Introduction
1Depuis 1994, le nouveau Code Pénal prévoit les expertises psychiatriques de responsabilité pénale selon l’article 122-1. La mission de l’expert, classique, consiste à évaluer si le sujet était, au moment des faits, « atteint d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Ce cas de figure, appelé communément « expertise pré-sentencielle », est basé entièrement sur une lecture clinique du passage à l’acte. Une telle mission, délicate, peut être menée à bien par une évaluation psychiatrique méticuleuse et complète reposant sur une méthode clinique classique. La loi du 17 juin 1998 a permis de développer une nouvelle forme d’expertise psychiatrique, dite expertise de prélibération conditionnelle. La mission de l’expert n’est plus de répondre à une éventuelle abolition du discernement, le sujet ayant été déjà reconnu coupable et condamné. La question centrale est celle de l’évaluation de la dangerosité criminologique et du risque de récidive [6]. Il est intéressant de souligner que la question de la dangerosité criminologique et celle du risque de récidive sont toujours posées ensemble, entraînant une redondance dans les questions posées par le magistrat. Le psychiatre, professionnel de la pathologie mentale, doit alors s’attacher à chercher des éléments cliniques lui permettant d’évaluer un tel risque. Il est de ce fait confronté à un dilemme : une telle évaluation relève-t-elle bien de ses compétences ? Le cas échéant, quels sont les éléments objectifs pouvant présager d’une particulière dangerosité criminologique ? Partant de ce questionnement, l’auteur a entrepris d’effectuer une revue de la littérature dans ce domaine précis. Plusieurs équipes internationales se sont déjà penchées sur cette question en cherchant à identifier des liens statistiques entre des facteurs cliniques et sociologiques et un risque de réitération d’un comportement violent. Une telle démarche n’est pas d’expliquer les passages à l’acte violent, mais de chercher une simple association statistique. Selon cette méthodologie, plusieurs facteurs de risque ont été identifiés. En préambule, ces facteurs ne sont pas les mêmes pour toutes les formes de violences. Par exemple, il est clairement établi que les prédicteurs de la violence sexuelle diffèrent de ceux de la récidive violente physique [10, 21].
Prédicteurs de la récidive violente générale
2Plusieurs facteurs ont été retrouvés associés de façon plus fréquente chez les auteurs de violences physiques récidivistes. Classiquement, le premier d’entre eux est la commission d’une précédente infraction violente. Ainsi, un sujet aura plus de probabilité de commettre un acte violent s’il a déjà été l’auteur qu’un autre sujet naïf. L’étude faisant référence en la matière est la méta-analyse de Hanson et Buissière [10]. Cette étude porte sur près de 30 000 sujets. Le principal marqueur de risque de récidive est une orientation antisociale. Derrière ce terme se profilent différentes caractéristiques cliniques et sociologiques. En termes d’évaluation clinique, une impulsivité ou un problème de maîtriser ses émotions sont associés à un risque plus élevé. Par ailleurs, une addiction aggrave le pronostic. En première place l’alcool, puis les autres toxiques (cannabis, stupéfiants). Un trouble grave de la personnalité de type psychopathique est également en faveur d’un risque accru de récidive générale. En Europe, cela correspond aux diagnostics de personnalité dyssociale (F60.2 de la classification CIM 10), émotionnellement labile type impulsive (F60.30) et émotionnellement labile type borderline (F60.31). Dans ce dernier cas de figure, l’utilisation de l’échelle de psychopathie de Hare prend toute sa valeur [12]. Il s’agit d’une échelle étudiant des traits interpersonnels/affectifs (facteur 1) et des comportements antisociaux (facteur 2). Elle se compose de 20 items, le score final varie entre 0 et 40. Le diagnostic de psychopathie nécessite un score égal ou supérieur à 30. Un diagnostic de psychopathie selon ces critères est fortement associé à un risque de comportement ultérieur. Depuis la méta-analyse de Hanson et Buissière, plusieurs autres études menées par des équipes indépendantes sont venues confirmer cette donnée [9, 14, 27]. Par ailleurs, une instabilité socioprofessionnelle est statistiquement associée à un risque plus élevé de commettre de nouvelles violences physiques. Des changements fréquents d’emplois sont de mauvais pronostic, ce qui est confirmé par l’équipe de Quinsey [22]. L’existence de déménagements fréquents est également un élément à prendre en compte [4]. Enfin, la présence de troubles cognitifs spécifiques est corrélée à des comportements violents ultérieurs. Un profil de dysfonction du cortex préfrontal apparaît en premier chef. Un score pathologique au Wisconsin Card Sorting Task est statistiquement associé à un risque plus élevé de violence physique [28]. De plus, des antécédents de déficit attentionnels associés à des troubles hyperkinétiques chez l’enfant (l’ADHD) ainsi que des difficultés à apprendre la lecture se retrouvent plus souvent chez les récidivistes [16]. Il est toutefois nécessaire de souligner un élément important. Les variables associées à des formes de comportements violents ne sont pas nécessairement associées à un risque d’homicide [5]. Ce qui est le cas de la psychopathie telle que définie selon les critères de Hare. Un score supérieur à 30 est fortement associé à un comportement violent ultérieur, mais n’est pas associé à un risque de commettre un nouvel homicide [18, 29].
Prédicteurs de la récidive sexuelle
3Au sein même des auteurs de violence sexuelle, plusieurs profils psychocriminologiques peuvent se distinguer. Les implications en termes de récidive qui en découlent modifient considérablement la grille de lecture du risque de récidive. En premier lieu, les agresseurs sexuels d’enfants ont un taux de récidive globalement inférieur à celui des agresseurs sexuels de femmes [23]. On ne peut donc comparer ces deux groupes de délinquants. En effet, l’étude de Proulx [20] révèle que le taux de récidive à cinq ans des agresseurs sexuels d’enfants était de 13 % contre 21,2 % pour les agresseurs de femmes adultes. Certains marqueurs du risque de récidive sont communs aux deux groupes, mais d’autres sont spécifiques aux pédophiles ou aux violeurs d’adultes.
Prédicteurs sexuels généraux
4À l’image de ce qui est établi quant à la récidive générale, le premier facteur de risque est représenté par un délit sexuel antérieur. Parmi les récidivistes, les agresseurs sexuels ont plus de condamnations au niveau juvénile pour des infractions sexuelles et sont plus jeunes lors de leur première arrestation [10]. Une entrée précoce dans la carrière judiciaire est donc un élément important à prendre en compte. Par ailleurs, le profil victimologique est important à connaître. Une victime inconnue est un critère de mauvais pronostic. De plus, une victime de sexe masculin est également un facteur péjoratif plus souvent retrouvé chez les récidivistes [10]. Concernant le profil clinique et psychopathologique de l’agresseur, un diagnostic de trouble de la personnalité selon les critères CIM 10 ou DSM IV est un marqueur fortement associé statistiquement à un risque accru de récidive. L’existence de préoccupations sexuelles importantes est aussi un bon marqueur [15]. Des taux élevés de masturbation, un recours régulier à des supports pornographiques et des rapports sexuels impersonnels (orgies, échangisme) sont des éléments significatifs à prendre en compte. Au niveau social, l’absence de partenaire intime est liée à un risque accru de récidive sexuelle [10]. D’après Hanson et Morton-Bourgon, les deux meilleurs marqueurs du risque de récidive sexuelle sont [11] :
- la déviance sexuelle. Des conduites paraphiliques (voyeurisme, exhibitionnisme). Des préoccupations sexuelles importantes ;
- l’orientation antisociale. Antécédents de violation des règles score élevé à l’échelle de psychopathie de Hare. Enfin, l’existence de troubles cognitifs à type de difficultés d’apprentissage de la lecture a également été identifiée comme un marqueur associé à la récidive sexuelle [16].
Prédicteurs agresseurs sexuels d’enfants
5Il est clairement établi que globalement, les agresseurs sexuels d’enfants ont un taux de récidive inférieur aux agresseurs de femmes adultes. Toutefois, au sein de la population pédophile, plusieurs profils différents doivent être distingués. En premier lieu, les agresseurs sexuels d’enfants intrafamiliaux ont des taux de récidive moins élevés que les agresseurs d’enfants extrafamiliaux [7, 8, 17, 25]. Cela correspond donc à la notion de pères incestants, ainsi qu’à tout adulte passant à l’acte sur des mineurs dont ils ont une autorité familiale de sang ou par alliance (nièce/cousine/fille adoptive). Ce qui signifie que les auteurs d’actes pédophiles extrafamiliaux présentent un risque de récidive accru. De plus, l’orientation hétéro- ou homosexuelle est un critère majeur à déterminer. En effet, l’étude de Abel et al. révèle un nombre plus élevé de victimes chez les pédophiles homosexuels. Sur une population de 377 sujets étudiés, les pédophiles hétérosexuels avaient en moyenne 19,8 victimes par sujet. Le nombre de victimes moyen pour les pédophiles homosexuels s’élevait à 150,2 [1]. Le type de passage à l’acte doit également être étudié. Il est établi un risque accru de récidive lorsque les passages à l’acte sont génitalisés : pénétration digitale, coït, sodomie [17].
6Enfin, une identification affective avec des enfants doit être recherchée lors de l’entretien clinique. La tendance des sujets à avoir des enfants comme amis, un mode de vie centré sur les enfants, accompagné de conflits avec des partenaires adultes intimes sont des éléments sur-représentés chez les auteurs d’agression sexuelle extrafamiliaux récidivistes [30].
Prédicteurs agresseurs sexuels de femmes adultes
7Plusieurs facteurs de risque de récidive ont été analysés dans cette tranche de population. Globalement, plusieurs facteurs de récidive de violence générale sont également validés comme facteurs de risque de récidive de violence sexuelle. Un niveau d’impulsivité pathologique est un élément déterminant [19]. De plus, les récidivistes ont des résultats plus élevés à l’échelle de psychopathie de Hare [24]. Un diagnostic de psychopathie selon cette échelle (score de 30 et plus) est corrélé à un risque de réitération de violence sexuelle. En revanche, ce même diagnostic de psychopathie n’est pas corrélé à une récidive de viol. Enfin, les récidivistes ont commis plus de délits sexuels, plus de délits violents et de délits non violents (contre la propriété) [24]. Un profil de type antisocial est donc corrélé à un risque accru de violence sexuelle dirigée contre des femmes adultes ultérieure.
Ne sont pas des prédicteurs
8Après avoir passé en revue les nombreux marqueurs cliniques, cognitifs, sociaux et judiciaires associés statistiquement à la récidive, nous allons présenter les facteurs qui ne le sont pas. La présence de ces marqueurs a été cherchée, mais aucun lien statistique n’a pu être mis en évidence. Rechercher de tels facteurs n’a donc aucune validité prédictive positive pour évaluer un risque de récidive général ou sexuel. Ces constations sont issues de deux méta-analyses différentes : celle de Hanson et Buissière en 1998 (près de 30 000 sujets étudiés) et celle de Hanson et Morton-Bourgon en 2004 (près de 4 000 sujets étudiés) [10,11]. En premier lieu, le déni de l’acte criminel n’est pas un marqueur prédictif du risque de récidive. Un sujet qui ne reconnaît pas les faits reprochés n’est donc pas à risque de récidiver plus qu’un autre reconnaissant ses forfaits. De plus, la minimisation ou la banalisation des faits n’est pas un élément de mauvais pronostic. Un tel positionnement est statistiquement autant retrouvé chez les récidivistes que les non-récidivistes. Il en va de même quant à l’implication du sujet à s’inscrire dans une obligation de soins : un manque de motivation n’est pas lié statistiquement à un taux de récidive majoré. Un manque d’empathie envers la victime n’a pas non plus été validé par les études internationales. Plus intéressant, des problématiques psychologiques n’ont jamais été retrouvées associées à un risque accru de récidive. Les éléments étudiés étaient des troubles anxieux simples, des troubles dépressifs, un manque d’estime de soi ou encore la notion de « faille narcissique ». Enfin, la gravité des lésions ou blessures occasionnées à l’occasion de l’agression (physique ou sexuelle) n’est pas en soi un élément déterminant d’un plus grand risque de récidive. Récemment, une équipe a publié une nouvelle étude concernant les marqueurs déni et motivation au traitement. Il s’agissait de tenter de valider à nouveau ces deux marqueurs comme déterminants d’un risque de récidive. À nouveau, l’analyse statistique n’a pas permis de retenir ces deux éléments. Parmi les récidivistes et les non-récidivistes, aucune différence statistiquement significative n’a pu être objectivée [13].
Discussion
9Cette revue de la littérature a permis de résumer différents facteurs prédictifs du risque de récidive validés par la littérature internationale. Il s’agit de données émanant d’équipes indépendantes, se basant sur l’étude de cohortes nombreuses. Ces données font référence en matière de criminologie.
10Nous pouvons distinguer en premier lieu des facteurs cliniques, nécessitant un examen psychiatrique pour les identifier. Il s’agit des troubles de la personnalité, de la psychopathie selon l’échelle de Hare, d’une impulsivité pathologique, d’une addiction associée. L’examen psychiatrique est donc un temps nécessaire dans l’évaluation de la dangerosité dite criminologique du sujet. Condition nécessaire mais pas suffisante. En effet, une évaluation uniquement clinique fait l’impasse sur de nombreux autres facteurs déterminants. Trajectoire professionnelle, vie conjugale, antécédents d’infractions sans et avec violence, profil cognitif sont autant d’éléments à prendre en considération. Le profil victimologique est aussi fondamental à prendre en compte : un pédophile homosexuel extrafamilial sera d’emblée plus à risque de récidiver qu’un pédophile hétérosexuel intrafamilial. Il y a également les pièges à éviter. Classiquement, l’évaluation clinique s’attache à caractériser le positionnement du sujet par rapport aux actes commis, à la reconnaissance des faits, à sa motivation à s’inscrire dans une démarche de soins. Éléments intéressants à caractériser, mais à ne pas prendre en compte dans l’évaluation du risque de récidive. En effet, la validité prédictive positive de ces marqueurs est nulle. Leur présence n’est donc en rien informative quant à un risque de récidive général ou sexuel. Une discussion psychopathologique s’attachant à décrire la présence d’une « faille narcissique » par exemple n’apportera rien au questionnement du magistrat requérant concernant la dangerosité criminologique du sujet expertisé. Comme le soulignaient déjà Sénon [26], Bénézech [3] ou encore Archer [2], l’évaluation de la dangerosité criminologique nécessite une méthodologie radicalement différente d’une expertise psychiatrique pré-sentencielle. Concernant l’estimation du risque de récidive, celle-ci doit être de type « semi-quantitative ». En effet, répondre qu’un risque de récidive existe ou n’existe pas est un non-sens. En effet, un tel risque de récidive existe virtuellement chez tous les sujets condamnés. Prétendre que ce risque est nul va à l’encontre d’une des données apportées dans cet article. L’un des premiers facteurs de risque d’un comportement violent est la commission antérieure d’une telle violence. Rappelons que dans le cadre post-sentenciel, les sujets expertisés ont été reconnus coupables d’au moins un crime ou délit. Conclure dans une expertise à une dangerosité criminologique nulle ou à un risque de récidive nul semble inadapté. Il s’agit donc d’évaluer un tel risque de récidive selon des gradients semi-quantitatifs entre faible, moyen ou élevé. L’association de plusieurs facteurs péjoratifs, telles une psychopathie, une addiction à l’alcool, des violences conjugales et plusieurs condamnations pénales dès l’âge de 17 ans pour des vols avec violence chez un auteur d’agression sexuelle sur une inconnue, est un excellent exemple pour lequel un risque de récidive élevé pourra être conclu. À l’inverse, un père incestueux, marié, sans aucun antécédent judiciaire est un bon exemple de risque de récidive faible. C’est la compilation des facteurs de mauvais pronostic qui doit faire peser au clinicien une évaluation finale. En gardant à l’esprit qu’il s’agit d’une évaluation de type statistique. Un risque de récidive élevé ne signifie pas que le sujet récidivera et un risque faible n’est pas synonyme de risque nul.
Conclusion
11La réalisation des expertises post-sentencielles est une pratique qui tend à se répandre dans notre pays. La loi du 17 juin 1998 consacre leur réalisation à l’évaluation du risque de récidive et à l’indication d’une injonction de soins. À ce jour, cette évaluation est dans la grande majorité des cas uniquement clinique. Il s’agit bien entendu d’une condition indispensable, mais pas suffisante, d’autres facteurs non cliniques entrant dans l’estimation d’une telle dangerosité criminologique. La question n’est plus de rechercher une pathologie mentale pour déterminer le degré de responsabilité. Il s’agit d’éclairer un magistrat (le plus souvent un juge d’application des peines) concernant un risque de récidive. Du fait de la condamnation pénale, ce risque est par essence présent, même s’il reste minime. Une recherche méticuleuse des facteurs validés par la littérature spécialisée est donc nécessaire à l’obtention d’une réponse graduée. De plus, le piège de se baser sur des critères cliniques non validés doit être évité autant que faire se peut. Le risque étant une surestimation de la dangerosité criminologique via des données psychopathologiques non associées statistiquement. Enfin, gardons à l’esprit que prédire si un sujet va récidiver ou non reste actuellement du domaine de la science fiction. Aussi élevé soit-il, cette estimation reste de nature statistique et ne permet pas de prédire la trajectoire que va prendre un individu particulier.
12Conflits d’intérêts: aucun.
Bibliographie
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