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Article de revue

Trauma et psychose : quelles pistes neurobiologiques ?

Pages 505 à 511

Notes

  • [1]
    Université de Lausanne, Département de psychiatrie CHUV, Clinique de Cery, 1008 Prilly, Switzerland
    <Philippe.Conus@chuv.ch>

Introduction

1Schizophrénie ou psychose, traumatisme et neurosciences, des conceptions appelant différentes modélisations et dont il s’agit de déterminer les liens. Il y a plus d’un siècle, Kraepelin définit la démence précoce et ses limites, évoquant dans le sillage du courant organiciste, l’étiologie cérébrale de ce qu’il conçoit comme une dégénérescence, hypothèse contestée par la suite. Bien que reprenant les limites nosologiques mentionnées, Bleuler relativise l’importance du critère évolutif et met en exergue les caractéristiques psychopathologiques génératrices des troubles, désormais qualifié de groupe des schizophrénies. Bien qu’acceptant l’hypothèse d’une origine organique, il y accorde peu d’importance dans son œuvre. Si l’étiologie et l’étiopathogénie de ces troubles n’y sont abordées qu’en fonction des connaissances biologiques rudimentaires de l’époque, et si leur héritabilité est déjà mise en évidence, l’association entre schizophrénie et antécédent traumatique n’y est en revanche pas mentionnée.

2Ce sont les psychanalystes, parmi lesquels Freud et Ferenczi, qui les premiers vont évoquer l’éventualité d’un lien de causalité entre traumatisme et psychose. Toutefois, ils ne recourent pas à la nosographie de l’époque, privilégiant une terminologie psychanalytique. D’autres théories s’élaborent à ce sujet, au cours du XXe siècle, avec l’apport des sciences cognitivo-comportementales. Enfin, l’épidémiologie et la neurobiologie complètent peu à peu la compréhension de cette association. Ainsi, différentes modélisations sont suggérées, dont la pertinence reste cependant encore à vérifier.

3En préambule, il convient de préciser que la littérature sur ce sujet se réfère tantôt à la psychose, tantôt à la schizophrénie. En dépit de l’importance de ne pas confondre ces deux termes, nous rapportons dans cet article les résultats de travaux qui se sont focalisés aussi bien sur l’une que sur l’autre de ces entités.

4L’ensemble des recherches conduites à ce jour convergent pour suggérer que la survenue d’une schizophrénie résulte de l’interaction de divers éléments et que cette maladie est donc d’origine multifactorielle. Parmi les principaux facteurs dont on suspecte qu’ils favorisent le développement de la maladie, on retient avant tout les complications obstétricales, les atteintes pré et périnatales (carences nutritionnelles, hypoxie) et les éléments génétiques. Il apparaît cependant que si la présence de ces facteurs confère une vulnérabilité accrue au développement de la maladie, sa survenue nécessite souvent l’action sur ce terrain de facteurs de stress. Ainsi, la vie en milieu urbain, la migration, la survenue d’événements traumatiques ou encore la discrimination sociale sont autant d’éléments susceptibles de favoriser l’apparition du trouble. Ce concept est clairement exprimé par Zubin et al. [21] dans le cadre du modèle stress-diathèse, et cette réflexion est poursuivie plus récemment dans le domaine de l’interaction entre gènes et environnement par des auteurs tels que Van Os par exemple [16].

5Récemment, Read et al. [7, 8] ont cependant relevé une dérive dans la lecture de ce modèle, dérive qui a conduit à retenir comme facteurs de risque surtout des éléments biologiques alors que les facteurs de stress, dont font partie les événements traumatiques, sont relégués au seul rang de facteurs déclenchants. La littérature suggère cependant que la survenue de traumatisme au cours de l’enfance ou de l’adolescence peut en soi constituer un facteur de vulnérabilité et générer chez le patient un risque accru de développement ultérieur d’une schizophrénie ou d’un trouble psychotique. Ce lien entre trauma et vulnérabilité augmentée à la psychose est suggéré aussi bien par des données épidémiologiques que par des modèles neurobiologiques qui seront discutés ci-dessous.

Aspects épidémiologiques

6Depuis quelques années, des études épidémiologiques de grande ampleur ont été menées afin d’examiner l’hypothèse d’une association entre un antécédent de traumatisme psychique survenu au cours de l’enfance ou l’adolescence et la manifestation d’une schizophrénie ou d’un trouble psychotique. Un large consensus se dessine quant à l’existence de ce lien, cela en dépit de quelques critiques et d’une étude en particulier [12] qui conteste les résultats, habituellement convergents, exposés plus bas. En revanche, la compréhension et le caractère potentiellement causal de cette association demeurent peu clairs voire controversés.

7Bebbington et al. [1] ont conduit une large étude rétrospective sur 8 580 sujets issus du British National Survey of Psychiatry Morbidity. Les atouts de cette recherche sont la grandeur de son échantillon et le contrôle démographique dont elle est l’objet. Les résultats documentent qu’au sein du groupe d’individus présentant une psychose, 34 % rapportent un abus sexuel, 46 % des intimidations scolaires, 38 % des violences domestiques au sein du foyer familial. Par ailleurs, il est mis en évidence que la prévalence de traumatisme observée chez ces derniers est supérieure à celle observée chez les patients souffrant de troubles névrotiques ou de dépendances à l’alcool et aux stupéfiants. Une faiblesse de l’étude découle de l’absence de datation de l’abus, suggérant un biais méthodologique par lequel des patients peuvent déclarer antérieur un événement plus récent que présumé. En conclusion, les auteurs considèrent néanmoins que cette prévalence élevée d’antécédents de trauma chez les patients souffrant de psychose suggère que de tels événements pourraient augmenter le risque de développer un tel trouble.

8Janssen et al. [4], quant à eux, ont évalué de manière semi-prospective l’impact d’un antécédent de trauma sur le développement ultérieur de symptômes psychotiques. Un échantillon de 4 045 sujets extraits de la population générale en Hollande, âgés de 18 à 65 ans et chez lesquels on avait exclu tout diagnostic de psychose ont été interrogés, entre autre sur leur exposition dans l’enfance à des abus émotionnels, physiques, psychologiques ou sexuels. Lors d’une seconde évaluation conduite 2 ans plus tard, les auteurs ont observé que le développement dans l’intervalle d’une symptomatologie psychotique était significativement plus fréquente chez les sujets qui avaient subi des traumatismes dans l’enfance, mais aussi qu’elle était d’autant plus marquée que les traumatismes avaient été graves et répétés, suggérant ainsi une relation « dose-effet ».

9Ce résultat a été reproduit par Spauwen et al. [13] dans une étude longitudinale (en moyenne 42 mois) sur un échantillon de 2 524 jeunes âgés de 14 à 24 ans, interrogés en début d’étude sur la survenue, avant ou après l’âge de 13 ans, d’une liste de neuf traumatismes possibles. Les symptômes psychotiques, quant à eux, étaient mesurés sur une échelle distinguant trois degrés d’intensité. Les auteurs ont observé qu’un antécédent de traumatisme était associé avec l’apparition de symptômes psychotiques au cours du follow-up et ont confirmé la présence d’un « effet dose-dépendant » du traumatisme.

10Comme mentionné plus haut, l’association suggérée ci-dessus est cependant contestée par certains auteurs. Ainsi, Spataro et al. [12] ont réalisé une étude prospective portant sur 1 612 cas avérés d’abus sexuels subis dans l’enfance et déclarés aux autorités. Comparant la morbidité psychiatrique de ces sujets à celle de la population générale, ils ont abouti à la conclusion que les victimes d’abus ne présentaient pas un risque supérieur de développer un trouble schizophrénique, remettant ainsi en question l’hypothèse d’une association. Néanmoins, cette étude a suscité de nombreuses critiques. D’une part, l’échantillon de contrôle est potentiellement biaisé par des victimes d’abus n’ayant pas déclaré un traumatisme pourtant survenu ; d’autre part, d’un point de vue strictement méthodologique, les âges de comparaison ne sont pas équivalents ce qui altère le résultat, considérant que l’apparition des symptômes schizophréniques a lieu au début de l’âge adulte, tandis que la population générale recouvre un plus large éventail en terme d’âges, l’échantillon contrôle n’ayant pas été ajusté. Enfin, ne prenant en compte que les cas avérés et déclarés aux autorités, on ne considère pas l’impact qu’a cette déclaration officielle et les soins qui en ont résulté, que ce soit une prise en charge psychologique ou encore le retrait du foyer familial en cas d’inceste ou de violence domestique. Aussi les conclusions de cette étude sont-elles fortement contestées.

11Dans une récente revue de littérature, Morgan et Fischer [6] ont noté que les diagnostics retenus dans les recherches épidémiologiques, dont celles mentionnées ci-dessus, sont trop hétérogènes pour affirmer l’existence d’une association claire entre traumatisme et psychose. Ils relèvent également que les échantillons sont disparates et que les définitions du traumatisme varient d’une étude à l’autre. Ainsi, certains aspects méthodologiques des études épidémiologiques conduites jusqu’à ce jour limitent considérablement les possibilités de conclure de manière ferme à un lien entre exposition à un traumatisme dans l’enfance et survenue ultérieure d’un trouble psychotique en général ou d’une schizophrénie en particulier.

Aspects neurobiologiques du traumatisme

12En dépit de la complexité des mécanismes en jeu et d’incertitudes persistant à ce jour, le modèle hypothétique le plus communément admis pour expliquer l’impact neurobiologique du traumatisme et sa traduction en termes neurophysiologiques, est celui qui implique la réponse au stress via l’activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et son interaction avec la neurotransmission dopaminergique. D’autres pistes sont en cours d’élucidation et ne constituent, à ce jour, que des hypothèses préliminaires. Leur mention permet néanmoins de se figurer les défis actuels. Parmi ces pistes, mentionnons l’épigénétique avec l’étude de l’interaction des gènes et de l’environnement. Ces dernières hypothèses portent sur des enzymes intervenant dans le métabolisme de la dopamine et dont le polymorphisme est susceptible, via l’intervention d’éléments exogènes comme le traumatisme psychique, d’induire un dérèglement dopaminergique et, par conséquent, l’apparition de symptômes psychotiques.

Axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien

13La possible implication de l’axe hypothalamo-hipophyso-surrénalien dans le développement d’un trouble psychotique pourrait s’inscrire dans le cadre de modifications structurelles et fonctionnelles des éléments suivants : des altérations morphologiques de l’hippocampe dont le rôle inhibiteur est compromis, une sensibilité accrue au facteur de stress avec une réactivité neurobiologique augmentée, ainsi que l’interaction entre les corticoïdes et la dopamine [19].

14Diverses études ont démontré que les individus soumis à un stress ordinaire (prendre la parole en public par exemple) ou sévère (un abus sexuel) présentent une élévation de la sécrétion et du taux sanguin de cortisol, illustrant ainsi l’implication de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien dans la réponse au stress. Chez le sujet normal, la stimulation de l’organisme ou du psychisme par le stress va occasionner une cascade de réactions endocrines. Dans un premier temps, l’hypothalamus sécrète la corticotropine-releasing-hormone (CRH), hormone médiant la réaction au stress et coordonnant la réponse comportementale et hormonale. Celle-ci va stimuler l’hypophyse qui, à son tour, sécrète l’adrenocorticotropic hormone (ACTH), dont la cible est la glande surrénalienne qui synthétise et excrète des corticoïdes dont l’action systémique permet une adaptation au stress en ciblant la fonction cardiaque, le métabolisme et l’immunité.

15De plus, les corticoïdes vont également interagir avec des récepteurs neuronaux centraux modulant la neurotransmission, avant tout au niveau de l’hippocampe (qui présente un grand nombre de récepteurs aux corticoïdes) et du cortex frontal ; ces deux centres jouent ainsi un rôle central dans la régulation de la sécrétion surrénalienne, en exerçant une action inhibitrice. Chez le sujet normal, le taux de cortisol augmente lors de la confrontation à un stress aigu. Un processus d’habituation s’installe dans un second temps, avec diminution de la réactivité biologique en cas d’expositions répétées, qui ne génère progressivement plus une sécrétion de corticoïde aussi marquée que lors de la première exposition.

Altération de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien chez les patients schizophrènes

16Un ensemble d’éléments suggèrent cependant une perturbation du fonctionnement de cet axe chez les patients atteints de schizophrénie, évoquant ainsi la possible implication d’une telle perturbation dans la survenue des symptômes de la maladie. Premièrement, plusieurs études ont mis en évidence des particularités touchant le métabolisme des corticoïdes chez les patients schizophrènes. Ainsi, il a été noté que le taux basal de cortisol dans le sang est supérieur chez les patients schizophrènes que chez les individus contrôles. Deuxièmement, tout comme certains patients dépressifs, ils peuvent présenter une absence de réponse au test de suppression par la dexamethasone, ce qui suggère chez eux un dérèglement chronique de ce système [5]. Troisièmement, il a récemment été observé que le taux de cortisol sanguin varie en fonction de la prescription ou non d’un traitement neuroleptique atypique ou de la consommation de stupéfiants agonistes des récepteurs dopaminergiques, ce qui suggère un lien entre ces deux systèmes. Enfin, des maladies systémiques associées à une hypercortisolémie, comme par exemple le syndrome de Cushing, peuvent s’accompagner de symptômes psychotiques.

Phénomène de sensibilisation et altération morphologique de l’hippocampe

17Comme mentionné, la réaction initiale au stress est suivie, dans un second temps, par un processus d’habituation avec une diminution subséquente du taux de cortisol sanguin. Cependant, si le facteur de stress est suffisamment intense ou si l’individu est particulièrement vulnérable, une réaction inverse, dite de sensibilisation, peut survenir : une exposition répétée à différents facteurs de stress, même de moindre gravité, se solde par une augmentation ou une intensification de la réponse neurobiologique par rapport aux expositions précédentes. Ce phénomène repose sur une réactivité accrue de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien dans le cadre de l’insuffisance de la rétro-inhibition par l’hippocampe, phénomène qui à son tour peut conduire à une augmentation de la production de dopamine par un mécanisme qui sera décrit plus loin.

18Les mécanismes expliquant que l’expression neurobiologique d’un traumatisme infantile puisse persister à l’âge adulte sont de deux ordres. Premièrement, des lésions organiques faisant suite à des complications pré ou périnatales, peuvent altérer la morphologie de certaines structures cérébrales, entre autres l’hippocampe, entraînant ainsi une perturbation du fonctionnement de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Deuxièmement, un traumatisme particulièrement sévère peut induire une augmentation de la sécrétion de cortisol initialement fonctionnelle, mais qui, si elle est maintenue, peut à son tour provoquer des altérations de certaines structures cérébrales [18].

19Dans le cas d’un traumatisme précoce, de telles modifications morphologiques peuvent déboucher sur un phénomène de sensibilisation augmentée. En effet, un taux élevé persistant de corticoïdes peut se révéler neurotoxique, par l’intermédiaire d’une augmentation de glutamate, entre autre sur l’hippocampe qui présente un nombre élevé de récepteurs corticoïdes. Des études animales ont ainsi mis en évidence une diminution des dendrites, une vulnérabilité neuronale et une mort cellulaire augmentée sous l’effet des corticoïdes. Par ailleurs, des études sur le modèle animal ont montré que des facteurs de stress prénataux (carences nutritionnelles, hypoxie) occasionnent des altérations de l’hippocampe (diminution de son volume par exemple) compromettant ainsi la modulation du fonctionnement de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, augmentant ainsi la vulnérabilité face aux facteurs de stress postnataux.

Interaction entre l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et l’activité dopaminergique

20À côté des modifications structurales que l’exposition au stress peut entrainer au niveau de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrenalien, elle exerce également une influence sur le métabolisme dopaminergique, en affectant la synthèse de la dopamine, sa recapture et la sensibilité de ses récepteurs membranaires. L’existence d’une synergie d’activité entre dopamine et corticoïdes demeure incertaine. En revanche, il est vraisemblable que l’influence des corticoïdes sur le système dopaminergique s’exerce entre autres par leur action stimulatrice sur l’activité d’une enzyme clé (la tyrosine hydroxylase) dans la production de catécholamines, intervenant dans la production de dopamine. Aussi, le stress élève-t-il non seulement le taux de cortisol, mais aussi le taux de dopamine. L’hypothèse dopaminergique [3] restant une hypothèse vraisemblable pour expliquer l’apparition des symptômes schizophréniques, tout phénomène qui en altère la production est susceptible de jouer un rôle dans le développement de la maladie.

Interaction gène-stress dans la psychose

21Une autre piste susceptible de saisir l’interaction entre le stress et la psychose est l’interaction entre les influences génétiques et la survenue de traumatisme, de nature à expliquer la différence dans les réponses variées à des facteurs de stress similaires. Bien que la littérature à ce sujet soit rare, il est important de mentionner ces nouvelles hypothèses [11, 17].

Catecholamine-O-transferase

22L’hypothèse de cette interaction postule un lien entre des gènes spécifiques et la sensibilité au stress. L’un des gènes candidat est celui codant la catecholamine-O-transférase (COMT), enzyme impliquée dans le catabolisme de la dopamine, particulièrement dans le cortex préfrontal. Ce gène présente un polymorphisme qui affecte directement l’amplitude de sa fonction ; il s’agit d’une mutation d’un acide aminé, avec un changement de la valine (Val) pour la méthionine (Met). Selon le génotype, l’activité enzymatique varie de 40 %, modifiant secondairement le taux de dopamine cérébrale, lui-même influencé par la réponse neuroendocrine au stress.

23Or il semble que, selon l’allèle présenté, une variation dans la réponse au stress peut être observée. Ainsi, une étude a mis en évidence que, lors d’exposition au stress, des militaires rapportent plus fréquemment des idéations paranoïdes lorsqu’ils sont porteurs de l’allèle Val [14]. À l’opposé, une autre étude [17] comparant le polymorphisme du même gène au sein d’une population de consommateurs de cannabis dont un sous-groupe est connu pour une psychose, l’autre pour l’absence d’un tel diagnostic, montre un résultat différent, suggérant une association entre une vulnérabilité au stress et le portage de l’allèle Met. Enfin, Simons et al. [10] ont réalisé une étude auprès d’un échantillon de femmes, dont une majorité de jumelles, et comparent la sensibilité aux facteurs de stress (distinguant les événements stressants du stress social de la vie quotidienne), la présence d’un sentiment de suspicion et le génotype de la COMT. Les résultats évoquent un sentiment de suspicion augmenté face à un événement stressant dans le cas d’un portage de l’allèle Val/Val, confirmant les résultats de la première étude mentionnée. En revanche, le génotype de la COMT ne semble pas influencer la présence de suspicion en cas de stress social.

Brain-derived neurotrophic factor

24Le brain derived neurotrophic factor (BDNF) est une protéine qui joue un rôle dans la croissance et la différenciation des neurones, tant dans le système nerveux central que périphérique. Des études animales ont démontré que l’expression du BDNF est influencée par des circonstances de stress ce qui peut avoir des répercussions sur la maturation et la plasticité neuronales. Les observations histologiques et biologiques réalisées post mortem auprès d’anciens patients schizophrènes mettent en évidence des résultats contradictoires (taux de BDNF élevé dans certaines études, et abaissé dans d’autres) [2]. Cependant, il a été mis en évidence que des facteurs de stress aigus ou chroniques diminuent l’expression du BDNF dans l’hippocampe. L’étude de Simons et al. [10] rapporte un polymorphisme particulier associé à un sentiment de paranoïa à la confrontation au stress.

25Ces résultats demeurent donc contrastés. Il n’en demeure pas moins que ce modèle souligne l’interaction entre gènes et environnement, avec des spécificités apparaissant en fonction de la nature des facteurs de stress et des molécules impliquées, que ce soit une enzyme ou un facteur neurotrophique. Cette interaction, en affectant le métabolisme de la dopamine, est donc susceptible d’avoir un impact clinique.

Conceptualisation du modèle neurobiologique

26Dans le contexte du grand nombre d’hypothèses évoquées ci-dessus pour tenter d’expliquer le lien possible entre trauma et psychose, divers auteurs ont tenté de proposer des modèles permettant d’intégrer ces éléments dans un ensemble cohérent. Différentes tentatives ont été réalisées dans ce sens, se complexifiant au fil du temps en raison de méthodes biologiques toujours plus pointues.

Modèle stress-diathèse de Rosenthal

27Dans les années 1970, Rosenthal [9] élabore le modèle stress-diathèse, dérivé des résultats d’études conduites chez des jumeaux à haut risque de psychose. Ce modèle suggère que les facteurs génétiques hérités de parents atteints de schizophrénie constituent une diathèse, et que le développement de la maladie dépend de l’action sur ce « terrain de vulnérabilité » de facteurs de stress. Des études génétiques ultérieures ont suggéré une vulnérabilité génétique polygénique et complexe dont la transmission n’est pas mendélienne.

28Le principe du modèle stress-diathèse a néanmoins persisté, subissant cependant des adaptations multiples, à la faveur de l’accumulation de données issues aussi bien de la recherche biologique que de découvertes dans le domaine de la psychologie. Parmi les plus pertinentes, nous aborderons les points de vue de Read et al. [7, 8] et de Walker et al. [19, 20].

Modèle neurodéveloppemental traumagénique

29Read a énergiquement contesté l’implication exclusive de facteurs biologiques dans la genèse de la vulnérabilité à la schizophrénie, avançant la thèse que le trauma ne se limitait pas au seul rôle de facteur déclenchant dans le modèle stress-diathèse. Dans sa modélisation dénommée « Modèle neurodéveloppemental traumagénique de la schizophrénie » (Traumagenic neurodevelopmental model), il postule, en s’appuyant sur les mécanismes biologiques décrits plus haut, qu’un facteur de stress, s’il est suffisamment intense ou précoce, non seulement est susceptible de déclencher une schizophrénie chez un sujet vulnérable, mais également d’avoir un rôle essentiel dans la genèse de cette vulnérabilité, constituant un facteur étiologique par le biais de l’induction d’une altération du développement cérébral, créant ainsi des anomalies structurelles et fonctionnelles qui à leur tour expliquent l’hypersensibilité au stress fréquemment retrouvée chez les patients schizophrènes. Dans cette perspective, le traumatisme ne relève donc pas seulement de la dimension « stress », mais bien de la diathèse, renversant ainsi la logique ayant prévalu dans le modèle habituel.

30Read s’appuie également sur les conclusions d’une étude [15] démontrant que, parmi les enfants génétiquement à risque de développer une schizophrénie, ceux qui ont été adoptés dans une famille qualifiée de dysfonctionnelle ont plus de risque de développer un trouble psychotique que ceux adoptés au sein d’une famille harmonieuse. Les résultats montrent ainsi que dans le premier cas de figure, 34 % des enfants adoptés étaient diagnostiqués « sévèrement psychotiques » alors que dans la deuxième situation, seuls 4 % des enfants avaient le même diagnostic, documentant ainsi l’importance de l’environnement social. Dans la lignée des considérations génétiques, il évoque l’observation neuroanatomique qui met en évidence que parmi les jumeaux monozygotes discordants, l’hippocampe des malades présente un volume réduit.

Modèle stress-diathèse neural

31Walker et Di Forio [19, 20] décrivent le modèle stress-diathèse neural (a neural diathesis-stress model). Ils évoquent le rôle précipitant des facteurs de stress dans la manifestation morbide, conférant aux facteurs de stress un rôle d’exacerbation des symptômes. Dans leur démonstration, ils s’appuient sur la physiologie neuroendocrine, plus précisément l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et associe la schizophrénie à une sensibilité accrue au stress, réponse biologique générant le processus morbide. Ainsi, des lésions prénatales ou périnatales ayant affecté l’hippocampe ou un facteur de stress activant l’axe décrit vont produire une activation dopaminergique qui se traduit secondairement par l’apparition de symptômes psychotique. Certes, ils soulignent l’influence négative des événements adverses, susceptibles de précipiter l’apparition des symptômes. En revanche, ils tiennent compte de plusieurs études documentant que les patients schizophrènes ne sont pas exposés à un nombre supérieur de facteurs de stress, hormis les abus sexuels, que les individus de la population générale (après exclusion des difficultés liées aux répercussions directes du trouble). Par ailleurs, ils se réfèrent aux études épidémiologiques qui démontrent que des enfants à risque de développer un trouble psychotique, par exemple en raison d’une anamnèse familiale positive, vont présenter des troubles du comportement s’ils sont soumis à des facteurs de stress, concluant que ces derniers agissent comme potentialisateurs. Aussi, ils postulent l’existence d’une vulnérabilité biologique préexistante auquel le stress va s’adjoindre. Le traumatisme intègre ainsi pour eux la composante stress au sein du modèle stress-diathèse.

Conclusion

32De nombreuses questions demeurent quant aux mécanismes sous-tendant l’association traumatisme-psychose. Les investigations neurobiologiques se poursuivent, révélant peu à peu l’intervention de différents facteurs dans la genèse d’altérations morphologiques et fonctionnelles. De plus, la recherche génétique devient plus complexe, la réflexion ne se limitant plus à la présence éventuelle de gènes générant un trouble, mais également à la découverte que l’expression génétique peut être modifiée par des facteurs environnementaux.

33Le débat quant au lien de causalité entre le traumatisme et la psychose demeure ouvert, faute de découvertes et de modélisations apportant une réponse définitive. Cependant, il convient de mentionner que cette controverse donne lieu à de nouvelles réflexions nosographiques, entre autres chez les tenants du modèle neurodéveloppemental traumagénique. En effet, considérant que la clinique et les observations neurobiologiques entre certaines manifestations psychotiques et post-traumatiques sont superposables, ils encouragent la conceptualisation d’un diagnostic unissant ces paramètres sous un même trouble.

34Les découvertes neurobiologiques et les conclusions épidémiologiques ne doivent cependant pas éclipser l’importance du traitement psychologique dans de telles situations. En effet, l’élaboration de programmes de soins spécifiques pour les patients psychotiques exposés à un antécédent de traumatisme a été réalisée, entre autre par Read en Nouvelle-Zélande et semble apporter des bénéfices dans l’évolution clinique.

35Remerciements
P. Conus est soutenu par une bourse de la Fondation Leenaards en Suisse.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : stress, psychose, neurobiologie, facteur de risque, étiologie, traumatisme psychique, schizophrénie

Mise en ligne 15/11/2012

https://doi.org/10.1684/ipe.2010.0649

Notes

  • [1]
    Université de Lausanne, Département de psychiatrie CHUV, Clinique de Cery, 1008 Prilly, Switzerland
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