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Article de revue

Tentative de suicide grave chez une enfant : une supposée rareté au Sénégal

Pages 431 à 437

Introduction

1Il est classique de distinguer le suicidé (mort par suicide) du suicidant (rescapé de tentative de suicide). Cette distinction permet de noter un écart important entre la population de suicidants par rapport à celle de suicidés et ce d’autant plus que l’on s’intéresse aux plus jeunes (enfants et adolescents) [1].

2Il est cependant utile de noter qu’au Sénégal, il n’est pas toujours aisé d’objectiver les causes de la mort et par conséquent la nature suicidaire de certains décès. Chez l’enfant survivant l’accès au discours permet de mieux apprécier ce critère marqué par la volonté et/ou le désir conscient de se donner la mort, compte non tenu de la signification du concept à cet âge.

3Peuvent également se rapprocher de la tentative de suicide, les « équivalents suicidaires » qui se caractérisent par la mise en péril de sa propre vie ou de son intégrité physique mais sans la volonté ou le désir conscient de se donner la mort.

4Dans l’unité de pédopsychiatrie où nous exerçons, nous recevons rarement des enfants ayant fait une tentative de suicide. Pourtant, il n’est pas rare que les médias signalent des cas de suicides d’enfants et surtout d’adolescents. Cela dépend en partie de l’organisation des hôpitaux où ils sont reçus pour les soins d’urgence, la référence étant plus systématisée dans certaines pratiques pédiatriques que dans d’autres. Pour l’hôpital de Fann au sein duquel est implanté notre service, la modestie du dispositif d’intervention en soins intensifs fait que les cas les plus sévères et les plus patents n’y sont généralement pas conduits. Néanmoins, certaines situations plus complexes à identifier y seront certainement plus fréquentes.

5Il en est ainsi, d’un cas qui nous a été référé dans le cadre de la pédopsychiatrie de liaison et dont certains aspects cliniques suscitent encore beaucoup d’interrogations. Il s’agit notamment des relations intrafamiliales comportant des modes particuliers d’éducation, des attitudes de dissimulation des parents qui se sont présentés au service de soins intensifs, des difficultés dans les conditions de prise en charge en pédiatrie, des mesures à prendre pour ne pas passer à côté de telles situations, peut-être bien plus fréquentes que l’on pourrait le croire.

Exposé du cas

6Salimata est une fillette de dix ans qui est arrivée aux urgences pédiatriques dans un état comateux. Elle est accompagnée par sa mère et par sa tante qui, très inquiètes, ne semblent avoir aucune idée de ce qui a produit le tableau clinique présenté. Les médecins vont réaliser diverses investigations à la recherche de cause infectieuse, métabolique, traumatique ou toxique mais sans succès. Les mesures de réanimation médicale suffiront cependant à la sortir de son état comateux après quelques heures d’hospitalisation. C’est son état de somnolence prolongée qui attirera l’attention et orientera de façon plus insistante vers l’usage de produit chimique. Il apparaîtra alors que les accompagnants ont plus ou moins tenu cette information cachée. En effet, la petite Salimata avait ingurgité plusieurs comprimés de phénobarbital qui était prescrit à sa mère pour une épilepsie dont souffre cette dernière.

7Au sortir de son coma Salimata, avoua son geste en le justifiant par le besoin de ne plus retourner chez une tante où elle venait de passer une année scolaire, dans une autre ville du pays. Elle avait été « confiée » à celle-là selon une habitude culturelle familiale qui voudrait qu’elle soit séparée de sa mère pour vivre chez son homonyme. Quand le pédiatre lui explique le risque mortel auquel elle vient d’échapper, Salimata lui rétorque qu’elle préfèrerait mourir plutôt que de retourner là-bas, loin de sa famille d’origine. Elle « ne regrette pas son geste et serait prête à recommencer ». Cette attitude inquiétante poussa à faire intervenir rapidement le psychiatre.

8Salimata est la troisième d’une fratrie utérine de quatre. Sa mère est actuellement avec son troisième époux après deux séparations difficiles. Le père de Salimata qui était le deuxième mari serait parti inopinément alors que celle-ci était âgée d’environ six mois. La mère croit avec peu de certitude qu’il aurait émigré vers le Mali. Elle avoue surtout qu’il ne s’occupe pas de sa fille contrairement au premier époux qui envoie un peu d’argent. C’est son mari actuel qui prend toute la famille en charge. Ce dernier qui est revenu à la consultation insiste sur le fait qu’il veut aider sa belle fille qu’il considère comme sa propre fille. Il aurait insisté pour qu’elle ne retourne pas chez sa tante. Cependant, malgré ces bonnes intentions, nous constatons une rupture inopinée du suivi. En effet, Salimata ne reviendra plus à la consultation malgré les rappels d’ailleurs inhabituels des différents rendez-vous par le secrétariat.

Discussion

9Elle devait ainsi appartenir à la famille de celle-là (la tante). Devrait-on dire plutôt qu’elle devait rejoindre cette partie de sa famille élargie et témoigner, de la sorte, de la véritable étendue de celle-ci. Et c’est cela aussi le désir des adultes qui ont « droit sur elle » et qui doivent respecter la coutume ou les traditions. Ainsi pourrait se résumer l’avenir de la petite Salimata. Mais cette situation pose notamment la question de la prévalence des suicides et fait discuter leur relative rareté.

Qu’en est-il vraiment de la supposée rareté des suicides au Sénégal ?

10En effet, il n’existe pas de statistiques fiables en matière de suicide au Sénégal. Et comme dans de nombreux pays en développement les registres de décès dans les structures de santé sont souvent mal tenus. Les moyens pour faire la preuve du genre de mort ou de la prise de produits toxiques sont rarement disponibles. De plus, en matière de suicide, le tabou prévaut pour plusieurs raisons dont notamment les prescriptions religieuses qui bannissent formellement ce comportement et jettent dans le cadre de l’islam l’opprobre sur le défunt et parfois sa famille. Il va de soi donc que peu de personnes sont enclins à déclarer le suicide d’un proche ou d’un parent. Les risques de travestir les causes de la blessure ou du décès sont démultipliés d’autant plus qu’il n’y a pas beaucoup de témoins. Sylla et al. [16] rappelle l’ensemble des rites qui semblent confirmer la séparation définitive de l’individu du groupe lorsque le sujet quitte volontairement la vie (ne méritant plus en être un membre).

11Dans le cas de Salimata, les médecins ont été d’emblée loin de se douter d’une conduite suicidaire chez cette petite fille qui ne semblait pas manquer de soutien dans son entourage. Les causes de son coma barbiturique auraient pu passer inaperçues si elle n’avait pas été traitée en milieu hospitalier. Les accompagnants ont essayé tant bien que mal de dissimuler cet aspect, rendant à la limite hasardeuse la prise en charge. N’eut été l’évolution clinique satisfaisante ayant permis à la patiente de dire ce qui s’était passé, l’étiologie de ce coma resterait encore probablement imprécise avec l’impossibilité matérielle actuelle de rechercher des toxiques dans le sang au sein de notre hôpital.

12Une certaine évolution est cependant à noter avec la divulgation de plus en plus fréquente de situations de meurtres, de sévices ou de suicides dans les médias. La question se pose alors de savoir sil l’on est devant un accroissement des phénomènes de violence contre les autres ou envers soi-même, ou si c’est seulement un meilleur accès aux informations qui concernent notre société et le vécu quotidien de nos concitoyens.

13Nous pouvons considérer que les suicides aussi bien chez les adultes que chez les enfants et les adolescents ne sont pas aussi rares dans notre pays que certains veulent bien le croire. Des dispositifs diagnostiques plus incisifs permettraient certainement de mieux les répertorier.

14Sur le plan médical, le professionnel est dans tous les cas obligé de prendre en compte la gravité du problème et de mettre en place des mesures appropriées pour réduire les conséquences sur la santé des populations. En ce qui concerne le pédopsychiatre clinicien, l’obstacle majeur est de vaincre le tabou dans le cadre du colloque singulier ou dans les entretiens familiaux. Par la suite, se posent toutes les questions relatives à la mise en évidence des éléments psychopathologiques, à l’accompagnement du suicidant et à la prise en charge préventive des tentatives de suicides et de leurs récidives.

Quels sont les facteurs qui confortent le tabou sur le sujet du suicide au Sénégal ?

15Le caractère encore tabou du suicide rend difficile l’accès à certaines informations sur le sujet. Cela repose toutefois sur un ensemble de facteurs qui tiennent du niveau individuel, familial et/ou social.

16Sur le plan individuel, chacun de nous, parent ou enfant, a appris à se taire sur le sujet et ce d’autant plus que nous sommes plus ou moins directement concernés. Le suicide évoque la mort et pour ainsi dire nous confrontons à la peur de cet événement douloureux. Quand il s’agit d’un enfant sénégalais, les adultes lui ont souvent interdit de jouer avec l’idée de la mort ou d’en parler. De plus, pour un adulte, l’enfant suscite souvent l’espoir d’une vie naissante, pleine de promesses ; la mort est un objet lointain. Par ailleurs, la mort des autres nous fait évoquer notre propre mort et cela d’autant plus que celui qui vient de décéder est plus jeune. Différents sentiments désagréables de peur, de tristesse, de honte ou de culpabilité tendent à nous envahir à l’évocation de mort, particulièrement dans les conditions du suicide, et nous contraignent à fuir le discours sur le sujet. Dans l’esprit d’un superstitieux, cela pourrait d’ailleurs être un mauvais présage. Pour un croyant musulman, la religion impose de ne pas mettre sa propre vie en péril ; ce serait un pêché énorme. Et si la mort s’en suivait, on encoure un risque d’être exclu de la communauté des croyants et de subir les pires sanctions dans l’au-delà (refus de la sépulture et de la prière mortuaire).

17Sur le plan familial, la tentative de suicide d’un parent ou d’un membre de la fratrie nous confronte à notre responsabilité ou notre rôle familial de protection, entre autres, des uns vis-à-vis des autres. Le suicide d’un proche vient aussi parfois lever le voile sur les conditions jusque là obscures de la mort d’un ancêtre. Ainsi, paradoxalement le tabou délie d’un secret familial. C’est pour la même raison que toutes les forces risquent d’être orientées pour empêcher l’éclosion de la vérité sur les conduites suicidaires d’un membre de la famille. Pour les parents, le suicide d’un enfant renvoie à la qualité de la fonction parentale. Ainsi, se voient-ils incompétents, disqualifiés ? Ceux qui ont souvent la responsabilité de la garde d’un enfant, que ce soit des parents ou des professionnels [3] se sentent souvent coupables des accidents qui lui surviennent. Autant ne pas y croire et parfois de façon inconsciente, les causes réelles des symptômes ou du décès ne sont pas reconnues.

18Dans le cas de Salimata, l’attitude dissimulatrice des parents peut relever de ses différentes significations. Mais dans tous les cas, elle révèle surtout l’incapacité de la famille à assurer actuellement un cadre sécurisant à l’enfant. C’est pour cette raison, qu’il est important de prendre en compte l’ampleur du risque de récidive ou de réussite d’une prochaine tentative de suicide.

19Sur le plan social, dans la société sénégalaise, l’acte suicidaire s’associe à une intolérance largement partagée, du fait surtout de la pression religieuse. Dans son article [11] sur la mort et l’altérité, le sociologue sénégalais rappelle que le suicide est une des formes de la mort chez les wolofs qui provoquent l’horreur et pourrait être lié aux influences des génies malfaisants. Il note qu’en Afrique, l’acte suicidaire est provoquant, scandaleux et monstrueux. La mort par suicide conférerait au sujet une mauvaise qualité par la souillure extrême, la contagion, le désir de vengeance, le mauvais sort auquel il exposerait sa communauté. Cela justifierait les funérailles escamotées ou faites dans la clandestinité dans de nombreux pays africains. Selon le même sociologue, des croyances assez proches ont été relevées par Lévi-Strauss en Europe.

20Toutefois, il faut reconnaître que dans certains groupes ethniques au Sénégal, certaines situations d’affronts ou de déshonneurs entraînent presque irrémédiablement des suicides notamment chez les sérères adultes. Ce groupe ethnique est cependant longtemps resté accroché à la culture païenne et n’a été infiltré que peu à peu par l’islam et le christianisme. Dans un passé assez récent, il était fréquent d’entendre dans des villages du centre du pays, des situations de pendaisons et de précipitations dans des puits très profonds pour « laver » un affront personnel ou familial. Il s’agit du suicide d’honneur décrit dans les travaux de Collomb. Par ailleurs, l’incidence de l’appartenance religieuse sur le suicide a été montrée depuis longtemps par Durkheim, mais ce facteur est généralement associé à d’autres tels que l’ethnie ou l’intégration à une communauté [5].

21La rareté des suicides chez les enfants de moins de dix ans justifie probablement le peu d’écrits traitant spécifiquement du thème chez l’enfant. Toutefois, la difficulté marquée chez l’adulte de reconnaître la dépression chez les enfants peut également se conjuguer avec celle de mettre en évidence le caractère suicidaire de certains de leurs accidents.

22Le passage à l’acte suicidaire constitue parfois une véritable menace pour la cohésion familiale notamment quand celle-ci repose sur le secret, la loyauté, le silence concernant des transgressions, des histoires ou des informations honteuses impliquant un des membres. En effet, en confrontant la famille à cet événement spectaculaire et bruyant, l’enfant suscite des interrogations sur l’organisation et le fonctionnement familial et invite le regard inquisiteur de l’extérieur. C’est encore une des raisons qui font que l’entretien avec la famille ou le suivi de l’enfant peut se révéler particulièrement aléatoire dans le cadre des soins de santé.

Quel est le vécu aussi désespérant qui aurait conduit Salimata à passer à l’acte suicidaire ?

23Freud, cité par Cosseron et Buferne, insistait sur la seule causalité reconnue au suicide de l’enfant, en disant que c’était le désespoir de n’être jamais aimé [3]. Salimata est une enfant qui, à l’instar de beaucoup de jeunes filles sénégalaises, a été confié dans le cadre d’une conjoncture culturelle séculaire, ce qui l’éloigne de sa mère biologique. Le « confiage » d’enfants, que l’on peut retrouver sous les termes de dons, d’échange, de placement est une pratique ancienne en Afrique de l’Ouest et décrite par des anthropologues, démographes et sociologues [18]. Il s’agit du fait de placer un enfant dans une autre famille, loin de ses géniteurs. Si ceux qui ont décrit ce phénomène s’accordent pour reconnaître comme une des fonctions de cette pratique le resserrement des liens familiaux, elle peut aussi obéir à une logique éducationnelle ou scolaire. En effet, un enfant peut être confié à une autre famille lorsqu’on se rend compte que ses parents ne peuvent pas l’éduquer. Par ailleurs, l’enfant peut aussi vivre dans une famille différente de la sienne si celle – ci est plus proche d’une école où il a été admis. Ainsi pour de simples raisons de commodités matérielles, la confiance peut être imposée à un enfant qui en souffrira terriblement sur le plan affectif.

24Ce « confiage » semble vécu par Salimata comme une souffrance. Mais auparavant, il lui manquait déjà ne pas profiter de l’attention aimable de son père qu’elle n’a pas revue depuis qu’elle était nourrisson. Tout cela lui offre l’occasion de douter de sa capacité à être aimable, chérissable par ses parents et peut être par d’autres personnes. Ce qui peut être à l’origine d’un profond désespoir. Mais son passage à l’acte pourrait aussi s’inscrire dans le cadre d’un défi, d’une opposition active à la décision familiale voire d’un chantage affectif. À ce propos, Le Moal, cité par Ey, fait une distinction fondamentale avec la véritable tentative de suicide. Pour l’auteur, le chantage au suicide c’est la menace ou la tentative de suicide formulée ou exécutée sans conviction, avec l’arrière pensée plus ou moins consciente de tromper et d’influencer le milieu, tandis que la vraie tentative de suicide se caractérise par le fait que l’enfant envisage la mort parce que la vie lui est plus ou moins consciemment insupportable. Si nous tenons compte des éléments sommaires fournis par le discours de l’enfant, nous sommes tentés de pencher pour le deuxième point de vue. De plus, les conditions de vie de Salimata sont peu enviables. Cependant ce désir de mort est difficilement envisageable aussi bien par la famille que par certains professionnels. Ainsi, certains auteurs ont remis en question la notion de conduite suicidaire chez l’enfant étant donné la non-existence du concept de mort jusqu’à un certain âge ou selon son niveau de maturation quant à la question [4]. De son côté, Flavigny [6] cité par Tedo PP suggère de laisser entière cette difficulté conceptuelle propre à la situation de l’enfant qui rend incontestablement difficile l’évocation libre et sans tabou du suicide infantile. De nombreuses familles préfèrent imaginer un accident ou une maladie plutôt que d’envisager un désir de mort chez leur enfant. Il existe parfois un déni très actif à leur égard pour éviter le sentiment d’être mauvais parents. La persistance des conflits qui mine les rôles parentaux et l’espoir des enfants de s’en sortir un jour représente un puissant facteur retrouvé dans de nombreuses études quel que soit l’origine socioculturelle des patients, tandis que les antécédents psychiatriques sont rares [1, 15-17].

25La prise en compte de la réalité concrète du milieu familiale a été pointée par certains auteurs [9] pour distinguer les tentatives de suicide de l’enfant de celles des adolescents. Ce qui les différencie, c’est que dans le premier cas, le but qui est tourné vers le désir de se réapproprier l’entourage affectif et non pas de s’en dégager comme chez l’adolescent. C’est aussi et de façon archaïque, un désir d’éviter, de fuir une situation insupportable. Pour Teddo, la tentative de suicide chez l’enfant est le type même du passage à l’acte désespéré [17]. Salimata nous apparaît ainsi comme une petite fille dont la situation familiale est sur le plan matériel désespérante pour elle. Son acte semble démontrer le profond besoin de l’enfant de se sentir entouré, sécurisé, aimé dans une famille plus stable et dont les conflits offrent plus d’espoir quant à leurs issues. Il faut toutefois retenir que le caractère purement conscient et volontaire de cet acte ne peut être affirmé de façon unilatérale. La participation inconsciente nous paraît d’ailleurs majeure voire prépondérante, au moins au moment même du passage à l’acte.

L’évolution socioculturelle de nos familles d’aujourd’hui expose-t-elle les enfants à plus de risque de dépression ou de suicide ?

26Tout porterait à croire qu’aujourd’hui les enfants dakarois ne vivent pas mieux dans les maisons qu’en dehors. Il suffit de constater le nombre croissant d’enfants dans les rues, la multiplication des garderies d’enfants, l’accroissement des troubles psychiques et comportementaux à cet âge mais aussi la précocité d’apparition de ces troubles. Cette situation notée pour la capitale pourrait être considérée comme celle qui prévaut dans la majorité des familles sénégalaises, du fait que la prétention de plus en plus de ruraux est de vivre comme les citadins. La grande cour des maisons et les espaces publics des quartiers tendent à disparaître réduisant ainsi les possibilités pour les groupes d’enfants de partager leurs jeux et certains apprentissages sociaux à proximité ou sous le regard de leurs parents et grands-parents. Ceux-ci pourraient d’ailleurs continuer leurs activités au domicile tranquillement. Ce sont des institutions privées (crèches, garderies, clubs, parcs d’attractions…) qui se sont érigée à la place offrant du même coup peu de liberté ou de créativité sur l’initiative du parent. Ce sont également d’autres personnes, des étrangers, des professionnels parfois qui sont chargés d’égayer les enfants et parfois même les parents. Les frontières entre les générations mais aussi le familial et l’extrafamilial s’estompent. Ce qui entraîne parfois confusion et insécurité pour les enfants. Quand les parents ne peuvent pas apporter plus de cadre et d’étayage, le risque de troubles psychiques et notamment de dépression chez l’enfant nous parait important. Le passage à l’acte suicidaire semble quant à lui s’inscrire dans une tendance globale à la facilitation des expressions par des comportements violents. L’explosion de troubles comportementaux divers chez des enfants de plus en plus jeunes mérite toute notre attention et cela d’autant que cela participe à un cycle de violence qui inclut divers acteurs sociaux. Au Burkina Fasso, une analyse des facteurs de risque met un accent particulier sur la part de l’environnement familial et social, concernant des tentatives de suicide chez un adulte jeune de 24 ans [12]. Dans la même période, Kone s’interroge sur ce qui s’est passé pour que le suicide apparaisse dans le contexte africain comme une forme majeure d’expression [8].

27On note ainsi que malgré la désapprobation sociale considérable dans la zone africaine, de nombreux auteurs reconnaissent depuis quelques décennies l’accroissement du nombre de suicide chez les jeunes [2, 10, 13, 14]. En France, Golse notait également un certain accroissement des tentatives de suicide et posait le problème de l’extension de la pathologie suicidaire [7]. Dans bien d’autres régions du monde, cette croissance du nombre de suicide est notée. Ce qui justifie de prendre en considération bien d’autres facteurs que la famille simplement. Nous notons cependant que ce qui tend à être le plus partagé dans le monde d’aujourd’hui est la solitude, du fait d’un individualisme croissant qui gagne de plus en plus de terrain, dans toutes les cultures et dans toutes les familles. Les nouveaux modes de regroupement ou d’appartenance ne semblent pas suffisamment aptes à remplacer le modèle de la famille fondée comme base de la sécurité et de l’épanouissement individuel.

Comment améliorer la prise en charge de tels drames dans notre hôpital ?

28L’amélioration de la prise en charge mérite la prise en compte de certaines particularités comme le niveau du plateau technique et l’organisation par rapport au dispositif régional ou national, d’une part, le cadre du passage à l’acte, la disponibilité d’un service de liaison pédopsychiatrique. Dans notre hôpital, nous pouvons estimer qu’il y’a plus de situations de suicides que cela n’a été jusque là constaté. En effet, ce n’est pas encore un réflexe médical quand on sait que la majorité des tentatives reconnues sont évacués dans un autre hôpital qui dispose actuellement de plus de moyens pour faire face à l’urgence. Il est donc important de faire l’hypothèse d’une conduite suicidaire suffisamment tôt pour prévenir la survenue d’accident plus grave. Cela conduit à être attentif au discours de l’enfant ou de l’adolescent pour repérer les idées de mort, de « néantisation », de suicide…

29La réalisation fréquente de la tentative de suicide au domicile est notée par Sylla et al. [16]. Ce qui offre souvent comme premiers interlocuteurs des soignants les autres membres de la famille. La qualité de la famille, les conflits et les carences qui y sont notés dans ces conditions obligent l’intervenant à beaucoup plus de circonspection. Une écoute attentive doit ainsi être portée à l’endroit de l’enfant comme de la famille. La restauration des capacités d’étayage de celle-ci quand cela s’avère possible peut être le premier jalon de la prévention des récidives.

30La tentative de suicide se révèle comme une véritable urgence psychiatrique même si le psychiatre intervient en « seconde main » [5] et souvent il lui est juste demandé un avis. Pourtant la gravité de la tentative de suicide induit la nécessité de prendre en charge à plus ou moins long terme le jeune suicidant et parfois sa famille. Dans la dynamique de la situation, il se peut alors qu’il ne s’agisse plus d’un état de crise, car la tension ayant habituellement conduit à la tentative de suicide s’abaisse de façon importante pour le jeune au moins. Ce qui peut aussi permettre un remaniement dans l’histoire des faits et occulter certains enjeux propres à la dynamique familiale. L’implication du psychiatre dès les premières heures de l’intervention, en situation d’urgence, peut être utile, pour apporter le soutien nécessaire à la famille et la prise en compte d’informations cruciales pour une meilleure prise en charge de l’enfant et de sa famille.

31Toutefois, quand la situation de tentative de suicide n’a pas été rapidement élucidée, comme cela peut être le cas, devant des symptômes moins dramatiques. Ce sont les signes de dépressions, les idées de mort ou de suicide qui doivent alerter. Le diagnostic et la prise en charge corrects des états dépressifs est une mesure importante dans le cadre des suicides, particulièrement ceux des enfants et des adolescents.

32Dans le cas de Salimata, l’usage des barbituriques pour la tentative de suicide est très dangereux par le risque d’une apnée brusque ou d’une dépression respiratoire avant même les signes propres d’intoxication. C’est aussi pour cette raison qu’il est important de rappeler aux familles la nécessité du respect scrupuleux des règles interdisant l’exposition des médicaments et autres produits dangereux à la portée des enfants. Bien d’autres éléments, de cet ordre, qui rentrent dans le cadre de la prévention des accidents domestiques peuvent aussi être utiles à l’égard des enfants.

Conclusion

33Les tentatives de suicide et les suicides chez les enfants peuvent être beaucoup plus fréquents qu’on ne le considère généralement. Dans notre contexte, les facteurs qui s’opposent à une meilleure évaluation des situations sont nombreux et marqués par le tabou, par les faibles capacités d’organisation et de fonctionnement des structures sanitaires, ainsi que par la complexité de l’évolution des familles.

34Des situations difficiles à évaluer comme c’est le cas de Salimata seront certainement plus fréquentes dans les structures auxquelles ne recourent pas systématiquement les familles dans les cas plus évidents. C’est pour cette raison que les difficultés de prise en charge gagnent à être réduites par la mise en place d’interventions rapides et plus ou moins prolongées de liaison pédopsychiatrique. Les risques de récidives ou de retentissement sur les capacités développementales de l’enfant sont à prendre au sérieux.

35Conflits d’intérêts: aucun.

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Mots-clés éditeurs : culture, prise en charge, cas clinique, épidémiologie, enfant, tentative de suicide, Sénégal, religion

Mise en ligne 15/11/2012

https://doi.org/10.1684/ipe.2011.0793

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