà pour la critique de l’approche purement symptomatique de Ballet et aussi, par-delà, de la doctrine clérambaldienne de la psychose hallucinatoire chronique qui accentue la séparation entre hallucination et délire.

2Curieusement, Henri Ey, pour étayer sa critique, s’en tient au premier article de Ballet dans lequel ce dernier propose la première définition de son concept, celui paru en 1911 dans l’Encéphale [1]. Charles Nodet, auquel Henri Ey inspira naguère le sujet de sa thèse soutenue à Paris en 1937 pour « rompre le charme » [6] exercée par le cadre nosographique de la PHC dans l’école française de psychiatrie (entendons celle rattachée à de Clérambault en opposition à celle de Claude) et se réfère lui aussi à ce seul article [13]. Tout leur semble avoir été dit dans cette présentation originelle. Or, la construction de l’entité s’étale sur plusieurs années, quatre exactement. Signalons néanmoins que Ballet annonce dans sa dernière note de 1914 [4] un texte supplémentaire à venir. Sa mort prématurée en 1916 l’en a empêché. Qu’apportent les textes ultérieurs à celui de 1911 [2-4] ? Rien concernant la description clinique elle-même, la place de l’hallucination restant centrale, ainsi que celle des éléments cénesthésiques et l’évolution est toujours considérée comme chronique. Mais, un élément nouveau est affirmé, de nature psychologique, même si son étiologie peut ne pas l’être, affirme Ballet, c’est la désagrégation. Non pas des centres nerveux, mais de la personnalité. L’effet en est une « coupure », une « dissociation », termes apparaissant sous la plume de Gilbert Ballet. Dès lors l’intérêt de la PHC trouve un autre souffle pourrait-on dire. Qu’il pourrait avoir gardé jusqu’à aujourd’hui, mais encore faut-il lui redonner les repérages nécessaires pour l’exploiter pleinement. Car de quoi s’agissait-il au fond avec cette PHC sinon de penser une certaine spécificité ou particularité de la division subjective psychotique ? Certes, comme le souligne Georges Lantéri-Laura, l’initiative est moins subtile et moins bien théorisée que ce que fera de Clérambault avec la description du syndrome S [11], mais elle ne relève pas moins d’une sorte de nécessité, surtout nosographique, devant ce qui apparaissait alors, déjà, comme hégémonique.

Une PHC lacanienne ?

3Comme nous le rappelions, une certaine tradition nosographique française perpétue ou tente de perpétuer ce geste, de sorte que l’utilisation de la catégorie clinique de PHC, à chaque fois qu’elle apparaît, semble répondre à la même nécessité de redélimiter et renommer ce qui est confondu ou arbitrairement unifié. Serait-ce alors faire acte de résistance à notre hégémonie contemporaine, celle des DSM, qui range toute manifestation psychotique hallucinatoire dans le vaste syndrome schizophrénique ? Le recours à la PHC deviendrait-il cheval de bataille pour une partition nouvelle de la schizophrénie, cette entité qui n’a jamais connu une quelconque unité sinon aux forceps ? Si l’on se décale un peu de cette posture partisane, l’argumentation peut devenir plus clinique et il s’agit alors de proposer des repérages nouveaux à la PHC. Il reste en particulier à approfondir les quelques notations de Lacan au sujet de la psychose hallucinatoire chronique, même s’il n’est pas certain qu’il désignait par là la psychose de Ballet et plutôt celle de de Clérambault. Elles sont à notre connaissance au nombre de deux. L’une se trouve dans le Séminaire III, dans lequel Lacan insiste sur la spécificité du rapport du sujet au langage dans cette psychose [9]. À l’instar du paranoïaque, mais de manière moins évidente et moins démonstrative, qui demande une certaine perspicacité au clinicien pour le déceler, le psychosé hallucinatoire chronique témoigne d’un virage dans son rapport au discours ambiant, dans le sens d’une passivation et d’une érotisation. Rappelons que Gilbert Ballet mettait au rang des symptômes constants de la PHC les troubles cénesthésiques et l’inquiétude, mais faisait surtout l’hypothèse d’un état mental sous-jascent antérieur au développement de la psychose. Cet état, il le référera à la dissociation, à la désagrégation, comme on l’a vu, autrement dit à ce virage dans le rapport du sujet au monde où s’installe une distance dans le vécu psychique et par rapport au langage. C’est là ce qu’il y a de plus primitif, avant tout phénomène hallucinatoire.

4L’autre notation de Lacan au sujet de la PHC ouvre encore une autre perspective. Elle est énoncée à propos du commentaire du cas de l’enfant au loup présenté par Rosine Lefort. Pour Lacan, dans la PHC, il y a cette fois un rapport spécifique au Réel, tant et si bien qu’il existe dans la psychose hallucinatoire chronique de l’adulte une synthèse de l’Imaginaire et du Réel, ce qui est tout le problème de la psychose, ajoute-t-il [10].

5Dès lors, il y a bien une opposition possible qui distinguerait la schizophrénie où le Symbolique est Réel, la paranoïa où l’Imaginaire envahit le Symbolique et la psychose hallucinatoire chronique où l’Imaginaire et le Réel sont en synthèse. Reste à donner consistance doctrinale à cette distinction. Une piste à suivre est celle qui a déjà été empruntée par l’approche psychanalytique des paraphrénies, telle que Maleval a pu la développer dans son ouvrage Logique du délire [12]. Dans cette perspective, c’est bien le destin de l’affrontement à la jouissance de l’Autre qui est à suivre dans l’évolution chronique même. De quelles ressources psychiques les cas de PHC témoignent-ils dans l’effort de régulation d’une jouissance qui concerne le corps au premier chef, puis la pensée ? C’est au reste l’une des spécificités cliniques qu’on pourrait encore retenir de la PHC : la jouissance se localise d’abord sur le corps – les multiples sensations cénesthésiques qui forment l’indice majeur de l’affection – puis elle se localise au champ de l’Autre, le persécuteur, mais avec cette particularité de concerner un persécuteur flou, un « on » indéterminé qui influence les pensées et les actes. La PHC témoignerait donc à la fois d’un rapport particulier au langage et au corps, qui n’est pas celui du schizophrène.

6Gilbert Ballet indiquait que la phase terminale correspond le plus souvent à une atténuation des idées de persécution ou ambitieuses, comme des hallucinations, qui demeurent à demi-effacées. Au fond, ne s’agirait-il pas, dans l’effort régulant du psychosé hallucinatoire chronique, d’un travail au long cours pour maintenir un Imaginaire en synthèse avec le Réel, support d’un moi suffisamment syntone qui traduit un rapport à la réalité relativement préservé, sans consentement total à la jouissance de l’Autre ? Mais, pour ce faire, encore faut-il qu’une chimiothérapie trop copieuse et une prise en charge visant exclusivement l’élimination du symptôme n’entravent pas les possibilités psychiques du sujet. Rien n’est moins assuré aujourd’hui.

Actualité

7Il y donc une actualité possible de la PHC. Cependant, un certain nombre d’ambiguïtés lui restent attachées, voire des réticences à son emploi, non sans liens avec le jugement de Henri Ey. Thierry Haustgen en relève quelques-unes dans l’article que nous avons cité, mais maintient malgré tout l’affirmation d’une pertinence de la PHC. Cependant, pour ne pas en faire une chimère nosographique, il faudrait en effet s’accorder sur ce qu’elle désigne vraiment. Correspond-elle à une modalité précise de forclusion ? Met-elle en jeu des suppléances spécifiques ? Révèle-t-elle un fonctionnement caractéristique des instances psychiques déliées ?

8Seule une clinique attentive aux constructions singulières pourra confirmer ou non ces pistes et donner raison ou non à ce qui insiste depuis un siècle maintenant.

9Conflits d’intérêts : aucun.

Références

  • 1
    Ballet G. La psychose hallucinatoire chronique. Encephale 1911 ; 2 : 401-11.
  • 2
    Ballet G. Hallucinations et dissociation de la personnalité. Encephale 1913 ; 7 : 1-5.
  • 3
    Ballet G. La psychose hallucinatoire et la désagrégation de la personnalité. Encephale 1913 ; 6 : 501-19.
  • 4
    Ballet G. La psychose hallucinatoire chronique. Rev Neurol 1914 ; 12 : 41-6.
  • 5
    Dubertret C, Adès J, Gorwood P. Clinical and etiopathogenic specificities of the french concept of psychose hallucinatoire chronique compared to schizophrenia. Schizophr Bull 2004 ; 30 : 173-84.
  • 6
    Ey H. Traité des hallucinations. Paris : Tchou, 2004 (tome II, p. 833).
  • 7
    Garrabé J. La psicosis alucinatoria cronica, intervention au Symposium de l’Evolution psychiatrique sur la PHC au 19è Congrès national de la société de psychiatrie mexicaine. 2005, Los Cabos.
  • 8
    Hautsgen T. La psychose hallucinatoire chronique doit-elle diparaître ? Une revue historique. Psychiatr SciHumNeurosci 2007 ; 5 : 162-75.
  • 9
    Lacan J. Le Séminaire III, 1956-1957. Les psychoses. Paris : Le Seuil, 1981 ; p. 235.
  • 10
    Lacan J. Le Séminaire I, 1953-1954. Les écrits techniques de Freud. Paris : Le Seuil, 1975 ; p. 120.
  • 11
    Lantéri-Laura G. Principales théories dans la psychiatrie contemporaine. EMC Psychiatr 2004 ; 1 : 128-49.
  • 12
    Maleval JC. Logique du délire. Paris : Masson, 1996.
  • 13
    Nodet CH. Le groupe des psychoses hallucinatoires chroniques. Essai nosographique. Thèse de médecine, Paris, 1937.

Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.1684/ipe.2012.0913

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