Couverture de INPSY_8802

Article de revue

À propos d'un dispositif pilote santé-justice en région strasbourgeoise

Pages 131 à 134

Introduction

1Les différents rapports analysant les populations carcérales ces dernières années ont mis en évidence une surreprésentation des patients présentant des troubles psychiques et particulièrement des psychotiques [2, 3]. Nous avons entrepris une expérience, qui pour l’instant est unique en France et qui à travers la collaboration des secteurs judiciaire, sanitaire et social, propose une prise en charge novatrice de ces populations très fragiles. La convention entre les différents partenaires a été signée au printemps 2010, avec une mise en fonctionnement possible dès l’été. Ce conventionnement a pour but un travail en synergie entre les différents acteurs, travail qui permet de compléter les compétences des uns par celles des autres par le biais de rencontres régulières, au plus près des difficultés et des éventuels incidents. Le fait que les partenaires se connaissent, travaillent ensemble et se réunissent régulièrement est un gage de réactivité sur des situations appelées à rapidement évoluer.

Contexte et but du projet

2Les sujets incarcérés présentant une pathologie mentale représentent une fraction non négligeable de la population carcérale [1]. Si l’institution pénitentiaire assure durant la détention un suivi via les SMPR et les UCSA, le parcours de soins connaît souvent une rupture brutale à la libération.

3Les difficultés auxquelles sont confrontés les patients libérés sont multiples, comme l’accès aux soins (avec des retards souvent importants d’attribution de la CMU), des changements de repères et de départements, la nécessité de se loger, d’avoir accès à des revenus. Les services de probation et d’insertion des peines (SPIP) sont souvent démunis face à ces situations qui sont compliquées par la maladie mentale. Leur formation ne comporte d’ailleurs pas de sensibilisation à la maladie mentale. Ce qui est déjà difficile pour un détenu exempt de troubles psychiques l’est encore plus pour un sujet présentant une maladie mentale.

4Le lien entre un SMPR et le secteur de rattachement se résume souvent à un appel téléphonique assorti d’un rendez-vous dans un CMP et une ordonnance permettant de tenir quelques jours à la sortie, pour peu que les prestations sociales soient à jour. Si ce n’est pas le cas, le sujet risque la rupture thérapeutique. Nous avons par ailleurs constaté que chez ces sujets fragiles, le plus souvent peu observants, que les traitements retard étaient inexistants, alors qu’ils étaient régulièrement suivis en milieu carcéral. Pour cette population, les rechutes sont fréquentes, soit par interruption des traitements psychotropes, soit par consommation de toxiques, soit les deux. Bien entendu, la rechute va le plus souvent de pair avec la reprise de certains habitus délictuels.

5Partant de ces différents constats, nous avons décidé de créer un véritable réseau santé-justice « ouvert », permettant d’aménager au mieux les soins chez cette population fragile tout en renforçant des partenariats qui s’avèrent indispensables.

6Le cadre légal est celui de l’article 723-15 du Code pénal qui stipule notamment que « les personnes non incarcérées, condamnées à une peine inférieure ou égale à deux ans d’emprisonnement ou pour lesquelles la durée de la détention restant à subir est inférieure ou égale à deux ans, ou pour lesquelles, en cas de cumul de condamnations, le total des peines d’emprisonnement prononcées ou restant à subir est inférieur ou égal à deux ans bénéficient, dans la mesure du possible et si leur personnalité et leur situation le permettent, suivant la procédure prévue au présent paragraphe, d’une semi-liberté, d’un placement à l’extérieur, d’un placement sous-surveillance électronique, d’un fractionnement ou d’une suspension de peines, d’une libération conditionnelle ou de la conversion prévue à l’article 132-57 du Code pénal. Les durées de deux ans prévues par le présent alinéa sont réduites à un an si le condamné est en état de récidive légale […]. Sauf s’il a déjà été avisé de ces convocations à l’issue de l’audience de jugement en application de l’article 474 du présent code, le condamné est alors, sauf décision contraire du juge de l’application des peines, convoqué en premier lieu devant le juge de l’application des peines, puis devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation, dans des délais qui ne sauraient être respectivement supérieurs à 30 et à 45 jours à compter de leur information par le ministère public, afin de déterminer les modalités d’exécution de sa peine les mieux adaptées à sa personnalité et à sa situation matérielle, familiale et sociale ».

7Ce cadre légal permet l’instauration de soins contraints. La démarche peut sembler surprenante, néanmoins, elle constitue une chance pour ces patients d’accrocher de manière durable avec le sanitaire, dans un milieu qui sera le plus proche de celui où ils seront appelés à évoluer à l’issue de leur peine.

Moyens mis en œuvre actuellement

8Le dispositif comporte quatre places sous forme d’appartements associatifs, c’est-à-dire d’appartements loués par une association s’occupant du relogement des personnes souffrant de troubles mentaux. Les appartements sont répartis sur une aire géographique restreinte mais ne sont pas contigus. Les patients y sont autonomes et sont contraints d’y être présents à certains horaires. Ils disposent d’une ligne téléphonique ainsi que de numéros à appeler en urgence en cas de problèmes. Le suivi social est assuré par une association implantée sur la banlieue sud de Strasbourg (Antenne), en relation avec le SPIP d’Alsace. Cette association assure via les personnels éducatifs, les démarches quotidiennes de ces patients ainsi que leur guidance qui est fonction des capacités des sujets. Ils assurent également des visites à domicile avec les personnels du secteur sur lequel la structure est implantée.

9La part sanitaire comporte l’équipe de secteur (pôle Strasbourg Sud) ainsi que les structures de jour (hôpital de jour [HDJ] et CMP). Actuellement, il est proposé au minimum deux demi-journées d’activité dans le cadre de l’HDJ. Les infirmiers assurent également le suivi, soit par le biais de consultations CMP, soit par des visites à domicile fait seuls ou accompagnés des éducateurs de l’association Antenne.

10La partie médicale est assurée par le médecin chef de pôle et comporte la sélection des candidats selon des critères spécifiques en lien avec les collègues psychiatres travaillant dans les prisons de la région pénitentiaire Grand-Est. Le suivi médical se fait sous forme de consultations hebdomadaires les 20 premières semaines, puis bihebdomadaires ensuite. La coordination du dispositif entre les différents intervenants et la formation aux problématiques de maladie mentale pour les personnels du SPIP via des sessions courtes ou des questions théoriques aussi bien que pratiques sont abordées.

11Le relais est passé aux secteurs de rattachement des patients quand ils viennent à quitter le dispositif. À noter que cette prise en charge est le résultat d’une collaboration entre deux secteurs d’un même hôpital (le centre hospitalier d’Erstein), qui permet via une mutualisation des moyens de faire débuter l’ensemble sans demander de moyens supplémentaires à l’Agence régionale de santé (ARS).

Critères de sélection des sujets

12Les sujets sont sélectionnés par les médecins psychiatres officiant dans les différents lieux de détention. Ils doivent présenter une maladie mentale chronique de l’axe I de la CIM 10 (schizophrénie, trouble bipolaire, trouble délirant…). Les délinquants sexuels et les troubles graves de la personnalité (de type psychopathie) sont exclus. Le quantum de peine restant à faire doit être compris entre six mois et un an. Ils doivent être stabilisés du point de vue de leur maladie mentale et être à jour de leurs prestations sociales. Ils peuvent bénéficier d’un traitement substitutif aux opiacés (TSO), toutefois, si une problématique addictive est retrouvée, la prise en charge comporte un avis addictologique. Ce dernier point revêt un aspect quasi systématique et est en accord avec les données de la littérature qui retrouvent une importante minorité de détenus avec des consommations de stupéfiants [1].

13Le médecin adressant le patient remplit un dossier comportant des éléments de biographie, les éléments médicaux mais aussi les antécédents médicolégaux. Ce dossier permet une évaluation psychocriminologique du sujet et indique les éventuels facteurs de vulnérabilité, permettant une individualisation optimale du dispositif.

14Du point de vue judiciaire, ces sujets doivent avoir un projet de réinsertion sociale pour bénéficier de la mesure de placement extérieur. Toutefois, compte tenu du profil des patients, cette dernière partie est plus difficile car les sujets jusqu’à présent inclus souffrent de pathologies fortement déficitaires qui contre-indiquent non seulement un travail en milieu ouvert mais même une activité en milieu protégé.

Mode de fonctionnement

15Les patients sortant de détention sont pris le jour même en charge par les partenaires sociaux et associatifs. Ils sont conduits à leur appartement où leurs sont expliqués les détails relatifs aux moyens de transport, le contrat les liant au logeur et surtout les recours qui leurs sont accessibles à toute heure. Les personnes ressources qui assureront leur suivi quotidien sont présentes à ce moment, permettant une prise de contact personnalisée. Durant la première semaine, ils bénéficient d’une première consultation, pendant laquelle le dispositif leur est réexpliqué et où sont mises en places les différentes activités. Cette première consultation est le moment de rappeler le cadre thérapeutique des rencontres, mais aussi les engagements auxquels sont soumis les sujets quand ils rentrent dans le dispositif.

16Dès la première semaine, le patient est également présenté à l’HDJ où se dérouleront ses prises en charge. Des visites à domicile sont instaurées : sociales, médicales et médicosociales. Le but étant de couvrir au maximum le temps de la semaine. En général, il y a deux visites par semaine, avec en plus la possibilité d’accroître la fréquence en cas de grande fragilité.

17En l’absence de médecin coordonnateur susceptible de faire le lien de manière plus libre entre le sanitaire et le judiciaire, à chaque acte les sujets reçoivent une attestation qu’ils remettent à leur agent de probation. À l’issue de la prise en charge, les partenaires se réunissent pour évaluer le parcours de soins, les éventuels dysfonctionnements afin de permettre une amélioration du dispositif. Ces réunions sont également l’occasion de débriefings où sont repris certains points ayant posé problème. Des protocoles de prise en charge des incidents ont également été mis en place avec des personnes-ressources dans les différents endroits. Ainsi, en cas de nécessité, les sujets peuvent être hospitalisés à tout moment au centre hospitalier d’Erstein, mais ils peuvent aussi appeler 24 heures sur 24 une personne en lien avec l’associatif, susceptible de leur venir en aide, soit physiquement, soit par l’appel à des dispositifs d’aide idoine.

Sortie du dispositif

18À l’issue de leur placement, différentes options sont possibles, mais la plus fréquente est le retour sur leur secteur d’origine. Ce retour est aménagé plusieurs semaines en avance, par la prise du rendez-vous et la mise en place des différents relais que sont la famille, le médecin généraliste et l’équipe de secteur.

Perspectives

19La mise en place d’un réseau quel qu’il soit est une expérience enrichissante. La nécessité d’une collaboration entre le sanitaire et le judiciaire n’a été possible dans ce cas que par l’adjonction d’un troisième partenaire, le social. Compte tenu de la demande qui commençe à se faire jour, un tel dispositif est appelé à croître au vu de l’épidémiologie des populations carcérales. Nous n’avons pas, pour l’instant, pu aller au-delà de quatre places car cette mission est assurée à moyens constants. Nous sommes partis du principe qu’il nous fallait tester la validité du concept pour être crédibles auprès des tutelles, mais aussi pour ajuster les différents protocoles inhérents au dispositif. Compte tenu de la taille du dispositif et de sa durée de fonctionnement, nous en sommes encore au stade de l’expérimentation, même si les premiers patients nous ont permis une rapide mise en œuvre des procédures de prise en charge, ainsi que la correction de dysfonctionnements minimes.

20Dans un futur que nous souhaitons proche, le dispositif devrait permettre la rencontre entre le médecin traitant ou le médecin coordonnateur et le patient avant sa sortie de détention. Afin de permettre de dégager le médecin traitant des contingences médicolégales, un médecin coordonnateur serait fortement souhaitable pour coordonner le dispositif. À terme, nous prévoyons de porter le nombre de places à 25, toujours sous forme d’appartements disséminés, mais avec des moyens renforcés tant du point de vue médical que paramédical. En effet, le premier retour sur expérience de ces patients nous donne des profils relativement similaires : patients jeunes, présentant le plus souvent une problématique addictive, et avec des symptomatologies déficitaires avec pour conséquence des habitus de délits mineurs mais répétés. Ils n’ont jamais été suivis de manière continue auparavant et le dispositif est le plus souvent leur premier contact avec le secteur. Par ailleurs, un effort sera fait pour permettre la sensibilisation, voire la formation aux pathologies mentales de nos différents partenaires.

21Un dispositif étendu sera aussi le moyen de permettre une évaluation statistiquement significative des rechutes et aussi des récidives afin de permettre une extension nationale. Nous pensons, en effet, que les réseaux santé et justice ont tous leur place dans une politique de bien commun permettant le respect du principe français de l’individualisation de la peine, du respect du sujet en prenant en compte sa spécificité de malade mais aussi du point de vue sociologique, en sortant de détention des patients pour lesquels elle n’offre pas de possibilité de réinsertion et en diminuant le risque de récidive par une stabilisation de la maladie et une action ciblée sur les cofacteurs de risque représentés par les addictions.

22Conflits d’intérêts: aucun.

Bibliographie

Références

  • 1
    Beaurepaire de C, Hiriart V. Conduites addictive et populations incarcérées (étude descriptive chez les patients de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes). Cible, 1997.
  • 2
    Rouillon F. Étude de la santé mentale des personnes détenues dans les prisons. In : Senon JL, Pascal JC, Rossinelli G, éds. Audition publique : expertise psychiatrique pénale. Paris : John Libbey, 2008.
  • 3
    Senon JL, Manzanera C. Comment mieux répondre aux problèmes cliniques et médico légaux actuels pour préserver une psychiatrie ouverte et dynamique ? Ann Med Psychol 2005 ; 163 : 870-7.

Mots-clés éditeurs : psychiatrie pénitentiaire, obligation de soins, réseau de soins, parcours de soins, appartement thérapeutique, justice

Mise en ligne 15/11/2012

https://doi.org/10.1684/ipe.2012.0890

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